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10/11/2009 | FRANCE | N°08-86295

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 10 novembre 2009, 08-86295


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- C... Marie-Paule, partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 25 avril 2005, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie contre Jean-Marie X..., Franck Y... et Olivier A... des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire public et complicité, a sursis à statuer ;

- X... Jean-Marie,
- Y... Franck,
- A... Olivier,
- C... Marie-Paule, partie civile,

contre l'arrÃ

ªt de la même cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 16 juillet 2008, qui, dans la ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- C... Marie-Paule, partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 25 avril 2005, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie contre Jean-Marie X..., Franck Y... et Olivier A... des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire public et complicité, a sursis à statuer ;

- X... Jean-Marie,
- Y... Franck,
- A... Olivier,
- C... Marie-Paule, partie civile,

contre l'arrêt de la même cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 16 juillet 2008, qui, dans la même procédure, a condamné le premier, pour diffamation publique envers un fonctionnaire public, le deuxième et le troisième, pour complicité de ce délit, respectivement, à 3 000 euros, 1 500 euros et 4 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 13 octobre 2009 où étaient présents : M. Pelletier président, Mme Degorce conseiller rapporteur, Mmes Palisse, Guirimand, MM. Beauvais, Straehli, Finidori, Monfort, Castel, Mme Ferrari conseillers de la chambre ;

Avocat général : M. Davenas ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire DEGORCE, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN et de la société civile professionnelle THOMAS-RAQUIN et BÉNABENT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DAVENAS ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, dans son numéro daté du 7 septembre 2000, le journal Le Monde a publié un article, signé par le journaliste Franck Y... et intitulé " Affaire B... : remise en cause de l'impartialité du juge
C...
" relatant la démarche opérée la veille auprès du Garde des sceaux par Olivier A..., avocat de la veuve du magistrat Bernard B..., mort au cours de l'année 1995 à Djibouti, pour dénoncer le comportement professionnel de Marie-Paule C... et de Roger G..., juges d'instruction en charge de cette procédure jusqu'à leur dessaisissement le 21 juin 2000, auxquels il reprochait d'avoir manqué d'impartialité et de loyauté, en " gardant par devers eux " la cassette de l'enregistrement d'un transport sur les lieux et en oeuvrant " de connivence " avec le procureur de la République de Djibouti ;

Attendu que Marie-Paule C... et Roger G... ont porté plainte et se sont constitué partie civile des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire public et complicité de cette infraction contre Jean-Marie X..., directeur de publication du journal Le Monde, Franck Y... et Olivier A..., avocat ;

Attendu que deux informations ont été ouvertes et que les prévenus ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel qui, après avoir ordonné la jonction des procédures, les a condamnés pour l'ensemble des faits poursuivis, par jugement du 4 juin 2002 ;

Attendu que, statuant sur le recours de toutes les parties par arrêt du 28 mai 2003, la cour d'appel de Versailles a renvoyé les prévenus des fins de la poursuite exercée par Roger G... et a retenu leur culpabilité à l'égard de Marie-Paule C... ; que, sur les seuls pourvois formés par Olivier A..., prévenu, et Roger G..., partie civile, la Cour de cassation a, le 18 octobre 2004, prononcé la cassation totale de la décision et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Rouen ;

En cet état ;

I-Sur les pourvois de Marie-Paule C... :

Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;

II-Sur les autres pourvois formés contre l'arrêt du 16 juillet 2008 :

Sur le premier moyen de cassation proposé pour Jean-Marie X... et Franck Y..., pris de la violation des articles 591 et 609 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a dit que, sur l'action en diffamation envers un fonctionnaire public engagée par Marie-Paule C..., la saisine de la cour porte uniquement sur les actions publiques et civiles à l'égard d'Olivier A..., les dispositions de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, en date du 28 mai 2003, déclarant Jean-Marie X... et Franck Y..., le premier en qualité d'auteur principal et le second de complice, coupables du délit de diffamation publique à l'égard de Marie-Paule C... et portant condamnations pénale et civile de ces derniers, étant devenues définitives en l'absence de pourvoi de ces deux prévenus, du ministère public et de la partie civile à l'encontre de cet arrêt ;

" alors que la juridiction d'appel, saisie par un arrêt de renvoi, rendu après cassation totale sur le pourvoi d'une des parties en cause, a le droit et le devoir de statuer sur tous les chefs formant l'objet de la demande soumise aux premiers juges, la décision cassée n'ayant pu acquérir en aucun point, au regard de cette demande, l'autorité de la chose jugée ; que, dans son arrêt du 12 octobre 2004, la chambre criminelle a fait droit au pourvoi en cassation de l'un des prévenus, Me Olivier A..., concernant le refus de surseoir à statuer invoqué à l'égard des deux parties civiles et a ainsi cassé l'arrêt en toutes ses dispositions ; que, dès lors, la cassation portait également sur les actions civiles et pénales mettant en cause les deux autres prévenus, dont la culpabilité était indivisiblement liée à celle de Me Olivier A..., dont les propos avaient été reproduit dans l'article incriminé ; qu'il appartenait, dans ces conditions, à la cour d'appel de renvoi de se prononcer tant sur l'action publique que sur l'action civile concernant les propos mis en cause par Marie-Paule C..., et non seulement les propos mettant en cause Roger G... " ;

Attendu qu'en décidant qu'elle était saisie, s'agissant de la poursuite de Roger G..., de l'action publique et de l'action civile concernant les trois prévenus Jean-Marie X..., Franck Y... et Olivier A..., et, s'agissant de la poursuite de Marie-Paule C..., des seules actions, publique et civile, exercées contre Olivier A..., et non contre Jean-Marie X... et Franck Y... à l'égard desquels l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 28 mai 2003 était devenu définitif, faute de pourvoi, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Qu'en effet, si, lorsqu'elle annule un arrêt ou un jugement rendu en matière correctionnelle ou de police, la Cour de cassation, conformément à l'article 609 du code de procédure pénale, renvoie le procès et les parties devant une juridiction du même ordre et degré que celle qui a rendu la décision annulée, cette dévolution ne peut s'opérer, sauf application des dispositions de l'article 612-1 du code de procédure pénale, que dans les limites de sa saisine fixées dans l'acte de pourvoi ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation proposé pour Jean-Marie X... et Franck Y..., pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 de la loi du 29 juillet 1881 et 591 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les prévenus coupables de diffamation publique envers un fonctionnaire public, en l'espèce Roger G..., et les a condamnés pénalement et civilement ;

" aux motifs que, pour retenir la bonne foi, il doit être rapporté la preuve que Franck Y... a poursuivi un but légitime d'information, n'a démontré aucune animosité personnelle à l'égard de Roger G..., a procédé à une enquête sérieuse et fait preuve de prudence et de mesure dans les propos publiés au sujet de ce dernier ; qu'à cet égard, la cour relève que Franck Y... a reconnu avoir été en possession de la lettre datée du 6 septembre 2000, adressée au Garde des sceaux, du procès-verbal établi par le juge Parlos le 1er août 2000 et du mot manuscrit écrit à l'intention de Marie-Paule C... par le procureur de la République de Djibouti ; qu'ainsi, il ne pouvait pas ignorer, d'une part, que la cassette avait été adressée au cabinet d'instruction de Marie-Paule C..., puis réclamée à celle-ci un mois plus tard, d'autre part, que le mot écrit de la main du procureur Djama Souleiman avait été rédigé à l'intention de Marie-Paule C... et non pas à Roger G... ; qu'incontestablement, Franck Y... était en possession de documents lui permettant d'apprécier l'opportunité de rendre publique la lettre des avocats adressées au Garde des sceaux au travers d'extraits reproduits ou paraphrasés dans son article ; qu'en se contentant de reprendre dans son article les termes de cette lettre « les juges C... et G... avaient gardé par devers eux cette cassette …, qu'ils avaient omis de placer sous scellés, plus d'un mois après leur dessaisissement » et d'y rapporter le commentaire de Me A... sur l'écrit manuscrit « cette pièce démontre l'étendue de la connivence qui existe entre le procureur de Djibouti et les magistrats français … et on ne peut qu'être scandalisés », en donnant au lecteur l'impression de reprendre ces deux passages à son compte par l'utilisation d'une formule de transition très marquée « pire », un mot laissant entendre que ce qui précède est grave et ce qui suit l'est plus encore, alors que ni le mot manuscrit ni le procès-verbal établi le 1er août 2000 par le juge Parlos ne laissent supposer que Roger G... est pu être en possession de cette cassette à un moment quelconque et qu'il savait que le mot manuscrit n'avait été rédigé et adressé qu'à l'attention de Marie-Paule C..., et ce sans prendre le soin de se mettre au moins en relation avec le juge G... qui aurait pu lui préciser qu'il n'avait jamais été en possession de la cassette, Franck Y..., qui a imprudemment pris parti dans cette polémique en accordant un crédit total aux auteurs de la lettre du 6 septembre 2000 adressé au Garde des sceaux, a fait preuve d'un manque de sérieux et d'objectivité dans son enquête et de prudence et de mesure dans la rédaction de l'article, exclusif de toute bonne foi ;

" alors qu'en matière de diffamation, il appartient aux juges du fond de relever toutes les circonstances intrinsèques ou extrinsèques aux faits poursuivis que comporte l'écrit qui les renferme, et ce, sous le contrôle de la Cour de cassation qui peut se reporter à l'écrit lui-même afin de vérifier s'il contient les éléments de l'infraction ; que l'article incriminé traitait d'un sujet d'intérêt général, à savoir l'instruction menée sur le décès du juge B... à Djibouti, qui avait déjà fait l'objet de commentaires dans la presse, en faisant état, d'une part, du contenu d'une lettre des avocats de la veuve B... au Garde des sceaux mettant en cause les conditions dans lesquelles une cassette tournée sur le lieu des faits lors d'une reconstitution avait été transmise à Marie-Paule C..., juge d'instruction qui avait été en charge de l'affaire et le délai dans lequel elle avait adressé ladite cassette au juge d'instruction nouvellement désigné dans cette affaire par la chambre de l'instruction après son dessaisissement, et, d'autre part, des commentaires de l'un des avocats de Mme B... associant le juge G... adjoint à Marie-Paule C... dans le retard dans la transmission de la cassette et ceux que lui avait inspiré un mot accompagnant ladite cassette et émanant du procureur de Djibouti établissant des liens entre ces magistrats, ce que l'avocat de Mme B... estimait encore plus grave, le journaliste ayant pris soin de reproduire intégralement ce mot, ce qui permettait au public de juger par lui-même de cette opinion ; que, dès lors que Roger G... n'était pas directement mis en cause par le journaliste et qu'il l'était par Me A..., uniquement en sa qualité de magistrat instructeur adjoint et non comme ayant réellement participé aux faits dénoncés, l'article ne dépassait pas les limites de la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et, en déclarant que Jean-Marie X... et Franck Y... avaient commis les faits constitutifs de diffamation, la cour d'appel a méconnu ledit article et l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse " ;

Attendu que, pour dire Jean-Marie X... coupable de diffamation publique à l'égard de Roger G..., et Franck Y..., auteur de l'article incriminé, complice de ce délit, après avoir constaté le caractère diffamatoire des propos publiés le 7 septembre 2000, l'arrêt retient que le journaliste, qui a reconnu avoir été en possession, d'une part, de la lettre du 6 septembre 2000 adressée au Garde des sceaux par les avocats d'Elisabeth B..., d'autre part, du procès-verbal, établi le 1er août 2000 par Jean-Baptiste Parlos, juge d'instruction, et constatant que, sur sa demande, la cassette litigieuse lui avait été transmise le même jour dans une enveloppe ne comportant aucune trace de scellé, par Marie-Paule C..., et enfin, du manuscrit écrit à l'intention de celle-ci par le procureur de la République de Djibouti, ne pouvait ignorer que la cassette en cause et l'écrit y étant joint avaient été adressés à ce dernier magistrat, et non à Roger G... ;

Que les juges ajoutent que Franck Y..., bien qu'étant ainsi en possession de documents lui permettant d'apprécier l'opportunité de rendre publique dans son article, par reprise d'extraits ou par commentaires, la missive envoyée au Garde des sceaux, a donné l'impression au lecteur de reprendre à son compte les termes de cette lettre, alors que rien ne laissait supposer que Roger G... ait été en possession de la cassette à un moment quelconque et que le journaliste savait que l'écrit joint à cet objet n'était destiné qu'à Marie-Paule C... ; que les juges en déduisent que Franck Y..., qui n'a pas cherché à prendre attache avec Roger G... et a imprudemment pris parti dans la polémique en accordant un crédit total aux auteurs de la lettre adressée au Garde des sceaux, a fait preuve d'un manque de sérieux et d'objectivité dans son enquête, ainsi que d'un manque de prudence et de mesure dans la rédaction de l'article, qui sont exclusifs de bonne foi ;

Attendu qu'en décidant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les textes et dispositions conventionnels invoqués, dès lors que, s'agissant de comptes rendus sur des questions d'intérêt général, la garantie de l'article 10, alinéa 1er, de la Convention européenne des droits de l'homme ne peut bénéficier aux journalistes que si ceux-ci agissent de bonne foi, de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit, dans le respect de la déontologie journalistique ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation proposé pour Jean-Marie X... et Franck Y..., pris de la violation des articles 131-35 du code pénal, 32 de la loi du 29 juillet 1881 et 591 du code de procédure pénale ;

" en ce que la cour d'appel a ordonné la diffusion d'un communiqué faisant état de la condamnation de Jean-Marie X..., Franck Y... et Olivier A... au profit de Roger G... pour diffamation ;

" alors que l'article 131-35 du code pénal autorise les juges à prononcer une condamnation à publier un communiqué dans différents journaux sur une condamnation, mais n'autorise pas à ordonner la publication de plusieurs communiqués sur une même condamnation dans un même journal ; que, dès lors, en ordonnant un communiqué faisant état de la condamnation pour diffamation des prévenus à l'égard de Roger G... et de Me Olivier A... à égard de
Marie-Paule C..., alors que la cour d'appel de Versailles avait estimé que la condamnation du journaliste et du directeur de publication à l'égard de Marie-Paule C... était définitive, ce qui laissait subsister l'ordre de publier un communiqué concernant la condamnation des trois prévenus à l'égard de cette dernière, la cour d'appel a méconnu l'article précité ;

Attendu que le moyen proposé, en ce qu'il critique la disposition de l'arrêt ordonnant la diffusion d'un communiqué faisant état de la condamnation de Jean-Marie X..., Franck Y... et Olivier A... est sans objet, dès lors que, contrairement à ce qui est soutenu, la mesure en cause n'a pas été ordonnée à titre de sanction en application de l'article 131-35 du code pénal, mais à titre de réparation civile ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le premier moyen de cassation proposé pour Olivier A..., pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Olivier A... coupable de complicité de diffamation envers un fonctionnaire à l'encontre de Marie-Paule C... et de Roger G... et l'a condamné à des peines civiles et pénales, après avoir écarté l'exception d'immunité juridictionnelle ;

" aux motifs que le droit à immunité, instauré par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, est un droit exceptionnel qui ne saurait qu'être interprété restrictivement et ne peut être étendu en dehors des prévisions de ce texte, et les délimitations apportées au champ d'application de cette immunité ne sont pas contraires à la liberté d'expression garantie par l'article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme puisqu'en son second paragraphe ce même article autorise lui-même, au contraire, que des restrictions puissent être apportées à l'exercice de cette liberté lorsqu'elles constituent des mesures nécessaires notamment à la protection de la réputation ou des droits d'autrui ; qu'en l'espèce, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, la démarche que les avocats de Mme B... ont cru devoir entreprendre auprès du Garde des sceaux ne peut en aucune façon s'analyser comme se rattachant à un débat judiciaire quelconque ; que l'immunité judiciaire n'est prévue que dans le cadre de toute juridiction où peuvent s'exercer contradictoirement les droits de la défense ; que, en l'espèce, la lettre, en date du 6 septembre 2000, qui ne constitue pas un acte de saisine du Conseil supérieur de la magistrature et n'est en réalité qu'une correspondance adressée au ministre de la justice pour provoquer une enquête de l'inspection générale des services judiciaires sur les dysfonctionnements imputés aux deux magistrats, ne figure pas au nombre des écrits produits devant les tribunaux au sens de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'en conséquence, les propos tenus dans cette lettre visant à provoquer in fine des sanctions disciplinaires et la reproduction d'un certain nombre de ces propos par l'article du Monde n'étant pas couverts par l'immunité édictée par cet article, la cour confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté l'exception d'immunité invoquée par les prévenus (arrêt, p. 18) ;

" alors que l'immunité de l'article 41 de la loi sur la presse, qui vise à garantir les droits de la défense, protège l'avocat au regard de tout propos prononcé ou tout écrit produit dans le cadre de tout type de procédure juridictionnelle notamment disciplinaire ; qu'elle s'applique dès le premier stade de la procédure, fût-ce avant la saisine de la juridiction, tout particulièrement lorsque cette saisine est limitée à certaines personnes qualifiées ; qu'il s'ensuit que la lettre du 6 septembre 2000, adressée au Garde des sceaux par le défenseur de la partie civile dans le dossier « B... », dont il était constaté qu'elle avait pour finalité la saisine du CSM de poursuites visant deux magistrats ayant eu en charge l'instruction de ce dossier, entrait dans le cadre de la défense des intérêts de la partie civile ; que, par conséquent, l'arrêt attaqué ne pouvait refuser d'accorder l'immunité juridictionnelle aux propos éventuellement diffamatoires qu'elle contenait en se fondant sur la circonstance qu'elle ne constituait pas un acte de saisine figurant au nombre des écrits visés par l'article 41 de la loi susvisée " ;

Attendu que, pour écarter l'exception d'immunité juridictionnelle invoquée par le demandeur et fondée sur l'article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, l'arrêt relève que le fait de rendre publique la démarche entreprise par les avocats d'Elisabeth B... auprès du Garde des sceaux, dans le but d'obtenir l'ouverture d'une enquête de l'inspection générale des services judiciaires sur les dysfonctionnements imputés aux deux juges d'instruction initialement chargés de la procédure, ne constitue pas un acte de saisine du Conseil supérieur de la magistrature et ne se rattache pas à un débat mettant en oeuvre l'exercice des droits de la défense devant une juridiction ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen de cassation proposé pour Olivier A..., pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 et 31, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Olivier A... coupable de complicité de diffamation envers un fonctionnaire à l'encontre de Marie-Paule C... et de Roger G... et l'a condamné à des peines civiles et pénales, après avoir écarté l'exception de bonne foi ;

" aux motifs que, d'une part, l'article litigieux relate d'abord que la juge Marie-Paule C..., dessaisie du dossier au printemps, est accusée par les avocats de la famille B... d'avoir " un comportement parfaitement contraire aux principes d'impartialité et de loyauté " ; que, par cette affirmation, le journaliste ne fait que citer les termes de la lettre du 6 septembre 2000 adressée au Garde des sceaux, une affirmation sans nuance qu'il met en exergue dans l'intitulé de l'article " Affaire B... : remise en cause de l'impartialité de la juge C... ", et qui ne peut que signifier que Marie-Paule C... conduisait cette instruction d'une manière partiale et déloyale ; que dire d'un magistrat instructeur, dont il est rappelé qu'il était dessaisi de la procédure depuis le printemps, qu'il a eu dans le traitement de ce dossier " un comportement parfaitement contraire aux principes d'impartialité et de loyauté'', soit un comportement contraire à l'éthique professionnelle et à son serment de magistrat, constitue une accusation particulièrement diffamatoire, puisqu'elle revient à lui imputer une absence de probité, un manquement délibéré à ses devoirs dans l'exercice de ses fonctions et à remettre en cause sa capacité à les exercer, et l'imputation d'un fait portant atteinte à l'honneur et à la considération de ce magistrat, l'impartialité et la loyauté étant les premières qualités exigées d'un magistrat (…) ; que les propos tenus par Olivier A... à l'égard des deux juges d'instruction sur le retard apporté à la transmission de la cassette et relatés dans l'article, immédiatement après qu'il y ait été indiqué que les deux avocats, puis le juge Parlos, avaient dû réclamer cette pièce, non seulement imputent à ces derniers une négligence fautive dans le suivi du dossier, jetant un discrédit sur le sérieux professionnel de ces magistrats, mais surtout sous-entendent que ces derniers ont délibérément gardé par-devers eux la cassette après leur dessaisissement survenu le 21 juin 2000 au moins dans un but d'obstruction que seules l'intervention des avocats auprès du juge D... suivie de celle de ce magistrat auprès de Marie-Paule C... auraient permis de déjouer en réclamant cette pièce finalement transmise le 1er août 2000 ; que l'assertion de « connivence » … imputant à ces deux magistrats d'avoir pu méconnaître totalement les devoirs de leurs charges à l'occasion de l'instruction du dossier concernant le décès du juge B... porte à elle seule gravement atteinte à l'honneur et à la considération de ces deux magistrats et ne fait que conforter le caractère diffamatoire des propos précédents (arrêt, p. 23-25) ;

" et aux motifs que, d'autre part, à la date des faits poursuivis, le 7 septembre 2000, d'une part, Olivier A... avait obtenu par l'arrêt de la chambre de l'instruction, en date du 21 juin 2000, le dessaisissement des deux magistrats instructeurs auxquels, avec Me Laurent De E..., il s'était opposé et, d'autre part, que le juge Parlos, désormais en charge du dossier B..., était depuis le 1er août 2000 en possession de la cassette vidéo que lui avait remise Marie-Paule C... à son retour de vacances ; qu'à supposer que le mot manuscrit du procureur de la République de Djibouti, évoquant la poursuite d'une entreprise de manipulation imputable à Mme
B...
et ses avocats, ait pu interpeller ces derniers ainsi que le soutient Olivier A..., il n'en demeure pas moins constant qu'à la date du 7 septembre 2000 la mise en cause professionnelle et morale très virulente de ces deux magistrats instructeurs, en particulier de Marie-Paule C..., par Olivier A..., au travers de propos mettant gravement en cause leur impartialité et leur honnêteté intellectuelle et dépassant largement le libre droit de critique, n'avait plus le moindre intérêt procédural et que les profondes divergences, qui ont surgi entre les avocats de Mme B... et les magistrats instructeurs au cours de l'information antérieurement au dessaisissement intervenu le 21 juin 2000, ne pouvaient plus justifier cette mise en cause a posteriori par média interposé ; que les propos particulièrement diffamatoires tenus par voie de presse à l'encontre des deux magistrats par Olivier A..., dont le non-lieu prononcé en sa faveur dans la procédure diligentée du chef de dénonciation calomnieuse n'est nullement incompatible avec la présomption de mauvaise foi qui frappe l'auteur d'imputations diffamatoires et n'implique pas qu'il ait été de bonne foi à l'occasion de celles-ci, par leur caractère excessif sont révélateurs de l'intensité du conflit l'ayant opposé à ces derniers, en particulier à Marie-Paule C..., et s'analysent comme un règlement de compte à posteriori, ainsi qu'en témoigne leur publication, voulue par Olivier A..., dans un article paru, sous la signature de Franck Y..., dans Le Monde daté du 7 septembre 2000, une date où ce dernier, qui ne l'a pas contesté à l'audience, ne pouvait pas ne pas savoir que la chambre de l'instruction de Paris, sur sa demande, venait d'être saisie (le 5 septembre 2000) du dossier de la scientologie dans lequel Marie-Paule C... était déjà soupçonnée d'être à l'origine d'une disparition de pièces, ainsi que l'indique dans ses écrits l'avocat de cette partie civile et comme le rappelle le journaliste en conclusion de son article, soit un moment exclusif de toutes coïncidences ne pouvant que traduire de la part d'Olivier A... une animosité personnelle et une volonté de discréditer ces magistrats ayant eu en charge l'affaire B..., en particulier Marie-Paule C... avec laquelle il était en conflit dans plusieurs procédures, excluant de la part de ce dernier toute bonne foi (arrêt, p. 28-29) ; que les profondes divergences qui ont surgi entre les avocats de Mme B... et les magistrats instructeurs au cours de l'information ne peuvent aucunement justifier l'absence totale de prudence dans l'expression pour fustiger de la sorte l'impartialité d'un magistrat, c'est à dire sa qualité morale première (jugement, p. 20) ;

" 1°) alors que les propos incriminés, reprochant aux magistrats
C...
et G... d'avoir mené leur instruction uniquement à décharge, traitaient d'une affaire judiciaire médiatisée de longue date, portant sur les conditions suspectes dans lesquelles avait été retrouvé « suicidé » à Djibouti un magistrat français en disponibilité dans ce pays et sur la manière discutable dont avait été dirigée l'instruction dont nombre d'éléments, relevés par l'arrêt attaqué, (pression de la part de Marie-Paule C... sur un témoin clé, défiance systématique à l'encontre de la partie civile tenue à l'écart de certaines investigations, propos adressés par le procureur de la République djiboutien dénotant une étonnante connivence avec les juges d'instruction français), montraient qu'elle avait été menée avec un présupposé manifeste en défaveur de la thèse de l'assassinat soutenue par la partie civile ; qu'eu égard à l'importance du sujet d'intérêt général dans lesquels ces propos s'inséraient, la cour d'appel ne pouvait retenir qu'Olivier A... avait dépassé les limites de sa liberté d'expression ;

" 2°) alors que la bonne foi s'apprécie au regard des propos incriminés qui ont été publiés ; que l'arrêt attaqué écarte la bonne foi d'Olivier A... en se fondant sur l'absence prétendue d'intérêt à mettre en cause devant le Garde des sceaux les manquements à leurs devoirs de magistrats instructeurs reprochés à Marie-Paule C... et Roger G... qui s'analyseraient comme un « règlement de compte a posteriori » ; que la cour d'appel n'a pas examiné la bonne foi d'Olivier A... dans l'expression des propos rapportés dans l'article de presse incriminé, mais par rapport au contenu de la lettre adressée au Garde des sceaux, sur laquelle elle n'avait pas à porter d'appréciation au regard des faits dont elle était saisie ; qu'il en résulte que l'arrêt ne s'est pas prononcé par des motifs opérants pour conclure à l'existence d'une animosité personnelle d'Olivier A... à l'encontre des parties civiles ;

" 3°) alors que, sauf à interdire à tout avocat de s'exprimer sur une enquête en cours, la seule circonstance qu'Olivier A... ait eu un différend avec l'un des magistrats, dans le cadre d'une autre procédure ne permet pas d'établir que celui-ci était mû par une animosité personnelle en s'exprimant sur la façon critiquable dont ce magistrat avait exercé ses fonctions dans le dossier B... ; que, ce faisant, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

" 4°) alors que le bénéfice de la bonne foi n'est subordonné ni à l'actualité du fait dénoncé ni à la circonstance que ce fait aurait été entre-temps « réparé » ; qu'au demeurant, en faisant état publiquement, le 7 septembre 2000, d'un fait qui s'était produit un mois plus tôt et qui illustrait les vicissitudes d'une information qu'il dénonçait depuis de longs mois, l'avocat de Mme B... s'inscrivait dans la stratégie revendiquée, tendant à contester depuis l'origine la thèse du suicide pour revendiquer celle de l'assassinat politique ; que la prétendue absence de nécessité de propos n'était pas exclusive de la bonne foi ;

" 5°) alors que les opinions exprimées sur le fonctionnement d'une institution fondamentale de l'Etat, telle que le déroulement d'une information pénale, se sont pas subordonnées à la prudence dans l'expression de la pensée ; que ces opinions ne sont pas limitées aux critiques théoriques et abstraites, mais peuvent être personnelles, dès lors qu'elles reposent sur une base factuelle suffisante ; que, dès lors, la cour d'appel ne pouvait écarter la bonne foi d'Olivier A..., avocat de l'une des parties civiles, en se s'arrêtant qu'aux prétendus différends personnels l'opposant à Marie-Paule C... et Roger G... et sans s'interroger sur les éléments invoqués par celui-ci de nature à justifier les critiques qu'ils leur a adressées en leur qualité de magistrats instructeurs ; qu'ainsi, l'arrêt n'est pas légalement justifié et a été rendu en violation de l'article 10 de la Convention européenne " ;

Attendu que, pour déclarer Olivier A... coupable de complicité de diffamation envers un fonctionnaire à l'égard de Marie-Paule C... et de Roger G..., l'arrêt relève qu'à l'époque de la publication de l'article litigieux, Olivier A..., qui était le seul à avoir pu remettre au journaliste et commenter la lettre envoyée au Garde des sceaux, dont des extraits avaient été publiés avant qu'elle ne soit parvenue à son destinataire, avait déjà " obtenu ", par un arrêt de la chambre de l'instruction du 21 juin 2000, le dessaisissement de Marie-Paule C... et de Roger G..., initialement désignés pour instruire l'affaire B... ; que les juges ajoutent que Marie-Paule C..., avait, dès son retour de vacances le premier août 2000, communiqué au magistrat nouvellement désigné pour la poursuite de l'information la cassette litigieuse, dont l'existence avait été déjà portée à la connaissance des parties dans les mois précédents et qui était parvenue en son absence à son cabinet au cours de la première semaine du mois de juillet ; que les juges précisent, s'agissant de l'écrit du procureur de la République de Djibouti accompagnant la cassette, dont Marie-Paule C... n'avait pas pris connaissance, qu'il est constant qu'à la date de la publication, la mise en cause professionnelle et morale de Marie-Paule C... et de Roger G... par Olivier A..., au travers de propos dépassant largement le droit de libre critique, ne présentait aucun intérêt dans la procédure en cours et que les profondes divergences ayant surgi entre les avocats d'Elisabeth B... et les magistrats instructeurs, antérieurement au dessaisissement, ne pouvaient justifier leur dénonciation après coup, par média interposé ; que les juges exposent encore que les propos tenus, par leur caractère excessif, s'analysent en un " règlement de compte ", ainsi qu'en témoigne leur publication, voulue par Olivier A..., dans le journal Le Monde du 7 septembre 2000, date à laquelle ce dernier ne pouvait ignorer que la chambre de l'instruction de Paris venait d'être saisie dans une affaire distincte, d'une demande, présentée par ses soins aux fins de dessaisissement de Marie-Paule C..., à laquelle il reprochait la disparition de pièces ; que la cour d'appel en déduit que ces propos, diffamatoires en ce qu'ils sous-entendent qu'après leur dessaisissement, les juges ont délibérément gardé par devers eux la cassette litigieuse dans un but d'obstruction et qu'ils ont agi de connivence avec les autorités djiboutiennes en vue de dissimuler la vérité et d'instruire au mépris de leur éthique professionnelle de magistrat, traduisent, de la part d'Olivier A..., une animosité personnelle et une volonté de discréditer les deux juges d'instruction, et particulièrement Marie-Paule C..., avec laquelle cet avocat était en conflit dans plusieurs procédures ;

Attendu qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel a justifié sa décision ; que si toute personne a droit à la liberté d'expression et si le public a un intérêt légitime à recevoir des informations relatives aux procédures en matière pénale ainsi qu'au fonctionnement de la justice, l'exercice de ces libertés comporte des devoirs et responsabilités et peut être soumis, comme dans le cas de l'espèce où les limites admissibles de la liberté d'expression dans la critique de l'action de magistrats ont été dépassées, à des restrictions ou sanctions prévues par la loi qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la protection de la réputation des droits d'autrui ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Et attendu que les arrêts sont réguliers en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

FIXE à 1 500 euros la somme que Jean-Marie X..., Franck Y... et Olivier A... devront, chacun, payer à Roger G... et Marie-Paule C... au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix novembre deux mille neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 08-86295
Date de la décision : 10/11/2009
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Rouen, 16 juillet 2008


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 10 nov. 2009, pourvoi n°08-86295


Composition du Tribunal
Président : M. Pelletier (président)
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Thomas-Raquin et Bénabent, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2009:08.86295
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