LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Z... Dan,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 9e chambre, en date du 18 mars 2009, qui, pour blanchiment aggravé, l'a condamné à 8 millions d'euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 27 janvier 2010 où étaient présents : M. Louvel président, Mme Nocquet conseiller rapporteur, M. Dulin, Mme Desgrange, M. Rognon, Mme Ract-Madoux, M. Bayet, Mme Canivet-Beuzit, M. Bloch conseillers de la chambre, Mmes Slove, Labrousse conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Boccon-Gibod ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
Sur le rapport de Mme le conseiller NOCQUET, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BOCCON-GIBOD, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-3, 111-4, 112-1, 324-1 et 432-11 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Dan Z... coupable de blanchiment aggravé, a prononcé à son encontre une amende de 16 000 000 euros et a déclaré recevable la constitution de partie civile de la République fédérale du Nigeria ;
" aux motifs que Dan Z..., alias Omoni C..., homme d'affaires et homme politique du Nigeria, a exercé les fonctions de ministre du pétrole de 1995 à 1999, essentiellement sous la présidence du général X... ; que la succursale de CAI à Gibraltar a abrité, du second semestre 1999 au printemps 2000, une quinzaine de comptes ouverts au nom de sociétés off shore, dont les ayants droit économiques étaient des directeurs ou d'anciens directeurs du groupe pétrolier nigérian Addax, ou d'anciens dirigeants du pays, tel Dan Z... l'ex-ministre du pétrole ; que ces comptes ont été ouverts en Suisse en 1998, sur la recommandation d'un intermédiaire du groupe Addax, figurant sous les initiales « RGD », bien connu de la filiale suisse du CAI, et, par ailleurs, un des principaux acteurs des structures off shore relatives aux comptes nigérians ; que, dans une note confidentielle de la commission fédérale des banques adressée au CAI, « RGD » a été identifié comme étant Richard Y... ; que les documents bancaires démontrent, qu'après la nomination de Dan
Z...
en qualité de ministre du pétrole en mars 1995, des comptes ont été ouverts, par l'intermédiaire de Richard Y..., en Suisse, d'abord au nom de Bukazi Z..., frère de Dan Z..., puis au nom de Omoni C..., alias Dan Z..., comptes qui, pour l'essentiel, ont été alimentés par des commissions versées au ministre du pétrole par des compagnies pétrolières, en vue d'obtenir des concessions et des contrats pétroliers ; que les premiers comptes suisses, ouverts par Richard Y..., à la banque Constant de Genève, ont été ceux des fils du général X... ; qu'en octobre 1995, Richard Y... a ouvert, au nom de Bukazi Z..., un compte à la banque Constant, afin de recueillir les commissions de l'ordre de 1 million de dollars, versées par Addax, pour obtenir de la société pétrolière nationale du Nigeria (NNPC), qui dépendait du ministre du pétrole, un contrat de livraison de produits raffinés au Nigeria ; que Richard Y... a précisé, à cet égard, que, ne connaissant pas personnellement Dan Z... à l'époque, il avait négocié par l'intermédiaire de Bukazi Z... ; que Richard Y... a précisé au magistrat suisse qu'un versement de 919 938 dollars, effectué le 24 janvier 1997, au crédit du compte Bukazi Z..., était destiné à Dan Z..., ce qui a été confirmé par Jean-Pierre A..., directeur d'Addax pour le Nigeria et subordonné de Richard Y... ; que Richard Y... avait une procuration sur le compte de Bukazi Z... et son nom, ses initiales, sa signature et des courriers à en-tête de Addax figurent, à de nombreuses reprises, dans les documents conservés par la banque ; que Richard Y... apparaît également comme le destinataire des relevés de compte ; qu'enfin, le 10 octobre 1997, c'est lui qui a été mandaté pour clôturer le compte et transférer les avoirs dans un autre compte ; que, sur le compte Bukazi Z..., ont été crédités plusieurs virements en provenance de compagnies pétrolières : Attock Oil International Glencore, Addax ; que des débits ont été enregistrés au profit de comptes ouverts aux noms de sociétés off shore dans des pays à la fiscalité allégée ou de particuliers non identifiés ; que plusieurs débits au profit d'Addax et des débits d'un montant total de plus de 3 millions de dollars en faveur d'un compte Notore au Crédit Suisse de Genève, ont été identifiés ; qu'enfin, un débit de 360 000 dollars correspondant à une facture Danatec établie au nom de Dan Z..., jointe au dossier, apparaît sur les documents bancaires ; qu'en 1997, avant la clôture du compte de Bukazi Z... à la banque Constant de Genève et après le départ, de cette banque, de Charles B..., fondé de pouvoir qui s'était entremis pour faire ouvrir les comptes de Bukazi Z... et des fils X..., Richard Y... a fait ouvrir, le 22 août, à la banque Hoffman de Zurich, que venait de rejoindre Charles B..., en qualité de directeur, un compte ... au nom de Omoni Amalfegha, alias de Dan
Z...
; que le compte à la banque Hoffman a été crédité de sommes totalisant 6 841 664 dollars provenant de sociétés identifiées, liées à l'exploitation pétrolière, notamment Trafigura, Solgas Petroleum, Addax et de sommes en provenance de comptes en relation avec Dan
Z...
(2 353 033 dollars), notamment, à concurrence de 800 000 dollars, d'un transfert opéré le 14 septembre 1998 à partir d'un compte « Volnay » du nom d'une société immatriculée dans les Iles Vierges Britanniques, ouvert à la banque Clariden en Suisse en 1995, dont Omoni C... était le bénéficiaire économique ; que, comme pour le compte précédemment ouvert à la banque Constant, d'importantes sorties de fonds ont eu pour destination le compte Notore au Crédit Suisse de Genève et des comptes Addax ; que, le 29 août 1997, un compte a été ouvert au CAI Genève, au nom d'une société off-shore immatriculée aux Iles Vierges britanniques, la société Moncaster, compte sur lequel Omoni Amalfeha, ayant droit économique, détenait la signature ; que ce compte a été crédité, en particulier, de 5 millions de dollars le 5 juin 1998 en provenance d'Addax Petroleum Ltd, de 20 millions de dollars le 20 juin 1998 en provenance de la société Elf Nigeria, de 3 832 500 dollars le 29 juin 1998 en provenance de Trafigura Beheer ; qu'en outre, à partir de mai-juin 1998, Dan
Z...
a regroupé progressivement sur ce compte Moncaster, une partie de ses avoirs détenus dans d'autres banques suisses ; qu'il a notamment fait virer, en provenance de son compte à la banque Hoffman, 3 millions de dollars le 19 juin 1998 et 3 millions de dollars le 21 juin suivant ; que, s'agissant de la commission occulte de 5 millions de dollars créditée le 5 juin 1998 en provenance d'Addax, Richard Y... a expliqué : « Quand Addax a eu la possibilité d'entrer dans l'exploration-production, il fallait obtenir l'accord du gouvernement et de la NNPC ; que, dans le contexte de cet accord, Addax a donc payé cette commission à Dan Z... alors ministre du pétrole ; qu'Addax a ainsi pu racheter un profit sharing contrats à une société américaine qui voulait sortir de l'exploration ; que, concernant la commission occulte de 20 millions de dollars versée par la filiale nigériane d'Elf, le directeur général de cette filiale a reconnu qu'elle avait permis la reconduction de quatre licences d'exploitation en 1997-1998, accordée par Dan Z... en sa qualité de ministre du pétrole, et que le responsable des projets exploration-production chez Elf a précisé « nous avons subi un chantage de M.
Z...
. Il fallait payer car notre situation devenait intenable » » ; que le montant total des fonds mis à disposition de Dan Z... au guichet, soit de l'agence du CAI Paris ou à celui de sa filiale, la BGPI, sous la forme d'espèces et de chèques, entre le 28 janvier 1999 et le 30 mai 2000, et utilisé par Dan Z... en France, s'élève selon les investigations des enquêteurs à 78 203 497 francs et 5 258 778 dollars, soit en chiffre arrondi 16 millions d'euros, montant non contesté par les prévenus, les chèques totalisant à eux seuls 46, 6 millions de francs et 2 millions de dollars ; qu'il s'agit de chèques de banques émis à Paris par le CAI ou sa filiale, la BGPI, dont la provision est constituée par les virements swift, reçus par ces banques, en provenance du CAI Genève ou du CAI Gibraltar ; que Dan
Z...
a été renvoyé devant la juridiction correctionnelle du chef de blanchiment, commis en France, notamment en région parisienne où il résidait, en 1999 et 2000, de façon habituelle, du produit direct ou indirect du délit de corruption passive et active commis antérieurement au Nigeria, et Richard Y... a été renvoyé du chef de complicité du délit de blanchiment aggravé commis par Dan Z..., faits commis à Paris, en Suisse et à Gibraltar en 1999 et 2000 ; que, toutefois, dès lors qu'il a été établi et, au demeurant non contesté, que les commissions versées par les compagnies pétrolières sur les comptes ouverts en Suisse, dont Dan
Z...
était l'ayant droit économique, étaient la contrepartie de l'octroi, par le ministre du pétrole, de contrats ou la condition de la poursuite de contrats en cours, le comportement de Dan
Z...
constitue les éléments matériel et intentionnel de la corruption habituelle d'une personne dépositaire de l'autorité publique et les investissements réalisés par lui, en 1999 et 2000, en France, grâce aux moyens de paiement mis à sa disposition au guichet d'établissements de crédit à Paris, alors même qu'il n'avait aucun compte bancaire ouvert à son nom en France, étaient destinés à réintroduire dans le circuit économique les fonds provenant de cette corruption ; que, sollicitant devant la cour l'infirmation du jugement et leur relaxe, les prévenus soutiennent qu'à l'époque visée à la prévention, les faits qui leur sont reprochés n'étaient pas pénalement punissables ; qu'ils font valoir qu'au regard de la loi pénale française, seule applicable par les juridictions répressives françaises, les fonds investis par Dan Z... en France ne peuvent être considérés comme provenant du délit de corruption, dès lors qu'avant le 29 septembre 2000, date d'entrée en vigueur de la loi n° 2000-595 du 30 juin 2000 qui a transposé en droit interne la Convention de Paris sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, signée sous l'égide de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) le 17 décembre 1997, la corruption d'agents publics étrangers n'était pas incriminée en droit français ; qu'ils en infèrent qu'en l'absence d'un délit principal de corruption caractérisé au regard de la loi pénale interne française, le délit de blanchiment n'est pas constitué ; que, selon leurs écritures, jusqu'en septembre 2000, le versement de commissions à des agents étrangers pour l'obtention de marchés était une pratique courante, parfaitement tolérée en matière de contrats pétroliers internationaux, l'administration fiscale française admettant la déductibilité des commissions versées à des agents publics étrangers et « le principe de commissionnement des dirigeants d'Etats africains ayant été validé », à plusieurs reprises, par la justice française elle-même ; que la cour, écartant l'argumentation des prévenus, retiendra leur culpabilité ; que le délit de blanchiment prévu par les articles 324-1 et 324-2 du code pénal suppose que soient établis au regard du droit pénal français, les éléments constitutifs de l'infraction ayant procuré les fonds litigieux, mais que les textes précités n'imposent pas que l'infraction ayant permis d'obtenir les sommes blanchies ait eu lieu sur le territoire français, ni même que les juridictions françaises soient compétentes pour la poursuivre ; qu'en l'espèce, ainsi qu'exposé supra, les fonds, qui ont alimenté les comptes suisses de Dan Z... avant d'être transférés en France où ils ont été blanchis, étaient la contreparties d'actes de sa fonction accomplis par lui au Nigeria ; que de tels faits sont incriminés en droit pénal interne français sous la qualification de corruption passive d'un dépositaire de l'autorité publique ; que, dès lors, la circonstance qu'à la date des faits, la corruption active d'agent public étranger n'était pas incriminée dans le droit interne français et ne l'a été que par la loi du 30 juin 2000, est sans incidence sur la caractérisation de l'infraction de blanchiment aggravé soumise à la cour, la prévention visant le délit de « corruption passive et active commis antérieurement au Nigeria » ; qu'en outre, le délit de blanchiment est une infraction générale, distincte et autonome ; qu'en conséquence, le délit de blanchiment portant sur la somme non contestée de 16 millions d'euros est caractérisé en tous ses éléments, matériels et intentionnel, à l'encontre de Dan
Z...
;
" 1°) alors que l'infraction de blanchiment est une infraction de conséquence, qui nécessite pour être retenue que soient relevés précisément les éléments constitutifs d'un crime ou d'un délit principal ayant procuré à son auteur un profit direct ou indirect, en sorte que, lorsque, comme en l'espèce, il résulte des constatations du juge du fond que le délit principal ne pouvait être constitué, à l'époque où il est supposé avoir été commis, faute d'incrimination par le droit pénal français, il ne saurait y avoir de blanchiment ;
" 2°) alors que la corruption active d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales n'a été introduite en droit interne, en application de la convention sur la lutte contre la corruption signée à Paris le 17 décembre 1997, que par la loi n° 2000-595 du 30 juin 2000, entrée en vigueur le 29 septembre 2000, et que les faits de corruption active, base, selon la prévention, du blanchiment, à les supposer établis, ayant été, selon les constatations de l'arrêt, commis au Nigeria au profit de Dan Z... en sa qualité de ministre du pétrole de la République fédérale du Nigeria antérieurement au 29 septembre 2000, la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître les dispositions impératives des articles 111-3 et 112-1 du code pénal, dire les faits de corruption active, et par conséquent les faits de blanchiment poursuivis, pénalement punissables ;
" 3°) alors que la corruption passive d'agent public étranger n'appartenant pas à l'Union européenne n'a été introduite en droit interne, en application de la Convention des Nations-Unies contre la corruption, signée à Merida le 19 décembre 2003, que par la loi n° 2007-1798 du 13 novembre 2007 et que les faits de corruption passive, base selon la prévention du blanchiment poursuivi, à les supposer établis, ayant été, selon les constatations de l'arrêt, commis au Nigeria par Dan Z... en sa qualité de ministre du pétrole de la République fédérale du Nigeria, antérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi (et au demeurant de la loi susvisée du 30 juin 2000), la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître les dispositions des articles 111-3 et 112-1 du code pénal, dire les faits de corruption passive et, par conséquent, les faits de blanchiment poursuivis pénalement punissables ;
" 4°) alors qu'en déclarant applicable aux faits de corruption passive commis par des personnes exerçant des fonctions publiques dans un Etat étranger les dispositions de l'article 432-11 du code pénal, lesquelles ne sont applicables qu'aux faits de corruption passive commis par des personnes exerçant des fonctions publiques en France, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et a violé, ce faisant, le principe de l'application stricte de la loi pénale " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Dan Z..., ministre du pétrole du Nigéria de 1995 à 1999, a perçu, de la part de compagnies pétrolières, des commissions en contrepartie de l'octroi de concessions ou de licences d'exploitation ; que les fonds provenant de ces commissions, après avoir transité sur divers comptes ouverts à Genève et à Gibraltar, ont été déposés en espèces, en 1999 et 2000, pour un montant de 16 millions d'euros, au Crédit agricole Indosuez et à sa filiale, la Banque de gestion privée Indosuez, à Paris ; que le prévenu a fait émettre des chèques par ces établissements bancaires, dans lesquels il n'était titulaire d'aucun compte, pour acquérir en France des biens mobiliers et immobiliers ; qu'il est poursuivi du chef de blanchiment aggravé pour avoir, de façon habituelle, fait transiter, circuler et convertir le produit de la corruption active et passive au Nigéria ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de ce délit, l'arrêt énonce que les fonds transférés sur le territoire national, où ils ont été blanchis, étaient la contrepartie d'actes de sa fonction accomplis par lui au Nigéria ; que les juges relèvent que de tels faits sont réprimés en France sous la qualification de corruption d'un dépositaire de l'autorité publique ; qu'ils ajoutent que les textes qui définissent le délit de blanchiment n'imposent ni que l'infraction ayant permis d'obtenir les sommes blanchies ait eu lieu sur le territoire national ni que les juridictions françaises soient compétentes pour la poursuivre ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que le délit de blanchiment est une infraction générale, distincte et autonome, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-quatre février deux mille dix ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;