LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique
Vu les articles 4 de la Convention n° 98 de l'Organisation internationale du travail (OIT), 5 de la Convention n° 135 de l'OIT, 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 5 et 6 de la Charte sociale européenne, 28 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, L. 2122-1, L. 2122-2 et L. 2123-3 du code du travail ;
Attendu, selon le jugement attaqué, que par lettre reçue le 3 décembre 2009, l'union locale Force ouvrière d'Aix-en-Provence a notifié à l'Association de gestion des actions en faveur des personnes âgées (AGAFPA) la désignation de Mme X... en qualité de délégué syndical ;
Attendu que pour débouter l'employeur de sa demande en annulation de la désignation de la salariée en qualité de délégué syndical, le tribunal retient que l'article L. 2143-3 du code du travail qui réserve le droit de désigner un délégué syndical aux syndicats intercatégoriels ayant obtenu au moins 10 % des voix sur l'ensemble des collèges lors des dernières élections du comité d'entreprise est contraire aux normes européennes et internationales susvisées, d'abord, en ce qu'il interdit aux syndicats qui n'ont pas obtenu un tel score lors des dernières élections de participer aux négociations dans l'entreprise, les privant ainsi d'un élément essentiel du droit syndical, ensuite, en ce qu'il affaiblit les représentants syndicaux au profit des représentants élus, enfin, en ce qu'il constitue une inégalité de traitement par rapport aux syndicats catégoriels qui ne doivent obtenir un tel pourcentage de voix que dans le seul collège visé par leurs statuts ; que le tribunal retient également que l'article L. 2143-3 du code du travail faisant obligation de choisir le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix est contraire au principe de la liberté syndicale et constitue une ingérence dans le fonctionnement syndical ;
Attendu cependant, d'abord, que si le droit de mener des négociations collectives est, en principe, devenu l'un des éléments essentiels du droit de fonder des syndicats et de s'affilier à des syndicats, pour la défense de ses intérêts, énoncé à l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les Etats demeurent libres de réserver ce droit aux syndicats représentatifs, ce que ne prohibent ni les articles 5 et 6 de la Charte sociale européenne ni l'article 28 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ni les conventions n° 98 et 135 de l'OIT ; que le fait pour les salariés, à l'occasion des élections professionnelles, de participer à la détermination des syndicats aptes à les représenter dans les négociations collectives n'a pas pour effet d'affaiblir les représentants syndicaux au profit des représentants élus, chacun conservant les attributions qui lui sont propres ;
Attendu, ensuite, que l'obligation faite aux syndicats représentatifs de choisir, en priorité, le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix ne heurte aucune prérogative inhérente à la liberté syndicale et que, tendant à assurer la détermination par les salariés eux-mêmes des personnes les plus aptes à défendre leurs intérêts dans l'entreprise et à conduire les négociations pour leur compte, elle ne constitue pas une ingérence arbitraire dans le fonctionnement syndical ;
Qu'en statuant comme il l'a fait, le tribunal a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 2 février 2010, entre les parties, par le tribunal d'instance d'Aubagne ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d'instance de Marseille ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l'AGAFPA ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier décembre deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat aux Conseils pour l'association de gestion des actions en faveur des personnes âgées (AGAFPA)
Il est reproché à la décision attaquée d'avoir constaté que les dispositions des articles L.2122-1, L.2143-3, L.2143-22 et L.2324-2 du Code du travail sont contraires au droit communautaire et d'avoir débouté en conséquence l'AGAFPA de sa demande d'annulation de la désignation de Madame Rita X... en qualité de déléguée syndicale FORCE OUVRIERE ;
AUX MOTIFS QUE rien ne permet de dire que Madame Rita X... qui était déjà titulaire de deux mandats représentatifs au sein de l'entreprise, s'est fait désigner frauduleusement comme déléguée syndicale après la notification à sa personne d'une procédure de licenciement. ;
QU'iI résulte de l'article L.2143-3 du Code du travail (loi n°2008-789 du 20 août 2008) que les syndicats représentatifs dans l'entreprise désignent leur délégué syndical parmi les candidats qui ont recueilli au moins 10% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d'Entreprise ; qu'en application de l'article L.2122-1 du Code du travail, les organisations représentatives dans l'entreprise sont celles qui ont recueilli au moins 10% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au Comité d'entreprise ; qu' auparavant chaque syndicat représentatif désignait un ou plusieurs délégués sans condition particulière et tout syndicat professionnel affilié à une organisation représentative au niveau national était considéré comme représentatif dans l'entreprise ; que la Cour Européenne des droits de l'homme, rappelant la primauté du droit communautaire, a invité le juge interne à la garantir en écartant l'application de la règle nationale contraire ;
QUE les textes communautaires et internationaux applicables sont : l'article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, consacrant la liberté syndicale, interdit toute restriction à ce droit autre que celles nécessaires à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et des libertés d'autrui ; que l'article 6 de la Charte Sociale Européenne dispose qu'en vue d'assurer l'exercice effectif du droit de négociation collective, les parties s'engagent à promouvoir l'institution de procédures de négociation volontaire entre les employeurs et les organisations de travailleurs en vue de régler les conditions d'emploi par des conventions collectives ; que de façon générale, la Cour Européenne retient sa compétence pour interpréter et appliquer les dispositions de la Convention des droits de l'homme d'une manière qui en rendre les garanties concrètes et effectives. A cette fin, elle prend en considération les principes établis par les textes de portée universelle (textes de droit international, interprétations qui en sont faites par les organes compétents, règles et principes acceptés par une grande majorité des Etats).
QU'elle rappelle ainsi que l'article 11 de la Convention a pour objectif essentiel de protéger l'individu contre (es ingérences arbitraires dans l'exercice des droits consacrés par la Convention, les Etats ayant l'obligation d'assurer la jouissance effective de ces droits ; il en est ainsi en ce qui concerne la liberté de défendre les intérêts professionnels des adhérents d'un syndicat par l'action collective ; qu'elle n'accepte pas les restrictions non nécessaires qui affectent les éléments essentiels de la liberté syndicale sans lesquels le contenu de cette liberté serait violé de son sens, à savoir : le droit de former un syndicat et de s'y affilier, l'interdiction des accords de monopole syndical, le droit pour un syndicat de rechercher à persuader l'employeur d'écouter ce qu'il a à dire, au nom de ses membres, le droit de négociation collective énoncé par la convention n°98 de l'Organisation Internationale du travail, par l'article 6 de la Charte Sociale Européenne (qui reconnaît à tout travailleur comme à tout syndicat de droit de mener des négociations collectives faisant ainsi peser sur les pouvoirs public? l'obligation correspondante de promouvoir une culture de dialogue et de la négociation dans l'économie), par l'article 28 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;
QUE l'article 5 de la convention n°135 de l'Organisation Internationale du travail dispose que lorsqu'une entreprise compte à la fois des représentants syndicaux et des représentants élus, des mesures appropriées doivent être prises pour garantir que la présence de représentants élus ne puisse servir à affaiblir la situation des syndicats ou de leurs représentants et pour encourager la coopération, sur toutes questions pertinentes, entre les représentants élus, d'une part, et les syndicats intéressés et leurs représentants, d'autre part ;
QU'en l'espèce, l'obligation de choisir le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10% est contraire au principe de la liberté syndicale et constitue une ingérence dans le fonctionnement syndical ;
QUE l'obligation de recueillir au moins 10% des suffrages exprimés, tous collèges confondus, au premier tour des élections au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou à défaut des délégués du personnel, pour être considérée comme organisation représentative dans l'entreprise, alors qu'auparavant les organisations syndicales représentatives au plan national, bénéficiaient d'une présomption irréfragable a pour effet : d'empêcher FO de participer à toute négociation au sein de l'entreprise, élément essentiels 'à l'exercice du droit syndical, qui n'est pas compensé par la possibilité de désigner un représentant syndical puisque ce dernier ne possède pas une telle compétence, alors qu'il s'agit d'une organisation syndicale représentative au niveau national, qu'elle représente 12% des suffrages exprimés en ce qui concerne le premier collège et que cette restriction n'est pas nécessaire ; d'inciter, en conséquence, les électeurs à se détourner d'un syndicat dépourvu de tout pouvoir, d'empêcher tout syndicat de s'implanter dans une entreprise où il n'intervenait pas précédemment, en favorisant ainsi les situations acquises voire les monopoles ; à de réduire progressivement le nombre des organisations syndicales contrairement aux dispositions internationales susvisées qui tendent au contraire à favoriser la liberté d'expression, ce qui risque également d'avoir pour effet de détourner les salariés de toute adhésion à un quelconque syndicat alors qu'il est notoire que le taux de syndicalisation en France est très faible, qu'une forte syndicalisation est nécessaire à la défense des droits individuels des salariés dans un contexte de mondialisation et de crise économique, mais aussi que la culture de la négociation et du dialogue, imposée par la législation communautaire, est nécessaire au bon développement de l'économie ; de donner prépondérance aux représentants élus au détriment de la représentation désignée, contrairement aux dispositions susvisées qui sont destinées à contrebalancer les pressions susceptibles d'être exercées sur l'électorat au sein des entreprises ;
QU'en conséquence, il n'y a pas lieu d'annuler la désignation de Madame Rita X... ;
ALORS, D'UNE PART, QUE si le droit de mener des négociations collectives avec l'employeur est, en principe, l'un des éléments essentiels du droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts énoncés à l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, les Etats demeurent libres d'organiser leur système de manière à reconnaître, le cas échéant, un statut spécial aux syndicats représentatifs ; qu'en jugeant contraires au droit communautaire les dispositions subordonnant la représentativité dans l'entreprise ou dans l'établissement des organisations syndicales satisfaisant aux critères de l'article L.2121-1 du Code du travail à la condition qu'elles aient recueilli au moins 10% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, le Tribunal d'instance a violé l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, les articles 5 et 6 de la Charte spéciale européenne et l'article 5 de la Convention n°135 de l'organisation internationale du travail, ainsi que les articles L.2122-1, L.2143-22 et L.2324-2 du Code travail.
ALORS, DE DEUXIEME PART, QU'en énonçant à l'appui de sa décision que l'obligation de choisir le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10% des suffrages exprimés au premier tour des élections au comité d'entreprise ou de la délégation du personnel ou des délégués du personnel était contraire à la liberté syndicale et constituait une ingérence dans le fonctionnement syndical et en fondant le rejet de la contestation sur une prétendue contradiction de l'article L.2143-3 du Code du travail avec le droit communautaire, tout en relevant que Madame X... était titulaire de deux mandats représentatifs, et bien qu'il n'était pas contesté qu'elle avait obtenu une proportion suffisante de suffrages aux élections des membres du comité d'entreprise et des délégués du personnel pour répondre aux exigences de l'article L.2143-3 du Code du travail, la Cour d'appel a violé l'article 4 du Code de procédure civile ;
ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE l'obligation de choisir le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections du comité d'entreprise, ou de la délégation unique du personnel par des délégués du personne, ne porte pas atteinte à la liberté syndicale ; qu'en statuant comme il l'a fait, le tribunal a violé l'article L.2143-3 du Code du travail et l'article 5 de la Convention n°135 de l'Organisation internationale du travail.