LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Vu l'article 16 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 février 2009) qui, à la suite d'un arrêt devenu irrévocable du 6 février 2001 ayant dit que la convention conclue le 1er septembre 1990 entre la société civile immobilière Orléans cresson (la SCI) et Mme Anne X... portant sur des locaux situés... à Paris, était un prêt à usage gratuit pour une durée indéterminée, la SCI a délivré congé à Mme Anne X... et à son époux, M. Y... (les époux Y...) pour faire habiter les lieux par Mme Janine Z..., mère de Mme X..., puis a assigné les époux Y... en validation de ce congé et en expulsion ;
Attendu que, pour rejeter ces demandes, l'arrêt retient qu'en application des dispositions de l'article 1134 du code civil, la faculté de résiliation unilatérale doit être invoquée de bonne foi, qu'il résulte suffisamment des faits invoqués par Mme Anne X... et de la note établie par son père qu'il existe entre les parties des conflits persistants et profonds et des conclusions même de la SCI que celle-ci, dans un souci d'apaisement, avait accepté la fixation conventionnelle d'un terme qui serait le décès de la mère de Mme Anne X..., cette dernière n'ayant refusé que par crainte qu'avant toute liquidation, la protection de ses droits ne soit plus assurée et que, dans de telles conditions, le congé donné par la SCI est invoqué de mauvaise foi ;
Qu'en statuant ainsi, en relevant d'office un moyen fondé sur l'abus de droit, sans inviter les parties à présenter préalablement leurs observations, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen unique du pourvoi incident éventuel formé par les époux Y... :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 février 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne les époux Y... aux dépens des pourvois ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des époux Y... ; les condamne à payer à la SCI Orléans cresson la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf juin deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit, au pourvoi principal, par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils pour la société Orléans cresson
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la SCI Orléans Cresson de sa demande tendant à voir confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 13 septembre 2007 en ce qu'il avait jugé qu'elle avait pu mettre valablement fin au prêt à usage consenti le 1er septembre 1990 par le congé délivré à M. et Mme Y... le 19 septembre 2001, et en conséquence, que les époux Y... devraient rendre les lieux libres de toute occupation dans un délai de six mois à compter de la décision et fixé à 3. 500 euros, à compter du 22 novembre 2002, jusqu'à la complète libération des lieux, le montant de l'indemnité d'occupation mensuelle à la charge de M. et Mme Y... ;
AUX MOTIFS QUE sur la faculté de résiliation, la SCI Orléans Cresson soutient que, dans la mesure où la cour d'appel a décidé que le prêt était à durée indéterminée, elle est en droit d'y mettre fin à tout moment, en observant un délai raisonnable ; que Mme Anne X..., en revanche, demande de voir un terme fixé à la convention ; qu'en premier lieu, la demande de Mme Anne X... ne saurait prospérer dans la mesure où la cour d'appel a jugé que la convention est à durée indéterminée ; qu'en second lieu, lorsqu'aucun terme n'a été convenu pour le prêt d'une chose d'un usage permanent, sans qu'aucun terme naturel soit prévisible, le prêteur est en droit d'y mettre fin à tout moment, en respectant un délai de préavis raisonnable ; que, contrairement à ce que soutient Mme Anne X..., une telle faculté ne résulte pas d'un revirement de jurisprudence mais est fondée sur la prohibition générale de l'engagement perpétuel, qui impose que chaque partie à un contrat à durée indéterminée puisse à tout moment y mettre fin par voie de résiliation ; que cependant, en application des dispositions de l'article 1134 du Code civil, la faculté de résiliation doit être invoquée de bonne foi ; qu'il résulte suffisamment des faits invoqués par Mme Anne X... et de la note établie par son père, comme des répliques de la SCI Orléans Cresson, qu'il existe, entre les parties, des conflits persistants et profonds, les accusations de " jalousie maladive " et de " harcèlement " s'échangeant de part et d'autre ; qu'il résulte des conclusions mêmes de la SCI Orléans Cresson que celle-ci, dans un souci d'apaisement, avait même accepté la fixation d'un terme à la convention qui serait le décès de Mme Janine X..., Mme Anne X... n'ayant refusé que par crainte qu'avant toute liquidation, la protection de ses droits ne soit plus assurée ; que, dans de telles conditions, le congé donné par la SCI Orléans Cresson est invoqué de mauvaise foi ;
1°) ALORS QUE pour s'opposer aux demandes de la SCI Orléans Cresson, les époux Y... avaient fait valoir, à titre principal, qu'elles se heurtaient à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt rendu le 6 février 2001 par la cour d'appel de Paris et, à titre subsidiaire, que le terme naturel prévisible du commodat était la liquidation successorale qui interviendrait consécutivement au décès de Mme Janine X..., en sorte que la SCI Orléans Cresson ne pouvait valablement mettre fin au contrat avant ce terme ; qu'ils n'ont jamais prétendu que le congé délivré par la SCI Orléans Cresson était invoqué par elle de mauvaise foi ; qu'en relevant d'office ce moyen fondé sur les dispositions de l'article 1134 du code civil, sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE lorsqu'aucun terme n'a été convenu pour le prêt d'une chose d'un usage permanent, sans qu'aucun terme naturel ne soit prévisible, le prêteur est en droit d'y mettre fin à tout moment en respectant un délai de préavis raisonnable ; que l'exercice éventuellement abusif de ce droit ne peut donner lieu, le cas échéant, qu'à l'allocation de dommages et intérêts ; qu'en considérant que la SCI Orléans Cresson n'avait pas valablement mis fin au contrat du 1er septembre 1990 dès lors qu'elle invoquait le congé de mauvaise foi, et en rejetant en conséquence sa demande tendant à l'expulsion des époux Y..., la cour d'appel, qui a jugé que le contrat devait se poursuivre malgré la volonté exprimée par le prêteur d'y mettre fin, a violé l'article 1888 du Code civil, ensemble l'article 1134 du même code ;
3°) ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QU'en statuant comme elle l'a fait, motif pris « qu'il existe, entre les parties, des conflits persistants et profonds » et que « la SCI Orléans Cresson … dans un souci d'apaisement, avait même accepté la fixation conventionnelle d'un terme à la convention qui serait le décès de Mme Jeannine X..., Mme Anne X... n'ayant refusé que par crainte qu'avant toute liquidation, la protection de ses droits ne soit plus assurée », ce qui ne caractérise aucun abus, aucune mauvaise foi de la SCI Orléans Cresson, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1134 du code civil.
Moyen produit, au pourvoi incident, par Me Odent, avocat aux Conseils pour les époux Y...
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR rejeté la fin de non recevoir soulevée par Monsieur et Madame Y... et tirée de l'autorité de la chose jugée par l'arrêt du 6 février 2001 ;
AUX MOTIFS QUE « la SCI Orléans Cresson en demandant de valider le congé pour reprise qu'elle a fait délivrer, sur le fondement des dispositions contractuelles dérogatoires prévoyant le refus de renouvellement pour occuper ou faire occuper le logement, invoque nécessairement, au regard des dispositions des articles 1888 et 1889 du code civil précités, la survenance d'une circonstance nouvelle, par rapport aux faits précédemment soumis à la Cour ; que, contrairement à ce que soutient Mme Anne X..., la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée dépend de l'existence d'une circonstance nouvelle et non de la preuve au préalable de son bien-fondé ; qu'au surplus, la SCI Orléans Cresson fait également valoir, ainsi qu'il sera examiné ci-après, sa faculté de mettre fin à tout moment à la convention ; qu'en conséquence, la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée doit être rejetée » ;
ALORS QU'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; qu'est ainsi irrecevable une demande identique à une demande précédente lorsqu'il n'est pas justifié d'éléments de fait inconnus lors de la première instance ; qu'en déclarant recevable l'action de la SCI ORLEANS CRESSON sans préciser qu'elle était la circonstance nouvelle sur laquelle cette action aurait été fondée par rapport à l'instance ayant donné lieu à l'arrêt du 6 février 2001, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1351 du code civil.