LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA SOCIÉTÉ ELLE DISTRIBUTION,
contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, 3e chambre, en date du 29 avril 2009, qui, pour contraventions d'extension de la surface de vente d'un magasin de détail, l'a condamnée à 21 754 amendes de 5 euros ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1134 et 1709 du code civil, L. 720-5 du code de commerce (devenu L. 752-1 du même code), 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a, par adoption des motifs du premier juge considéré que l'activité de location de livres à l'origine des poursuites engagées contre la société Elle Distribution s'analyse en une offre de vente de livres, soumise à la législation sur la vente au détail ;
"aux motifs propres que l'activité à l'origine de la condamnation de la société Elle Distribution s'analyse bien en une offre de vente de livres ; qu'elle avait bien pour objet de contourner le refus initialement opposé à la société Elle Distribution par la commission départementale d'équipement commercial ;
"et aux motifs adoptés que la prévenue indique que, prenant acte du refus d'ouverture d'une surface de vente de 600 m² dans la galerie commerciale, elle a adapté son projet en se consacrant à la location de livres, à compter du 7 décembre 2005, activité non soumise à la réglementation relative à la vente de détail ; que le paiement du prix s'analyse comme la conclusion d'un contrat de location (article 1709 du code civil) ; que cela est rappelé sur le ticket de vente comme sur des panneaux affichés à l'entrée du magasin ; que le choix du consommateur de ne pas restituer le livre est indépendant de sa volonté et qu'on ne saurait lui reprocher qu'en ce cas, elle pratiquerait alors une activité de vente ; qu'il est constant que l'article L. 720-5 du code de commerce ne s'applique qu'à l'activité de vente au détail ; que la circulaire du ministre des petites et moyennes entreprises, en date du 16 janvier 1997, précise qu'y sont assimilées les activités de service et artisanales, à l'exclusion des prestataires à caractère immatériel ou intellectuel (banques, agences de voyages, assurances…), ou les établissements de service ou de location, à condition qu'aucune vente de détail ne s'y pratique ; qu'en l'espèce, force est de constater que l'activité dite de location est en réalité une activité de vente ; que la création de cette activité fait suite à trois décisions successives de rejet de la demande de création d'un espace de vente de produits culturels et bien davantage qu'une « adaptation», elle s'analyse en un contournement de ces décisions ; que, d'une part, il ne s'agit pas de la garantie d'un risque de non-restitution, assuré par un dépôt de 60% du prix, mais bien d'une option d'achat ouverte au client ; qu'ainsi, si le ticket de caisse ou des panonceaux mentionnent qu'il s'agit d'une location, d'autres écriteaux, placés à l'intérieur de l'espace livres indiquent « les livres ne sont ni repris ni échangés » ou encore « Prix E.Leclerc, 5% du prix de vente du livre » ; que, de même, les publicités publiées dans Ouest-France et le Télégramme du 9 décembre par exemple, ne font aucunement mention de location de livres, mais vantent d'une manière commerciale l'ouverture récente et conjointe d'un espace livre et d'un rayon CD/DVD, soulignant l'importance de l'achalandage ; que le relevé d'activité effectué faisait apparaître que sur 1377 transactions effectuées entre le 15 décembre 2005 et le 23 janvier 2006, 1339 s'étaient conclues par des ventes, soit 97,2%, et confirmait ainsi la véritable activité de vente au détail de livres exercée dans cet espace ; que, d'autre part, il est significatif de noter que le prix total acquitté répond aux dispositions de la loi du 10 août 1981 sur le prix de vente réglementé des livres et non à un prix qui serait spécifique à une activité de location ; qu'ainsi, il y a lieu de constater que l'ambiguïté sur la nature de la convention passée est soigneusement entretenue et que la société est dès lors mal fondée à soutenir que le choix de non-restitution est un « élément totalement indépendant de sa volonté et résulte uniquement du comportement du consommateur » ; que, finalement, le système mis en place s'analyse en une option d'achat offerte au client, très majoritairement utilisée comme telle par la clientèle, et qui, en application des dispositions précitées du code de commerce et de la circulaire du ministre des petites et moyennes entreprises du 16 janvier 1997, est soumise à la législation sur la vente au détail ;
"alors qu'il résulte de l'article 1709 du code civil que le contrat de location est celui par lequel une partie s'oblige à faire jouir une autre d'une chose, pendant un certain temps et moyennant un certain prix ; que tel était assurément la nature du contrat passé entre la société Elle Distribution et le consommateur qui souscrivait à son offre de location de livres, dans la mesure où celle-ci s'engageait, comme le démontre expressément le ticket de caisse remis au client, à lui assurer la jouissance paisible de la chose louée, moyennant le paiement du prix de location ainsi que l'obligation de conserver le livre et de le restituer à l'arrivée du terme du contrat ; que le défaut de restitution du livre entraînant la conservation du dépôt de garantie de 60 % du prix au moment de la location ne constituant que la juste réparation d'une inexécution contractuelle résultant du seul comportement du consommateur, la cour d'appel ne pouvait, sans dénaturer les termes du contrat de location ainsi souscrit, l'analyser en une option d'achat offerte au consommateur, afin de pouvoir entrer en voie de condamnation à l'égard de la prévenue du chef de contravention aux règles d'urbanisme commercial, exclusivement applicables aux activités de vente ; qu'en procédant ainsi à une dénaturation des termes clairs et précis de l'objet du contrat aux seules fins de justifier du bien-fondé des poursuites exercées à l'encontre de la société Elle Distribution, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des textes visés au moyen" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que le 7 décembre 2005, la société Elle Distribution a ouvert au sein du magasin à l'enseigne E. Leclerc un espace culturel dédié à la location de livres, exploitant ainsi une surface commerciale supérieure à celle qui lui avait été initialement accordée ; qu'elle est poursuivie pour avoir exploité un magasin de commerce de détail d'une surface supérieure à 300 m² sans autorisation administrative ;
Attendu que c'est par une interprétation souveraine exclusive de dénaturation que l'ambiguïté des clauses du contrat litigieux rendait nécessaire que la cour d'appel a retenu que le contrat de location de livres s'analysait en un contrat de vente de ceux-ci et en a exactement déduit que cette activité est soumise à la législation sur la vente au détail ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles II-109-3 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 9 de la Directive 2006/123/CE, 40 du décret n°93-306 du 9 mars 1993, L.720-5 du code de commerce (devenu L. 752-1 du même code), 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné la société Elle distribution à 21 754 amendes de 5 euros chacune, soit 108 770 euros, après l'avoir déclarée coupable des faits d'extension sans autorisation de la surface de vente d'un magasin ayant déjà dépassé le seuil des 300 m2 ;
"aux motifs que l'activité à l'origine de la condamnation de la société Elle Distribution s'analyse bien en une offre de vente de livre ; qu'elle avait bien pour objet de contourner le refus initialement opposé à la société Elle Distribution par la commission départementale d'équipement commercial ; que, sur le montant de l'amende, l'importance de celle-ci ne se mesure pas à l'aune du résultat commercial d'une activité illicite, s'agissant d'une sanction et non d'un élément du chiffre d'affaire ; que la comparaison proposée par l'appelante avec des amendes prononcées pour des atteintes aux personnes ou le trafic de stupéfiants n'est plus pertinente, s'agissant de peines prononcées contre des personnes physiques ; que l'origine concurrentielle de la poursuite est de l'essence même des dispositions réglementaires violées ; que l'évolution de ces mêmes textes, comme celle des avis donnés par la commission départementale d'équipement commercial, n'enlève rien à la légitimité de ces textes et avis au temps de la commission de l'infraction dont la cour est saisie ; que la volonté « innovante » de l'animateur du groupe auquel appartient l'appelante ne saurait la mettre au-dessus de la loi ; qu'elle a délibérément passé outre les textes applicables à partir du moment où la mise en oeuvre de ceux-ci ne lui ont pas donné satisfaction ; que la sanction dont il a été relevé appel ne vise pas seulement une question de superficie mais un comportement et un rapport à la loi ; qu'il conviendra en conséquence de confirmer la décision du tribunal de police de Quimperlé ;
"1) alors qu'il appartient au juge répressif d'écarter d'office l'application d'un texte d'incrimination de droit interne lorsque ce dernier méconnaît une disposition du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ou un texte pris pour son application ; qu'il est constant que les dispositions de l'article L. 720-5 du code de commerce, devenu L. 752-1 du même code, sanctionnées par l'article 40 du décret du 9 mars 1993, étaient incompatibles avec le droit de l'Union européenne, l'abaissement du seuil de 300 m² au-delà duquel une autorisation d'exploitation commerciale était nécessaire méconnaissant non seulement l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatif à la liberté d'établissement, comme l'a affirmé la Commission européenne dans son avis motivé du 12 décembre 2006, mais encore les articles 9 et 10 de la Directive 2006/123/CE visant au renforcement de la liberté d'établissement pour les prestataires de services dans le marché intérieur et délimitant strictement les conditions auxquelles un Etat peut subordonner l'accès d'une activité de services à un régime d'autorisation ; que cette incompatibilité de notre législation nationale avec les exigences de l'Union est tellement avérée que le législateur français a modifié les dispositions précitées pour s'y conformer par une loi n° 2008-776 du 4 août 2008, qui, dans son article 102, a notamment élevé le seuil d'assujettissement à autorisation à 1 000 m² ; que, dès lors, en s'abstenant d'écarter d'office l'application d'un texte d'incrimination qui méconnaissait incontestablement les textes de l'Union précités, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"2) alors qu'il résulte des articles II-109-3 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen que « l'intensité des peines ne peut pas être disproportionnée par rapport à l'infraction » et que « les lois ne doivent établir que des peines strictement et évidemment nécessaires» ; qu'en l'espèce, en refusant de prendre en considération dans le prononcé de la peine, comme l'y invitaient les conclusions d'appel de la prévenue, non seulement l'obtention, quelques mois après les faits reprochés de l'autorisation d'exploitation par la commission départementale d'équipement commercial, mais surtout l'évolution de la législation en la matière, enlevant tout caractère répréhensible pénalement à des extensions d'une surface de vente inférieure à 1 000 m², la cour d'appel a ouvertement méconnu les principes susvisés, ensemble les fondements essentiels du droit pénal ;
"3) alors que nul ne peut être puni de peines qui ne sont pas prévues par la loi ; qu'en l'espèce, après avoir déclaré la prévenue coupable des seuls faits d'extension sans autorisation de la surface de vente d'un magasin, la cour d'appel l'a condamnée à 21 754 amendes de 5 euros ; qu'en statuant ainsi, alors que l'article 40 du décret du 9 mars 1993 ne prévoit que le prononcé d'une seule amende, fût-elle applicable par jour d'exploitation et autant de fois qu'il y a de mètres carrés utilisés irrégulièrement, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés" ;
Attendu que, d'une part, le moyen, qui invoque pour la première fois devant la Cour de cassation l'application du régime de la liberté d'établissement institué par le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, est nouveau, mélangé de fait, et comme tel irrecevable ;
Attendu que, d'autre part, s'il prévoit que la juridiction doit déterminer le montant de la peine d'amende en tenant compte des ressources et des charges de l'auteur de l'infraction, l'article 132-24 du code pénal ne lui impose pas de motiver sa décision ; que, dès lors, en condamnant la société Elle distribution à 21 754 amendes de 5 euros, la cour d'appel, qui a exactement appliqué les dispositions de l'article 40 du décret du 9 mars 1993, n'a fait qu'user d'une faculté qu'elle tient de la loi ;
Attendu qu'enfin, lorsqu'une disposition législative, support légal d'une incrimination, demeure en vigueur, l'abrogation de textes réglementaires, pris pour son application, n'a pas d'effet rétroactif ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Slove conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;