LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que M. X..., chirurgien orthopédiste, a conclu en 1986 avec la SA Clinique Jeanne d'Arc (la clinique Jeanne d'Arc) un contrat d'exercice libéral, dont une clause lui conférait le droit de se porter acquéreur par préférence du fonds de commerce et de l'équipement qui en dépendait dans le cas où la clinique déciderait de procéder à la vente de son établissement ; qu'à la suite de cessions d'actions composant le capital de la clinique Jeanne d'Arc, la SA Polyclinique La Pergola (la clinique La Pergola) étant devenue unique actionnaire, s'est vu transférer l'actif de la clinique Jeanne d'Arc ; que M. X... a recherché la responsabilité de la clinique La Pergola, venant aux droits de la clinique Jeanne d'Arc pour violation du pacte de préférence ;
Attendu que pour écarter toute violation de la clause litigieuse, la cour d'appel s'est bornée à retenir d'une part que l'acte de cession d'actions de 1997 ne suffisait pas à lui seul à caractériser une cession de fonds de commerce et, d'autre part, que M. X... ne pouvait pas non plus se prévaloir de la transmission universelle du patrimoine de la société clinique Jeanne d'Arc, conséquence des apports, transferts et cessions d'actions successifs pour soutenir qu'elle devrait être assimilée à une cession du fonds de commerce, tel que ce dernier existait 19 ans auparavant lors de l'adoption du pacte de préférence ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. X..., qui faisait valoir en outre que les autorisations de lits et le matériel avaient fait l'objet d'un transfert effectif au sein de la clinique La Pergola, caractérisant ainsi la cession des éléments essentiels du fonds de commerce de la clinique Jeanne d'Arc, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 septembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Riom, autrement composée ;
Condamne la Polyclinique La Pergola aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la Polyclinique La Pergola ; la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze novembre deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
.Moyens produits par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour M. X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté M. X... de sa demande tendant à voir déclarer que la SA Polyclinique La Pergola, venant aux droits de la SA Clinique Jeanne d'Arc, n'avait pas respecté ses engagements comprenant un pacte de préférence à son égard et, en conséquence, à la voir condamnée à lui verser la somme de 950.000 € à titre de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QUE le Docteur X... met en cause les conditions dans lesquelles avait été conclu d'une part l'acte en date du 15 janvier 1997, passé entre la société ARC INVEST, SARL actionnaire détenant 3.578 actions de la SA CLINIQUE JEANNE D'ARC sur un total de 3.600, et la SA POLYCLINIQUE LA PERGOLA, et d'autre part celles dans lesquelles huit ans plus tard avait été transmis le patrimoine de la SA CLINIQUE JEANNE D'ARC à l'associé unique, la SA POLYCLINIQUE LA PERGOLA, opération intervenue le 30 juin 2005 et entraînant la dissolution de la SA CLINIQUE JEANNE D'ARC le 15.11.2005 ; que la solution du litige impose de rechercher en premier lieu si la cession massive d'actions intervenue en 1997 entre la société ARC INVEST, associée largement majoritaire de la SA CLINIQUE JEANNE D'ARC, et la société POLYCLINIQUE LA PERGOLA d'une part, la société LA PERGOLA GESTION d'autre part, peut être assimilée à la vente d'un fonds de commerce ; qu'en principe la jurisprudence considère que la cession de la totalité ou de la majorité des actions d'une SA ne constitue pas la cession du fonds de commerce figurant à l'actif de la personne morale ; qu'il n'est cependant pas exclu que le juge puisse retenir cette assimilation si, compte tenu des conditions entourant l'acquisition des actions d'une société, cette opération a conféré au propriétaire des titres le droit de propriété sur le fonds de commerce ; que la cour constate en l'espèce qu'entre l'adoption du pacte de préférence invoqué par le Docteur X... le 25.11.1986 et la découverte de la prétendue fraude en novembre 2005, le fonds de commerce de la société CLINIQUE JEANNE D'ARC n'a fait l'objet d'aucune cession ; que durant ce laps de temps, pour des motifs ne tenant pas seulement à la volonté de la société CLINIQUE JEANNE D'ARC mais imposés essentiellement par l'évolution de la politique hospitalière et de la réglementation en la matière, les conditions d'exploitation du fonds ont été considérablement modifiées au si et au vu du Docteur X... qui s'y opposait ; que le Docteur X... a été conscient qu'en soi l'acte de cession d'activité de 1997 ne suffisait pas à lui seul à caractériser une cession du fonds de commerce puisqu'il avait pris l'initiative de faire signifier le 10.09.1997 un acte de dénonciation et d'opposition fondé sur le pacte de préférence de l'article 19 auquel il n'a pas donné suite alors que rien ne s'opposait à ce qu'il mettre en oeuvre l'exercice de ses droits ; qu'en 2001 il a tenté le recours à une procédure de médiation qui a échouée ; qu'aujourd'hui il ne peut se prévaloir de la transmission universelle du patrimoine de la société CLINIQUE JEANNE D'ARC qui est la conséquence des apports, transferts et cessions d'actions successifs qui se sont déroulés depuis 1993 au cours d'une longue période marquée par des évolutions considérables, intervenus pour certains en 1993 puis après l'acte de 1997 sans être apparemment critiqués, pour soutenir qu'elle devrait être assimilée à une cession du fonds de commerce tel que ce dernier existait 19 ans auparavant lors de l'adoption du pacte de préférence ; qu'en deuxième lieu l'action engagée par le Docteur X... ne peut reposer sur l'opposabilité du pacte de préférence aux actionnaires, cédant et acquéreur ; que l'intimée invoque à juste titre le droit de propriété absolu des actionnaires qui ne peut être grevé que par leurs détenteurs ; qu'en l'occurrence le pacte de préférence relatif à la cession du fonds de commerce consenti par la société CLINIQUE JEANNE D'ARC au docteur X... ne comportait aucune disposition susceptible de porter atteinte au droit de propriété des actionnaires concernant leurs titres ; qu'en troisième lieu les statuts de la société CLINIQUE JEANNE D'ARC comprenaient (article 10) une clause d'agrément ; que la SA POLYCLINIQUE LA PERGOLA en tire argument pour prétendre qu'elle pouvait faire obstacle à la cession des actions au profit du Docteur X... ; qu'en effet il n'était pas actionnaire de la SA CLINIQUE JEANNE D'ARC au moment de la cession des actions à la SA POLYCLINIQUE LA PERGOLA ; qu'en sa qualité de tiers, il ne pouvait obtenir une cession à son profit qu'en bénéficiant de l'agrément ; qu'or, compte tenu du contexte déjà très délicat existant entre le Docteur X... et certains des actionnaires, la cession des actions à son profit aurait été pour le moins incertaine ; qu'au vu de l'ensemble de ces éléments il est impossible de caractériser suffisamment une faute à l'encontre de la SA POLYCLINIQUE LA PERGOLA, ni même à l'encontre de la société CLINIQUE JEANNE D'ARC, susceptible d'engager, à quelque titre que ce soit, la responsabilité recherchée par le Docteur X...,
1°) ALORS QUE selon l'article 19 du contrat d'exercice libéral du 25 novembre 1986, « dans le cas où la clinique déciderait de procéder à la vente de son établissement, le docteur Jacques-Marie X... aurait alors le droit, seul ou avec les autres chirurgiens ou médecins de la clinique, par préférence à tout autre, de se rendre acquéreur du fonds de commerce et de l'équipement qui en dépend, à prix et conditions égales » ; qu'en décidant que seule la décision de vendre le fonds de commerce, à l'exclusion de la vente des actions de la société dont il dépend, permettait à Monsieur X... de faire jouer son droit de préférence, la cour d'appel a méconnu la loi du contrat, en violation de l'article 1134 du code civil ;
2°) ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE l'article 19 du contrat d'exercice libéral du 25 novembre 1986 prévoit que « dans le cas où la clinique déciderait de procéder à la vente de son établissement, le docteur Jacques-Marie X... aurait alors le droit, seul ou avec les autres chirurgiens ou médecins de la clinique, par préférence à tout autre, de se rendre acquéreur du fonds de commerce et de l'équipement qui en dépend, à prix et conditions égales » et que « le présent contrat reste de toute façon opposable à tout acquéreur partiel ou total des actions de la société anonyme qui exploite la clinique » ; qu'en retenant que Monsieur X... ne pouvait plus se prévaloir de la transmission universelle du patrimoine de la SA Clinique Jeanne d'Arc à la SA Polyclinique La Pergola, laquelle avait nécessairement emportée la cession de la propriété du fonds de commerce, parce que celle-ci était la conséquence d'apports, transferts et cessions d'actions successifs qui se sont déroulés sur une longue période, cependant que l'article 19 du contrat du 25 novembre 1986 stipulait que le pacte de préférence restait opposable à tout acquéreur partiel ou total des actions de la société anonyme qui exploite la clinique, la cour d'appel a méconnu la loi du contrat, en violation de l'article 1134 du code civil ;
3°) ALORS QUE les juges du fond sont tenus de répondre aux conclusions des parties, le défaut de réponse à conclusions constituant un défaut de motif ; que Monsieur X... faisait valoir, dans ses dernières écritures d'appel, que les éléments essentiels du fonds de commerce de la Clinique Jeanne d'Arc, à savoir les autorisations de lits et le matériel, avait fait l'objet d'un transfert effectif au sein de la Clinique La Pergola (concl., p. 11) ; qu'en ne répondant pas à chef péremptoire de conclusions, de nature à démontrer un transfert effectif de propriété du fonds de commerce, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QU'en relevant, pour écarter toute violation du droit de préférence de Monsieur X..., que la clause d'agrément figurant dans les statuts de la SA Clinique Jeanne d'Arc pouvait faire obstacle à la cession des actions au profit du Docteur X..., cependant que son droit de préférence portait uniquement sur la cession du fonds de commerce et non sur la cession des actions de la société, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté M. X... de sa demande tendant à voir déclarer que la SA Polyclinique La Pergola, venant aux droits de la SA Clinique Jeanne d'Arc, n'avait pas respecté ses engagements comprenant un pacte de préférence à son égard et, en conséquence, à la voir condamnée à lui verser la somme de 950.000 € à titre de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QUE de plus, pour prospérer, l'action engagée par Monsieur X... supposerait de justifier d'un préjudice en lien direct de causalité avec la faute alléguée ; que Monsieur X... fait état de la perte de l'outil professionnel résultant du non-respect du pacte de préférence qui le priverait de la possibilité de bénéficier de la pérennisation de ses revenus jusqu'à sa retraite ; que toutefois il ne tient pas compte du coût de l'investissement nécessaire pour mettre en oeuvre le pacte de préférence ; qu'il convient d'observer que lorsqu'il a dénoncé ses droits et considéré les opérations en cours en 1997 comme y portant atteinte, il n'a jamais fait aucune proposition d'acquisition du fonds de commerce ; qu'à ce jour, il ne communique aucun élément renseignant sur les capacités dont il disposait pour financer une opération à l'évidence onéreuse ; que faute pour Monsieur X... de démontrer qu'il réunissait les conditions nécessaires pour faire jouer son pacte de préférence, tant sur le plan juridique que sur le plan financier, la demande visant à avoir accès à des informations complémentaires relatives à la vente de la SA POLYCLINIQUE LA PERGOLA au groupe VITALIA est sans intérêt ; que l'hypothèse envisagée selon laquelle dans le cas où le pacte de préférence aurait joué, Monsieur X... aurait valorisé son investissement en réalisant une importante plus-value, purement aléatoire, ne pouvant s'analyser en la perte d'une chance,
ALORS QUE la perte d'une chance a pour objet d'évaluer un dommage dont l'existence ou l'étendue est incertaine ; qu'en l'espèce, en refusant de caractériser la perte de chance au motif que l'hypothèse selon laquelle Monsieur X... aurait valorisé son investissement en réalisant une importante plus-value était purement aléatoire, cependant que le caractère aléatoire de la réalisation de l'événement escompté constituait par définition l'élément caractéristique d'une perte d'une chance, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil.