LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Paulette, épouse Y...,- Y... Georges,
contre l'arrêt de la cour d'appel de MONTPELLIER, chambre correctionnelle, en date du 29 janvier 2009, qui, pour abus de faiblesse, les a condamnés à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 112-1, 223-15-2 et 223-15-3 du code pénal, 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 592 et 593 du code de procédure pénale ;
" aux motifs que Claudine A... déposait plainte avec constitution de partie civile le 3 janvier 2003, en exposant les faits suivants : en août 1998, sa tante Hélène Z..., âgée de 78 ans, sourde et muette, procédait à l'acquisition à Béziers d'une maison pour le prix de 520 000 francs ; qu'elle occupait le rez-de-chaussée louant le premier étage aux époux Y..., qui rachetaient cette maison en viager le 19 octobre 1999 pour le prix de 585 000 francs, répartis 200 000 francs payables lors de la vente, 385 000 francs convertis en obligation d'entretien et en obligation de subvenir aux besoins de la venderesse ; qu'au moment du décès de sa tante en octobre 2001, la plaignante découvrait la vente de l'immeuble et la disparition des bijoux et liquidités sur le compte de sa tante ; que les diverses investigations établissaient que les époux Y... avaient été bénéficiaires d'une vingtaine de chèques de 1998 à 2000 dont l'un de 45 000 francs, certains chèques étant signés de la main de Paulette Y..., à la place d'Hélène Z..., faits reconnus par l'intéressée ;
qu'elle expliquait qu'elle avait été remboursée de frais avancés pour l'équipement de la maison notamment les fenêtres, qu'elle avait été destinataire de chèques dont elle ne se rappelait pas la destination mais qu'elle fournirait les justificatifs, ce qu'elle s'abstenait de faire ; qu'elle ne donnait aucune explication sur les chèques émis durant la période d'hospitalisation, sur des virements importants en espèces pour des sommes importantes, sur la mise à zéro du compte chèque de la défunte en 1999 à la Société marseillaise de crédit ; qu'en outre, il était constaté qu'en fait l'obligation d'entretien n'avait pas été respectée, Hélène Z... ayant continué à payer de nombreuses dépenses de vie courante et il s'avérait que le prix payé de 200 000 francs correspondait, en fait, à un montant de travaux pré-estimé et ce, alors qu'Hélène Z... allait continuer à payer les dépenses afférentes à la maison ;
que l'information montrait que Paulette Y... qui habitait Béziers s'était occupée d'Hélène Z... à compter de 1994 lors du décès de son époux, ce qui n'était pas facilité par le fait qu'Hélène Z... habitait Faugères et ce qui avait entraîné son déménagement à Béziers et l'acquisition de la maison ; que les témoins précisaient la fragilité d'Hélène Z..., diverses interventions ayant été faites pour la mettre sous tutelle et la protéger de nombre de personnes intéressées, qui se manifestaient en l'absence d'une présence familiale, ce qui n'avait pas été fait du fait du déménagement et de l'acquisition de la maison ; que sur l'action publique, il est incontestable qu'au moment de sa prise en charge par les époux Y... en 1998, lors de son déménagement sur Béziers, Hélène Z... était une personne âgée, handicapée, malade et seule, en raison de l'éloignement de sa famille ; qu'il n'est pas en effet discuté que cette personne était âgée en 1998 de 79 ans, qu'elle était sourde et muette de naissance, qu'elle avait souffert d'affections aux yeux, d'un cancer, vivant avec un seul rein, connaissant, par ailleurs, des problèmes de circulation sanguine, et ayant une prothèse de la hanche, selon les propres dires de Paulette Y..., lors de son audition du 14 mars 2007, qui ajoutait alors qu'elle n'était pas en bonne santé ;
qu'à cela s'ajoutait la perte de son époux en 1994 ; que quand bien même était elle reconnue comme saine d'esprit par diverses personnes entendues par les services de police, il s'agissait d'une personne fragile, isolée et particulièrement vulnérable, susceptible dans cette situation de se voir prise en mains par des personnes animées non pas seulement par un désir d'entraide et de solidarité mais par un appétit financier, étant précisé que les éléments de l'enquête ont démontré qu'elle avait un patrimoine conséquent ; que c'est d'ailleurs cette situation qui avait amené le conseil municipal de Faugères à envisager une mesure de protection, qui ne sera pas mise en place compte tenu du départ d'Hélène Z... à Béziers sur l'initiative des époux Y... ;
or, que dès le début de l'année 1998, on constate des mouvements de fonds importants au profit des époux Y... ; que c'est ainsi qu'en septembre 1998, est tiré un chèque de 45 000 francs au profit de Georges Y... ; que d'autres chèques importants sont identifiés comme ayant directement profité à ces derniers ; qu'il en est de même de retraits espèces qui sont portés directement à leur compte jusqu'au décès ; qu'on constate à compter de 1998 que les différents comptes d'Hélène Z... sont vidés ; qu'il en est ainsi des comptes détenus à la Société marseillaise de crédit, qui ne connaissaient que très peu de mouvements avant le début de l'année 1998, et qui sur la période d'avril 1998 à juillet 1998 sont débités d'environ 85 000 francs après clôture d'un PEP d'un montant de 64 000 francs, et ce sans réelle contrepartie sur le compte crédit agricole du titulaire, au contraire ;
qu'en effet, l'étude des mouvements sur ce compte Crédit agricole d'Hélène Z... laisse apparaître un mouvement débit de septembre 1998 à décembre 1999 de 307 735 francs dont 39 477 francs de souscription d'obligations, pour un mouvement crédit de 261 233 francs dont 106 000 francs de virements provenant d'autres comptes détenus par Hélène Z..., ce qui démontre que celle-ci avait entamé de façon très conséquente son capital économisé sur les livres du Crédit agricole et que sa retraite ne suffisait plus et ce alors que le montant de la vente de sa maison de Faugères couvrait manifestement celui de l'acquisition à Béziers, l'affirmation de Claudine A... selon laquelle ce bien familial aurait été vendu 680 000 francs n'étant pas contestée par les prévenus ; que c'est en effet au cours de cette période que pour se rapprocher des prévenus, elle acquiert en août 1998, une maison à Béziers, pour le prix non contesté de 520 000 francs, habitation qu'elle va leur revendre le 19 octobre 1999 pour le prix de 585 000 francs, libéré à hauteur de 200 000 francs au titre de travaux prétendument prépayés par les acquéreurs et à hauteur de 385 000 francs par une obligation alimentaire, vestimentaire et une obligation de soins ; qu'à l'évidence, il eût fallu intégrer le montant des travaux dans la valeur de la maison, ce qui n'a pas été fait et a occulté la réelle valeur patrimoniale de ce bien à hauteur de 200 000 francs, qui auraient dû s'ajouter à la valeur d'acquisition d'août 1998 ;
qu'en outre, les factures produites sur l'année 1999 et notamment les factures de la menuiserie du Triangle de 20 743 francs sont établies au nom d'Hélène Z... et non des époux Y..., alors que ces derniers s'étaient engagés, en cours d'instruction, à produire les justificatifs des travaux et des paiements qu'ils auraient effectués avant la vente à leur profit, ce qu'ils se sont abstenus de faire, démontrant qu'une grande partie des travaux a été financée en fait par Hélène Z... ; que, par ailleurs, une grande partie des factures produites sont postérieures à la vente ;
qu'au surplus, ils n'ont jamais honoré leur obligation de subvenir aux besoins de cette dernière, qui a continué à payer ses consommations d'électricité, de téléphone et de subvenir à ses autres besoins et ce de façon conséquente, ainsi que cela est développé ci-après ; que l'infraction est ainsi caractérisée tant en son élément matériel, qu'en son élément moral, les prévenus ayant abusé de la fragilité d'Hélène Z..., pour se faire remettre diverses liquidités et acquérir à très bas prix son bien immobilier, ce qui constitue un préjudice d'une extrême gravité ; qu'au surplus, il convient également, pour une exacte appréciation des faits commis, de mentionner que l'appauvrissement d'Hélène Z... s'est poursuivi durant les années 2000 et 2001 ;
que pour l'année 2000 les mouvements débit sur son compte détenu au Crédit agricole sont de 138 585 francs pour un mouvement crédit de 142 669 francs dont 37 217 francs proviennent de ses autres comptes, l'un de 32 582 francs provenant d'un compte clôturé l'autre du remboursement du PEP ; qu'en 2001, année de son décès, l'hémorragie financière se poursuit puisqu'il est constaté un mouvement débit de 122 523 francs pour des ressources de 112 104 francs, incluant un remboursement d'obligations du crédit agricole de 35 008 francs, ce qui démontrait un déséquilibre entre les ressources habituelles et les dépenses, Hélène Z... puisant intensément dans son capital ;
que parallèlement sur le compte Caisse d'épargne des époux
Y...
, on relève en 2000, un mouvement débit de 320 995 francs pour un mouvement crédit de 372 000 francs, sans commune mesure avec leurs revenus, étant précisé que Georges Y... a déclaré un revenu en activité de 10 000 francs puis une retraite de 1 200 euros ; que de ces divers éléments il ressort qu'en quatre ans Hélène Z..., personne vulnérable, a perdu à la fois son patrimoine immobilier mais également l'ensemble de ses liquidités au profit pour le moins en grande partie des époux Y..., qui n'ont jamais contesté avoir bénéficié de montants importants versés soit par chèques, soit en espèces, étant précisé que Paulette Y... était titulaire d'une procuration sur les comptes et que l'enquête n'a pas fait apparaître d'autres titulaires de procuration ;
que la situation lors du décès était telle que Hélène Z... n'avait plus de patrimoine pour faire face à d'éventuels besoins compte tenu de son état de santé ; qu'il convient donc d'infirmer la décision déférée, de déclarer les époux Y... coupables des faits qui leur sont reprochés et d'entrer en voie de condamnation à leur encontre en prononçant une peine de dix-huit mois d'emprisonnement assortie du sursis ; que sur l'action civile, la recevabilité de la constitution de partie civile de Claudine A..., en sa qualité de seule ayant droit d'Hélène Z..., régulière en la forme doit être confirmée ; qu'au fond Georges Y... et Paulette X..., épouse Y..., sont responsables du préjudice subi par Claudine A... ; qu'il convient toutefois de relever que la partie civile a concouru à son préjudice partiellement en ne se préoccupant pas suffisamment de la situation de sa tante, ce qui ne permet pas de faire droit à l'intégralité de sa demande ;
que compte tenu de la perte strictement financière qui peut être estimée à un montant pour le moins supérieur à 15 000 euros, hors effet de la vente du bien immobilier et notamment du montant des travaux et de l'obligation de soins prévue au contrat de vente, pour lequel elle indique qu'elle se réserve la possibilité d'une action en nullité de vente, il convient d'allouer à la partie civile la somme de 8 500 euros à titre de dommages-intérêts pour son préjudice matériel, la somme de un euro au titre de son préjudice moral ; qu'au surplus, l'équité justifie la condamnation de Georges Y... et de Paulette X..., épouse Y..., au paiement de la somme de 700 euros à la partie civile par application de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;
" alors qu'une loi pénale modifiant une incrimination ne peut s'appliquer à des faits commis avant sa promulgation et non encore définitivement jugés lorsqu'elle modifie les éléments de cette incrimination dans un sens défavorable au prévenu ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que les époux Y... ont été condamnés du chef d'abus de faiblesse d'une personne vulnérable au visa de l'article 223-15-2 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 en répression de faits commis entre 1998 et 2001 ; qu'en cet état, et alors que les juges ne pouvaient faire rétroagir un texte qui, en modifiant les éléments constitutifs de l'infraction par suppression de la condition de contrainte, étend le champ d'application de l'incrimination et constitue une disposition plus sévère pour le prévenu, la cour d'appel a méconnu les articles 112-1, 223-15-2 et 223-15-3 du code pénal, 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 593 du code de procédure pénale " ;
Vu l'article 112-1 du code pénal ;
Attendu que, selon ce texte, une loi pénale modifiant une incrimination ne peut s'appliquer à des faits commis avant sa promulgation et non encore définitivement jugés lorsqu'elle modifie les éléments de cette incrimination dans un sens défavorable au prévenu ;
Mais attendu qu'en cet état, et alors que les juges ne pouvaient faire rétroagir un texte qui, en modifiant les éléments constitutifs de l'infraction par suppression d'une condition, étend le champ d'application de l'incrimination et constitue une disposition plus sévère pour le prévenu, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
Que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Montpellier, en date du 29 janvier 2009, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Toulouse, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Montpellier et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Slove conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.