LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu qu'après le prononcé du divorce de M. X... et de Mme Y..., des difficultés sont nées pour la liquidation et le partage de leur communauté ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches, ci-après annexé :
Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que les actions de la société Alain X... créations constituaient des biens propres de M. X... ;
Attendu, d'abord, que si l'article 1406 du code civil ne vise que les créances et indemnités, la subrogation réelle permet, d'une manière plus générale, lorsqu'un bien propre se trouve remplacé par un autre bien, d'attribuer à ce dernier le caractère de propre et qu'il est donc indifférent qu'au moment de l'opération, il n'ait pas été fait la déclaration prévue à l'article 1434 du code civil ; que, dès lors, la cour d'appel a décidé, à bon droit, que les actions acquises par le mari en contrepartie de l'apport à la société Alain X... créations du fonds de commerce lui appartenant en propre constituaient des biens propres ;
Attendu, ensuite, que la cour d'appel ayant énoncé, par un motif non critiqué, que les liquidités constituaient un élément du fonds de commerce litigieux, sa décision se trouve justifiée par ce seul motif ;
D'où il suit que le moyen, qui n'est pas fondé en ses deux premières branches, est inopérant en sa troisième branche ;
Sur le troisième moyen, pris en ses quatre branches, ci-après annexé :
Attendu que ce moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche :
Vu les articles 1401, 1402 et 1437 du code civil ;
Attendu qu'il résulte du premier de ces textes que les produits de l'industrie des époux entrent en communauté ;
Attendu que, pour décider que la communauté ne pouvait prétendre à récompense au titre du matériel acquis par M. X... pour l'exploitation du fonds de commerce lui appartenant en propre, avant son apport à la société Alain X... créations, l'arrêt énonce que ce matériel acquis à titre d'accessoire, grâce à l'industrie personnelle du mari, n'ouvre pas droit à récompense dès lors que Mme Y... ne rapporte pas la preuve qu'il a été financé par des sommes provenant de la communauté ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a, par refus d'application, violé les textes susvisés ;
Et sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles 1421, 1424 et 1427 du code civil ;
Attendu que, pour débouter Mme Y... de sa demande tendant à l'inopposabilité des cessions des actions des sociétés anonymes France bijoux, Alain X... diffusion et Alain X... concept qu'elle soutenait avoir été conclues frauduleusement par son époux, l'arrêt énonce que les actes accomplis par un époux hors des limites de ses pouvoirs relèvent de l'action en nullité de l'article 1427 du code civil, soumise à la prescription de deux ans et non des textes rappelant les actes frauduleux, lesquels ne trouvent à s'appliquer qu'à défaut d'autres sanctions et qu'en l'espèce, l'action en nullité est prescrite dès lors qu'elle n'a pas été engagée dans les deux années ayant suivi la dissolution de la communauté ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les actions d'une société anonyme constituent, en principe, des titres négociables que chaque époux a le pouvoir d'aliéner seul, sauf à répondre, le cas échéant, d'une fraude dans l'exercice de ce pouvoir, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la cinquième branche du premier moyen et la seconde branche du deuxième moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté Mme Y... de sa demande de récompense au titre du matériel acquis par M. X... pour l'exploitation de son fonds artisanal et de sa demande tendant à l'inopposabilité des cessions des actions des sociétés anonymes France bijoux, Alain X... diffusion et Alain X... concept, l'arrêt rendu le 16 décembre 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept mai deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Blanc, avocat aux Conseils pour Mme Y....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que les actions de la société Alain X... Créations constituaient des biens propres de Monsieur X... et d'avoir dit n'y avoir lieu à récompense en faveur de la communauté au titre de cette société ;
Aux motifs que « les époux X... ont fait précéder leur union d'un contrat de mariage instituant entre eux le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts, avec réserve de propres au profit du mari sur son fonds de commerce créé en 1964 ; que le 10 juillet 1968 a été constituée la SA Alain X... Créations par apport du fonds de commerce ; que Monsieur Alain X... détenait 950 des 1000 actions de cette société (…) ; qu'en application de l'article 1406 du Code civil, forment des propres, par l'effet de la subrogation réelle, les créances et indemnités qui remplacent des propres, ainsi que les biens acquis en emploi ou en remploi, conformément aux articles 1434 et 1435 ; que les parts sociales acquises en cours d'union par un apport en nature de biens propres constituent un bien propre par l'effet de la subrogation ; qu'il est indifférent qu'au moment de l'opération, l'apporteur n'ait pas fait de déclaration de remploi ; que tel est le cas en l'espèce, puisque les parts sociales de Monsieur X... ont été acquises par l'apport en nature de son fonds propre ; que les actions détenues par lui dans la société Alain X... Créations constituent des biens propres (…) ; que le commissaire aux apports a établi le 10 janvier 1969 un rapport confirmant que la valeur de 95 000 francs donnée à l'apport de Monsieur X... était justifiée de même que les différents éléments du fonds de commerce, c'est-à-dire le nom commercial, la clientèle, le droit au bail pour 40. 000 francs, le matériel et mobilier pour 32 302, 59 francs, les comptes bancaires, état, compte bis titres, CCP et caisse pour 22 697, 41 francs (…) ; que dès lors que les parts de la société sont des biens propres, le matériel acquis à titre d'accessoire grâce à son industrie personnelle n'ouvre pas droit à récompense au profit de la communauté dès lors que Madame Y... ne rapporte pas la preuve que le matériel a été financé par des sommes provenant de la communauté ; que les parts remises à Monsieur X... en contrepartie de liquidités à hauteur de 22 697, 41 francs ne peuvent être considérées comme communes dès lors d'une part que la description du fonds artisanal considéré comme un bien propre telle qu'elle figure dans le contrat de mariage comprenait une somme en espèces de 4. 300 francs, d'autre part que les comptes bancaires étaient rattachés à l'exploitation du fonds créé par Monsieur X..., et qu'ils constituaient des biens propres ; qu'en tout cas, Madame Y... ne démontre pas l'utilisation de liquidités communes en contrepartie de la remise de ces parts (…) » ;
Alors que 1°) forment des propres, par l'effet de la subrogation réelle, les créances et indemnités qui remplacent des propres ; que les actions acquises en cours d'union au moyen de l'apport en société d'un fonds de commerce propre ne constituent pas des créances et ne peuvent donc être considérées comme des propres par l'effet de la subrogation réelle légale qui ferait échec à l'application de la présomption de communauté ; qu'en ayant décidé le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1402 et 1406 du code civil ;
Alors que 2°) forment des propres, par l'effet de la subrogation réelle, les créances et indemnités qui remplacent des propres, ainsi que des biens acquis en emploi ou remploi, conformément aux articles 1434 et 1435 ; qu'en l'absence de subrogation réelle d'une créance en remplacement d'un propre, la cour d'appel ne pouvait déclarer que les actions détenues par Monsieur X... constituaient des biens propres sans avoir recherché, comme elle y était invitée, si le fonds de commerce propre de Monsieur X... avait fait l'objet d'une déclaration d'emploi lors de l'apport en société (manque de base légale au regard de l'article 1402 et 1434 du Code civil) ;
Alors que 3°) après avoir relevé que les actions de la société X... Créations avaient été acquises par Monsieur X... notamment en contrepartie de liquidités apportées à la société, la cour d'appel ne pouvait retenir que ces actions étaient des propres de Monsieur X... sans constater que ces deniers avaient fait l'objet d'une déclaration d'emploi (violation des articles 1402, 1406 et 1434 du Code civil) ;
Alors que 4°) et subsidiairement les acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres sont des biens communs ; que l'emploi des revenus d'un bien propre à son amélioration donne droit à récompense au profit de la communauté ; qu'en ayant décidé que le matériel acquis par Monsieur X... grâce à son industrie personnelle n'ouvrait pas droit à récompense au profit de la communauté, la cour d'appel a violé les articles 1401, 1402 et 1437 du Code civil ;
Alors que 5°) et subsidiairement la communauté qui prétend avoir droit à récompense n'a pas à établir le caractère commun des deniers qui ont profité personnellement à l'un des époux, lesdits deniers étant présumés communs, sauf preuve contraire ; pour rejeter la demande de récompense au profit de la communauté pour les sommes investies dans le matériel dépendant du fonds de commerce propre de Monsieur X..., la cour d'appel, qui a retenu que Madame Y... ne rapportait pas la preuve de ce que le matériel avait été financé par des sommes provenant de la communauté, a violé l'article 1402 du Code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit n'y avoir lieu à inclure dans l'actif de la communauté les actions de la société France Bijoux, de la société Alain X... Diffusion et de la société Alain X... Concept ;
Aux motifs que « pendant le mariage, Monsieur X... a créé trois sociétés, la SA France Bijoux, la SA Alain X... Diffusion et la SA Alain X... Concept pour les besoins de ses activités ; qu'il a ultérieurement procédé à la vente des actions de ces sociétés qui constituent des biens communs (…) ; que les actes accomplis par un époux, hors des limites de ses pouvoirs, relèvent de l'action en nullité de l'article 1427 du Code civil, soumise à la prescription de deux ans et non des textes rappelant les actes frauduleux, lesquels ne trouvent à s'appliquer qu'à défaut d'autres sanctions ; qu'en l'espèce, les ventes de parts sociales communes effectuées par Monsieur X... sans le consentement de son épouse, hors des limites de ses pouvoirs relèvent de l'action en nullité prévue par l'article 1427 du Code civil, même si Madame Y... se prévaut d'une fraude, et subsidiairement d'une faute de gestion ; que cette action, soumise à la prescription de deux ans, est prescrite dès lors qu'elle n'a pas été engagée dans les deux années suivant la dissolution de la communauté » ;
Alors que 1°) chacun des époux a le pouvoir d'administrer seul les biens communs et d'en disposer, à l'exception notamment des droits sociaux non négociables ; qu'en ayant retenu que la cession d'actions communes par un seul des conjoints était prohibée et relevait de l'action en nullité pour dépassement de pouvoirs, quand celles-ci constituaient des titres négociables dont chaque époux pouvait disposer, la cour d'appel a violé les articles 1421, 1424 et 1427 du Code civil ;
Alors que 2°) en s'étant fondée sur la prescription de l'action en nullité prévue par l'article 1427 du Code civil pour refuser de rechercher si Monsieur X... s'était rendu coupable d'une fraude et d'une faute de gestion, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1421 du Code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Madame Y... de ses demandes relatives au local commercial sis 24 rue Pizay à Lyon 1er et à la SCI ACD, et d'avoir fixé à 500 euros par an la rémunération due à Monsieur X... pour la gestion de l'indivision ;
Aux motifs que « une mesure d'instruction est nécessaire pour rechercher la valeur du local commercial situé 24 rue Pizay à Lyon (…) ; que le loyer du local commercial situé rue Pizay, loué à la société Alain X..., a fait l'objet d'un avenant du 27 décembre 2001 ; que dès lors que Monsieur X... a pris en main la gestion des biens indivis au su de Madame Y... et sans opposition de sa part, il est censé, en application de l'article 815-3 du Code civil, avoir reçu un mandat tacite couvrant les actes d'administration ; qu'en conséquence, s'agissant d'un avenant au bail portant sur le montant du loyer, et non d'un renouvellement de bail, Madame Y... ne peut remettre en cause cet acte d'administration ni solliciter un nouveau calcul du loyer ; que Monsieur X... justifie, par la production de ses avis d'imposition sur le revenu, de ses avis d'imposition au titre de la CSG et de la CRDS et de ses déclarations de revenus fonciers, qu'il a perçu, pour le compte de la communauté, 98 678 euros au titre des revenus fonciers, et qu'il a acquitté des impôts et contributions s'élevant à 50 171 euros, ce qui fait apparaître un solde de 48 507 euros ; que Monsieur X..., qui a géré pour le compte de l'indivision les parts de la SCI et le local commercial, a droit à rémunération de son activité qui doit être fixée à 500 euros par an ; qu'il n'est pas établi qu'il a gravement manqué à ses devoirs et qu'il a mis en péril les intérêts de l'indivision » ;
Alors que 1°) chacun des époux a le pouvoir d'administrer seul les biens communs et d'en disposer, sauf à répondre des fautes qu'il aurait commises dans sa gestion ; qu'en n'ayant pas recherché, comme elle y était invitée, si Monsieur X... n'avait pas commis une faute de gestion en ayant omis d'indexer les loyers commerciaux du local situé 24 rue Pizay à Lyon comme prévu par le bail commercial, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1421 du Code civil ;
Alors que 2°) l'indivisaire qui prend en main la gestion des biens indivis au su des autres et sans opposition de leur part est censé avoir reçu un mandat tacite couvrant les actes d'administration mais non les actes de dispositions ni la conclusion ou le renouvellement des baux ; que la conclusion d'un avenant au bail commercial qui modifie substantiellement ce contrat et déprécie le bien loué ne peut être couvert par le mandat tacite des autres indivisaires ; qu'en ayant retenu que la conclusion par Monsieur X... d'un avenant au bail, portant réduction du montant du loyer commercial de plus 40 % sans justification, au seul profit de sa société qui en était locataire, constituait un acte couvert par le mandat tacite de Madame Y..., la cour d'appel a violé l'article 815-3 du Code civil ;
Alors que 3°) en n'ayant pas répondu aux conclusions de Madame Y... qui soutenaient que Monsieur X... était redevable envers l'indivision du tiers des loyers perçus grâce aux parts détenues dans la SCI ACD, qui étaient des biens indivis, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
Alors que 4°) l'indivisaire qui a géré un ou plusieurs biens indivis a droit à la rémunération de son activité, sauf à tenir compte de sa responsabilité pour ses actes de gestion ; qu'en n'ayant pas recherché, comme elle y était invitée, si l'importante réduction du loyer commercial consentie par Monsieur X... le 27 décembre 2001 et l'absence de comptabilité pour la SCI ACD ne constituaient pas des fautes de gestion qui devaient être prises en compte pour réduire ou supprimer le montant de la rémunération de Monsieur X..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 815-12 du Code civil.