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21/10/2009 | FRANCE | N°08-11162

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 21 octobre 2009, 08-11162


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :
Vu la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 13 novembre 2007), rendu sur renvoi après cassation (civile, 3ème, 8 juin 2006, pourvoi n° 04 18.472 , bull III n° 144), que les consorts X... ont vendu à M. Y... un bien immobilier sous condition suspensive de l'absence d'exercice de tout droit de préemption ; que la commune d'Hermanville sur Mer a préempté le bien puis l'a revendu à l'Etablissement public foncie

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LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :
Vu la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 13 novembre 2007), rendu sur renvoi après cassation (civile, 3ème, 8 juin 2006, pourvoi n° 04 18.472 , bull III n° 144), que les consorts X... ont vendu à M. Y... un bien immobilier sous condition suspensive de l'absence d'exercice de tout droit de préemption ; que la commune d'Hermanville sur Mer a préempté le bien puis l'a revendu à l'Etablissement public foncier de Normandie à l'occasion de l'aménagement et de la revalorisation du centre bourg de la commune; qu'estimant que la décision de préemption du maire était irrégulière, M. Y..., acquéreur évincé, a assigné les consorts X..., la commune d'Hermanville sur Mer et l'Etablissement public foncier de Normandie en annulation des deux ventes subséquentes et afin d'être déclaré propriétaire de l'immeuble ;
Attendu que pour accueillir la demande, l'arrêt, après avoir constaté que le droit de préemption avait été irrégulièrement exercé par le maire, retient que la préemption et la vente de l'immeuble à l'établissement public qui en découle s'inscrivent dans la poursuite d'un objectif d'intérêt général, que les biens litigieux n'ont été l'objet d'aucun aménagement particulier ou intégration au domaine public, mais que l'attentisme de la commune paralyse en même temps l'exercice normal par l'acquéreur évincé du droit réel qu'il tient d'une vente dont la régularité n'est pas discutée, de sorte que, dans la balance des intérêts légitimes en présence, les ventes consécutives à l'exercice irrégulier du droit de préemption doivent être annulées par le juge judiciaire du contrat, privé en la forme ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait application des dispositions de l'article L. 911 1 du code de justice administrative qui régissent la demande, faite au juge administratif, de prescrire les mesures d'exécution qu'implique nécessairement la décision d'annulation d'une décision de préemption, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 novembre 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. Y... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un octobre deux mille neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Bachellier et Potier de La Varde, avocat aux Conseils pour la commune d'Hermanville sur Mer
La commune d'Hermanville-sur-Mer fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, après avoir dit inefficace l'exercice le 29 mars 2000 par le maire de la commune d'Hermanville-sur-Mer du droit de préemption urbain lui appartenant à l'exclusion du conseil municipal, constaté que les ventes intervenues au profit de la commune puis au profit de l'Etablissement public foncier de Normandie n'étaient que la suite de l'exercice irrégulier par le maire du droit de préemption urbain et d'avoir annulé lesdites ventes ;
AUX MOTIFS QUE l'acquéreur évincé a un intérêt à agir, devant la juridiction de l'ordre judiciaire, en annulation de la vente, à raison de l'exercice irrégulier du droit de préemption ; que pour la commune, la décision de préemption doit être distinguée des décisions du conseil municipal du 30 mars 2000 1) autorisant le maire à signer l'acte de vente avec les consorts X..., en ce qu'il s'agit d'un acte détachable au sens de la jurisprudence administrative, dont il appartenait à monsieur Y... de contester la légalité devant la juridiction administrative, ce qu'il n'a pas fait, 2) sollicitant l'intervention de l'actuel Etablissement public foncier de Normandie pour procéder à l'acquisition des parcelles litigieuses, tout en s'engageant à racheter ces biens dans un délai maximum de cinq ans et en autorisant également le maire à signer les documents et conventions relatifs à cette cession ; qu'à l'appui de sa position, la commune se prévaut de la jurisprudence administrative ; mais ces délibérations du 30 mars 2000 s'inscrivent à l'évidence, sans qu'il y ait matière à renvoi préjudiciel pour le constater, dans les suites d'un droit de préemption urbain, irrégulièrement exercé la veille par le maire, ce qui n'est plus vraiment discuté ; que s'il n'appartient pas aux juridictions de l'ordre judiciaire de prononcer l'annulation d'un acte administratif, en qu'il est, au moins, susceptible de se rattacher à l'exercice d'un pouvoir légalement dévolu à l'autorité compétente, il peut lui revenir d'apprécier les conséquences de l'inefficacité de l'acte litigieux, en l'absence de difficulté sérieuse sur l'appréciation de sa validité lorsqu'il s'agit, notamment, de la propriété privée, dont le juge judiciaire est le gardien naturel ; que dans un arrêt du 11 mai 2004, le Conseil d'Etat, s'agissant de l'office du juge administratif, après avoir rappelé que « l'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu » a immédiatement énoncé la portée de ce principe « s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets » ; qu'il en a déduit la nécessité de « prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif une limitation dans le temps des effets de l'annulation » ; que reprenant la jurisprudence dégagée par l'arrêt Bour précité, le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 31 janvier 2007 SARL Maïa, a pu préciser sa doctrine en énonçant que « l'annulation par le juge de l'excès de pouvoir de l'acte par lequel le titulaire du droit de préemption décide d'exercer ce droit emporte pour conséquence que ce titulaire doit être regardé comme n'ayant jamais décidé de préempter ; qu'ainsi, cette annulation implique nécessairement, sauf atteinte excessive à l'intérêt général appréciée au regard de l'ensemble des intérêts en présence, que le titulaire du droit de préemption, s'il n'a pas entre temps cédé le bien illégalement préempté, prenne toute mesure afin de mettre fin aux effets de la décision annulée ; qu'il lui appartient à cet égard, et avant toute autre mesure, de s'abstenir de revendre à un tiers le bien illégalement préempté ; qu'il doit en outre proposer à l'acquéreur évincé puis, le cas échéant, au propriétaire initial d'acquérir le bien, et ce, à un prix visant à rétablir autant que possible et sans enrichissement sans cause de l'une quelconque des parties les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle ; Considérant que, lorsque le juge administratif est saisi, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de conclusions tendant à ce qu'il prescrive les mesures qu'implique nécessairement l'annulation de la décision de préemption, il lui appartient lorsque le bien préempté n'a pas été revendu, après avoir le cas échéant mis en cause la ou les parties à la vente initialement projetée qui n'étaient pas présentes à l'instance et après avoir vérifié, au regard de l'ensemble des intérêts en présence, que le rétablissement de la situation initiale ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général, de prescrire à l'auteur de la décision annulée de prendre les mesures ci-dessus définies, dans la limite des conclusions dont il est saisi » ; qu'il n'y a pas là matière à renvoyer à la juridiction administrative l'appréciation de la balance entre les intérêts en présence, les deux ordres de juridiction ayant égale vocation à connaître des conséquences de l'inefficacité de la préemption, si l'on retient le principe selon lequel ces derniers sont aussi légitimes que contradictoires et qu'il est de l'office de tout juge, pour statuer, d'en rechercher la balance pertinente ; qu'en l'espèce, la préemption litigieuse avait fait l'objet d'un avis favorable du service des domaines en date du 22 mars 2000 ; que les délibérations du conseil municipal en date du 30 mars 2000, certes inefficaces dans le cadre du droit de préemption urbain, déjà exercé par le maire, s'inscrivent à l'évidence dans la poursuite de cet objectif d'intérêt général ; que la vente à l'Etablissement public de l'ensemble immobilier acquis, le même jour, par la commune des consorts X... et autres découle de l'exercice de la préemption par son maire, ainsi qu'il résulte notamment de l'exposé figurant sur l'acte de revente à l'EPBS, ne constituait qu'un transfert transitoire de la propriété justifié par un mode d'intervention spécifique de l'autorité publique et n'avait pas pour objet ni n'avait eu pour effet de réaliser d'autre aménagement de l'ensemble immobilier que ceux nécessaires à sa conservation, selon les termes mêmes de la convention relative à la constitution d'une réserve foncière ; certes, selon la délibération en date du 8 juin 2005 de son conseil municipal, la commune « compte tenu des procédures en cours devant la Cour de cassation » a demandé le report de cette échéance de deux ans, pour la fixer au 2 août 2007, ce qui a été conclu selon un avenant en date du 9 juin 2005 à la convention dite de portage du 25 mai 2000 ; que dans cette expectative, ici discutable (puisque la commune pouvait aussi renoncer à poursuivre l'exécution d'une préemption manifestement irrégulière), les biens litigieux n'ont été l'objet d'aucun aménagement particulier ou intégration au domaine public, en dépit de la faculté laissée à la commune, par la convention dite de portage, de racheter, avant l'échéance, la partie concernée par une éventuelle opération ; mais l'attentisme de la commune, alors que la décision du maire de préempter n'est pas même motivée, paralyse, en même temps, l'exercice normal par l'acquéreur évincé du droit réel qu'il tient d'une vente dont la régularité n'est pas discutée ; que dans la balance des intérêts légitimes en présence, il sera retenu, en l'espèce, que les ventes litigieuses, consécutives à l'exercice irrégulier du droit de préemption doivent être annulées par le juge judiciaire du contrat, privé en la forme ; que les ventes étant annulées, les parties seront renvoyées à la régularisation de l'acte authentique subséquent ;
1°) ALORS QUE la décision de préemption et celle de revente du bien préempté étant dissociables, l'irrégularité de la première et son éventuelle annulation n'impliquent ni l'irrégularité de la seconde ni la remise en cause de la revente du bien ; qu'en jugeant, pour annuler la vente consentie à l'Etablissement public foncier de Normandie, que la délibération du 30 mars 2000 par laquelle le conseil municipal avait autorisé le maire à céder le bien préempté à ce dernier s'inscrivait dans les suites du droit de préemption irrégulièrement exercé par le maire et qu'elle était donc inefficace, tout en constatant pourtant que la préemption ne formait pas avec les ventes subséquentes un ensemble indissociable, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé les articles 1134 du code civil, L.213-2, L.213-3 et L.213-11 du code de l'urbanisme ;
2°) ALORS QUE la cour qui, pour apprécier les conséquences de l'inefficacité de l'exercice, par le maire, du droit de préemption et annuler les ventes consenties au profit de la commune d'Hermanville-sur-mer d'abord et de l'Etablissement public foncier de Normandie ensuite, s'est fondée sur l'office du juge de l'excès de pouvoir, sur la portée rétroactive de l'annulation d'une décision administrative et sa modulation dans le temps puis a opéré une balance des intérêts en présence sans inviter au préalable les parties à s'expliquer sur ce moyen qu'elle a relevé d'office, a méconnu le principe du contradictoire et a ainsi violé l'article 16 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'en procédant ainsi à la balance des intérêts en présence, en appréciant, à ce titre l'intérêt général poursuivi par la commune dans l'exercice de son droit de préemption et en considérant que les biens litigieux n'avaient pas fait l'objet d'un aménagement particulier ou d'une intégration au domaine public, la cour d'appel qui a excédé ses pouvoirs, a méconnu le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires énoncé par l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
4°) ALORS QUE les décisions par lesquelles une commune préempte un bien puis le revend étant dissociables, l'annulation de la première n'entraîne pas par voie de conséquence l'annulation de la seconde ni donc la remise en cause de l'acte opérant le transfert de propriété par la commune au profit du tiers ; qu'en annulant la vente consentie par la commune à l'Etablissement public foncier, tout en constatant que l'annulation de la décision de préemption n'impose au titulaire du droit de préemption de mettre fin aux effets de la décision annulée que si celui-ci n'a pas entre temps cédé le bien illégalement préempté, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé les articles 1134 du code civil, L.213-2, L.213-3 et L.213-11 du code de l'urbanisme
5°) ALORS QUE la nullité de la chose d'autrui ne peut être demandée que par l'acquéreur et non par le véritable propriétaire qui ne dispose que d'une action en revendication ; qu'en prononçant, à la demande de monsieur Y..., la nullité de la vente consentie par la commune à l'Etablissement public foncier de Normandie après avoir constaté qu'elle était consécutive à l'exercice irrégulier du droit de préemption, ce dont il résultait que la commune avait ainsi vendu un bien qui ne lui appartenait pas et qu'en conséquence seul l'établissement, acheteur, avait qualité pour invoquer cette nullité, la cour d'appel a violé l'article 1599 du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 08-11162
Date de la décision : 21/10/2009
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Analyses

URBANISME - Droit de préemption urbain - Vente d'un immeuble - Décision de préemption dépourvue d'effet juridique - Annulation des ventes consécutives fondée sur la balance des intérêts légitimes en présence - Violation du principe de séparation des pouvoirs

SEPARATION DES POUVOIRS - Compétence judiciaire - Exclusion - Cas - Décision de préemption dépourvue d'effet juridique - Annulation des ventes consécutives fondée sur la balance des intérêts légitimes en présence

La cour d'appel qui retient que, dans la balance des intérêts légitimes en présence, les ventes consécutives à l'exercice irrégulier, par le maire d'une commune, de son droit de préemption, doivent être annulées par le juge judiciaire, fait application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative régissant la demande, faite au juge administratif, de prescrire les mesures d'exécution qu'implique nécessairement l'annulation d'une décision de préemption et viole le principe de séparation des pouvoirs résultant de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III


Références :

Cour d'appel de Caen, 13 novembre 2007, 06/2098
loi des 16-24 août 1790

décret du 16 fructidor an III

article L. 911-1 du code de justice administrative

Décision attaquée : Cour d'appel de Caen, 13 novembre 2007

Sur la nullité d'une première vente prononcée par le juge judiciaire à la demande de l'acquéreur évincé, à rapprocher :3e Civ., 20 novembre 2002, pourvoi n° 01-13534, Bull. 2002, III, n° 234 (rejet)


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 21 oct. 2009, pourvoi n°08-11162, Bull. civ. 2009, III, n° 232
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2009, III, n° 232

Composition du Tribunal
Président : M. Lacabarats
Avocat général : M. Petit
Rapporteur ?: Mme Nési
Avocat(s) : SCP Bachellier et Potier de La Varde, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2009:08.11162
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