LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que M. et Mme X... ont emprunté diverses sommes par l'intermédiaire de M. Y..., notaire ; qu'à la suite d'une saisie-arrêt pratiquée par un de leurs créanciers, porteur d'une copie exécutoire d'un acte authentique, ils ont, le 28 février 1989, déposé une plainte avec constitution de partie civile des chefs d'exercice illégal de la profession de banquier, de faux en écriture authentique et de tentative d'extorsion de fonds ; que M. Y..., renvoyé le 21 février 1997 devant le tribunal correctionnel, a été relaxé le 2 juin 1998 ; que, sur appel des seules parties civiles, ce jugement a été confirmé par une décision cassée par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 24 mai 2000 ; que, par un arrêt du 14 novembre 2001, la cour d'appel de renvoi a constaté que l'action publique avait été définitivement jugée par le jugement ayant relaxé les prévenus, infirmé le jugement en ses dispositions civiles, dit que les éléments constitutifs des délits d'exercice illégal de la profession de banquier et de faux en écriture authentique étaient réunis à l'encontre de M. Y... et débouté les parties civiles de leurs demandes après avoir constaté qu'elles ne justifiaient pas d'un préjudice découlant directement de ces infractions; qu'au cours de la procédure pénale, des saisies immobilières ont été pratiquées sur les biens des époux X... ; que ceux-ci ont recherché la responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice en invoquant le délai déraisonnable de l'instance pénale ;
Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche, ci-après annexé :
Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt attaqué (Papeete, 25 janvier 2007) d'avoir rejeté leur action en responsabilité contre l'Etat sur le fondement de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire, devenu l'article L. 141-1 du même code ;
Attendu qu'en énonçant que la longueur de la procédure trouvait sa cause dans la recherche minutieuse de la vérité et dans la mise en jeu des règles protectrices du droit en faveur du mis en examen, la cour d'appel, qui n'avait pas à suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a, implicitement mais nécessairement, jugé que le rapport de MM. Z... et A... déposé en 1988, puis celui de M. B... déposé en 1992, étaient insuffisants à caractériser les charges pesant sur M. Y... et que les consultations ordonnées par le juge d'instruction étaient utiles ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le premier moyen, pris en ses autres branches, ci-après annexé :
Attendu que ces griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Et sur le second moyen, pris en ses diverses branches, ci-après annexé :
Attendu que le rejet du premier moyen rend sans objet l'examen du second relatif à un motif surabondant ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les époux X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept février deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils pour les époux X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté l'action en responsabilité intentée par les époux X... contre l'Etat français sur le fondement de l'article L781-1 du Code de l'organisation judiciaire,
AUX MOTIFS QU'« en vertu de l'article L781-1 du Code de l'organisation judiciaire, "l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice ; que cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice" ; qu'en application des règles du droit commun sur la responsabilité, celui qui invoque la responsabilité de l'Etat doit rapporter la preuve d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité entre la faute et le dommage ; qu'en l'espèce, il convient de rechercher d'une part, si la faute de l'Etat est constituée et, d'autre part, s'il existe un lien de causalité ;
1°) sur l'existence d'une faute : que la faute alléguée par les époux X... est le déni de justice, auquel est assimilé l'absence de jugement dans un délai raisonnable ; qu'en effet, les époux X... soutiennent qu'au regard de la simplicité du dossier d'instruction et de la culpabilité évidente du notaire Y..., l'instruction n'aurait pas dû durer une dizaine d'années ; que cependant, il convient de souligner, ainsi que l'a très justement relevé le premier juge :
- que la simple durée de la procédure d'instruction ne constitue pas, en ellemême, un fait fautif,
- que l'examen des pièces versées aux débats montre que les assertions des époux X... sur la culpabilité évidente du notaire Y... et sur l'absence de complexité du dossier sont fausses,
- que le notaire Y... a d'ailleurs fait l'objet d'un jugement de relaxe en 1998 et qu'il a fallu attendre l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles le 14 novembre 2001, pour que, sur les intérêts civils, soit constatée l'existence des éléments constitutifs des infractions d'exercice illégal de la profession de banquier et de faux en écriture publique ;
- que la longueur de la procédure d'instruction s'explique par la complexité du dossier et la nécessité pour le juge d'instruction de consulter différents organismes compétents (conseil supérieur du notariat, commission bancaire), d'examiner de nombreuses pièces comptables, et de faire des recherches sur l'application en Polynésie française de certaines normes juridiques ;
- que la tâche du magistrat était d'autant plus difficile qu'il avait affaire à une multitude de plaignants, qu'il instruisait un dossier alors que les mis en examen et les victimes résidaient à plus de 20.000 KM de son cabinet et qu'enfin, il avait à statuer sur les nombreux incidents de procédure soulevés par les mis en examen ; que dans ces conditions, c'est à juste titre que le premier juge a estimé que le traitement réservé à la plainte des époux X... ne revêt pas un caractère anormal car la longueur de la procédure d'instruction et celle du jugement qui l'a suivie, trouve sa cause non dans la négligence ou l'inaptitude du service public à remplir sa mission, mais dans la recherche minutieuse de la vérité, dans la mise en jeu de règles protectrices du droit en faveur du mis en examen et dans le libre exercice des voies de recours »,
ALORS, D'UNE PART, QUE les jugements et arrêts doivent, à peine de nullité, être motivés ; qu'en déboutant les époux X... de leur demande au motif que le seul examen des pièces versés aux débats montre que leurs assertions sur la culpabilité évidente du notaire Y... et sur l'absence de complexité du dossier sont fausses, sans procéder à l'analyse des pièces ainsi visées, la Cour d'appel a privé sa décision de motifs et violé l'article 455 du Code de procédure civile,
ALORS, D'AUTRE PART, QUE la complexité d'un dossier au regard de laquelle doit être apprécié le caractère raisonnable des délais d'instruction et de jugement ne saurait être déduite de la seule contrariété des décisions de première instance et d'appel ; qu'en relevant que Maître Y... avait été relaxé par le Tribunal correctionnel et qu'il avait fallu attendre l'arrêt d'appel pour que soit constatée l'existence des éléments constitutifs des infractions qui lui étaient reprochées, pour en déduire que la procédure n'avait pas été anormalement longue au regard de la complexité du dossier, la Cour d'appel a statué par des motifs inopérants, privant ainsi sa décision de toute base légale au regard de l'article L781-1 du Code de l'organisation judiciaire,
ALORS, DE TROISIEME PART, QUE l'Etat est tenu de réparer les dommages causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice, lequel est notamment caractérisé par une procédure anormalement longue ; que seule une complexité particulière du dossier est de nature à justifier un long délai de procédure ; que cette complexité doit être caractérisée par les juges du fond ; qu'en se bornant à affirmer que la longueur de la procédure s'expliquait par la complexité du dossier pour débouter les époux X... de leur demande, sans caractériser cette complexité, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L781-1 du Code de l'organisation judiciaire,
ALORS, DE QUATRIEME PART, QUE les époux X... soulignaient que les pratiques de Maître Y... avaient été décrites de façon complète dès 1988 dans le rapport de Messieurs Z... et A... de sorte que le magistrat instructeur disposait dès cette époque, et au plus tard lors du dépôt du rapport de Monsieur B... en 1992, de tous les éléments lui permettant de procéder au renvoi du notaire devant la juridiction de jugement ; que l'ensemble des consultations ordonnées ultérieurement par le magistrat étaient donc inutiles et caractérisaient un dysfonctionnement du service public de la justice ; qu'en déboutant les époux X... de leur demande, sans même se prononcer sur ces rapports, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile,
ALORS, ENCORE, QUE tenu d'assurer aux justiciables une protection juridique effective et des délais raisonnables de jugement, l'Etat doit se doter des moyens nécessaires à l'exécution de sa mission ; qu'un manque de moyens ou l'éloignement du juge saisi ne saurait en conséquence suffire à caractériser la complexité du dossier de nature à écarter le caractère défectueux du fonctionnement du service de la justice en cas de délais de procédures anormalement longs ; qu'en se fondant sur la prétendue complexité de la tâche du magistrat qu'elle a uniquement déduit de son éloignement géographique et de la jonction de plusieurs procédures pour débouter les époux X... de leur action en responsabilité, la Cour d'appel a violé l'article L781-1 du Code de l'organisation judiciaire,
ALORS, ENFIN, QUE l'appréciation du caractère normal de la durée d'une procédure au regard du délai raisonnable imposé par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme doit être faite au regard de la complexité du dossier mais également de la nature du dossier et des enjeux financiers et humains qu'il comporte ; qu'en se bornant à apprécier la longueur de la procédure au regard de la seule complexité prétendue du dossier, la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté l'action en responsabilité intentée par les époux X... contre l'Etat français sur le fondement de l'article L781-1 du Code de l'organisation judiciaire,
AUX MOTIFS QU'« à supposer que cette faute existe, le dommage subi par les époux X... ne trouve nullement son origine dans le traitement pénal de leur plainte contre le notaire Y... ; qu'en effet, les époux X... ne contestent pas avoir emprunté et reçu, notamment, en trois versements :
- 121.200.000 FCP le 3 octobre 1985,
- 5.300.000 FCP le 29 décembre 1986,
-13.000.000 FCP le 3 avril 1987.
Qu'ils ne contestent pas non plus ne rien avoir remboursé de ces prêts avant les procédures de saisie ; qu'ainsi, d'une part, la procédure de saisie immobilière a été mise en oeuvre sur la base de créances qui étaient certaines et, d'autre part, dans le cadre de plusieurs décisions civiles, il a été répondu négativement à leur demande de sursis aux poursuites immobilières en considération de motifs de droit sans rapport avec la procédure pénale, notamment la bonne foi de tiers porteurs des copies exécutoires et le caractère certain de la défaillance des emprunteurs dans la mise en oeuvre de leur obligation de remboursement ; qu'enfin, la Cour d'Appel de Versailles, dans son arrêt du 14 novembre 2001, passé en force de chose jugée, a débouté les époux X... de leurs prétentions au motif qu'ils avaient bien reçu les sommes empruntées et qu'ils ne rapportaient pas la preuve d'un préjudice découlant directement de l'infraction ; qu'elle a encore précisé que les préjudices financiers invoqués, sont directement liés aux aléas des procédures de saisies exécution immobilières, lesquelles résultent du non remboursement des prêts et non des conséquences ayant pu découler directement des agissements personnels de Me Y... ; que dans ces conditions, l'Etat français ne peut être considéré comme responsable du préjudice invoqué par les époux X..., dès lors que cette situation est le résultat d'un engagement d'emprunt volontairement contracté par eux et dès lors que la saisie de leurs biens immobiliers trouve son origine non dans un dysfonctionnement de la justice pénale, mais dans un épuisement des voies de recours offertes dans le cadre de la procédure civile, en l'absence de remboursement des prêts »,
ALORS, D'UNE PART, QUE les époux X... soulignaient dans leurs conclusions qu'ils avaient toujours contesté avoir signé l'acte de prêt du 3 octobre 1985 portant sur la somme de 121.200.000 FCFP ; qu'en relevant qu'ils ne contestaient pas avoir emprunté et reçu cette somme pour les débouter de leur action en responsabilité, la Cour d'appel a dénaturé leurs écritures et ainsi violé l'article 4 du Code de procédure civile,
ALORS, D'AUTRE PART, QU'en cas de plainte en faux principal, l'exécution de l'acte argué de faux sera obligatoirement suspendue par la mise en accusation ; que la longueur anormale d'une procédure d'instruction du chef de faux, en ce qu'elle aboutit au renvoi tardif de l'auteur du faux devant la juridiction de jugement, empêche l'obtention du sursis obligatoire à l'exécution de l'acte argué de faux ; qu'elle est donc la cause directe du préjudice résultant de l'exécution forcée des actes constitutifs de faux ; qu'en déboutant les époux X... de leur action en responsabilité alors que le renvoi tardif du notaire devant la juridiction de jugement les avait empêchés d'obtenir la suspension obligatoire de l'exécution des grosses litigieuses, la Cour d'appel a violé l'article 1319 du Code civil,
ALORS, DE TROISIEME PART, QUE les actes conclus en violation de l'interdiction pesant sur toute personne autre qu'un établissement de crédit d'effectuer à titre habituel des opérations de banque sont nuls, de même que leurs accessoires ; que la longueur anormale d'une procédure d'instruction du chef d'exercice illégal de la profession de banquier cause un préjudice financier à l'emprunteur en ce qu'elle l'empêche de se prévaloir en temps utile de la nullité des prêts contractés en violation de l'interdiction pesant sur toute personne autre qu'un établissement de crédit d'effectuer à titre habituel des opérations de banque et de la caducité des hypothèques affectés à leur garantie et de limiter son obligation de restitution au seul principal ; qu'en déboutant les époux X... de leur action en responsabilité au motif que leur préjudice résultait d'emprunt volontairement contracté quand le jugement tardif du notaire les avaient empêchés de se prévaloir de la nullité des prêts conclus et de la caducité des sûretés y attachées, la Cour d'appel a violé les articles 1 et 10 de la loi du 24 janvier 1984, devenus les articles L311-1 et L511-5 du Code monétaire et financier,
ALORS, ENCORE, QUE si les décisions de la justice pénale ont au civil, à l'égard de tous, autorité absolue en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification, la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé, il en est autrement lorsque les décisions statuent sur les intérêts civils ; que les décisions statuant sur les intérêts civils ne sont en effet revêtues de l'autorité de la chose jugée qu'en cas de triple identité de parties, de cause et de demande ; qu'en déboutant les époux X... de leur demande aux motifs que la Cour d'appel de Versailles dans son arrêt rendu le 14 novembre 2001 les avait déboutés de leurs prétentions, la Cour d'appel a violé l'article 1351 du Code civil par fausse application,
ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE les juges du fond doivent, à peine de nullité, motiver leur décision ; qu'ils ne peuvent se borner à se référer à une précédente décision rendue dans un autre litige ; qu'en déboutant les époux X... de leur demande aux motifs que la Cour d'appel de Versailles dans son arrêt rendu le 14 novembre 2001 avait débouté les parties civiles de leur prétention, la Cour d'appel privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du Code de procédure civile.