LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu en matière de référé, que la société Oddeis, titulaire d'un brevet portant sur un procédé de séchage du foin, après avoir confié, en 2004, à la société Montage industrie systèmes et services (société MI2S) l'étude, la réalisation et le montage d'une chaîne industrielle de traitement du fourrage, a vendu à la société Charente fourrages une licence d'exploitation de son procédé, ainsi que la chaîne industrielle fabriquée par la société MI2S ; qu'ayant constaté des dysfonctionnements de ce matériel, la société Charente fourrages, après avoir obtenu en référé, la désignation d'un expert, a fait assigner à nouveau devant le juge des référés la société Oddeis et la société MI2S et son assureur, la société Axa France, en paiement d'une provision ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les sociétés MI2S et Axa France font grief à l'arrêt d'admettre que le principe d'une obligation d'indemniser pesant sur l'assureur n'était pas sérieusement contestable, par l'effet d'une fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée, alors, selon le moyen :
1°/ que les juges ne peuvent soulever d'office la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée, sans inviter les parties à s'en expliquer au préalable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a admis la responsabilité de la société MI2S, en se fondant sur l'autorité de chose jugée attachée au jugement du tribunal de grande instance d'Angoulême du 7 août 2008, sans inviter les parties à s'expliquer sur cette fin de non-recevoir qu'elle avait soulevée d'office, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;2°/ que le juge des référés ne peut accorder de provision au requérant, par l'effet de la chose attachée à un jugement, que si celui-ci est irrévocable, seul un jugement irrévocable permettant, en effet, d'invoquer la chose jugée dans une autre instance, dans laquelle le requérant entend bénéficier d'un avantage en se fondant sur le jugement revêtu de l'autorité de chose jugée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a décidé le contraire, a violé les articles 480, 809 du code de procédure civile et 1351 du code civil ;
3°/ que la circonstance qu'un jugement a été frappé d'appel est de nature à justifier l'existence d'une contestation sérieuse quant à l'autorité de chose jugée attachée à ce jugement, mettant obstacle au pouvoir du juge des référés ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a admis que le jugement du tribunal de grande instance d'Angoulême du 7 août 2008 interdisait que la responsabilité de la société MI2S soir remise en cause devant le juge des référés, quand ce jugement avait été frappé d'appel, a violé les articles 480, 809 du code de procédure civile et 1351 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que par jugement du 7 août 2008, intervenu entre les mêmes parties, concernant le même litige, le tribunal de grande instance avait déclaré la société MI2S entièrement responsable du préjudice subi par la société Charente fourrages ; que c'était donc de manière inopérante que, devant la cour d'appel statuant en qualité de juge des référés du second degré, les parties débattaient sur la responsabilité, laquelle ne pouvait plus être remise en cause dans le cadre de la présente procédure, en vertu de l'autorité de chose jugée qui s'attachait à ladite décision, assortie en outre de l'exécution provisoire ;
Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire sur le fondement d'un jugement invoqué dans les écritures et ayant autorité de la chose jugée dès son prononcé, que l'obligation pesant sur la société MI2S de réparer les conséquences dommageables entraînées par les dysfonctionnements affectant la chaîne de déshumidification du fourrage vendue à la société Charente fourrages n'était pas sérieusement contestable ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 1134 du code civil ;
Attendu que pour condamner la société Axa France à garantir la société MI2S, l'arrêt énonce que le dommage étant consécutif aux défauts du produit livré, l'assureur, en exécution du contrat, ne pouvait soutenir qu'il s'agirait d'un dommage non consécutif ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les dommages subis par les produits livrés n'étaient pas contractuellement garantis, et que la seule garantie susceptible d'être mobilisée en l'espèce était celle, plafonnée, des dommages immatériels, non consécutifs, la cour d'appel, qui a dénaturé le contrat, a violé le texte susvisé;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Axa France in solidum avec la société MI2S à payer 510 000 euros à titre de provision, l'arrêt rendu le 23 septembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée ;
Condamne la société Oddeis aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Oddeis à payer à la société Axa France la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf décembre deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Odent, avocat aux Conseils, pour les sociétés Axa France et Montage industrie systèmes et services
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est t'ait grief à l'arrêt attaqué d'avoir admis que le principe d'une obligation n'était pas sérieusement contestable, par l'effet d'une fin de non-recevoir, qui n'avait d'ailleurs pas été soulevée par des parties (les sociétés ODDEIS et CHARENTE FOURRAGES), dans un litige l'opposant à d'autres (la société MI2S, assurée par la société AXA FRANCE),
AUX MOTIFS QU'il résulte des dispositions de l'article 480 du code de procédure civile que le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la question qu'il tranche ; que la décision du juge du fond, même frappée d'appel, et non assortie de l'exécution provisoire avait, en conséquence, autorité de chose jugée dès son prononcé ; qu'elle s'imposait dès lors aux parties et à la cour, laquelle, dans le cadre de la présente procédure, ne disposait que des pouvoirs dévolus au juge des référés dont la décision était attaquée ; que, par jugement en date du 7 août 2008, intervenu entre les mêmes parties, concernant le même litige, le tribunal de grande instance d'Angoulême avait déclaré la société MI2S entièrement responsable du préjudice subi par la société CHARENTE FOURRAGES ; que c'était donc de manière inopérante que, devant la cour statuant en qualité de juge des référés du second degré, les parties débattaient sur la responsabilité, laquelle ne pouvait plus être remise en cause dans le cadre de la présente procédure, en vertu de l'autorité de chose jugée qui s'attachait à la décision susmentionnée, laquelle avait en outre été prononcée sous le bénéfice de l'exécution provisoire,
1 °) ALORS QUE le juges ne peuvent soulever d'office la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée, sans inviter les parties à s'en expliquer au préalable ; qu'en l'espèce, la cour, qui a admis la responsabilité de la société MI2S, en se fondant sur l'autorité de chose jugée attachée au jugement du tribunal de grande instance d'Angoulême du 7 août 2008, sans inviter les parties à s'expliquer sur cette fin de non-recevoir qu'elle avait soulevée d'office, a violé l'article 16 du code de procédure civile.
2° ALORS QUE le juge des référés ne peut accorder de provision au requérant, par l'effet de la chose jugée attachée à un jugement, que si celui-ci est irrévocable, seul un jugement irrévocable permettant, en effet, d'invoquer la chose jugée dans une autre instance, dans laquelle le requérant entend bénéficier d'un avantage en se fondant sur le jugement revêtu de l'autorité de chose jugée ; qu'en l'espèce, la cour, qui a décidé le contraire, a violé les articles 480, 809 du code de procédure civile et 1351 du code civil,
3° ALORS QUE la circonstance qu'un jugement a été frappé d'appel est de nature à justifier l'existence d'une contestation sérieuse quant à l'autorité de chose jugée attachée à ce jugement, mettant obstacle au pouvoir du juge des référés ; qu'en l'espèce, la cour, qui a admis que le jugement du tribunal de grande instance d'Angoulême du 7 août 2008 interdisait que la responsabilité de la société MI2S soit remise en cause devant le juge des référés, quand ce jugement avait été frappé d'appel, a violé les articles 480, 809 du code de procédure civile et 1351 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné un assureur de responsabilité civile (la société AXA FRANCE) à garantir son assurée (la société MI2S),
AUX MOTIFS QUE, même si la société AXA FRANCE n'avait antérieurement fait valoir aucune exclusion de garantie, elle était recevable à opposer à son adversaire une limitation du montant de la garantie dans la mesure où elle ne pouvait être tenue au-delà de ses engagements contractuels ; que l'acceptation de la limitation du plafond de la garantie par l'assuré n'interdisait par contre pas à la victime du dommage de réclamer l'intégralité de la somme correspondant à la réparation de son préjudice, la position prise par l'assuré lui étant inopposable ; que l'application des dispositions claires et dépourvues d'ambiguïté ne nécessitaient pas une interprétation du contrat qui relèverait de l'appréciation du juge du fond ; qu'en l'espèce, le dommage était consécutif aux défauts du produit livré ; que la compagnie AXA FRANCE ne pouvait donc soutenir qu'il s'agirait d'un dommage non consécutif; qu'elle devait donc être déboutée de la contestation qu'elle avait soulevée de ce chef,
1 ° ALORS QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes clairs et précis d'un contrat d'assurances ; qu'en l'espèce, la cour, en décidant que la garantie de la société AXA FRANCE était acquise à la société MI2S, a dénaturé les clauses du contrat d'assurance, dont il résultait que les dommages subis par les produits livrés n'étant pas garantis, la seule garantie susceptible d'être mobilisée en l'espèce était celle, plafonnée, des dommages immatériels non consécutifs, violant ainsi l'article 1134 du code civil,
2° ALORS QUE l'interprétation nécessaire d'un contrat d'assurance est de nature à caractériser l'existence d'une contestation sérieuse, mettant obstacle au pouvoir du juge des référés d'accorder une provision au demandeur ; qu'en l'espèce, la cour a, en concluant à la mobilisation de la garantie des dommages immatériels consécutifs, alors que seule la garantie des dommages immatériels non consécutifs (plafonnée) était. par l'effet de la clause d'exclusion des dommages subis par les produits livrées, susceptible d'être mobilisée, interprété le contrat et excédé ses pouvoirs au regard des articles 809 du code de procédure civile et L 1 13-1 du code des assurances.