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16/03/2010 | FRANCE | N°08-21511

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 16 mars 2010, 08-21511


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen relevé d'office, après avertissement délivré aux parties :

Vu l'article 7, paragraphe 1, de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ;

Attendu que, lors de l'application de la loi d'un pays déterminé, il peut être donné effet aux dispositions impératives de la loi d'un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quell

e que soit la loi régissant le contrat ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, ren...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen relevé d'office, après avertissement délivré aux parties :

Vu l'article 7, paragraphe 1, de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ;

Attendu que, lors de l'application de la loi d'un pays déterminé, il peut être donné effet aux dispositions impératives de la loi d'un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (deuxième chambre civile, 18 octobre 2007, pourvoi n° 06-19.389), que la société Viol frères (la société Viol) ayant vendu de la viande bovine congelée en a confié l'acheminement de France au Ghana à la société Philippe Fauveder et compagnie (la société Fauveder), qui s'est substituée les sociétés, Dampskibsselskabet AF 1912, Aktieselskab and Aktieselskabet Dampskibsselskabet Svendbord, aux droits desquelles se trouve la société Ap Moller Maersk A/S, pour effectuer le transport par voie maritime ; que n'ayant pu être livrée au destinataire en raison d'un embargo décrété par l'Etat du Ghana sur les viandes bovines d'origine française, la marchandise a été rapatriée et remise à la société Viol, qui a procédé à sa vente en sauvetage ; que pour obtenir l'indemnisation de son préjudice, la société Viol a assigné en responsabilité la société Fauveder et la société Ap Moller Maersk A/S ;

Attendu que pour condamner in solidum la société AP Moller Maersk A/S et la société Fauveder à payer à la société Viol la somme de 54 936,44 euros et condamner la société AP Moller Maersk A/S à garantir la société Fauveder de toutes les condamnations prononcées contre elle au profit de la société Viol, l'arrêt retient que l'embargo décrété unilatéralement par l'Etat du Ghana sur la viande bovine d'origine française n'a pas de force obligatoire à l'égard des sociétés Viol et Fauveder, qu'au regard de la loi applicable la cause des contrats de transport ne remplit aucune des conditions énoncées par l'article 1133 du code civil français et qu'en conséquence c'est à tort que le transporteur maritime soutient qu'en raison de l'embargo, la cause de ces contrats n'est pas licite ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de déterminer par application de la Convention de Rome l'effet pouvant être donné à la loi ghanéenne invoquée devant elle, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription et déclaré recevable l'action exercée par la société Viol, l'arrêt rendu le 4 novembre 2008, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;

Condamne la société Viol frères et la société Philippe Fauveder et compagnie aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la partiellement cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize mars deux mille dix.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils, pour la société Ap Moller Maersk A/S

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Société AP MOLLER MAERSK A/S, in solidum avec la Société PHILIPPE FAUVEDER et COMPAGNIE, à payer à la Société VIOL FRERES la somme de 54.936,44 €, outre les intérêts et la capitalisation des intérêts, et d'avoir condamné la Société AP MOLLER MAERSK A/S à relever et garantir la Société PHILIPPE FAUDEVER et COMPAGNIE de toutes les condamnations prononcées contre elle au profit de la Société VIOL FRERES, en principal, frais et dépens.

AUX MOTIFS QUE pour faire obstacle à l'action en responsabilité exercée contre lui, le transporteur maritime, se fondant sur les articles 1131 et 1133 du Code civil, demande à la cour d'annuler les contrats de transport et notamment le contrat de transport maritime pour cause illicite, dans la mesure où la Société VIOL FRERES a conclu avec la Société FAUVEDER après l'embargo sur la viande bovine française en vigueur au Ghana depuis décembre 1999, soit plus de deux années auparavant ; que cette demande reconventionnelle en annulation des contrats n'est cependant pas fondée ; qu'en effet, comme le soutient l'expéditeur, en raison de l'indépendance du contrat de vente par rapport au contrat de transport, le transporteur maritime ne peut pas se prévaloir du caractère selon lui frauduleux de la vente, au regard de la loi applicable sur le territoire du Ghana ; qu'en outre, l'embargo décrété unilatéralement par l'Etat du Ghana sur la viande bovine d'origine française n'a pas de force obligatoire à l'égard des sociétés VIOL FRERES et FAUDEVER ; que la Société VIOL FRERES fait d'ailleurs justement valoir que le service d'expansion économique d'ACCRA, relevant de l'ambassade de France au Ghana, lui a conseillé, par écrit du 18 avril 2002, l'envoi de certaines marchandises représentatives de la viande bovine française, à la condition qu'elles soient accompagnées de tous les certificats sanitaires correspondants, ce qui a été le cas en l'espèce, pour favoriser la levée de l'embargo, considéré comme n'ayant plus lieu d'exister après la mise en place des mesures sanitaires par les autorités françaises suite à la maladie dite de la vache folle (ESB) ; qu'il s'ensuit que, dépourvu de force obligatoire pour les ressortissants des Etats tiers, l'embargo pris unilatéralement par l'Etat du Ghana ne se justifiait plus, en 2002, aux yeux des représentants de l'Etat français ; qu'est illicite, aux termes de l'article 1133 du Code civil, invoquée par le transporteur maritime, la cause du contrat lorsqu'elle est prohibée par la loi et quand elle est contraire aux bonnes moeurs ou à l'ordre public ; qu'au regard de la loi applicable, la cause des contrats de transport ne remplit aucune de ces conditions ;

qu'en conséquence, c'est à tort que le transporteur maritime soutient qu'en raison de l'embargo, la cause des contrats de transport n'est pas licite ; que c'est à juste titre que la Société VIOL FRERES reproche au transporteur maritime de s'être abstenu de rendre compte à elle-même et/ou à la Société FAUVEDER du refus d'entrée par les autorités locales du premier conteneur sur le territoire ghanéen ; qu'elle lui fait grief de l'avoir, à son initiative, rapatrié au HAVRE au lieu de demander à son cocontractant des instructions spécifiques sur le sort des marchandises qu'elle devait livrer ; que la Société VIOL FRERES ou son commissionnaire n'ont en effet jamais été avertis ni de l'arrivée de la marchandise à TERNA, ni des difficultés rencontrées au port de débarquement et n'ont appris que plusieurs semaines après, fin juillet 2002, que le conteneur avait été déchargé au port du HAVRE le 19 juillet 2002 ; que l'importateur ghanéen s'était engagé à prendre en charge les frais liés aux opérations consécutives à l'impossibilité de dédouaner les conteneurs pour des raisons d'embargo, les parties au contrat de vente ayant prévu que, dans ce cas, la marchandise serait stockée dans un frigo ; qu'ainsi, par le fait du transporteur, l'exportateur VIOL FRERES a été privé de la possibilité de faire procéder à la livraison dans un entrepôt frigorifique d'attente, voire de dérouter la marchandise vers un autre port d'Afrique ; qu'en se fondant sur l'article 27 de la loi du 18 juin 1966, le transporteur maritime oppose que sa responsabilité n'est pas engagée, dès lors que le dommage subi par l'expéditeur a pour origine l'embargo, qui constitue un événement qui ne lui est pas imputable ; que toutefois la Société AP MOLLER MAERSK, professionnelle du transport maritime, qui exploitait une ligne régulière en Afrique, ne pouvait pas ne pas connaître l'embargo en vigueur de longue date au Ghana au moment où elle a accepté sans réserve et en connaissance de cause de transporter au départ d'un port français de la viande bovine frappée d'embargo ; qu'elle n'était pas dispensée, de par cet embargo, d'informer le donneur d'ordre et de requérir ses instructions ; qu'elle ne peut donc pas s'exonérer de la responsabilité qui pèse sur elle pour ne pas avoir procédé à la bonne exécution du contrat ; qu'elle n'apporte pas la preuve de ce qu'aucune autre solution ne s'offrait à elle que de rapatrier de son propre chef la marchandise au HAVRE sans en référer à son donneur d'ordre, étant relevé qu'elle ne précise pas dans quelles conditions, notamment de temps, le réacheminement décidé unilatéralement a été effectué ; que les affirmations de l'appelante, suivant lesquelles la marchandise n'était pas en péril et la date de péremption se trouvait éloignée, ne sont pas contredites par le transporteur maritime ; que, s'agissant du second conteneur, le transporteur maritime expose dans ses conclusions qu'il en a organisé le retour au HAVRE au moment où il a eu connaissance des difficultés d'importation à TERNA du premier conteneur, alors que ce second conteneur se trouvait en transbordement à ALGESIRAS ; qu'il résulte des pièces produites que la Société VIOL FRERES a demandé, le 26 juillet 2002, à la Société FAUVEDER de lui retourner ce conteneur en stationnement à ALGESIRAS en raison de ce que le défaut de livraison du premier rendait impossible la livraison du second, tous deux voyageant sous le couvert d'un même crédit documentaire ; qu'en s'étant abstenue, à défaut d'urgence, de prendre des instructions auprès de son cocontractant qui a été mis devant le fait accompli pour le premier des conteneurs, la Société AP MOLLER MAERSK a commis une faute qui engage sa responsabilité à l'égard de l'expéditeur ;

ALORS, D'UNE PART, QU' l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que dans ses conclusions d'appel signifiées le 5 septembre 2008 (p. 16 § 7 à 9), la Société AP MOLLER MAERSK A/S sollicitait expressément l'annulation du contrat de transport, en raison de l'illicéité de son objet ; qu'en déboutant la Société AP MOLLER MARESK A/S de cette demande au motif qu'elle n'était pas fondée à solliciter l'annulation du contrat de vente des marchandises auquel elle n'était pas partie (arrêt attaqué, p. 7 § 2), la cour d'appel a dénaturé les écritures dont elle était saisie, violant ainsi l'article 4 du Code de procédure civile ;

ALORS, D'AUTRE PART, QU' un contrat est nul lorsque sa cause est illicite, soit qu'elle est prohibée par la loi, soit qu'elle est contraire aux bonnes moeurs ou à l'ordre public ; qu'en estimant que l'opération de transport de viande sous embargo au Ghana n'était pas illicite au motif que cet embargo avait été pris unilatéralement par l'Etat du Ghana, qu'il était dépourvu de force obligatoire pour les ressortissants des Etats tiers et qu'il ne se justifiait pas «aux yeux des représentants de l'Etat français» (arrêt attaqué, p. 7 § 3 à 5), cependant que l'embargo décrété par le Ghana était opposable à tous, y compris les parties au contrat de transport, la cour d'appel s'est déterminée par une motivation erronée et a violé les articles 1131 et 1133 du Code civil.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 08-21511
Date de la décision : 16/03/2010
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

CONVENTIONS INTERNATIONALES - Accords et conventions divers - Convention de Rome du 19 juin 1980 - Loi applicable aux obligations contractuelles - Article 7 § 1 - Lois de police - Applications diverses

CONFLIT DE LOIS - Contrats - Loi applicable - Convention de Rome du 19 juin 1980 - Article 7 § 1 - Lois de police - Applications diverses

Lors de l'application de la loi d'un pays déterminé, il peut être donné effet aux dispositions impératives de la loi d'un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat. En conséquence, viole l'article 7, paragraphe 1, de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, la cour d'appel qui, pour écarter une demande de nullité pour cause illicite d'un contrat de transport de viande française vers le Ghana, retient que l'embargo décrété unilatéralement par l'Etat du Ghana sur la viande bovine d'origine française, n'a pas de force obligatoire à l'égard des parties au contrat de transport et qu'au regard de la loi applicable, la cause du contrat ne remplit aucune des conditions énoncées par l'article 1133 du code civil français, alors qu'il lui appartenait de déterminer, par application de la Convention de Rome, l'effet pouvant être donné à la loi ghanéenne invoquée devant elle


Références :

article 7 de la Convention de Rome du 19 juin 1980

Décision attaquée : Cour d'appel d'Angers, 04 novembre 2008


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 16 mar. 2010, pourvoi n°08-21511, Bull. civ. 2010, IV, n° 54
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2010, IV, n° 54

Composition du Tribunal
Président : Mme Favre
Avocat général : Mme Bonhomme
Rapporteur ?: M. Potocki
Avocat(s) : Me Balat, Me Blondel, SCP Didier et Pinet

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2010:08.21511
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