LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Olivier,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de NANCY, en date du 19 novembre 2009, qui, dans l'information suivie contre lui notamment du chef de meurtre, a prononcé sur une demande d'annulation de pièces de la procédure ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 15 mars 2010, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 82, 119, 120, 156 et suivants, 170, 171, 173, 174, et 593 du code de procédure pénale, ensemble les principes du contradictoire, de l'égalité des armes et du procès équitable, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a refusé de prononcer la nullité de l'audition des experts graphologues effectuée le 18 juin 2009 par le juge d'instruction, du réquisitoire supplétif du procureur de la République du 25 juin 2009 y faisant suite et faisant référence à un réquisitoire supplétif du 5 juin 2009, absent du dossier ;
" aux motifs que les articles 119 et 120 du code de procédure pénale invoqués par Olivier X... et Maud Y... concernent pour le premier la possibilité pour le procureur de la République d'assister aux interrogatoires, auditions et confrontations de la personne mise en examen, de la partie civile et du témoin assisté, et fixent pour le second les modalités du déroulement de ces actes ; que la demande d'audition des experts, par le procureur de la République, n'entre pas dans le cadre desdits articles qui ne sont pas applicables en l'espèce, l'audition des experts constituant une mesure d'instruction pouvant être utile à la manifestation de la vérité ; qu'aux termes de l'article 82, alinéa 1er, du code de procédure pénale « dans son réquisitoire introductif et à toute époque de l'information par réquisitoire supplétif, le procureur de la République peut requérir du magistrat instructeur tous actes lui paraissant utiles à la manifestation de la vérité, et toutes mesures de sûreté nécessaires ; il peut également demander à assister à l'accomplissement des actes qu'il requiert » ; que la demande d'audition des experts par le procureur de la République d'Epinal par réquisitoire supplétif du 12 février 2009 aux fins que ceux-ci s'expliquent sur leurs conclusions respectives était donc recevable par application du texte précité ; que la présence du procureur de la République durant l'audition des experts par le magistrat instructeur était tout aussi recevable par application du même texte ; que cette présence prévue par l'article 82 du code de procédure pénale, induit nécessairement la possibilité pour le procureur de la République d'intervenir et de poser des questions aux experts, une assistance passive à l'acte sollicité vidant de son sens la faculté donnée au procureur d'être présent à l'acte d'instruction qu'il a sollicité ; qu'aucune disposition légale ne prévoit, ni ne fait obligation au juge d'instruction de convoquer les autres parties ou leurs avocats lorsqu'il fait droit à une telle demande de la part du procureur de la République ; que d'ailleurs des dispositions similaires sont applicables aux autres parties, qui, sur le fondement de l'article 82-2 du code de procédure pénale, peuvent demander l'accomplissement de certains actes, tels un transport sur les lieux, l'audition d'un témoin, d'une partie civile ou d'une autre personne mise en examen, en présence de leur avocat ; que, ni Olivier X..., ni Maud Y..., ni leur avocat respectif n'ont formulé d'observations après la notification du rapport d'expertise déposé par Mme A...en exécution de la contre-expertise ordonnée par le juge d'instruction à la suite de la demande d'Olivier X... au vu du rapport de Mme B...; que les dispositions de l'article préliminaire du code de procédure pénale, qui énonce que la procédure doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties, ont été respectées par le magistrat instructeur, qui s'est conformé aux prescriptions légales ; que la signature du procès-verbal d'audition des experts par le procureur de la République aux côtés de celles des deux experts, du juge d'instruction et du greffier n'est pas de nature à entacher la validité de cet acte ; qu'enfin, les mis en examen, qui, au vu de l'audition des experts ont la possibilité de formuler des observations et de demander tous actes qui leur apparaissent nécessaires à la manifestation de la vérité, n'établissent pas l'existence d'un grief, étant observé que les parties conservent la possibilité de discuter de l'avis des experts devant le juge du fond en cas de renvoi de la procédure devant une juridiction de jugement ;
" 1°) alors que, si aux termes de l'article 119 du code de procédure pénale, le procureur de la République peut assister aux interrogatoires, auditions et confrontations de la personne mise en examen, de la partie civile et du témoin assisté, sa présence n'est pas prévue pour l'audition des experts ; qu'en l'espèce, les experts B...et A...ayant été entendus par le juge d'instruction, en présence du procureur de la République, leur audition était par conséquent nulle ; qu'en affirmant que la demande d'audition des experts par le procureur de la République n'entrait pas dans le cadre des articles 119 et 120 du code de procédure pénale qui n'étaient pas applicables en l'espèce, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 2°) alors que, le principe du contradictoire et le principe de l'égalité des armes garantissent le droit pour chaque partie de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation désavantageuse par rapport à son adversaire ; que, dès lors qu'une audition d'experts avait été sollicitée par le procureur de la République, lequel avait activement participé à cette audition en posant des questions, le juge d'instruction devait convoquer les mis en examen et les parties civiles afin que leur soit offert une possibilité de discuter des expertises dans des conditions qui ne les plaçaient pas dans une situation désavantageuse par rapport au procureur de la République ; qu'en se bornant à retenir que la présence du procureur de la République durant l'audition des experts par le juge d'instruction était conforme à l'article 82 du code de procédure pénale et qu'aucune disposition légale ne prévoyait ni ne faisait obligation au juge d'instruction de convoquer les autres parties ou leurs avocats, lorsqu'il faisait droit à une telle demande de la part du procureur de la République, la chambre de l'instruction a méconnu le principe du contradictoire comme celui de l'égalité des armes tels qu'ils sont garantis par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme " ;
Vu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale ;
Attendu que le principe de " l'égalité des armes " tel qu'il résulte de l'exigence d'une procédure équitable et contradictoire, impose que les parties au procès pénal disposent des mêmes droits ; qu'il doit en être ainsi, spécialement, du droit pour l'avocat d'une partie d'assister à l'audition d'un expert effectuée sur réquisitions du procureur de la République, en présence de celui-ci ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'au cours de l'information suivie contre Olivier X... et Maud Y..., du chef de meurtre, faux, escroquerie, tentative d'escroquerie et vol, le procureur de la République a requis du juge d'instruction, après le dépôt de leurs rapports par deux experts en écriture commis par lui, qu'il procède, en sa présence, à leur audition commune ; que cet acte a été réalisé le 19 juin 2009, sans que les avocats des mis en examen et de la partie civile aient été invités à y assister ;
Attendu qu'Olivier X..., mis en examen, a saisi la chambre de l'instruction d'une demande d'annulation de cette audition ainsi que du réquisitoire supplétif du procureur de la République y faisant suite, en soutenant, d'une part, que celui-ci ne pouvait pas assister à l'audition des experts et d'autre part, qu'en ne convoquant pas les avocats des mis en examen et de la partie civile, le juge d'instruction avait violé l'article préliminaire du code de procédure pénale ;
Attendu que, pour rejeter cette requête en nullité de la procédure, l'arrêt retient que le procureur de la République tient de l'article 82, alinéa 1er, du code de procédure pénale, la faculté de demander au magistrat instructeur qu'il soit procédé en sa présence à l'audition d'un expert et qu'aucune disposition légale ne prévoit ni ne fait obligation au juge de convoquer les autres parties ou leurs avocats ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, en date du 19 novembre 2009, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Lamanda, premier président, président, M. Louvel président de chambre, M. Guérin conseiller rapporteur, M. Joly, Mmes Anzani, Palisse, Guirimand, MM. Beauvais, Straehli, Finidori, Monfort conseillers de la chambre, Mme Degorce conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Lucazeau ;
Greffier de chambre : Mme Villar ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;