LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 30 mai 2008), que Mme X... et M. Y... ayant eu trois enfants de leur mariage, un jugement du 25 juin 1986 a fixé une contribution aux charges du mariage à l'égard de ce dernier ; qu'un arrêt du 7 février 1991 ayant prononcé leur divorce a fixé à la charge de M. Y... une contribution pour l'entretien et l'éducation des enfants, dont le montant a été modifié par un nouvel arrêt du 7 décembre 2006 ; que par actes des 10 et 11 octobre 2005, Mme X... a fait procéder à la saisie des droits d'associés de M. Y... dans deux sociétés et à une saisie-attribution auprès de la banque de ce dernier ; que M. Y... a saisi un juge de l'exécution afin de voir déclarer prescrites les sommes dues avant le mois d'octobre 2000 ;
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande de M. Y..., alors, selon le moyen :
1°/ que l'application immédiate d'une nouvelle règle juridique, résultant d'un revirement de jurisprudence et prévoyant un délai de prescription plus court, aboutit à priver le titulaire d'une créance, née antérieurement au revirement, d'un procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en lui interdisant l'accès au juge, dès lors que ce revirement de jurisprudence était imprévisible ; que par une décision du 10 juin 2005, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a procédé à un renversement de sa jurisprudence en décidant qu'un "créancier (...) ne peut, en vertu de l'article 2277 du code civil, (…) obtenir le recouvrement des arriérés échus plus de cinq ans après la date de sa demande" même s'il agit en exécution d'un jugement ; que ce revirement de jurisprudence était imprévisible dès lors que la Cour de cassation avait encore, quelques mois plus tôt jugé que "la poursuite de l'exécution de titres portant condamnation au paiement de la pension alimentaire (...) est régie par la prescription de droit commun de trente ans" (1re Civ., 8 février 2005, Bull. 74 pourvoi n° 02-19.689) ; qu'en l'espèce Mme X... faisait valoir que M. Y... refusait de payer les sommes au versement desquelles il a été pourtant condamné par des nombreuses décisions civiles et pénales ce qui causait à Mme X... un préjudice indiscutable ; qu'elle soulignait en outre que l'application immédiate du récent revirement de jurisprudence du 10 juin 2005 aux faits de l'espèce portait atteinte à son droit à un procès équitable prévu à l'article 6 § 1 de laConvention ; qu'en rejetant sa demande sans rechercher si, en raison du caractère imprévisible du revirement de jurisprudence, l'application de la prescription quinquennale aux faits de l'espèce n'aboutissait pas à priver Mme X... d'un procès équitable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2277 du code civil (dans sa version applicable aux faits de l'espèce) et l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que porte atteinte à l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits l'homme et les libertés fondamentales l'application immédiate d'une solution jurisprudentielle issue d'un revirement de jurisprudence dès lors qu'elle a pour effet de priver un créancier, sans indemnisation adéquate, d'une partie substantielle de ses créances ; qu'une telle atteinte aux droits d'une personne rompt le juste équilibre devant régner entre, d'une part, les exigences de l'intérêt général, d'autre part, la sauvegarde du droit au respect du bien, dès lors que l'intéressé pouvait espérer, en application de la jurisprudence antérieure au revirement, obtenir paiement de la totalité des sommes qui lui sont dues ; que la date d'introduction de la demande en justice importe peu dès lors que le dommage ou la dette est née antérieurement au revirement de jurisprudence ; qu'en l'espèce Mme X... faisait valoir que l'application avec effet rétroactif du revirement de jurisprudence décidé le 10 juin 2005 par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation portait atteinte à son droit de propriété dès lors qu'elle avait pour effet de "balayer quasiment vingt années de créances"; qu'en rejetant la demande de Mme X... sans rechercher si la mesure d'ingérence dans son droit à la propriété ménageait un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de Mme X..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2277 du code civil (dans sa version applicable aux faits de l'espèce), et l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable prévu par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence immuable dont l'évolution relève de l'office du juge dans l'application du droit ;
Et attendu que c'est sans méconnaître l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que la cour d'appel, qui a relevé que Mme X... avait eu la possibilité d'exercer en temps utile ses droits de créance, a statué comme elle l'a fait ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. Y... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf novembre deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thomas-Raquin et Bénabent, avocat aux Conseils pour Mme X...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré prescrites la demande de l'exposante tendant au recouvrement des arriérés pour la période antérieure au mois d'octobre 2000 ;
AUX MOTIFS QUE «l'article 2277 du Code civil énonce que les actions en paiement des arrérages de pensions alimentaires se prescrivent par cinq ans ; que si le créancier peut poursuivre pendant trente ans l'exécution d'un jugement condamnant au paiement d'une somme payable à termes périodiques, il ne peut, en vertu de l'article 2277 du Code civil, applicable en raison de la nature de la créance, obtenir le recouvrement des arriérés échus depuis plus de cinq ans avant sa demande ; qu'il convient de confirmer le jugement sur le principe de l'application de la prescription quinquennale au paiement d'arrérages de sommes dues à titre alimentaire allouées par des décision civiles ; … que Madame X... fait valoir que l'application de la règle de la prescription quinquennale telle qu'elle résulte du revirement de jurisprudence de la Cour de cassation en 2005 porte atteinte au droit d'accès au juge tel que défini à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, et à son droit de propriété prévu par l'article 1er du Protocole Additionnel n° 1 à cette Convention ; cependant, la règle de la prescription quinquennale des arrérages de pension alimentaire énoncée par l'article 2277 du Code civil est une règle juridique ancienne ; Madame X... ne rapporte pas la preuve que l'application de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a précisé que la prescription quinquennale s'opposait à ce qu'une personne titulaire d'un titre exécutoire puisse recouvrer les arrérages échus depuis plus de 5 ans, porte atteinte à son droit d'accès au juge, ni une atteinte disproportionnée à son droit de propriété» (Arrêt page 6 § 4).
ALORS D'UNE PART QUE l'application immédiate d'une nouvelle règle juridique, résultant d'un revirement de jurisprudence et prévoyant un délai de prescription plus court, aboutit à priver le titulaire d'une créance, née antérieurement au revirement, d'un procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme en lui interdisant l'accès au juge, dès lors que ce revirement de jurisprudence était imprévisible ; que par une décision du 10 juin 2005, l'Assemblée Plénière de la Cour de cassation a procédé à un renversement de sa jurisprudence en décidant qu'un «créancier ... ne peut, en vertu de l'article 2277 du Code civil, … obtenir le recouvrement des arriérés échus plus de cinq ans après la date de sa demande» même s'il agit en exécution d'un jugement ; que ce revirement de jurisprudence était imprévisible dès lors que la Cour de cassation avait encore, quelques mois plus tôt jugé que «la poursuite de l'exécution de titres portant condamnation au paiement de la pension alimentaire, …. est régie par la prescription de droit commun de trente ans» (Civ. 1ère février 2005, Bull. n° 74) ; qu'en l'espèce Madame X... faisait valoir que Monsieur Y... refusait de payer les sommes au versement desquelles il a été pourtant été condamné par des nombreuses décisions civiles et pénales ce qui causait à Madame X... un préjudice indiscutable ; qu'elle soulignait en outre que l'application immédiate du récent revirement de jurisprudence du 10 juin 2005 aux faits de l'espèce portait atteinte à son droit à un procès équitable prévu à l'article 6-1 de la Convention européenne ; qu'en rejetant sa demande sans rechercher si, en raison du caractère imprévisible du revirement de jurisprudence, l'application de la prescription quinquennale aux faits de l'espèce n'aboutissait pas à priver Madame X... d'un procès équitable, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2277 du Code civil (dans sa version applicable aux faits de l'espèce) et l'article 6 -1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
ALORS D'AUTRE PART QUE porte atteinte à l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits l'homme l'application immédiate d'une solution jurisprudentielle issue d'un revirement de jurisprudence dès lors qu'elle a pour effet de priver un créancier, sans indemnisation adéquate, d'une partie substantielle de ses créances ; qu'une telle atteinte aux droits d'une personne rompt le juste équilibre devant régner entre, d'une part, les exigences de l'intérêt général et, d'autre part, la sauvegarde du droit au respect du bien, dès lors que l'intéressé pouvait espérer, en application de la jurisprudence antérieure au revirement, obtenir paiement de la totalité des sommes qui lui sont dues ; que la date d'introduction de la demande en justice importe peu dès lors que le dommage ou la dette est née antérieurement au revirement de jurisprudence ; qu'en l'espèce Madame X... faisait valoir que l'application avec effet rétroactif du revirement de jurisprudence décidé le 10 juin 2005 par l'Assemblée Plénière de la Cour de cassation portait atteinte à son droit de propriété dès lors qu'elle avait pour effet de «balayer quasiment 20 années de créances» (Conclusions page 29, § 3) ; qu'en rejetant la demande de Madame X... sans rechercher si la mesure d'ingérence dans le droit à la propriété de l'exposante ménageait un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de Madame X..., la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2277 du Code civil (dans sa version applicable aux faits de l'espèce), et l'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.