LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA SOCIÉTÉ O-I SALES AND DISTRIBUTION FRANCE,
contre l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de MONTPELLIER, en date du 3 juin 2009, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé des visites et saisies, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1er de la loi organique n° 88-23 du 7 janvier 1988, L. 450-4 du code de commerce, R. 312-2 3 du code de l'organisation judiciaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a été rendue par un conseiller désigné par ordonnance du premier président de la cour d'appel en raison de l'empêchement de ce dernier ;
"alors que le premier président de la cour d'appel, compétent pour statuer sur l'appel dirigé contre une ordonnance autorisant une opération de visite et saisie en matière d'enquêtes de concurrence, ne peut être suppléé dans cette fonction qui lui est propre que par un président de chambre préalablement désigné, ou à défaut par le président de chambre dont le rang est le plus élevé ; qu'en l'espèce, l'ordonnance qui se borne à constater l'empêchement du premier président, a été rendue par un magistrat incompétent en la personne de Louis Gerbet, simple conseiller" ;
Attendu qu'il ne résulte ni de l'ordonnance attaquée ni des pièces de procédure que la demanderesse ait contesté la régularité de la composition de la juridiction devant le juge du fond ;
D'où il suit que le moyen est irrecevable en application de l'article 430, alinéa 2, du code de procédure civile ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du code de commerce, 31, 32, 137-1, alinéa 4, 458, 486, 512 et 592 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a été rendue hors la présence du ministère public et sans réquisition de sa part ;
1°) "alors que l'appel devant le premier président de la cour d'appel d'une ordonnance du juge des libertés et de la détention délivrant une autorisation de visite et saisie se fait suivant les règles prévues par le code de procédure pénale ; que l'audience de débats doit donc se tenir en présence du ministère public ;
2°) "et alors que la décision du premier président doit être précédée de réquisitions écrites ou orales du ministère public" ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation du droit à un procès équitable, des droits de la défense, de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article L. 450-4 du code de commerce et des articles préliminaires, 513 et 591 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée ne fournit aucune indication sur le déroulement de l'audience de plaidoirie ;
1°) "alors que l'ordonnance rendue par le premier président de la cour d'appel après une audience de plaidoirie doit mentionner les personnes qui ont pris la parole lors de cette audience afin que la Cour de cassation puisse s'assurer qu'elles avaient bien qualité pour le faire ;
2°) "et alors que la personne mise en cause ou son conseil doivent avoir la parole les derniers dans toute procédure contradictoire intéressant la défense soumise au code de procédure pénale et donnant lieu à une audience avant une décision définitive ; qu'il en va notamment ainsi de la personne visée par une autorisation de visite et saisie lorsqu'elle conteste cette dernière devant le premier président de la cour d'appel" ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 450-4 du code de commerce, 450 du code de procédure civile, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a été rendue publique par mise à disposition au greffe de la cour ;
"alors que les décisions de justice doivent être lues publiquement ; que la possibilité de les rendre publiques par mise à disposition au greffe après en avoir avisé les parties n'est prévue que par le code de procédure civile et ne connaît pas d'équivalent en procédure pénale ; que la procédure devant le premier président de la cour d'appel, saisi d'un recours contre une ordonnance du juge des libertés et de la détention délivrant une autorisation de visite et saisie, obéit aux règles prévues par le code de procédure pénale ; que le magistrat délégué ne pouvait donc se borner à mettre l'ordonnance à disposition au greffe sans procéder à sa lecture publique" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, d'une part l'article 450-4 du code de commerce ne prévoit la présence du ministère public à l'audience que si celui-ci a relevé appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;
Attendu que, d'autre part les mentions de l'ordonnance mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que les personnes présentes ou régulièrement représentées aux débats étaient parties à la procédure ;
Attendu, en outre, qu'il résulte de l'article 446 du code de procédure civile que les dispositions relatives à l'ordre dans lequel les parties exposent leurs prétentions ne sont pas prescrites à peine de nullité ;
Attendu qu'enfin, l'ordonnance a été rendue conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Qu'ainsi les moyens ne peuvent qu'être écartés ;
Sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 420-1 et L. 450-4 du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a rejeté la demande de la société O-I tendant à l'annulation de l'autorisation de pratiquer des visites et saisies dans ses locaux ;
"aux motifs propres, qu'en l'état des pièces ayant été présentées au juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Montpellier, il existait des indices permettant de présumer la commission des infractions ci-dessus énoncées et nécessitant une enquête plus poussée ; qu'en effet, la hausse des prix pratiquées de façon similaire par la société O-I et la société SGE, la convergence des différentes déclarations de responsables d'entreprises recueillies dans diverses régions viticoles de France, pouvaient raisonnablement laisser penser à l'existence d'une entente entre la société O-I et la société SGE ayant pour but un partage du marché entre ces deux sociétés ;
"et aux motifs éventuellement adoptés que des informations font état de fortes restrictions de la part des sociétés SGE et O-I pour l'approvisionnement de la filière viticole en bouteilles de verre en 2006 et 2007 ; que ce contingentement s'accompagne de hausses de prix, de refus de vente déguisés en ruptures de livraisons qui paraissent programmées ; que cette situation pourrait s'analyser comme un partage de clientèle ; qu'au vu de tous ces éléments, il peut être constaté une situation de concurrence déficiente, dans le secteur du négoce et de la commercialisation de bouteilles de verre destinées à la filière viticole, marquée à la fois par des hausses de prix similaires et concomitantes, des contingentements par les fournisseurs de bouteilles ayant pour objet ou effet de limiter ou contrôler la production et/ou les débouchés et un partage de la clientèle ; que l'ensemble de ces comportements peut avoir été favorisé par des échanges d'informations entre les entreprises ; que l'ensemble de ces pratiques semble conduire à une situation de partage du marché entre les sociétés SGE et O-I ; que, pour le secteur du négoce et de la commercialisation des bouteilles de verre destinées à la filière viticole, les agissements des entreprises SGE et O-I paraissent coordonnés ; que l'ensemble de ces comportements laisse en conséquence présumer l'existence de pratiques concertées au sens des points 3 et 4 de l'article L. 420-1 du code de commerce ; qu'ainsi la portée de nos présomptions est suffisante au regard des qualifications prévues à l'article L. 420-1 du code de commerce dans ses points 2, 3 et 4 ; que la recherche de la preuve de ces pratiques nous apparaît justifiée ;
"alors que, le premier président de la cour d'appel se doit de vérifier concrètement si l'autorisation de visite et saisie délivrée par le juge des libertés et de la détention était fondée au regard de l'ensemble des documents remis par l'administration ; qu'en l'espèce, la société O-I avait démontré que les documents remis comportaient de nombreux éléments contredisant directement l'analyse qui en a été faite par l'administration puis reprise par le premier juge ; que ces éléments établissaient, notamment, l'existence de variation de prix nettement distinctes entre les sociétés SGE et O-I, qu'ils faisaient état des difficultés d'approvisionnement connues en 2006 et 2007 auprès des fournisseurs autres que les sociétés SGE et O-I et qu'ils mentionnaient parmi les causes objectives pouvant expliquer ces difficultés la fermeture de trois des sept fours de fabrication implantés sur le continent, les pannes subis par deux des quatre fours restants et les grèves ayant affecté la société SGE ; qu'en s'abstenant d'analyser ces éléments ou d'expliquer en quoi ils ne suffisaient pas à établir l'absence de bien-fondé de la demande d'autorisation de visites et saisies, le conseiller délégué par le premier président de la cour d'appel a méconnu son office et n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Sur le sixième moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 450-4 du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a rejeté la demande de la société O-I tendant à l'annulation de l'autorisation de pratiquer des visites et saisies dans ses locaux afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par les points 2, 3 et 4 de l'article L. 420-1 du code de commerce relevés dans le secteur du négoce et de la commercialisation de bouteilles de verre destinées à la filière viticole, ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée ;
"aux motifs qu'en page 2 de l'ordonnance, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Montpellier reprend la liste des pièces qui lui ont été présentées ; que, dans les pages suivantes de la même ordonnance, le juge des libertés et de la détention après avoir analysé les différentes pièces en cause constate une convergence de celles-ci vers des présomptions d'une entente entre la société O-I et la société SGE ; que le juge a donc, contrairement aux allégations de la société O-I et de la société SGE, procéder à l'analyse du bien-fondé de la demande ; qu'en outre, en l'état des pièces ayant été présentées au juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Montpellier, il existait des indices permettant de présumer la commission des infractions ci-dessus énoncées et nécessitant une enquête plus poussée ;
1°) "alors que la société O-I soutenait que le juge des libertés et de la détention doit vérifier de façon concrète, au regard des éléments qui lui sont fournis, si la preuve des pratiques anticoncurrentielles présumées pourrait être obtenue par l'administration sans recourir à des visites domiciliaires et saisies, constitutives d'une ingérence dans le droit au respect de son domicile garanti par l'article 8 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'elle en déduisait qu'en affirmant de façon abstraite, et au demeurant hypothétique, que l'utilisation des pouvoirs définis à l'article L. 450-3 du code de commerce ne paraît pas suffisante pour permettre à l'administration de corroborer ses soupçons, sans procéder à un examen concret et circonstancié des éléments en sa possession, le juge a méconnu les exigences résultant de cette stipulation ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen opérant, le conseiller délégué par le premier président de la cour d'appel a entaché son ordonnance d'une insuffisance de motifs qui équivaut à leur absence ;
2°) alors que la société O-I soutenait que le juge des libertés et de la détention doit indiquer de façon précise et circonstanciée en quoi les lieux dans lesquels il autorise la saisie sont susceptibles de contenir des documents permettant d'apprécier l'existence des pratiques anticoncurrentielles dont la preuve est recherchée ; qu'elle en déduisait qu'en se bornant à affirmer, là encore de manière hypothétique, qu'il est vraisemblable que les documents utiles à l'apport de la preuve se trouvent dans les locaux du siège social de l'entreprise Owens Illinois Sales et Distribution France, le juge des libertés et de la détention a une nouvelle fois méconnu l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en s'abstenant de répondre à cet autre moyen opérant, le conseiller délégué par le premier président de la cour d'appel a entaché son ordonnance d'une seconde insuffisance de motifs qui équivaut à leur absence ;
3°) "et alors que la société O-I soutenait encore que l'autorisation de visite et saisie doit être strictement proportionnée à la poursuite du but légitime qui peut seul la justifier, à savoir, en l'espèce, la recherche des preuves des pratiques anticoncurrentielles prohibées dont l'existence est présumée ; qu'elle en déduisait que l'autorisation devait être limitée aux seuls locaux et pièces dont la visite ou la saisie apparaissent nécessaires à cette recherche et qu'en autorisant la visite de l'ensemble des locaux de son siège social, sans distinction, et la saisie de toute pièce susceptible de se trouver dans ces locaux, le juge des libertés et de la détention avait porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de son domicile, au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en s'abstenant de répondre à ce troisième moyen opérant, le conseiller délégué par le premier président de la cour d'appel a entaché son ordonnance d'une nouvelle insuffisance de motifs qui équivaut à leur absence" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, d'une part, le premier président de la cour d'appel a souverainement caractérisé, s'étant référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'administration, l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles justifiant sa décision ;
Attendu que, d'autre part, le premier président peut autoriser des visites et saisies en tous lieux, mêmes privés, dès lors qu'il constate que des documents se rapportant à des pratiques anticoncurrentielles présumées sont susceptibles de s'y trouver ;
Que, dès lors, les moyens ne sont pas fondés ;
Sur le septième moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 450-4 du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a rejeté la demande de la société O-I tendant à l'annulation, d'une part, de l'autorisation de pratiquer des visites et saisies dans ses locaux, situés en dehors du ressort du tribunal de grande instance de Montpellier, et d'autre part, de la commission rogatoire donnée au juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Lyon pour exercer le contrôle de ces opérations ;
"alors que la société O-I soutenait que lorsque le juge autorise des perquisitions et saisies dans des locaux d'entreprises situés en dehors de son ressort, il lui appartient de caractériser concrètement la nécessité d'une action simultanée justifiant la délivrance d'une ordonnance unique ; qu'elle ajoutait que l'ordonnance qui déduit la nécessité d'une intervention simultanée de la seule constatation que les locaux des entreprises concernées sont situés en des lieux différents, et qu'il conviendrait d'éviter la disparition ou la dissimulation d'éléments matériels, mais qui ne caractérise d'aucune façon en quoi concrètement les entreprises visées, et singulièrement la société O-I, aurait agi ou tenté d'agir en ce sens, est dépourvue de toute base légale au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 450-4 du code de commerce ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen opérant, le conseiller délégué par le premier président a entaché son ordonnance d'une insuffisance de motifs qui équivaut à leur absence" ;
Attendu que, pour autoriser des visites et saisies de documents dans plusieurs départements où se trouvent les locaux occupés par les sociétés à l'égard desquelles existent des présomptions d'agissements frauduleux, l'ordonnance énonce, par motifs propres et adoptés, qu'il est nécessaire de permettre aux enquêteurs d'intervenir simultanément dans ceux-ci, afin d'éviter la disparition ou la dissimulation d'éléments matériels ;
Attendu que, par ces énonciations, exemptes d'insuffisances, le premier président de la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Louvel président, Mme Canivet-Beuzit conseiller rapporteur, M. Dulin, Mme Desgrange, M. Rognon, Mmes Nocquet, Ract-Madoux, MM. Bayet, Bloch conseillers de la chambre, Mme Labrousse conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Finielz ;
Greffier de chambre : Mme Téplier ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;