LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses première et troisième branches, tel que reproduit en annexe :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 22 juin 2009), que M. X..., Mme Y..., M. Z..., M. A..., Mme B..., épouse A..., Mme C..., et M. C..., riverains de la commune de Coullons (les riverains) se sont plaints de nuisances sonores provenant d'un stand de ball-trap situé à proximité de leurs habitations et exploité par la société Le Chêne rond (la société) ; qu'une ordonnance du 21 juillet 1994 du juge des référés d'un tribunal de grande instance a désigné M. D... en qualité d ‘ expert afin d'effectuer des mesures ; que n'ayant observé aucune amélioration en six ans, les riverains ont assigné la société par acte du 9 janvier 2002 afin d'obtenir la réalisation de travaux ou, à défaut, la fermeture de ce stand, et en indemnisation de leurs préjudices ; qu'un jugement avant-dire droit du 12 février 2003 du tribunal de grande instance a désigné le même expert afin de vérifier la persistance des nuisances sonores ; que la société s'est fait assister, lors des opérations de relevés, par son propre technicien, M. E..., expert en acoustique ; qu'après dépôt de son rapport, la société a fait assigner l'expert judiciaire par acte du 12 août 2005 en responsabilité devant un tribunal de grande instance afin d'être garantie des condamnations pouvant être prononcées à son encontre ; que le juge de la mise en état a prononcé la jonction des deux procédures ;
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes dirigées contre M. D... et de la condamner au paiement de diverses sommes au profit des riverains ;
Mais attendu que la cour d'appel relève que si M. D... n'avait pas utilisé du matériel répondant aux normes en vigueur, il résultait de la description des bruits que celui-ci avait entendus lors de ses déplacements qu'ils étaient sensiblement identiques à ceux entendus tant par lui-même que par M. E... lors de la première campagne de mesures ; que M. E... avait lui-même enregistré, au cours de la première campagne de mesures, qui s'était déroulée entre octobre 1994 et novembre 1995, des émergences sonores de 13 à 16 dB alors que l'article R. 1334-33 du code de la santé publique précise que ne sont admises des valeurs d'émergence sonore que de 5dB en période diurne et de 3 dB en période nocturne ; que ce même technicien avait, lors de la deuxième campagne de mesures, constaté, le 7 juin 2003, des émergences sonores de 16, 4 dB chez Mme Y... et les attribuait à l'utilisation, par un tireur, de cartouches d'un calibre supérieur à celui autorisé sur le pas de tir ; que M. E... avait conclu, dans son rapport en date du 26 mai 2005, que les marges observées étaient alors, après travaux et modifications des pas de tirs, largement supérieures aux limites autorisées par les textes en vigueur, faisant lui-même l'aveu que ses mesures antérieures étaient supérieures aux normes admises ;
Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve versés aux débats que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de se fonder sur les seules mesures réalisées par M. D..., a pu retenir l'existence d'un trouble anormal de voisinage imputable à la société, et écarter la responsabilité de ce dernier ;
Et attendu que l'existence d'un trouble anormal de voisinage ne se déduisant pas de la seule constatation d'une infraction à une disposition administrative, est inopérant le moyen qui fait grief à la cour d'appel de considérer que les divergences entre les relevés de M. D..., de la DDASS et de M. E... s'expliquaient par l'application par ce dernier des correctifs prévus par l'article R. 1334-33 du code de la santé publique, qui n'avaient pas à être appliqués en l'espèce, ce texte n'étant applicable que pour caractériser un dépassement sonore constitutif d'une infraction pénale ;
D'où il suit que le moyen, qui est inopérant en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et attendu que la deuxième branche du moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Le Chêne rond aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Le Chêne rond à payer à M. D... la somme de 2 500 euros et à M. X..., Mme Y..., M. Z..., M. A..., Mme B..., Mme C... et à M. C... la somme globale de 2 500 euros ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit novembre deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Le Chêne rond
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société LE CHENE ROND de ses demandes et de l'avoir condamnée au paiement de différentes sommes au profit des riverains ;
AUX MOTIFS QUE l'appelante, qui ne conteste pas que de forts bruits de tirs puissent constituer des troubles anormaux de voisinage, soutient cependant que Monsieur D... aurait dû effectuer ses calculs d'émergence sonore en tenant compte des correctifs mentionnés par l'article R 1134-33 du code de la santé publique ; que cette argumentation ne peut cependant être retenue, les dispositions de l'article susvisé n'étant applicable que pour caractériser un dépassement sonore constitutif d'une infraction pénale et non pour vérifier dans le cadre d'une expertise civile, si une gêne est causée aux riverains ; qu'elle fait en outre valoir que son propre expert a procédé avec un matériel homologué et vérifié à des mesures qui démontrent la parfaite conformité de son ball trap à la réglementation applicable et met en conséquence en doute la fiabilité du matériel employé par Monsieur D... en soulignant que le sonomètre utilisé par cet expert n'a pas fait l'objet d'une vérification lors de sa mise en service puis tous les deux ans ; que l'expert judiciaire qui avait notamment pour mission de mesurer le nombre de décibels émis par le stand de ball trap exploité par l'appelante a employé pour ce faire un sonomètre BRUEL et KJAER type 2230 classe 1, un microphone de la même marque, un filtre de fréquence de la même marque, un enregistreur minidisc laser SONY, un analyseur de fréquence en temps réel HEWLETT PACKARD et un calibreur de fréquence BRUEL et KJAER pour le calibrage initial avant mesure ; qu'il fait valoir qu'il a ainsi étalonné l'ensemble de son matériel avant tout mesurage et souligne que l'analyseur de fréquence utilisé lors de l'expertise ne fait pas partie des sonomètres et n'a donc pas à être homologué par le laboratoire national d'essai, son homologation étant réservée au service national du constructeur ; qu'il assure que son sonomètre BRUEL et KJAER d'ailleurs homologué par le LNE sur la liste publiée pour l'année 2002 ne lui sert qu'à capter les signaux bruts non traités qui sont ensuite étalonnés par un calibreur BRUEL et KJAER lequel a été vérifié les 9 janvier 2001 et 3 février 2004 par la société AGILENT TECHNOLOGIES France ayant compétence pour le faire suivant les recommandations AFNOR ; que l'argumentation de Monsieur D... ne répond pas aux objections de la société LE CHENE ROND concernant le non respect des vérifications obligatoires de son sonomètre ; que si la société se fonde à tort sur les dispositions de la circulaire du 27 février 1996 relative à la lutte contre les bruits de voisinage, laquelle n'est applicable qu'aux agents de l'état et des collectivités locales assermentées ayant pour mission de procéder avec un sonomètre intégrateur, à la constatation des infractions, elle invoque à bon droit celles de l'arrêté du 27 octobre 1989 ; que ce dernier texte précise en effet son champ d'application qui est celui de la « construction et du contrôle des sonomètres utilisés à l'occasion soit de l'application de textes législatifs et réglementaires soit d'expertise » ; que l'article 5 de cet arrêté exige que chaque sonomètre soit accompagné d'une source sonore dénommée calibreur permettant le réglage de l'instrument et d'un carnet métrologique où doivent être reportés toutes les opérations de contrôle, les réparations et modifications du sonomètre ; qu'il précise en ses articles 13 et 16 que le détenteur d'un sonomètre doit le faire vérifier primitivement puis tous les deux ans lorsque l'instrument a été homologué depuis moins de 10 ans, ou tous les ans pour les matériels plus anciens ; qu'en l'espèce, Monsieur D... qui n'a pas versé aux débats le carnet métrologique de son appareil, ne démontre pas que son sonomètre qui figure certes sur la liste des appareils homologués en 2002, a fait l'objet d'une vérification primitive et obligatoire avant sa mise en service ainsi que d'une nouvelle vérification dans les deux ans ayant suivi celle-ci ; qu'en se contentant de produire des attestations de vérifications de son calibreur, Monsieur D... ne permet pas à la cour de vérifier qu'il a réalisé ses opérations avec un sonomètre autorisé mais qu'il résulte au contraire de ses écritures qu'il considère que sa manière de procéder ne lui impose ni de posséder un carnet métrologique, ni de faire procéder au contrôle de son sonomètre ; que Monsieur D... ne conteste pas cependant que l'arrêté du 27 octobre 1989 s'impose à tout détenteur d'un sonomètre qui prétend l'utiliser pour réaliser une expertise et ce quelle que soit la manière choisie pour procéder aux mesurages ; que l'article 5 de l'arrêté susvisé précise clairement que le calibreur et le carnet métrologique « doivent être considérés comme des parties intégrantes du sonomètre » et que Monsieur D... ne peut soutenir que l'absence de vérification périodique de son appareil est sans incidence sur les mesures effectuées puisqu'il indique lui-même s'en servir comme « capteur de bruit » et qu'il est à l'évidence nécessaire de savoir si l'enregistrement des bruits a été correctement réalisé avant de déterminer si leur analyse est correctement effectuée par d'autres appareils ; que dès lors que les carences de l'expert dans la preuve de la vérification de son matériel et les légères différences existant entre ses relevés et ceux de Monsieur E... qui a au contraire procédé avec un matériel conforme aux normes en vigueur et régulièrement vérifié, empêchent de retenir ses mesures comme rigoureusement exactes mais ne peuvent conduire à tenir comme non avenues toutes les constatations mentionnées dans l'expertise ; qu'il sera en effet observé que les relevés de Monsieur D... sont confirmés par les trois campagnes de mesures réalisées par la DDASS les 3 août 1996, 13 août 1997 et 3 juillet 2004 ; que bien plus, Monsieur E... a lui-même enregistré au cours de la première campagne de mesures, qui s'est déroulée en octobre 1994 et novembre 1995, des émergences sonores de 13 à 16 dB alors que l'article R1334-33 du code de la santé publique précise que ne sont admises des valeurs d'émergence sonore que de 5 dB en période diurne et de 3 dB en période nocturne ; que ce même expert a lors de la deuxième campagne de mesures, constaté, le 7 juin 2003, des émergences sonores de 16, 4 dB chez Madame Y... et les attribue sans aucunement le démontrer, à l'utilisation, par un tireur, de cartouches d'un calibre supérieur à celui autorisé sur le pas de tir ; que les divergences existant entre Monsieur E... et Monsieur D... sont dues non à des enregistrements de mesures sensiblement différentes mais à l'application, par Monsieur E..., ensuite de ces enregistrements, de correctifs et de mesures réduisant l'émergence sonore en appliquant des coefficients qui n'avaient pas à être utilisés en l'espèce ; que c'est à tort que l'appelante reproche à l'expert judiciaire d'avoir fait état de ce qu'il entendait directement et non seulement de ses mesurages, puisque ce technicien qui avait également pour mission de rechercher si les riverains subissaient des nuisances sonores, était parfaitement fondé à décrire les bruits entendus lors de ses déplacements et leurs conséquences sur la tranquillité des immeubles visités ; qu'il résulte de l'expertise que ces bruits étaient sensiblement identiques à ceux entendus tant par Monsieur D... que par Monsieur E... lors de la première campagne de mesures et étaient bien constitutifs de troubles anormaux de voisinage ; qu'en 2005, la société LE CHENE ROND devant les menaces de fermeture administrative qui lui avaient été adressées par la Sous Préfecture de Montargis a procédé à l'inversion des pas de tirs qu'elle a tous protégés par de nombreux merlons ; que Monsieur E... conclut dans un rapport en date du 26 mai 2005 que « les marges observées sont maintenant après travaux et modifications des pas de tirs largement supérieures aux limites autorisées par les textes en vigueur » faisant ainsi lui-même l'aveu que ses mesures antérieures étaient supérieures aux normes admises ; que cet expert se félicite notamment dans ce même rapport de la diminution sensible des bruits entendus par les salariés de la SAS GEORGIA PACIFIC, que dès lors, sans qu'il soit besoin de recourir à la consultation de l'AFNOR, qui ne pourrait être utile pour juger de l'existence de troubles de voisinage, il est démontré qu'entre 1994 et le mois de mai 2005, de tels troubles ont été causés par les bruits des tirs en provenance du ball trap exploité par la société LE CHENE ROND ; qu'il n'est au contraire pas démontré que ces troubles ont continué après la réalisation des travaux et que les intimés qui ne versent aucune pièce au attestation postérieure au premier mai 2005, ne peuvent donc prétendre à une indemnisation au titre d'un préjudice subi après cette date,
1) ALORS QUE pour retenir les nuisances sonores invoquées et écarter la responsabilité de l'expert, la cour d'appel a constaté que Monsieur l'expert D... avait réalisé ses mesures avec du matériel non conforme aux prescriptions de l'arrêté du 27 octobre 1989 ; que la cour d'appel en a déduit que ces mesures ne pouvaient être « retenues comme rigoureusement exactes mais ne peuvent conduire à tenir comme non avenues toutes les constatations mentionnées dans l'expertise » ; qu'en n'écartant pas purement et simplement des mesures dont elle a constaté qu'elles n'avaient pas été réalisées dans le respect de la réglementation applicable, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé l'arrêté du 27 octobre 1989 ;
2) ALORS QUE la société LE CHENE ROND dans ses conclusions exposait que les mesures brutes, avant application de correctifs, étaient très différentes entre les deux techniciens (p. 14) ; que Monsieur D... ne le contestait pas ; qu'en retenant que les mesures brutes étaient sensiblement identiques et que les divergences résultaient seulement de l'application par Monsieur E... de coefficients qui n'avaient pas à être utilisés quand le contraire résultait des débats, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3) ALORS QUE l'article R. 1334-33 du code de santé publique définit la notion d'émergence globale et les correctifs qui doivent lui être appliqués ; que pour retenir les nuisances sonores invoquées et écarter la responsabilité de l'expert D..., la cour d'appel a considéré que les divergences entre les relevés de Monsieur D..., de la DDASS et de Monsieur E... s'expliquaient par l'application par ce dernier des correctifs prévus par l'article R1334-33 du code de la santé publique, « qui n'avaient pas à être appliqués en l'espèce », l'article R1334-33 du code de la santé publique n'étant applicable « que pour caractériser un dépassement sonore constitutif d'une infraction pénale » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article R1334-33 du code de la santé publique.