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22/09/2010 | FRANCE | N°09-83282

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 22 septembre 2010, 09-83282


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- M. Jean X...,
- M. Tom X...,
- M. Maya X...,
- M. Marc Y...,
- M. Francis Y..., parties civiles,
- La société Axa france vie, civilement responsable,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5e chambre, en date du 15 avril 2009, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs d'escroquerie et faux, a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires

produits, en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation proposé par la société civile...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- M. Jean X...,
- M. Tom X...,
- M. Maya X...,
- M. Marc Y...,
- M. Francis Y..., parties civiles,
- La société Axa france vie, civilement responsable,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5e chambre, en date du 15 avril 2009, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs d'escroquerie et faux, a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Nicolay, de Lanouvelle et Hannotin pour la société Axa France vie, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire du code de procédure pénale, 460 et 513 du code de procédure pénale ;

"en ce qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que la société Axa France vie, en sa qualité de civilement responsable, n'a pas eu la parole en dernier ;

"alors que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et que les personnes se trouvant dans une situation semblable doivent être jugées selon les mêmes règles ; qu'en concluant à la condamnation solidaire du civilement responsable au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'infraction pour laquelle le préposé a été condamné, les parties civiles deviennent l'adversaire du civilement responsable ; que, dès lors, le civilement responsable, qui, au plan civil, défend les mêmes intérêts que ceux du prévenu, doit, en son absence, être entendu en dernier ; que la décision attaquée rendue en méconnaissance de ce principe est entachée de nullité" ;

Attendu que seule étant présenté à peine de nullité l'audition en dernier de la personne poursuivie ou de son avocat, qu'ainsi, le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen de cassation, proposé par la société civile professionnelle Nicolay, de Lanouvelle et Hannotin pour la société Axa France vie, pris de la violation des articles 8 et 10 du code de procédure pénale, 1134 et 1217 du code civil, 313-1 du code pénal, 591 et 593 dudit code, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a réformé le jugement sur la prescription, déclaré les actions civiles non prescrites, et, en conséquence, a condamné la société Axa France vie, solidairement avec Lucien Z..., à payer, en denier ou quittances, à Josette A... les sommes de 91 469,41 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel et 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, à Tom et Maya X... chacun la somme de 228 673,53 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice matériel, aux consorts X... la somme de 1 154 355 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice matériel ;

"aux motifs que l'article 10 du code de procédure pénale dispose : « l'action civile se prescrit selon les règles du code civil ; toutefois, cette action ne peut plus être engagée devant la juridiction répressive après l'expiration du délai de prescription de l'action publique » ; qu'en l'espèce, Lucien Z... a été poursuivi pour escroquerie et faux commis à Villeneuve-Loubet (06) de 1990 à 2001 faits pour lesquels il a été condamné par le tribunal correctionnel de Grasse puis par arrêt définitif de la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 15 juin 2006, les victimes s'étant constituées parties civiles en cours d'instruction ; que les escroqueries reprochées à Lucien Z... constituent une opération délictuelle unique, les manoeuvres frauduleuse répétées, exécutées sur une longue période formant entre elles un tout indivisible et provoquant les remises successives ; que les faux sont connexes, Lucien Z... les ayant réalisés pour se procurer les moyens de commettre les escroqueries ; qu'ainsi les faits qui lui sont reprochés et qui s'étendent de courant 1990 à 2001, ne sont pas prescrits au regard de l'action publique et à fortiori de l'action civile de toutes les victimes visées dans la prévention ; qu'il convient, en conséquence, de réformer le jugement sur ce point ; que Josette A..., en sa qualité de légataire universelle d'Adrienne B..., évalue son préjudice à la somme de 600 000 francs (91 469,41 euros) remise à Lucien Z... par chèque du 27 juillet 1998 ; que, même si ce chèque est signé par Bernard A... qui avait procuration sur le compte d'Adrienne B..., les déclarations de Lucien Z... qui n'a jamais contesté avoir perçu ce chèque au nom d'Axa, corroborées par les mouvements constatés sur le compte Worms, démontrent que cette somme a bien été escroquée ; qu'il résulte de la motivation développée plus haut (sur la prescription) que l'action n'est pas prescrite ; qu'il convient en conséquence de réformer le jugement et de condamner solidairement Lucien Z... et la compagnie Axa France vie à payer, en derniers ou quittances, à Josette A... la somme de 91 469,41 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel, 5 000 euros, en réparation de son préjudice moral représenté par la perte de jouissance de la somme et les difficultés rencontrées ; que Tom et Maya X... justifient d'un versement d'un montant de 228 673,53 euros chacun effectué par chèques en date du 19 juin 1993 ; qu'il résulte de la motivation développée plus haut que leur action n'est pas prescrite ; qu'il convient en conséquence de réformer le jugement et de condamner solidairement Lucien Z... et la compagnie Axa France vie à leur payer à chacun, en deniers ou quittances, la somme de 228 673,53 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice matériel ; que Jean-Antoine X... venant aux droits de son père Sébastien, décédé, Tom et Maya X..., venant aux droits de leur grand-père décédé évaluent leur préjudice total à la somme de 2 269 201 euros ; qu'il résulte des pièces du dossier que le montant total des placements effectués par feu Sébastien X... s'élève à la somme de 10 245 823 francs, déduction faite de la somme de 2 673 750 francs virée par Lucien Z... sur le compte monégasque de la victime soit un préjudice en principal de 7 572 073 francs (1 154 355 euros), somme qui avait d'ailleurs été réclamée dans la constitution de partie civile du 3 janvier 2006 puis devant les premiers juges statuant sur les intérêts civils ; qu'il convient en conséquence de réformer le jugement et de condamner solidairement Lucien Z... et la compagnie Axa France vie à leur payer à tous les trois, en deniers ou quittances, la somme totale de 1 154 355 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice matériel ; que les demandes concernant les intérêts courus représentent un préjudice éventuel qu'il convient de rejeter ;

"1°) alors que l'action civile ne peut être exercée devant la juridiction répressive après le délai d'expiration de l'action publique ; qu'en matière d'escroquerie, ce n'est que lorsque les manoeuvres frauduleuses forment entre elles un tout indivisible que la prescription ne commence à courir qu'à dater de la dernière remise ; qu'est indivisible ce qui ne peut être divisé ou séparé ; que l'indivisibilité ne peut donc être retenue qu'à l'égard des remises successives effectuées par un seul et même individu et ne peut se confondre avec l'unicité de l'opération délictueuse résultant du contexte et de la personnalité de l'auteur ; qu'en retenant, pour écarter la prescription de l'action publique, et a fortiori de l'action civile de toutes les victimes visées par la prévention, que les manoeuvres frauduleuses reprochées à Lucien Z... formaient entre elles un tout indivisible, la cour d'appel a violé les textes susvisés par fausse application ;

"2°) alors que tout jugement doit être motivé et que l'insuffisance de motivation équivaut à un défaut de motifs ; qu'en se bornant à affirmer, pour écarter la prescription de l'action publique, et à fortiori de l'action civile de toutes les victimes visées par la prévention, que les manoeuvres frauduleuses reprochées à Lucien Z... formaient entre elles un tout indivisible, en l'absence de toute constatation de fait susceptible de caractériser au cas d'espèce l'indivisibilité des remises effectuées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

"3°) alors que tout jugement doit être motivé et que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant, pour écarter la prescription de l'action publique, et a fortiori de l'action civile de toutes les victimes visées par la prévention, que les manoeuvres frauduleuses reprochées à Lucien Z... formaient entre elles un tout indivisible, tout en prononçant une disjonction de l'action civile exercée par Mme C..., et en distinguant ensuite, en considération des remises effectuées, le préjudice de chacune de ces parties civiles prise isolément, mettant ainsi en exergue une succession d'escroquerie distinctes, la cour d'appel qui a entaché son raisonnement de contradiction, a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

"4°) alors que, en matière de délit, la prescription est de trois années révolues ; que constitue un acte interruptif de prescription tout acte ayant pour objet de constater les délits ; qu'au cas présent où il ressort des énonciations de l'arrêt du 15 juin 2006, auquel la cour d'appel s'est expressément référée s'agissant de l'exposé des faits, et des pièces du dossier, que le premier acte interruptif de prescription est intervenu le 27 novembre 2001, date à laquelle Lucien Z... s'est présenté au parquet de Grasse pour relater les faits poursuivis et où le ministère public a ouvert une enquête préliminaire, la cour, qui a écarté la prescription de l'action publique à l'égard de toutes les victimes visées dans la prévention, sans distinguer entre celles qui avaient effectué un dernier acte de remise plus de trois ans avant le premier acte interruptif de prescription et celles qui avaient effectué un dernier acte de remise moins de trois ans avant le premier acte interruptif de prescription, c'est-à-dire antérieurement ou postérieurement au 27 novembre 1998, a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

"5°) alors que, en retenant que l'action civile exercée par Josette A... n'était pas prescrite, tout en ayant relevé que celle-ci avait procédé à une remise unique le 27 juillet 1998, et donc plus de trois ans avant le premier acte interruptif de prescription intervenu le 27 novembre 2001, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales de ses constatations et violé les textes susvisés ;

"6°) alors que, en retenant que l'action civile exercée par Tom et Maya X... n'était pas prescrite, tout en ayant relevé qu'ils avaient chacun procédé à une remise unique le 19 juin 1993, et donc plus de trois ans avant le premier acte interruptif de prescription intervenu le 27 novembre 2001, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales de ses constatations et violé les textes susvisés ;

"7°) alors que, en faisant droit à la demande de réparation des consorts X... venant aux droits de Sébastien X... (arrêt p. 13), réformant ainsi le jugement qui, ayant relevé que les derniers versements qu'ils avaient effectués étaient antérieurs au 27 novembre 1998, avait déclaré leur action civile prescrite, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Attendu que le moyen est inopérant dès lors que la condamnation de M. Z... des chefs d'escroquerie et faux au préjudice de diverses parties civiles est devenue définitive, et que, par suite, les actions exercées par celles-ci devant la juridiction répressive, en réparation du préjudice causé par ces infractions, ne peuvent, en application de l'article 10 du code de procédure pénale, être prescrites ;

Sur le troisième moyen de cassation, proposé par la société civile professionnelle Nicolay, de Lanouvelle et Hannotin pour la société Axa France vie, pris de la violation des articles 1384, alinéa 5, du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement sur la qualité de civilement responsable de la compagnie Axa France vie ;

"aux motifs que, au visa de l'article 1384 du code civil, les premiers juges ont retenu « qu'en l'espèce, Lucien Z... s'est fait remettre des fonds par les parties civiles en sa qualité d'agent d'assurances Axa ; qu'ainsi, profitant de ses fonctions, il a pu commettre des infractions pénales préjudiciables aux parties civiles ; que de ce fait, l'assureur ne peut plus s'exonérer de sa responsabilité en indiquant que le préposé a agi hors de ses fonctions, les victimes étant fondées à croire qu'elles avaient traité avec lui en qualité de préposé d'Axa ; qu'ainsi, la responsabilité d'Axa peut être engagée si elle est mise en oeuvre par la victime ; qu'il suffit d'ajouter que la compagnie Axa, venant aux droits de l'UAP, a été mise en cause devant les premiers juges par les parties civiles ; que Lucien Z... avait son bureau dans les locaux de la compagnie, qu'il rédigeait les faux contrats sur des documents à l'entête de la compagnie et que de surcroît, les victimes ont remis de nombreux chèques à l'ordre d'Axa ; que c'est donc par des motifs suffisants en fait et en droit, que la cour adopte expressément, que les premiers juges ont retenu la qualité de civilement responsable de la compagnie Axa ;

"alors que tout jugement doit être motivé et que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; que le commettant est exonéré de sa responsabilité lorsque son préposé a agi à des fins étrangères à ses attributions et que la victime du dommage ne pouvait légitimement l'ignorer ; qu'en n'examinant pas, ne serait-ce que pour l'écarter, le moyen opérant soulevé par l'exposante dans ses conclusions d'appel régulièrement déposées, pris de l'absence totale de réclamation par les parties civiles qui n'avaient pas reçu les contrats définitifs du siège dans le délai de 45 jours après la remise des fonds, et qui n'avaient pas reçu de situations de compte régulières sur une base annuelle, la cour d'appel, qui a entaché sa décision d'une insuffisance de motivation, a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés" ;

Attendu que, pour déclarer la demanderesse civilement responsable de son préposé, l'arrêt retient que les délits d'escroquerie et faux commis par celui-ci l'ont été dans le cadre de son activité salariée, pour le compte de son employeur, pendant son temps de travail, sur les lieux de celui-ci, et avec les moyens mis à sa disposition ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, exemptes d'insuffisance comme de contradiction, la cour d'appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le quatrième moyen de cassation, proposé par la société civile professionnelle Nicolas, de Lanouvelle et Hannotin pour la société Axa France vie, pris de la violation des articles 1384, alinéa 5, du code civil, 591 et 593 dudit code, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné la compagnie Axa France vie, solidairement avec Lucien Z..., à payer à Francis Y... les sommes de 1 173 712,30 euros pour le préjudice matériel et 5 000 euros pour la perte de jouissance de la somme, en deniers ou quittances ;

"aux motifs que, sur le montant des dommages-intérêts, concernant Francis Y... : que les parties sont d'accord, compte tenu des versements effectués et des indemnisations intervenues pour fixer le préjudice en principal à la somme de 1 173 712,30 euros ; qu'il convient de réparer la perte de jouissance de la somme depuis l'escroquerie par la somme de 5 000 euros ; qu'il convient en conséquence de réformer le jugement qui a fixé le préjudice, le demandeur ayant obtenu le paiement de sommes devant le juge civil et de condamner solidairement Lucien Z... et la compagnie Axa France vie à payer à Francis Y..., la somme de 1 173 712,30 euros pour le préjudice matériel, 5 000 euros pour la perte de jouissance de la somme, en deniers ou quittances ;

"alors que les juges répressifs ne peuvent statuer, au point de vue des réparations civiles, que dans les limites des conclusions dont ils sont saisis ; que dès lors, en condamnant la société Axa France vie solidairement avec Lucien Z..., à payer à Francis Y... la somme de 5 000 euros pour la perte de jouissance de la somme quand, aux termes de ses dernières conclusions d'appel, ce dernier indiquait expressément ne solliciter que la condamnation solidaire d'Axa France vie au paiement de la somme de 1 173 712,30 euros en sa qualité de civilement responsable, la cour d'appel, qui s'est prononcée sur des dommages-intérêts qui ne lui étaient pas réclamés, a excédé ses pouvoirs et violé les textes susvisés" ;

Vu les articles 1382 du code civil, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que les juges, statuant sur les intérêts civils, doivent se prononcer dans les limites des demandes dont ils sont saisis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt et des pièces de procédure que Francis Y... a sollicité la condamnation de la société Axa France vie à payer solidairement avec M. Z... la somme de 1 173 712,30 euros au titre des sommes remises à compter du 28 novembre 1998 ; que, cependant, l'arrêt condamne la société Axa France vie, solidairement avec Lucien Z..., à payer à la partie civile, outre cette somme, celle de 5 000 euros en réparation de la perte de jouissance de la dite somme ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le moyen unique de cassation proposé par la société civile professionnelle Waquet, Farge et Hazan pour les consorts X..., pris de la violation des articles 1382 et 1384 du code civil, 2 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, violation du principe de la réparation intégrale du préjudice ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande des consorts X..., tendant à la condamnation solidaire de Monsieur Z... et de la société Axa France vie à réparer la perte de chance de bénéficier des intérêts que le placement des sommes détournées aurait généré ;

"aux motifs que les demandes concernant les intérêts courus représentent un préjudice éventuel qu'il convient de rejeter ;

"1) alors que le préjudice constitué par une perte d'une chance présente un caractère direct et certain et non pas seulement éventuel, lorsque, par l'effet du délit, la probabilité d'un événement favorable a disparu ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. Z... a été condamné du chef d'escroquerie pour avoir déterminé les consorts X... à lui remettre des fonds en établissant de faux contrats de placement auprès de compagnies d'assurance et en abusant de sa qualité d'agent d'assurance ; qu'il résulte de ces constatations, que les agissements du prévenu ont fait disparaître la possibilité pour les consorts X..., de bénéficier du placement financier qu'ils désireraient entreprendre et des intérêts que ce placement aurait générés ; que la perte de cette chance sérieuse d'obtenir la rémunération de leurs placements était donc certaine, de sorte qu'en refusant de l'indemniser, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

"2) alors qu'en se bornant à constater que le préjudice invoqué par les consorts X..., constitué par la perte du gain qu'aurait généré un placement effectif des sommes remis à l'auteur du délit d'escroquerie, n'était qu'éventuel sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si la perte de cette éventualité ne constituait pas en elle-même un préjudice réparable au titre d'une perte de chance, la cour d'appel n'a pas légalement motivé sa décision ;

"3) alors, enfin, qu'en retenant que la demande des consorts X... concernait les intérêts courus, là où cette demande portait sur la perte de chance d'obtenir des intérêts qu'aurait généré le placement des sommes détournées, la cour d'appel a dénaturé les conclusions des parties civiles et n'a pas légalement motivé sa décision" ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour rejeter la demande, présentée par les consorts X..., en réparation de la perte de chance de rentabiliser les sommes escroquées, l'arrêt énonce que les intérêts courus représentent un préjudice éventuel ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si l'impossibilité pour les parties civiles de bénéficier du placement financier qu'ils entendaient réaliser ne constituait pas un préjudice réparable au titre d'une perte de chance, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est à nouveau encourue ;

Et sur le premier moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Thouin-Palat et Boucard pour Marc et Francis Y..., pris de la violation des articles 1153, 1382 et 1384 du code civil, 2 et 593 du code de procédure pénale, ainsi que du principe de réparation intégrale du préjudice ;

"en ce que la cour d'appel a condamné solidairement Lucien Z... et la compagnie Axa France vie à payer à Marc Y... une somme limitée à 1 819 366,92 euros ;

"aux motifs propres que les parties sont d'accord pour fixer le préjudice à la somme de 1 819 366,92 euros représentant les sommes escroquées et la perte de jouissance de la somme ; que les demandes concernant les intérêts capitalisables représentent un préjudice éventuel qu'il convient de rejeter ; qu'il convient en conséquence de réformer le jugement qui a fixé le préjudice à cette somme, le demandeur ayant obtenu le paiement de sommes devant le juge civil, et de condamner solidairement Lucien Z... et la compagnie Axa France vie à payer à Marc Y... la somme de 1 819 366,92 euros en deniers ou quittances » ;

"et aux motifs éventuellement adoptes que Lucien Z... reconnu coupable d'escroquerie a essayé de convaincre les parties civiles afin de lui remettre des fonds en leur faisant des propositions financières très intéressantes afin d'attirer les remises de fonds ; qu'aujourd'hui les parties civiles ne peuvent demander l'indemnisation d'un préjudice hypothétique ; qu'ainsi l'action en indemnisation était fondée sur la responsabilité délictuelle en application de l'article 1384, alinéa 5, du code civil ; que la société Axa France vie ne peut être tenue à indemniser que le préjudice résultant du détournement des montants déposés ;

"1°) alors que, devant les juges du fond, Marc Y... avait sollicité, outre la condamnation solidaire de Lucien Z... et de la compagnie Axa France Vie au paiement de la somme de 1 819 366,92 euros correspondant au montant des sommes détournées à compter du 28 novembre 1998, la condamnation de Lucien Z... à lui verser d'une part, une somme de 76 224,51 euros au titre des sommes détournées avant le 28 novembre 1998 et, d'autre part, une somme de 344 235,85 euros au titre du gain manqué résultant du défaut de placement des sommes escroquées ; qu'en énonçant que les parties étaient « d'accord pour fixer le préjudice à la somme de 1 819 366,92 euros représentant les sommes escroquées et la perte de jouissance de la somme », la cour d'appel a méconnu les termes du litige ;

"2°) alors que la victime d'un détournement de fonds est fondée à solliciter du responsable de ce détournement le remboursement de l'intégralité de la somme détournée ; que la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître les textes et le principe visés au moyen, rejeter, sans motiver sa décision, la demande de Marc Y... tendant à la condamnation de Lucien Z... à lui verser une somme de 76 224,51 euros correspondant à une fraction des fonds détournés ;

"3°) alors que la victime d'un détournement de fonds est fondée à solliciter du responsable de ce détournement, outre le remboursement de la somme détournée, la réparation de la perte du gain que lui aurait procuré le placement des sommes détournées conformément à ses instructions ; que la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître les textes et le principe visés au moyen, rejeter, sans motiver sa décision, la demande de Marc Y... tendant à la condamnation de Lucien Z... à lui verser, outre le montant des sommes détournées, une somme de 344 235,85 euros au titre du gain manqué résultant du défaut de placement des fonds escroqués ;

"4°) alors que constitue un préjudice certain la perte, par un investisseur, des gains que lui aurait procurés le placement de ses fonds conformément à ses instructions si ces fonds n'avaient pas été détournés ; qu'au cas d'espèce, Marc Y... sollicitait la condamnation de Lucien Z... à lui verser une somme de 344 235,85 euros au titre du manque à gagner, arrêté au 12 décembre 2005, résultant du défaut de placement desdites sommes ; que ce chef de préjudice n'était nullement éventuel ; qu'en affirmant, pour rejeter cette demande, qu'il présentait un caractère hypothétique, la cour d'appel a violé les textes et le principe visés au moyen ;

"5°) alors que le retard dans l'exécution d'une obligation au paiement d'une somme d'argent est réparé par la condamnation du débiteur aux intérêts légaux sur la somme due ; qu'au cas d'espèce, Marc Y... sollicitait la condamnation de Lucien Z... à lui verser les intérêts légaux, à compter du 15 décembre 2005, sur les sommes dont il estimait que Lucien Z... était redevable à son égard, correspondant aux fonds détournés et au manque à gagner arrêté au 12 décembre 2005 ; que la cour d'appel a effectivement condamné Lucien Z... à verser à Marc Y... une partie des sommes ainsi réclamées ; qu'en refusant d'assortir cette condamnation des intérêts légaux, motif pris de ce que lesdits intérêts correspondraient à un préjudice hypothétique, quand ils réparaient un préjudice certain correspondant au retard dans l'exécution à obligation à paiement, la cour d'appel a derechef violé les textes et le principe visés au moyen" ;

Et sur le second moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Thouin-Palat et Boucard pour Marc et Francis Y..., pris de la violation des articles 1153, 1382 et 1384 du code civil, 2 et 593 du code de procédure pénale, ainsi que du principe de réparation intégrale du préjudice ;

"en ce que la cour d'appel a condamné solidairement Lucien Z... et la compagnie Axa France vie à payer à Francis Y... une somme limitée à 1 173 712,30 euros, outre 5 000 euros au titre de la perte de jouissance des sommes détournées depuis l'escroquerie ;

"aux motifs que les parties sont d'accord, compte tenu des versements effectués et des indemnisations intervenues, pour fixer le préjudice en principal à la somme de 1 173 712,30 euros ; qu'il convient de réparer la perte de jouissance de la somme depuis l'escroquerie par la somme de 5 000 euros ; que les demandes concernant les intérêts capitalisables représentent un préjudice éventuel qu'il convient de rejeter ; qu'il convient en conséquence de réformer le jugement qui a fixé le préjudice, le demandeur ayant obtenu le paiement de sommes devant le juge civil et de condamner solidairement Lucien Z... et la compagnie Axa France vie à payer à Francis Y... la somme de 1 173 712,30 euros pour le préjudice matériel, 5 000 euros pour la perte de jouissance de la somme, en deniers ou quittances ;

" 1°) alors que devant les juges du fond, Francis Y... avait sollicité au titre de la réparation de son « préjudice en principal » – c'est-à-dire au titre du remboursement des fonds détournés –, non seulement la condamnation solidaire de Lucien Z... et de la compagnie Axa France vie au paiement de la somme de 1 173 712,30 euros correspondant au montant des sommes détournées à compter du 28 novembre 1998, mais également la condamnation de Lucien Z... à lui verser une somme de 1 029 826,55 euros au titre des sommes détournées avant le 28 novembre 1998 ; qu'en énonçant que les parties étaient « d'accord pour fixer le préjudice en principal à la somme de 1 173 712,30 euros », la cour d'appel a méconnu les termes du litige ;

"2°) alors que la victime d'un détournement de fonds est fondée à solliciter du responsable de ce détournement le remboursement de l'intégralité de la somme détournée ; que la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître les textes et le principe visés au moyen, rejeter, sans motiver sa décision, la demande de Francis Y... tendant à la condamnation de Lucien Z... à lui verser une somme de 1 029 826,55 euros correspondant à une fraction des fonds détournés ;

"3°) alors que constitue un préjudice certain tant dans son principe que dans son quantum la perte, par la victime d'un détournement de fonds, des fruits qu'un placement de ces sommes conformément à ses instructions auraient produits ; qu'au cas d'espèce, Francis Y... démontrait que si les fonds qu'il avait confiés à Lucien Z... avaient été placés conformément à ses instructions, ils lui auraient procuré une rémunération de 813 020,34 euros ; qu'en allouant à Francis Y... une somme de 5 000 euros au titre de la « perte de jouissance de la somme depuis l'escroquerie », la cour d'appel a méconnu le principe de la réparation intégrale du préjudice ;

"4°) alors que le retard dans l'exécution d'une obligation au paiement d'une somme d'argent est réparé par la condamnation du débiteur aux intérêts légaux sur la somme due ; qu'au cas d'espèce, Francis Y... sollicitait la condamnation de Lucien Z... à lui verser les intérêts légaux, à compter du 14 décembre 2005, sur les sommes dont il estimait que Lucien Z... était redevable à son égard, correspondant aux fonds détournés et au manque à gagner arrêté au 13 décembre 2005 ; que la cour d'appel a effectivement condamné Lucien Z... à verser à Marc Y... une partie des sommes ainsi réclamées ; qu'en refusant d'assortir cette condamnation des intérêts légaux, motif pris de ce que lesdits intérêts correspondraient à un préjudice hypothétique, quand ils réparaient un préjudice certain correspondant au retard dans l'exécution d'une obligation à paiement, la cour d'appel a violé les textes et le principe visés au moyen" ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt et des pièces de procédure que Francis Y... a sollicité la condamnation de Lucien Z... au paiement de 1 029 826 euros au titre des fonds détournés avant le 28 novembre 1998 et 813 020 euros représentant la perte de chance de réaliser un placement financier ; que M. Marc Y... a sollicité la condamnation du prévenu au paiement de 76 224,51 euros, au titre des sommes détournées avant le 28 novembre 1998 et 334 235,85 euros au titre des gains manqués ; que l'arrêt n'a pas statué sur ces demandes ;

Qu'en cet état, la cassation est encore encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 15 avril 2009, en ses seules dispositions ayant condamné la société Axa France vie solidairement avec M. Z... à payer à M. Francis Y... la somme de 5 000 euros, ayant rejeté la demande des consorts X... en réparation de la perte de chance de rentabiliser les sommes escroquées et ayant omis de statuer sur les demandes de M. Marc Y... et M. Francis Y... à l'encontre de M. Z... relativement aux sommes remises avant le 28 novembre 1998, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Grenoble, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil,

DIT n'y avoir lieu à application, au profit de MM. Jean X..., Tom X..., Mme Maya X..., MM. Marc Y... et Francis Y..., de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Canivet-Beuzit conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Villar ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 09-83282
Date de la décision : 22/09/2010
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 15 avril 2009


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 22 sep. 2010, pourvoi n°09-83282


Composition du Tribunal
Président : M. Louvel (président)
Avocat(s) : Me Foussard, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, SCP Thouin-Palat et Boucard, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2010:09.83282
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