LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à la société Vicat de son désistement envers le président du conseil de la concurrence ;
Joint les pourvois n° J 08 16.094 formé par la société Lafarge Ciments et n° H 08 15.609 formé par la société Vicat, qui attaquent le même arrêt ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, saisi par le ministre de l'économie de pratiques mises en oeuvre dans le secteur de l'approvisionnement et de la distribution du ciment en Corse, le Conseil de la concurrence (le Conseil) a, par décision n° 07-D-08 du 12 mars 2007, notamment dit établi que, contrevenant aux dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du traité CE, les sociétés Lafarge ciments (Lafarge), Vicat et le Groupement logistique ciments Haute-Corse (le GIE) se sont entendus en signant le 8 novembre 1994 une convention de subdélégation de l'exploitation des infrastructures de stockage du port de Bastia, que, contrairement à ces mêmes dispositions, les sociétés Lafarge, Vicat et le syndicat des négociants en matériaux de construction (le Syndicat) se sont entendus en signant un protocole d'accord le 6 mai 1999 afin de lier les membres du syndicat par un contrat d'approvisionnement exclusif et qu'au mépris des dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 82 du traité CE, les sociétés Lafarge et Vicat ont abusé de leur position dominante collective sur les marchés du ciment en Haute-Corse, à Ajaccio, Porto-Vecchio et Propriano en octroyant des remises anticoncurrentielles aux négociants corses, qu'il a infligé à ces sociétés et groupements des sanctions pécuniaires ;
Sur les premier et deuxième moyens du pourvoi formé par la société Lafarge et le troisième moyen du pourvoi formé par la société Vicat, réunis :
Attendu que ces sociétés font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur recours contre la décision du Conseil retenant un grief d'entente entre elles et le GIE à raison de la convention du 8 novembre 1994, subdélégant à ce dernier l'exploitation des infrastructures du port de Bastia, alors, selon le moyen :
1°/ qu'une clause d'approvisionnement ne peut avoir pour objet ou effet de porter atteinte à la concurrence que s'il en résulte, pour le négociant qui s'engage à s'approvisionner auprès du producteur, une interdiction de se fournir par ailleurs pour le produit considéré ; qu'en l'espèce, par l'article 1er de la convention de subdélégation du 8 novembre 1994, les sociétés Lafarge et Vicat ont uniquement entendu réserver l'utilisation des installations du port de Bastia dont elles avaient financé l'édification à leurs propres produits, sans interdire aux négociants en ciments de se fournir par ailleurs, soit dans les autres ports de Corse, soit directement sur le continent, soit par navires rouliers ; qu'en jugeant néanmoins que la convention de subdélégation avait pour objet ou effet de restreindre la concurrence sur le marché du ciment en Corse, la cour d'appel a violé les articles 1134 du code civil, L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité CE ;
2°/ qu'une pratique n'a d'effet anticoncurrentiel que lorsqu'elle limite l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ; que pour juger que la convention de subdélégation du 8 novembre 1994 était anticoncurrentielle, la cour d'appel a considéré que l'article 1er de cette convention avait eu pour effet de réduire les débouchés des autres fournisseurs de ciment grecs ou italiens, dont la part de ciments importés était passée de 6 % en 1997 à 8 % en 1998 et 4,5 % en 1999, année à partir de laquelle avait été mise en place la desserte maritime du port de Bastia par la société SOMECA ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'il résultait de ses propres constatations que la part de marché des ciments concurrents de ceux des sociétés Lafarge et Vicat avait augmenté entre 1997 et 1998, nonobstant la convention de subdélégation mise en place en 1994, et que la baisse de cette part de marché n'avait diminué, en 1999, que du seul fait de la desserte assurée par la société SOMECA, la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité CE ;
3°/ que l'effet anticoncurrentiel d'une pratique ne peut être établi que s'il est démontré, en comparaison à la situation antérieure à la mise en oeuvre de cette pratique, que celle-ci a eu pour conséquence de restreindre l'accès au marché des entreprises concurrentes ; que pour juger que la convention du 8 novembre 1994 avait un effet anticoncurrentiel, la cour d'appel a estimé que la part de marché des concurrents des sociétés Lafarge et Vicat s'était réduite entre 1997 et 1999, soit durant une période entièrement comprise pendant la mise en oeuvre de cette convention ; qu'en statuant ainsi, sans établir que la part de marché des concurrents des sociétés Lafarge et Vicat aurait été croissante ou constante avant la mise en oeuvre de la convention litigieuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité CE ;
4°/ que pour juger que la convention du 8 novembre 1994 avait un effet anticoncurrentiel, la cour d'appel a affirmé que la part du trafic de ciment en vrac à destination de la Corse, par le navire de la société SOMECA, avait atteint 99% du transport de ciment en 1998 (arrêt p. 7, § 6), tout en constatant que, pour cette même année, les quantités de ciments italiens et grecs importées par les négociants, exclusivement par navires rouliers, s'élevaient à 8 % des quantités totales ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel s'est contredite et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°/ qu'une pratique ne peut être sanctionnée que lorsqu'elle a pour objet ou peut avoir pour effet d'empêcher ou de restreindre le jeu de la concurrence ; que la restriction de concurrence résultant d'une politique publique décidée par les pouvoirs publics ne peut être imputée à la pratique qui constitue la mise en oeuvre de cette politique par des sociétés privées ; que la cour d'appel a constaté que les pouvoirs publics avaient mis en place, dès 1960, une politique tendant à l'approvisionnement de la Corse en ciment par navire vraquiers, notamment par l'édification de silos destinés à stocker ce matériau en Corse, et que cette politique avait conduit à la diminution substantielle, voire à la disparition, de l'approvisionnement par transport roulier ; que la cour d'appel a, par ailleurs, constaté que l'Etat français avait mis en place une subvention bénéficiant au transport de ciment en vrac ; qu'en jugeant néanmoins que la convention de subdélégation du 8 novembre 1994 pourtant expressément prévue par le contrat administratif du 27 septembre 1994 unissant la CCI de Corse aux Sociétés Lafarge et Vicat, avait pour objet ou effet de restreindre la concurrence des cimentiers étrangers, qui approvisionnent la Corse par transport roulier, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, et a violé les articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité CE ;
6°/ que constitue une obligation d'achat exclusif, toute obligation directe ou indirecte imposant à l'acheteur d'acquérir auprès du fournisseur ou d'une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché pertinent, calculés sur la base de la valeur des achats qu'il a effectués au cours de l'année civile précédente ; qu'en affirmant que l'article 1er de la convention de subdélégation du 8 novembre 1994 mettait à la charge de l'ensemble des négociants de Haute Corse une obligation d'approvisionnement exclusif auprès des sociétés Lafarge ou Vicat, après avoir constaté que cette obligation ne portait que sur deux gammes seulement de ciment et que le marché pertinent était, en l'espèce, celui des ciments courants sans qu'il soit besoin de segmenter le marché en fonction des caractéristiques des ciments vendus en cause, ce dont il résultait que la prétendue exclusivité d'approvisionnement ne devait pas être appréciée au regard de deux gammes seulement de ciment, mais en fonction de la totalité des ciments courants substituables entre eux, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité CE, ensemble l'article 1er du règlement n° 2790/1999 du 22 décembre 1999, relatif aux accords verticaux ;
7°/ que constitue une obligation d'achat exclusif, toute obligation directe ou indirecte imposant à l'acheteur d'acquérir auprès du fournisseur ou d'une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché pertinent, calculés sur la base de la valeur des achats qu'il a effectués au cours de l'année civile précédente ; qu'en se bornant à affirmer que les gammes 42,5 et 52,5 de ciment, seules visées par le prétendue engagement d'approvisionnement exclusif, représentent la majeure partie du ciment vendu en corse, sans vérifier que ces gammes de ciments représentaient effectivement plus de 80 % des achats annuels effectués par les négociants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité CE, et 1er du règlement n° 2790/1999 du 22 décembre 1999, relatif aux accords verticaux ;
8°/ que constitue une obligation d'achat exclusif, toute obligation directe ou indirecte imposant à l'acheteur d'acquérir auprès du fournisseur ou d'une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché pertinent, calculés sur la base de la valeur des achats qu'il a effectués au cours de l'année civile précédente ; qu'en affirmant que les négociants étaient liés par une clause d'approvisionnement exclusif, tout en constatant que même dans les deux gammes de ciment considérés, ces derniers étaient libres de s'approvisionner soit auprès de la société Vicat, soit auprès de la société concurrente Lafarge, la cour d'appel a violé de plus fort les articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité CE, ensemble l'article 1er du règlement n° 2790/1999 du 22 décembre 1999, relatif aux accords verticaux ;
9°/ qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que la convention de subdélégation du 8 novembre 1994 avait été expressément prévue par le contrat administratif du 27 septembre 1994 par lequel la chambre de commerce et d'industrie avait obtenu, en contrepartie d'une exclusivité d'exploitation des installations, l'engagement financier et technique des sociétés Lafarge et Vicat afin d'éviter la disparition des infrastructures de stockage et d'ensachage du port de Bastia présentant un intérêt majeur pour le marché d'approvisionnement du ciment en Corse ; qu'en considérant que la clause litigieuse du contrat de subdélégation était indépendante du contrat administratif antérieur, et ne contribuait pas au progrès économique de la Corse, quand les conventions des 27 septembre et 8 novembre 1994 étaient indivisibles et visaient à garantir le financement et la pérennité d'une installation stratégique pour la Corse, la cour d'appel a violé les articles L. 420-1, L. 420-4 du code de commerce et 81 du Traité CE ;
10°/ qu'en affirmant que la clause litigieuse avait eu des effets anticoncurrentiels en réduisant sensiblement les débouchés des concurrents étrangers tout en constatant qu'au moment où ce contrat a été mis en oeuvre la concurrence en Corse sur le marché de l'approvisionnement en ciment était déjà sérieusement altérée pour des raisons structurelles étrangères à ladite clause, la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité CE ;
11°/ qu'en caractérisant l'effet anticoncurrentiel de la convention de subdélégation du 8 novembre 1994 à partir de la seule évolution des importations de ciments en Corse entre 1997 et 1999, quand il lui incombait de comparer les parts de marchés détenues par les cimentiers étrangers avant et après la conclusion de ladite convention de 1994, et jusqu'au terme de ladite convention le 31 décembre 2004, la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité CE ;
12°/ que sont exemptées des dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité les pratiques qui ont pour effet d'assurer un progrès économique, lorsque la restriction de concurrence en résultant éventuellement est indispensable pour atteindre cet objectif de progrès ; qu'en jugeant que la restriction de concurrence qu'elle estimait résulter de la convention de subdélégation du 8 novembre 1994 ne pouvait faire l'objet d'une exemption au motif inopérant que le financement du réaménagement des installations du port de Bastia était finalement pris en charge par le GIE des négociants, sans rechercher si les investissements nécessaires à cette rénovation auraient pu être réalisés sans l'engagement pris des sociétés LAFARGE et VICAT et si leur intervention n'avait pas été ainsi indispensable pour mettre en oeuvre la politique publique déterminée par la convention du 27 septembre 1994 à raison de la suppression des subventions de l'Etat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 et L. 420-4 du code de commerce, et 81 § 3 du Traité CE ;
13°/ que sont exemptées des dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité les pratiques qui ont pour effet d'assurer un progrès économique, dès lors qu'elles ne donnent pas aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause ; que pour juger que la restriction de concurrence qu'elle estimait résulter de la convention de subdélégation du 8 novembre 1994 ne pouvait faire l'objet d'une exemption, la cour d'appel a considéré que cette convention donnait aux sociétés Lafarge et Vicat la possibilité d'éliminer la concurrence pour certains des produits en cause, en cantonnant au minimum l'approvisionnement par rolls en provenance d'Italie ou de Grèce ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'elle avait constaté que la diminution voire la disparition du transport par rolls résultait d'une politique publique mise en oeuvre depuis les années 1960, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi les articles L. 420-1 et L. 420-4 du code de commerce, et 81 § 3 du Traité CE ;
14°/ qu'une restriction verticale de concurrence doit d'autant plus être exemptée qu'elle est liée à des investissements propres à une relation contractuelle et que sa durée correspond au délai nécessaire pour amortir ces investissements ; qu'en refusant d'exempter la clause litigieuse après avoir constaté que la durée de la convention correspondait précisément à celle du remboursement du prêt octroyé par les sociétés Vicat et Lafarge afin d'assurer le financement d'installations présentant un intérêt majeur pour la Corse, la cour d'appel a violé les articles L. 420-1, L. 420 4 2° du code de commerce et 81 § 1 et § 3 du traité CE, ensemble le règlement n° 2790/1999 du 22 décembre 1999, relatif aux accords verticaux ;
15°/ qu'en affirmant, pour s'opposer au bénéfice d'une exemption, que l'article 1er de la convention du 8 novembre 1994 faisait interdiction de tout approvisionnement par transport roulier ou de l'utilisation de dispositifs de stockage distincts, après avoir constaté que l'obligation d'approvisionnement en cause était limitée aux gammes des catégories de produits transitant ou ayant transité par les installations de stockage et d'ensachage du ciment sur le port de Bastia, ce dont il résultait que ladite convention n'interdisait ni l'approvisionnement par transport roulier ni l'utilisation de dispositifs de stockage distincts à supposer qu'ils existent, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
16°/ qu'en se fondant, pour s'opposer au bénéfice d'une exemption, sur la prétendue gravité des effets de la restriction de concurrence occasionnés par la clause d'approvisionnement litigieuse, tout en constatant qu'au moment où celle-ci avait été mise en oeuvre, la concurrence sur le marché du ciment corse était déjà altérée en raison des spécificités structurelles et techniques d'approvisionnement de celui-ci qui nécessitaient de réaliser des investissements importants, laissant peu de place à la concurrence étrangère, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles L. 420-1, L. 420-4 du code de commerce, 81 § 1 et 81 § 3 du Traité CE ;
17°/ qu'en affirmant, pour considérer que la convention litigieuse faisait obstacle à la vente des ciments étrangers que le respect de la norme AFNOR demeure d'un intérêt secondaire et n'est imposée que pour les marchés publics, tout en constatant une impossibilité pour les concurrents étrangers de pénétrer le marché dans la mesure où ils "se heurtent aux barrières à l'entrée résultant de la norme AFNOR", la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles L. 420-1, L. 420-4 du code de commerce, 81 § 1 et 81 § 3 du Traité CE ;
Mais attendu que l'arrêt constate qu'en l'absence de cimenterie en Corse, tout le ciment qui y est distribué est acheminé par voie maritime, soit par navires rouliers à bord desquels embarquent des camions chargés de ciment généralement conditionné en sacs, soit par navires vraquiers, ce qui nécessite à terre des installations de stockage et d'ensachage du ciment ; que le ciment provenant de France continentale était transporté par navires rouliers jusque dans les années 1960 à partir desquelles les autorités locales et les négociants corses ayant souhaité développer le transport en vrac, des silos ont été construits sur le port de Bastia en Haute-Corse tandis qu'en Corse du Sud, les négociants corses ont construit leurs propres infrastructures ; qu'il précise qu'à la fin des années 1990, plus de 90 % du ciment vendu en Corse était produit sur le continent par les sociétés Lafarge et Vicat, transporté en vrac, à 99 % en 1998, puis stocké et ensaché dans des installations agréées par l'AFNOR, de fait réservées à ces deux sociétés et que c'est à partir de 1995 que sont apparues des importations en Corse de ciment en provenance essentiellement d'Italie et de Grèce, réalisées exclusivement par navires rouliers et ayant représenté en 1998, 8 % des approvisionnements des négociants de Haute-Corse ; qu'il caractérise le marché pertinent comme étant celui de l'approvisionnement en gros du ciment alimentant la Corse, comprenant presque exclusivement des ciments courants, marché sur lequel l'offre a émané en moyenne, de 1999 à 2001, à 93,7 % des cimentiers Lafarge et Vicat et la demande des négociants-grossistes qui ont accès aux infrastructures de stockage et d'ensachage et précise que ce marché se divise, compte tenu des contraintes géographiques de l'île, en zone de 50 à 100 kilomètres autour des six principaux ports Corses ; que, s'agissant des infrastructures du port de Bastia, l'arrêt, statuant par motifs propres et adoptés, expose que la chambre de commerce et d'industrie de Haute-Corse (la CCI), à laquelle l'Etat avait en 1969 octroyé une concession d'outillage public sur le port de Bastia, a, le 27 septembre 1994, conclu avec les producteurs Lafarge et Vicat un "sous-traité d'exploitation" de cet outillage public de stockage et d'ensachage du ciment, assorti d'un protocole d'accord ; qu'aux termes de ces actes, les cimentiers Lafarge et Vicat accordaient à la CCI un prêt remboursable en 30 ans pour financer le réaménagement desdits silos et unité d'ensachage et obtenaient en contrepartie l'exclusivité de leur exploitation avec l'autorisation de subdéléguer cette exploitation au GIE constitué en juin 1993 entre la quasi-totalité des négociants de Haute-Corse pour exploiter les installations de stockage et d'ensachage du port de Bastia ; que, par convention du 8 novembre 1994, les sociétés Lafarge et Vicat ont confié l'exploitation exclusive desdites installations au GIE pendant 30 ans, le GIE prenant en charge le remboursement du prêt consenti à la CCI ; que l'arrêt relève que l'article 1er de la convention du 8 novembre 1994 ne se borne pas, contrairement à ce que soutiennent les parties, à rappeler l'exclusivité d'exploitation dont bénéficient les cimentiers Lafarge et Vicat pour l'utilisation des silos exploités par le GIE dans le port de Bastia, mais met à la charge des négociants de Haute-Corse, membres du GIE, une obligation d'approvisionnement exclusif auprès des cimentiers Lafarge et Vicat pour toutes les gammes des catégories de ciment identiques à ceux transitant ou ayant transité par les silos du port de Bastia, soit principalement les gammes 42,5 et 52,5, qui représentaient, entre 1996 et 1999, respectivement 82 % et 12 % en moyenne des ventes de ciment en Corse et leur interdit donc pour ces gammes tout approvisionnement alternatif même en dehors des silos de Bastia ; que l'arrêt retient que cette clause, en ce qu'elle induit une restriction de la liberté d'approvisionnement des négociants, majeure tant par son champ que par sa durée, a un objet anticoncurrentiel, et ce, indépendamment des contrats administratifs précédemment conclus avec la CCI qui permettaient le maintien d'une concurrence sur le marché de la fourniture de ciment ; qu'il ajoute qu'en imposant aux négociants de Haute-Corse de s'approvisionner exclusivement auprès des cimentiers Lafarge et Vicat, cette clause a notamment eu pour effet de réduire les débouchés des cimentiers grecs et italiens malgré les prix nettement inférieurs du ciment étranger et précise à cet égard que les quantités importées par les négociants, via les ports de Haute-Corse sont demeurées minimes, soit 6 % en 1997, 8 % en 1998 et 4,5 % en 1999, année à partir de laquelle les effets de la clause ont été renforcés par ceux d'une entente distincte, et essentiellement destinées à des revendeurs non spécialisés ; que, pour écarter l'argumentation des parties qui revendiquaient le bénéfice de l'exemption prévue par les articles L. 420-4 du code de commerce et 81 du Traité, l'arrêt relève enfin que les parties n'expliquent pas en quoi l'exclusivité d'approvisionnement des négociants membres du GIE auprès des sociétés Lafarge et Vicat était nécessaire à l'obtention du progrès économique que peut constituer ou apporter le réaménagement du port de Bastia ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié la portée de la convention du 8 novembre 2004, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur les troisième et quatrième moyens du pourvoi formé par la société Lafarge et le quatrième moyen du pourvoi formé par la société Vicat, réunis :
Attendu que ces sociétés font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur recours contre la décision du Conseil retenant un grief d'entente entre elles et le syndicat en signant un protocole le 6 mai 1999, alors, selon le moyen :
1°/ que constitue une obligation d'achat exclusif, toute obligation directe ou indirecte imposant à l'acheteur d'acquérir auprès du fournisseur ou d'une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché pertinent, calculés sur la base de la valeur des achats qu'il a effectués au cours de l'année civile précédente ; qu'en considérant que même si l'expression ne figure pas expressément dans le protocole du 6 mai 1999, l'engagement du syndicat caractérisait un engagement d'approvisionnement exclusif auprès de Lafarge et Vicat, puisqu'il couvrait la quasi-totalité des besoins de ses adhérents, après avoir constaté que, par ce protocole, le syndicat des négociants avait seulement pris acte des engagements des cimentiers envers le transporteur, qu'il ne s'était formellement engagé qu'à favoriser l'acquisition de moyens de stockage par ses membres et qu'en toute hypothèse, ledit protocole n'était pas contraignant envers ses adhérents, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du traité CE, ensemble l'article 1er du règlement n° 2790/1999 du 22 décembre 1999, relatif aux accords verticaux ;
2°/ que constitue une obligation d'achat exclusif, toute obligation directe ou indirecte imposant à l'acheteur d'acquérir auprès du fournisseur ou d'une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché pertinent, calculés sur la base de la valeur des achats qu'il a effectués au cours de l'année civile précédente ; qu'en affirmant que les négociants étaient liés par un engagement d'approvisionnement exclusif conclu par l'intermédiaire de leur syndicat tout en constatant que ces derniers pouvaient s'approvisionner soit auprès de la société Vicat, soit auprès de la société concurrente Lafarge, la cour d'appel a violé de plus fort les articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du traité CE, ensemble l'article 1er du règlement n° 2790/1999 du 22 décembre 1999, relatif aux accords verticaux ;
3°/ qu'un protocole conclu entre un producteur et un syndicat de négociants ne peut caractériser un engagement d'approvisionnement exclusif dès lors qu'en l'absence de tout caractère contraignant, les adhérents de ce syndicat restent libres d'acquérir ou de ne pas acquérir les produits du producteur et de se fournir par ailleurs ; qu'en jugeant néanmoins que le protocole du 6 mai 1999 caractérisait un approvisionnement exclusif des adhérents du syndicat des négociants en matériaux de construction auprès des sociétés Lafarge et Vicat, tandis qu'elle constatait que ce protocole ne contenait aucune formule le rendant juridiquement contraignant, ce dont il résultait que les adhérents du syndicat restaient libres de s'approvisionner auprès de la société Lafarge, de son concurrent Vicat ou auprès d'autres producteurs, peu important qu'ils s'en abstiennent, la cour d'appel a violé les articles 1134 du code civil, L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité CE ;
4°/ que, pour juger que le protocole du 6 mai 1999 caractérisait un approvisionnement exclusif des adhérents du syndicat des négociants en matériaux de construction auprès des sociétés Lafarge et Vicat, la cour d'appel s'est fondée sur l'intention originelle des parties lors des négociations précontractuelles ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'elle constatait que les parties avaient expressément renoncé à signer des contrats d'approvisionnement exclusifs en raison de leur caractère contraire au droit de la concurrence et que le protocole finalement signé ne contenait aucune formule le rendant juridiquement contraignant, ce dont il résultait que les adhérents du syndicat restaient libres de s'approvisionner auprès de la société Lafarge, de son concurrent Vicat ou auprès d'autres producteurs, peu important qu'ils s'en abstiennent, la cour d'appel a violé les articles 1134 du code civil, L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité CE ;
5°/ qu'une entente verticale n'est établie que si les parties y ont librement consenti en vue de limiter l'accès au marché ou à la libre concurrence ; qu'en se bornant à affirmer, pour dire, à l'instar du Conseil de la concurrence, que les membres du syndicat des négociants en matériaux de construction avaient adhéré à l'engagement d'approvisionnement exclusif soi-disant induit du protocole du 6 mai 1999 signé par le syndicat, que nombre de négociants ont d'ailleurs signé individuellement des contrats de dépôt avec les cimentiers, sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si ces contrats de dépôt censés démontrer l'adhésion des négociants au protocole du 6 mai 1999 n'avaient pas été conclus antérieurement à celui-ci et ne visaient pas à garantir le respect de la norme NF ou encore si la société Vicat avait effectivement pris des mesures de représailles à l'égard de ses clients ayant importé du ciment étranger ;
6°/ qu'un protocole dépourvu d'effet contraignant ne peut avoir pour objet ni effet de porter atteinte à la concurrence s'il n'en résulte une éviction des entreprises tierces du marché concerné par ce protocole ; que la cour d'appel a relevé que le transport de ciments par navires vraquiers avait été encouragé par les autorités locales dans les années 1960 (arrêt p. 6, in fine) et bénéficiait d'une subvention étatique (arrêt p. 7, § 4), pour ensuite constater que le transport par navires rouliers avait diminué substantiellement, voire disparu durant la même période (arrêt p. 7, § 5) ; qu'en jugeant néanmoins que l'éviction des concurrents des sociétés LAFARGE et VICAT, qui n'approvisionnaient la Corse que par navires rouliers, résultait du protocole facultatif du 6 mai 1999, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi les articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité CE ;
7°/ qu'en affirmant, pour caractériser les effets anticoncurrentiels du protocole du 6 mai 1999, que "le Conseil de la concurrence avait relevé qu'au cours de la période considérée, soit de 1999 à 2002, date à laquelle (ce) protocole a été dénoncé, les importations de ciments étrangers sont demeurées faibles", tout en constatant non seulement qu'au moment où cette pratique a été mise en oeuvre, la concurrence était déjà altérée pour des raisons structurelles étrangères à l'entente, mais aussi que « le dossier contient peu de données concrètes sur l'état effectif du marché corse après 1999 alors que les requérantes prétendent que les importations de ciments se sont amplement développées à partir de l'année 2000", la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité CE ;
8°/ qu'en affirmant que les sociétés Lafarge et Vicat ne peuvent utilement soutenir que l'objectif de 130 000 tonnes de ciment mentionné au protocole du 6 mai 1999 liant ces sociétés au syndicat des négociants des matériaux de construction, à la suite de la convention maritime du 6 juillet 1998 attribuant pour cinq ans à la Someca l'exclusivité du transport de leur trafic de marchandises, correspondait au tonnage nécessaire à l'équilibre économique du navire vraquier, après avoir constaté que la société Someca qui était bénéficiaire depuis 1986 d'une concession de service public de transport en vrac de ciment, indispensable à la continuité territoriale de la Corse, avait négocié, avant l'expiration de sa concession avec les cimentiers et sous l'égide des pouvoirs publics, une garantie minimale de remplissage des cuves de son navire à hauteur de 130 000 tonnes, assortie du paiement d'une indemnité par tonne manquante en contrepartie de la réorganisation complète du système de desserte de la Corse afin de réduire les coûts et de pallier ainsi à la disparition concomitante des subventions, ce dont il résultait que la garantie minimale de remplissage de 130 000 tonnes était effectivement indispensable à l'équilibre économique du navire assurant la continuité territoriale et avait effectivement permis de réduire le coût du transport, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles L. 420-1, L. 420-4 2° du code de commerce et 81 du Traité CE ;
9°/ que sont exemptées des dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité les pratiques qui ont pour effet d'assurer un progrès économique, dès lors qu'elles ne donnent pas aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause ; qu'en affirmant que les sociétés Lafarge et Vicat ne peuvent utilement soutenir que l'objectif de 130 000 tonnes de ciment mentionné au protocole du 6 mai 1999 liant ces sociétés au syndicat des négociants des matériaux de construction, à la suite de la convention maritime du 6 juillet 1998 attribuant pour cinq ans à la Someca l'exclusivité du transport de leur trafic de marchandises, correspondait au tonnage nécessaire à l'équilibre économique du navire vraquier, après avoir pourtant constaté que la société Someca qui était bénéficiaire depuis 1986 d'une concession de service public de transport en vrac de ciment, indispensable à la continuité territoriale de la Corse, avait négocié, avant l'expiration de sa concession avec les cimentiers et sous l'égide des pouvoirs publics, une garantie minimale de remplissage des cuves de son navire à hauteur de 130 000 tonnes, assortie du paiement d'une indemnité par tonne manquante en contrepartie de la réorganisation complète du système de desserte de la Corse afin de réduire les coûts et de pallier ainsi à la disparition concomitante des subventions, ce dont il résultait que la garantie minimale de remplissage de 130 000 tonnes était effectivement indispensable à l'équilibre économique du navire assurant la continuité territoriale et avait effectivement permis de réduire le coût du transport, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles L. 420-1, L. 420-4 2° du code de commerce et 81 du Traité CE ;
10°/ que, pour caractériser les effets anticoncurrentiels du protocole de 1999, la cour d'appel, qui n'a pas contredit le progrès économique résultant de cet accord tenant au maintien de l'approvisionnement de la Corse en ciment à prix constant nonobstant la suppression de la subvention étatique de continuité territoriale, s'est contentée d'affirmer que cet accord était venu anéantir ce qui subsistait de concurrence possible ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'elle avait constaté que, par l'effet d'une politique publique, le transport par navires rouliers avait disparu au profit du transport par navire vraquier avant même l'accord litigieux, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres observations et a violé les dispositions des articles L. 420-4 du code de commerce et 81 § 3 du Traité CE ;
Mais attendu, en premier lieu, que sous couvert de violations de la loi, le moyen ne tend en ses cinq premières branches qu'à remettre en cause l'interprétation souveraine par les juges du fond des dispositions et de la portée du protocole conclu le 6 mai 1999 entre les cimentiers Lafarge et Vicat et le syndicat des négociants en matériaux de construction ;
Attendu, en deuxième lieu, que la cour d'appel ayant caractérisé l'objet anticoncurrentiel des stipulations litigieuses du protocole du 6 mai 1999, le moyen critique, en ses sixième et septième branches des motifs surabondants de l'arrêt ;
Attendu, en troisième lieu, que c'est sans méconnaître les dispositions invoquées que, pour écarter l'argumentation des parties qui sollicitaient le bénéfice d'une exemption individuelle, la cour d'appel, après avoir relevé qu'il résultait du protocole que les quantités de ciment Lafarge et Vicat transportées en dehors du navire de la compagnie Someca étaient comptabilisées dans l'engagement de volume souscrit par le syndicat au nom de ses membres, a retenu par motifs propres et adoptés que l'objectif premier du protocole n'était pas d'optimiser les coûts du transport par la Someca, mais de porter à 130 000 tonnes par an les tonnages vendus par les sociétés Lafarge et Vicat en Corse, quel que soit le mode de transport utilisé ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et attendu que les premier et deuxième moyens du pourvoi formé par la société Vicat ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le cinquième moyen du pourvoi formé par la société Vicat, pris en sa deuxième branche et le cinquième moyen du pourvoi formé par la société Lafarge, pris en sa deuxième branche, réunis :
Vu les articles 82 du Traité CE et L. 420-2 du code de commerce ;
Attendu que, pour dire que les sociétés Lafarge et Vicat détenaient une position dominante collective sur le marché de gros de l'approvisionnement de la Corse en ciment, l'arrêt relève que les liens qui unissaient ces sociétés résultent des contrats qu'elles ont signés conjointement, contrats dont la mise en oeuvre à l'égard de leurs clients, de leurs concurrents et des consommateurs traduit que ces deux entreprises se présentaient sur le marché de l'approvisionnement en gros de la Corse en ciment comme une entité collective pratiquant une stratégie commune et ajoute que la structure du marché rendait possible une telle domination collective ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si, en l'absence d'ententes conclues avec leurs clients, les sociétés Lafarge et Vicat auraient disposé en commun de la possibilité de se comporter sur le marché en cause, dans une mesure appréciable, de façon indépendante vis-à-vis de leurs concurrents, de leurs clients et des consommateurs, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs formulés par les cinquièmes moyens des pourvois :
CASSE ET ANNULE, en ses seules dispositions relatives à l'abus de position dominante collective et aux sanctions y afférent, l'arrêt rendu le 6 mai 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne les sociétés Lafarge et Vicat aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Vu l'article R. 470-2 du code de commerce, dit que sur les diligences du directeur de greffe de la Cour de cassation, le présent arrêt sera notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception, à la Commission européenne, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'économie ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits au pourvoi n° H 08 15.609 par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils pour la société Vicat.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir réformé la décision n° 07-D-08 du Conseil de la concurrence, mais seulement en son article 7 relatif au quantum de la sanction prononcée contre la société Vicat pour en réduire le montant de 8 millions d'euros à 4,5 millions d'euros, après avoir notamment rejeté l'exception de prescription ;
AUX MOTIFS QUE sur la prescription, les sociétés Lafarge et Vicat prétendent les faits prescrits au motif qu'aucun acte tendant à la recherche, la constatation ou la sanction des faits dont le Conseil a été saisi le 6 juin 2000 n'a été accompli pendant trois ans, la demande de renseignements adressée aux parties par le rapporteur le 10 avril 2003 étant inopérante en ce qu'elle avait manifestement pour seul objet d'interrompre le délai de prescription qui venait à son terme ; que le rapporteur désigné pour une affaire dispose, en application de l'article L.450-1 du code de commerce, du pouvoir de procéder aux enquêtes nécessaires à l'application des dispositions du livre IV dudit code ; qu'il en résulte qu'une demande de renseignements adressée par ce rapporteur aux entreprises mises en cause quant à leur situation juridique et financière, qui tend à la recherche, à la constatation ou à la sanction des faits dénoncés dans la saisine du Conseil de la concurrence que ce rapporteur est chargé d'instruire, est un acte interruptif de prescription ;
ALORS QUE seul un acte positif émanant de l'autorité de concurrence ou de la partie poursuivante tendant directement et effectivement à la recherche à la constatation ou à la sanction de pratiques anticoncurrentielles est interruptif de prescription ; qu'ainsi seuls les actes accomplis par le rapporteur tendant à faire progresser l'instruction sont interruptifs de prescription ; qu'en se bornant à affirmer qu'une demande de renseignement tend à la recherche à la constatation ou à la sanction des faits dénoncés, sans rechercher comme elle y avait été invitée si les renseignements demandés ne figuraient pas déjà au dossier d'instruction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 462-7 ancien du Code de commerce et 6 §1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir réformé la décision n° 07-D-08 du Conseil de la concurrence, mais seulement en son article 7 relatif au quantum de la sanction prononcée contre la société Vicat pour en réduire le montant de 8 millions d'euros à 4,5 millions d'euros, après avoir notamment refusé d'annuler la décision du Conseil de la concurrence ;
AUX MOTIFS QUE sur la durée excessive de la procédure, faisant valoir que le Conseil s'est prononcé plus de sept ans après la saisine du ministre et plus de huit ans après les premières enquêtes menées en septembre 1999 par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, les sociétés Lafarge et Vicat poursuivent l'annulation de la décision, subsidiairement la réduction du montant de l'amende, pour violation du délai raisonnable de la procédure prévu par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que la société Lafarge souligne que ce délai, qui n'a pas servi à réunir des éléments plus précis sur les prix pratiqués avant, pendant et après les pratiques incriminées, ni pour quantifier le dommage à l'économie, est imputable à la seule négligence du Conseil et ajoute que cette durée l'a privée de la possibilité de se défendre utilement, son personnel ayant été renouvelé depuis la période considérée et l'essentiel des documents utiles, notamment les notes internes ou les lettres expliquant le choix du transport par bateaux vraquiers, comme l'objectif de 130.000 tonnes convenu avec la Someca en 1998, n'étant plus en sa possession, et ce, d'autant que les discussions avec ses partenaires locaux ont commencé dès la fin des années 1980, s'agissant de l'exploitation des installations à Bastia, et dès 1997 s'agissant de la mise en place d'une nouvelle desserte maritime, soit bien avant les premières investigations qui ont été menées dans ses locaux en septembre 1999 ; que, de son côté, la société Vicat précise qu'elle n'est plus en mesure de produire des estimations fiables des importations sur le marché en Corse à l'époque des faits ; que la méconnaissance du délai raisonnable prescrit par la Convention invoquée – lequel doit s'apprécier au regard de l'ampleur et de la complexité de l'affaire – n'est sanctionnée que par la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi et demeure sans effet sur la validité de la procédure, à moins que les entreprises ne démontrent concrètement en quoi les délais de la procédure ont porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense ; qu'en l'espèce, en admettant qu'en dépit de la complexité évidente des faits, qui a donné lieu à notification d'une dizaine de griefs et à des investigations multiples, notamment en matière de prix, le délai pour venir à bout de la procédure devant le Conseil de la concurrence apparaisse d'ores et déjà excessif, force est de constater que les sociétés Lafarge et Vicat, qui ne précisent pas quels éléments exacts leur feraient défaut, ne démontrent pas en quoi cette durée aurait porté concrètement atteinte à l'exercice de leur défense, alors au surplus qu'ayant eu connaissance, dès les mois de juin et juillet 1999, de l'enquête en cours, notamment des visites et saisies autorisées judiciairement qui visaient expressément l'approvisionnement et la commercialisation du ciment en Corse, il leur appartenait de conserver tous les éléments s'y rapportant et qu'elles l'ont apparemment fait, puisqu'elles ont été en mesure de verser aux débats de nombreux documents, contemporains des pratiques qui leur sont reprochées, au soutien de leur défense ;
ET AUX MOTIFS ENFIN QUE (…) le dossier contient peu de données concrètes sur l'état du marché effectif du marché corse après 1999 alors que les requérantes prétendent que les importations de ciment se sont amplement développées à partir de 2000 (…) (arrêt p. 14, alinéa 2) ;
1°) ALORS QU'à l'appui de sa demande en annulation de la procédure, la société Vicat avait précisément soutenu que la durée excessive de la procédure avait rendue impossible toute estimation fiable des importations au moment des faits ; que tout en admettant que l'inobservation du délai raisonnable prescrit par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pouvait conduire à l'annulation de la procédure lorsque sa durée excessive avait irrémédiablement privé les entreprises mises en cause des moyens de se défendre, l'arrêt attaqué a reproché à la société Vicat de ne pas préciser quels éléments exacts lui feraient défaut ; qu'en statuant de la sorte, tout en constatant que la société Vicat avait précisé qu'elle n'était plus en mesure de produire des estimations fiables des importations sur le marché en Corse à l'époque des faits - élément pourtant indispensable à l'appréciation d'une exclusivité alléguée d'approvisionnement -, la cour d'appel qui a méconnu les termes du litige a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en affirmant qu'ayant eu connaissance, dès 1999, de l'enquête en cours, il appartenait à la société Vicat de conserver tous les éléments s'y rapportant ce qu'elle avait apparemment fait, quand les documents relatifs aux importations à l'époque des faits n'ont jamais été en sa possession et ne pouvaient être obtenus qu'auprès des concurrents étrangers, la cour d'appel qui a statué par des motifs impropres à établir que la société Vicat n'avait pas été privée de la possibilité de se défendre utilement, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 §1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir réformé la décision n° 07-D-08 du Conseil de la concurrence, mais seulement en son article 7 relatif au quantum de la sanction prononcée contre la société Vicat pour en réduire le montant de 8 millions d'euros à 4,5 millions d'euros, confirmant ainsi la décision du Conseil de la concurrence en ce qu'elle avait notamment considéré que les sociétés Vicat, Lafarge et le GIE Ciment de Haute Corse ont enfreint les dispositions des articles L 420-1 du code de commerce et 81 du traité CE en signant une convention de subdélégation de l'exploitation des infrastructures de stockage du Port de Bastia ;
AUX MOTIFS QUE le ciment est un produit dérivé d'un produit intermédiaire, le « clinker », mélangé à d'autres substances, dont les propriétés varient selon les quantités de matières premières utilisées et les méthodes de production choisies ; qu'eu égard à ces différentes propriétés, les autorités communautaires ont mis en place un processus de normalisation des ciments courants qui a abouti en 1992 à la prénorme ENV-197-1 puis en 1995 à la pré-norme ENV-197-2, en vigueur à l'époque des faits, laquelle distingue les ciments courants selon leur composition (ciment Portland, ciment Portland composé, ciment de haut fourneau, ciment pouzzolanique et ciment au laitier et aux cendres) et les répartit en trois classes (32,5 – 42,5 – 52,5) selon la valeur minimale de résistance à la compression mesurée à 28 jours ; qu'il n'existe pas en Corse de cimenterie ou de centre de distribution exploité directement par les cimentiers, de sorte que tout le ciment distribué dans l'île est importé par voie maritime – via les ports de Bastia, Calvi, Ile Rousse, Ajaccio, Porto-Vecchio et Propriano – soit par navires rouliers (autrement dit « rolls », à bord desquels embarquent des camions chargés de ciment, le plus souvent conditionné en sacs), l'avantage de ce mode de transport étant qu'il ne nécessite aucune installation spécifique de stockage-ensachage, ni au port de livraison, ni chez le négociant, soit par navires vraquiers, plus économiques pour les grandes quantités et permettant d'amortir les investissements d'installations de stockage et d'ensachage nécessités sur place ; que ces deux modes de transport sont donc complémentaires, leur utilité dépendant de la quantité transportée et de la disponibilité sur place d'installations cimentières fixes ; qu'à partir des années 60, alors que jusque là, le ciment provenant de France continentale était transporté essentiellement par navires rouliers, les autorités locales et les négociants corses ont souhaité développer le transport en vrac ; que des silos ont été construits sur le port de Bastia tandis que, dans le sud de la Corse, les négociants créaient leurs propres infrastructures de stockage et d'ensachage du ciment ; que, par arrêté ministériel du 30 juillet 1969, l'Etat a octroyé à la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Haute-Corse une concession d'outillage public de 30 ans sur le port de Bastia, en prévoyant la possibilité pour le concessionnaire de confier à un tiers l'exploitation de l'outillage public concédé ; que c'est ainsi que, le 27 septembre 1994, le CCI a conclu avec les producteurs de ciments Lafarge et Vicat un « sous-traité d'exploitation d'un outillage public de stockage et d'ensachage du ciment » (soit 4 silos de stockage d'une capacité individuelle de 800 tonnes, complétés par une unité d'ensachage) pour une durée de 5 ans, renouvelable à compter du 1er septembre 1999 pour une durée minimale de 25 ans, prévoyant en son article XI une faculté de subdélégation de tout ou partie de l'exploitation des installations en cause au GIE Groupement Logistique Ciments Haute-Corse, qui avait été constitué le 20 juin 1993 pour l'exploitation logistique des installations de réception et de distribution du ciment admis à la marque « NF liants hydrauliques » ; que, le même jour, a été signé un protocole d'accord en vertu duquel les producteurs de ciment participaient au financement du réaménagement des installations de réception, soit de stockage et d'ensachage, et de distribution sur le port de Bastia, en accordant à la CCI un prêt de 15 millions de francs au taux de 7 %, remboursable en 30 annuités de 1.208.796 francs ; que par convention de subdélégation du 8 novembre 1994, les sociétés Lafarge et Vicat ont confié l'exploitation exclusive des installations du port de Bastia au GIE Groupement Logistique Ciments Haute-Corse pendant 30 ans, lequel prenait en charge le paiement des annuités de remboursement du prêt sus-mentionné (…) (arrêt p. 6 et 7) ;
QU'eu égard aux caractéristiques structurelles du marché du ciment en Corse (consommation locale faible, clientèle fractionnée, impossibilité pour les navires vraquiers classiques de plus de 3000 tonnes d'accoster sur les ports corses en raison des tirants d'eau et de la longueur des quais, absence d'infrastructures d'accueil pour les cimentiers étrangers, norme NF exigeant le stockage et l'ensachage dans des établissements agréés par l'AFNOR, de fait réservés aux sociétés Lafarge Ciments et Vicat), l'offre émane essentiellement des producteurs de ciments Lafarge et Vicat (93,7 % de 1999 à 2001), le surplus provenant des tonnages d'origine étrangère transportés par navires rouliers ; que ces importations de ciment en provenance d'autres Etats membres, essentiellement d'Italie (en particulier de Sardaigne) et de Grèce, apparues en 1995, sont réalisées par des transporteurs étrangers et concernent donc principalement du ciment en sacs, bénéficiant de la norme européenne ENV-197-1 mais pas de la norme AFNOR NF P 15 300 « Liants hydrauliques », s'agissant des marques suivantes :Intertitan Emporiki Diethenis (Grèce) Ceme.Co Pporto Torres (Sardaigne) Capolino Sassari (Sardaigne) Nueva Capolino Sassari (Sardaigne) Cemento Pisano Orciano Pisano (Italie) ; que la demande émane essentiellement des négociants-grossistes (82 millions d'euro de chiffre d'affaires en 1998), seuls aptes à procéder sur place à l'ensachage ou au stockage indispensables pour le ciment en vrac qui représente 97 % du ciment transporté de France continentale vers le territoire corse ; qu'à l'exception des négociants Corse Carrelage et Baticash à Bastia, Pierreti à Propriano, Padrona et Ceccaldi à Ajaccio, ces distributeurs se sont regroupés le 30 octobre 1997 au sein du Syndicat des négociants en matériaux de construction, ayant pour objet la défense des intérêts matériels et moraux de ses membres ainsi que l'étude en commun de tous les sujets se rapportant à l'exercice de la profession de négociants et distributeurs de matériaux sur le territoire corse ; que les parties ne discutent pas les motifs par lesquels le Conseil a considéré, en premier lieu, que le marché pertinent est celui des ciments courants, sans qu'il soit besoin de segmenter le marché en fonction des caractéristiques des ciments vendus en Corse, la concurrence entre producteurs de ciment français, italiens ou grecs s'exerçant sur les mêmes types de produits, en second lieu, qu'en raison des caractéristiques géographiques du territoire corse (relief accidenté – réseau routier sinueux) et des spécificités du ciment (produit pondéreux et semi-périssable qui ne peut être transporté sans surcoût significatif sur une distance supérieure à 30-80 km), ce marché se divise naturellement en zones de 50 à 100 kilomètres autour des grands ports de l'île cités ci-avant ; qu'enfin, les pratiques ont concerné le marché amont de l'approvisionnement en gros et le marché aval de détail du ciment en Corse (arrêt p. 7, dernier alinéa et p. 8) ;
AUX MOTIFS ENCORE QUE sur le grief d'entente entre Lafarge, Vicat et le GIE Groupement Logistique Ciments Haute-Corse au moyen de la subdélégation du 8 novembre 1994 ; que, par cette convention, conclue pour une durée de trente ans devant s'achever le 30 août 2024, les cimentiers Lafarge et Vicat – qui avaient financé, par le biais d'un prêt consenti à la CCI, le réaménagement des installations dans le cadre de la restructuration du port en contrepartie de la concession d'exploitation des installations en cause – ont concédé à leur tour l'exploitation exclusive des installations de stockage et d'ensachage du ciment sur le port de Bastia au GIE Groupement Logistique Ciments Haute-Corse, contre paiement par celui-ci à la CCI, à la fois de la redevance d'usage convenue dans le sous-traité d'exploitation du 27 septembre 1994 et des annuités de remboursement du prêt, d'un montant de 1.208.796 francs ; que le GIE, qui constituait un intermédiaire obligé pour les négociants installés en Haute-Corse ne disposant pas d'installations alternatives sur le port de Bastia, regroupait la quasi-totalité des négociants de Haute-Corse ; qu'en pratique, ses adhérents venaient s'approvisionner sur le port comme à une usine ou à un dépôt de ciment décentralisé, chaque enlèvement de ciment donnant lieu à facturation au négociant, par le GIE, de sa propre prestation de stockage et d'ensachage, et par les cimentiers concernés du prix du produit rendu au port de Bastia, les cimentiers se chargeant aussi de la gestion des stocks ; qu'en vertu de l'article 1er de cette convention, le GIE s'est également engagé, en qualité de porte-fort, « en contrepartie de l'octroi de l'exploitation exclusive des installations de ciments », « à ce que ses membres s'approvisionnent exclusivement auprès de Ciments Lafarge et Vicat, pour les gammes des catégories de produits transitant ou ayant transité par les installations faisant l'objet du présent contrat », « cet engagement d'approvisionnement exclusif constitu ant une condition essentielle sans laquelle Lafarge et Vicat n'accepteraient pas d'octroyer l'exclusivité de l'exploitation des installations » ; que cette clause, dont les termes sont, contrairement à ce que soutiennent les requérants, exempts d'ambiguïté, met à la charge de l'ensemble des négociants de Haute-Corse une obligation d'approvisionnement exclusif auprès de Lafarge et Vicat, pendant une durée de trente ans, pour toutes les gammes transitant ou ayant transité par les silos – soit principalement les gammes 42,5 et 52,5 qui représentent la majeure partie du ciment vendu en Corse – et leur interdit donc tout approvisionnement alternatif s'agissant de ces gammes ; qu'elle est d'autant plus contraignante pour ces négociants que le GIE était simultanément tenu au paiement des échéances du prêt accordé par Vicat et Lafarge, cette circonstance expliquant les interventions du GIE auprès de ses adhérents en vue de la faire respecter (notamment envers Brico-Balagne et ETM, relatés aux points 54 à 59 de la décision), et privant de pertinence l'argument des requérants selon lequel elles sont étrangères à ces pressions, qui relèvent des seules relations du GIE avec ses adhérents ; que cette clause, qui induit une restriction de la liberté d'approvisionnement des négociants majeure, tant par son champ que par sa durée, a donc un objet anticoncurrentiel et ce, indépendamment des contrats administratifs précédemment conclus avec la CCI, qui n'excluaient pas au contraire le maintien d'une concurrence sur le marché de la fourniture de ciment ; qu'il n'importe qu'elle n'ait pas été appliquée strictement, comme le font valoir les requérantes en se fondant sur le tableau reproduit au point 20 de la décision, selon lequel quelques entreprises en Haute-Corse ont néanmoins persisté à recourir à un approvisionnement importé ; que d'ailleurs, ce tableau confirme les appréciations du Conseil selon lesquelles la clause a déployé des effets anticoncurrentiels en ce qu'elle a réduit sensiblement les débouchés des autres fournisseurs de ciment ; grecs ou italiens, les quantités importées par les négociants via les ports de Haute-Corse étant demeurées minimes (6 % en 1997, 8 % en 1998 et 4,5 % en 1999, année à partir de laquelle la pratique dont s'agit s'est cumulée avec celle examinée ci-dessous et essentiellement destinées à des revendeurs non spécialisés (Corse Carrelage, Baticash) ; qu'enfin es requérantes ne sauraient utilement revendiquer pour cette pratique le bénéfice de l'exemption prévue aux articles 81, § 3 du Traité CE et L.420-4, 2° du code de commerce dès lors, d'une part, qu'ainsi qu'il vient d'être vu, la clause dont s'agit leur donnait la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause, en particulier en cantonnant au minimum l'approvisionnement par rolls en provenance d'Italie ou de Grèce qui, quoique limité, était susceptible de se développer davantage et d'exercer une pression concurrentielle significative, notamment sur les prix, et, d'autre part, qu'elles n'expliquent pas en quoi cette restriction de concurrence était indispensable pour atteindre les objectifs de progrès économique qu'elles invoquent, à savoir le réaménagement des installations de Bastia dont le financement était, au final, entièrement pris en charge par le GIE, la rationalisation des infrastructures du port de Bastia eu égard aux opérations de nettoyage des silos à effectuer en cas de stockage de ciments différents, dénuée de lien avec l'interdiction de tout approvisionnement par transport roulier ou de l'utilisation de dispositifs de stockage distincts, le respect de la traçabilité des produits et de la norme AFNOR, que l'approvisionnement en transport roulier ne compromet pas nécessairement et qui demeure d'un intérêt secondaire dès lors que le respect de la norme AFNOR n'est imposé que pour les marchés publics, et les économies de coût pour les négociants, alors que les ciments étrangers sont vendus à des prix nettement plus bas (- 20 %) ; que, de toute façon, le Conseil objecte avec pertinence que ces gains d'efficience, à les supposer établis, ne seraient pas suffisants pour contrebalancer les effets d'une restriction de concurrence aussi grave et longue ; qu'il suit de là que c'est par de justes motifs que la cour adopte que le Conseil a déclaré ce grief établi ; que toutefois, il résulte des documents produits, par la société Lafarge notamment , que, de nouvelles dispositions ayant été adoptées avec la CCI de Bastia, la convention de subdélégation est devenue caduque à compter du 31 décembre 2004, de sorte que la durée effective de la pratique a été de dix ans et non de douze ans (…) (arrêt p. 8 à 10) ;
QUE (…) la structure du marché en cause qui rend possible une telle domination collective, soit un marché duopolistique dont la transparence permet à chacun des membres du duopole de connaître, de manière suffisamment précise et immédiate, l'évolution du comportement de l'autre sur ce marché, les capacités de représailles de chacun d'entre eux les incitant à ne pas s'écarter de la ligne de conduite commune sur le marché, et l'impossibilité pour les concurrents (dont la part de marché en l'espèce est inférieure à 10 % et qui se heurtent aux barrières à l'entrée résultant de la norme AFNOR et des capacités du transport par rolls limitées par les clauses d'exclusivité liant leurs clients éventuels) comme pour les partenaires commerciaux, tenus par les engagements d'exclusivité déjà consentis, et les utilisateurs finals trop peu nombreux pour contester efficacement cette domination, de remettre en cause les résultats attendus de la ligne d'action commune (…) (arrêt p. 12, alinéa 2) :
ET AUX MOTIFS ENFIN. sur les sanctions (…) qu'il est constant qu'au moment où les pratiques ont été mises en oeuvre, la concurrence en Corse sur le marché de gros de l'approvisionnement en ciment était déjà sérieusement altérée pour les raisons suivantes : barrières à l'entrée liées à la nécessité du transport maritime et au respect de la norme NF, le processus de normalisation européenne n'ayant pas encore déployé son plein effet, déséquilibre concurrentiel préexistant du fait de la subvention publique bénéficiant aux seuls opérateurs nationaux, supprimée afin de respecter la réglementation européenne relative aux aides d'Etat, intégration dans le périmètre des activités des cimentiers Lafarge et Vicat des installations de stockage et d'ensachage de Bastia, concédée par la CCI de Bastia, accords d'exclusivité passés par ces deux cimentiers avec le transporteur Someca ; que cette situation était la conséquence des deux crises graves qui ont successivement affecté le marché de l'approvisionnement en gros du ciment en Corse, soit la menace de la disparition des installations de stockage et d'ensachage du port de Bastia et la suppression de la subvention publique du transport maritime pour l'île, qui ont pu être surmontées grâce à l'intervention, encouragée voire voulue par les pouvoirs publics, des deux cimentiers Lafarge et Vicat, lesquels ont obtenu en contrepartie l'exclusivité de l'exploitation des installations de réception maintenues grâce à eux à Bastia et du transport par le navire qu'ils avaient affrété, soit le contrôle de deux infrastructures d'un intérêt majeur pour le marché de l'approvisionnement du ciment en Corse ; que les sociétés Lafarge et Vicat ont profité de cette position privilégiée pour mettre en oeuvre des pratiques d'ententes qui, horizontales entre elles, devenaient verticales dès lors qu'y étaient associés, d'un côté, le GIE regroupant les négociants de Haute-Corse, de l'autre, le Syndicat des négociants en matériaux de construction, avec la circonstance que les accords d'exclusivité consentis par le GIE et le syndicat ont eu pour effet supplémentaire de limiter entre leurs membres la concurrence par les prix qui aurait pu s'instituer du fait des prix plus bas des ciments importés, et se sont appuyées sur la domination qu'elles étaient ainsi parvenues à s'octroyer pour accorder des remises fidélisantes aux négociants réputés ne pas importer de ciment étranger ; qu'en agissant ainsi, allant au-delà de ce qui était justifié par les investissements qu'elles avaient consentis, elles ont cherché à verrouiller totalement le marché, à seule fin de tirer le maximum de profit des risques qu'elles avaient pris, ce qui caractérise la gravité des pratiques qui leur sont imputées ; que cependant, il doit être relevé à leur décharge que l'avantage concurrentiel dont elles bénéficiaient préalablement en contrepartie de leurs investissements laissait peu de place à la concurrence étrangère, de sorte que le dommage à l'économie n'a pu être que limité, étant observé d'ailleurs que le dossier contient peu de données concrètes sur l'état effectif du marché corse après 1999 alors que les requérantes prétendant que les importations de ciment se sont amplement développées à partir de 2000 ; qu'au demeurant si le Conseil a relevé que les prix des concurrents étrangers – pour du ciment ne bénéficiant d'ailleurs pas de la norme NF – étaient inférieurs de 20 % aux prix moyens pratiqués par Lafarge et Vicat en Corse du Sud, lesquels étaient encore inférieurs de 30 % à ceux que les cimentiers eux-mêmes ont pratiqués en Haute-Corse entre 1997 et 1999, là où l'intégration de la chaîne « production-transport-stockage-ensachage » sous leur contrôle était la plus accomplie, les requérantes persistent à soutenir, sans être contredites, que les prix qu'elles ont pratiqués sur le marché corse, hors transport, étaient inférieurs à ceux qu'elles pratiquaient simultanément en France continentale, sans que les raisons de cette situation paradoxale aient pu être expliquées ; qu'en tenant compte de ces éléments, et également de la dimension du marché affecté et de sa valeur (10 millions d'euros), de la durée des pratiques, légèrement moins longue que ce que la décision retient (10 ans pour la subdélégation en Haute-Corse, 3 ans pour le protocole avec le syndicat et six mois pour les remises, dont l'attribution n'a pas été strictement limitée aux négociants « fidèles »), des rôles respectifs des requérantes et de leurs chiffres d'affaires en France pour l'exercice 2005 (398.808 millions d'euros pour la société Vicat et 881.592 millions d'euros pour la société Lafarge), la cour estime que le principe de proportionnalité commande de réduire les sanctions prononcées, en prononçant contre la société Lafarge une sanction de 10 millions d'euros et contre la société Vicat une sanction de 4,5 millions d'euros (…) ;
1°) ALORS QUE constitue une obligation d'achat exclusif, toute obligation directe ou indirecte imposant à l'acheteur d'acquérir auprès du fournisseur ou d'une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché pertinent, calculés sur la base de la valeur des achats qu'il a effectués au cours de l'année civile précédente ; qu'en affirmant que l'article 1er de la convention de subdélégation du 8 novembre 1994 mettait à la charge de l'ensemble des négociants de Haute Corse une obligation d'approvisionnement exclusif auprès des sociétés Lafarge ou Vicat, après avoir constaté que cette obligation ne portait que sur deux gammes seulement de ciment et que le marché pertinent était, en l'espèce, celui des ciments courants sans qu'il soit besoin de segmenter le marché en fonction des caractéristiques des ciments vendus en cause, ce dont il résultait que la prétendue exclusivité d'approvisionnement ne devait pas être appréciée au regard de deux gammes seulement de ciment, mais en fonction de la totalité des ciments courants substituables entre eux, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles L 420-1 du code de commerce et 81 du traité CE, ensemble l'article 1er du règlement n° 2790/1999 du 22 décembre 1999, relatif aux accords verticaux :
2°) ALORS QUE constitue une obligation d'achat exclusif, toute obligation directe ou indirecte imposant à l'acheteur d'acquérir auprès du fournisseur ou d'une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché pertinent, calculés sur la base de la valeur des achats qu'il a effectués au cours de l'année civile précédente ; qu'en se bornant à affirmer que les gammes 42,5 et 52,5 de ciment, seules visées par le prétendue engagement d'approvisionnement exclusif, représentent la majeure partie du ciment vendu en corse, sans vérifier que ces gammes de ciments représentaient effectivement plus de 80% des achats annuels effectués par les négociants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 420-1 du code de commerce et 81 du traité CE, et 1er du règlement n° 2790/1999 du 22 décembre 1999, relatif aux accords verticaux ;
3°) ALORS QUE constitue une obligation d'achat exclusif, toute obligation directe ou indirecte imposant à l'acheteur d'acquérir auprès du fournisseur ou d'une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché pertinent, calculés sur la base de la valeur des achats qu'il a effectués au cours de l'année civile précédente ; qu'en affirmant que les négociants étaient liés par une clause d'approvisionnement exclusif, tout en constatant que même dans les deux gammes de ciment considérés, ces derniers étaient libres de s'approvisionner soit auprès de la société Vicat, soit auprès de la société concurrente Lafarge, la cour d'appel a violé de plus fort les articles L 420-1 du code de commerce et 81 du traité CE, ensemble l'article 1er du règlement n° 2790/1999 du 22 décembre 1999, relatif aux accords verticaux ;
4°) ALORS QU'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que la convention de subdélégation du 8 novembre 1994 avait été expressément prévue par le contrat administratif du 27 septembre 1994 par lequel la chambre de commerce et d'industrie avait obtenu, en contrepartie d'une exclusivité d'exploitation des installations, l'engagement financier et technique des sociétés Lafarge et Vicat afin d'éviter la disparition des infrastructures de stockage et d'ensachage du port de Bastia présentant un intérêt majeur pour le marché d'approvisionnement du ciment en Corse ; qu'en considérant que la clause litigieuse du contrat de subdélégation était indépendante du contrat administratif antérieur, et ne contribuait pas au progrès économique de la Corse, quand les conventions des 27 septembre et 8 novembre 1994 étaient indivisibles et visaient à garantir le financement et la pérennité d'une installation stratégique pour la Corse, la cour d'appel a violé les articles L 420-1, L 420-4 du code de commerce et 81 du traité CE ;
5°) ALORS QU'en affirmant que la clause litigieuse avait eu des effets anticoncurrentiels en réduisant sensiblement les débouchés des concurrents étrangers tout en constatant qu'au moment où ce contrat a été mis en oeuvre la concurrence en Corse sur le marché de l'approvisionnement en ciment était déjà sérieusement altérée pour des raisons structurelles étrangères à ladite clause, la cour d'appel a violé les articles L 420-1 du code de commerce et 81 du traité CE ;
6°) ALORS QU'en caractérisant l'effet anticoncurrentiel de la convention de subdélégation du 8 novembre 1994 à partir de la seule évolution des importations de ciments en Corse entre 1997 et 1999, quand il lui incombait de comparer les parts de marchés détenues par les cimentiers étrangers avant et après la conclusion de ladite convention de 1994, et jusqu'au terme de ladite convention le 31 décembre 2004, la cour d'appel a violé les articles L 420-1 du code de commerce et 81 du traité CE ;
7°) ALORS QU'une restriction verticale de concurrence doit d'autant plus être exemptée qu'elle est liée à des investissements propres à une relation contractuelle et que sa durée correspond au délai nécessaire pour amortir ces investissements ; qu'en refusant d'exempter la clause litigieuse après avoir constaté que la durée de la convention correspondait précisément à celle du remboursement du prêt octroyé par les sociétés Vicat et Lafarge afin d'assurer le financement d'installations présentant un intérêt majeur pour la Corse, la cour d'appel a violé les articles L 420-1, L 420-4 2° du code de commerce et 81 §1 et §3 du traité CE, ensemble le règlement n°2790/1999 du 22 décembre 1999, relatif aux accords verticaux ;
8°) ALORS QU'en affirmant, pour s'opposer au bénéfice d'une exemption, que l'article 1er de la convention du 8 novembre 1994 faisait interdiction de tout approvisionnement par transport roulier ou de l'utilisation de dispositifs de stockage distincts, après avoir constaté que l'obligation d'approvisionnement en cause était limitée aux gammes des catégories de produits transitant ou ayant transité par les installations de stockage et d'ensachage du ciment sur le port de Bastia, ce dont il résultait que ladite convention n'interdisait ni l'approvisionnement par transport roulier ni l'utilisation de dispositifs de stockage distincts à supposer qu'ils existent, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
9°) ALORS QU'en se fondant, pour s'opposer au bénéfice d'une exemption, sur la prétendue gravité des effets de la restriction de concurrence occasionnés par la clause d'approvisionnement litigieuse, tout en constatant qu'au moment où celle-ci avait été mise en oeuvre, la concurrence sur le marché du ciment corse était déjà altérée en raison des spécificités structurelles et techniques d'approvisionnement de celui-ci qui nécessitaient de réaliser des investissements importants, laissant peu de place à la concurrence étrangère, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles L 420-1, L 420-4 du code de commerce, 81 §1 et 81 §3 du traité CE ;
10°) ALORS QU'en affirmant, pour considérer que la convention litigieuse faisait obstacle à la vente des ciments étrangers que le respect de la norme AFNOR demeure d'un intérêt secondaire et n'est imposée que pour les marchés publics, tout en constatant une impossibilité pour les concurrents étrangers de pénétrer le marché dans la mesure où ils « se heurtent aux barrières à l'entrée résultant de la norme AFNOR », la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles L 420-1, L 420-4 du code de commerce, 81 §1 et 81§3 du traité CE.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir réformé la décision n° 07-D-08 du Conseil de la concurrence, mais seulement en son article 7 relatif au quantum de la sanction prononcée contre la société Vicat pour en réduire le montant de 8 millions d'euros à 4,5 millions d'euros, confirmant ainsi la décision du Conseil de la concurrence en ce qu'elle avait notamment considéré que les sociétés Vicat, Lafarge et le syndicat des négociants de matériaux de construction ont enfreint les dispositions des articles L 420-1 du code de commerce et 81 du traité CE en signant un protocole en date du 6 mai 1999 ;
AUX MOTIFS QUE (…) depuis 1986, le transport du ciment en vrac bénéficiait d'une subvention étatique dans le cadre du « principe de continuité territoriale » ; qu'un contrat de concession de service public, devant expirer le 31 décembre 1998, avait été conclu avec la compagnie de transport Someca Transport (ciaprès Someca) et l'affréteur Pittaluga pour assurer le transport de ciment en vrac entre la Corse et le continent, imposant un nombre minimum de voyages par an et l'obligation de desservir l'ensemble des ports corses, moyennant une subvention d'un montant, entre 1990 et 1998, de 12 à 15 millions de francs par an et ce, jusqu'au 1er juillet 1998 ; qu'avant le terme de ce contrat, des études ont été menées en vue de réorganiser les filières d'approvisionnement en ciment en Corse et, finalement, le 6 juillet 1998, un contrat d'exclusivité a été signé entre Lafarge, Vicat et Someca par lequel cette dernière s'engageait à poursuivre le transport de ciment en vrac à destination de la Corse selon de nouvelles modalités (utilisation d'un seul navire, le Capo Rosso, dont la capacité était portée à 1500 tonnes, remplissage maximal, et non à la carte, des cuves à ciment, diminution du nombre de rotations), les cimentiers garantissant en contrepartie un quota minimum annuel de remplissage des cuves de 130.000 tonnes ; que ces nouvelles dispositions ont eu pour effet de ramener le prix du transport par tonne de ciment à 153 F (Vicat) ou 178,50 F (Lafarge) au lieu de 245 F sous le régime précédent, ces économies permettant de compenser partiellement la perte de la subvention publique de 120 F par tonne ; que c'est dans ces conditions que la structure du marché du transport de ciment s'est profondément modifiée au cours de cette période, le transport roulier diminuant substantiellement voire disparaissant au profit du transport en vrac par le navire de Someca (85 % du total du trafic dans les années 80 contre 99 % en 1998) (…) (arrêt p. 7, alinéas 4 à 6) ;
AUX MOTIFS ENCORE QUE (…). sur le grief d'entente entre Lafarge, Vicat et le Syndicat des négociants en matériaux de construction au moyen du protocole du 6 mai 1999, les sociétés Lafarge et Vicat, qui avaient conclu, le 6 juillet 1998, une « convention maritime » pour une durée de 5 ans avec Someca – par laquelle elles attribuaient à cette dernière l'exclusivité du transport de leur trafic de marchandises depuis le continent vers la Corse, sur la base d'une prévision de marché de 130.000 tonnes annuelles dont elles garantissaient l'obtention sous peine du paiement d'une indemnité de 153 francs par tonne manquante – ont, le 6 mai 1999, après plusieurs mois de négociations, conclu avec le Syndicat des négociants en matériaux de construction un protocole d'accord d'une durée de quatre ans, renouvelable par tacite reconduction, par lequel ce dernier prenait « acte de l'engagement global minimum annuel de 130 000 tonnes de ciment en provenance du port de Nice, par l'utilisation de moyens logistiques exclusifs de la Someca », incluant le paiement par les producteurs d'une indemnité par tonne manquante, et s'engageait « à favoriser – dans le respect et les limites des contraintes réglementaires – l'acquisition et les moyens de stockages par ses membres », cependant que les producteurs, de leur côté, s'engageaient « à déclarer auprès du Syndicat des négociants les tonnages de ciments en sacs ou vrac/roll enlevés dans leurs sites industriels à destination de la région Corse, afin de permettre la comptabilisation de ces tonnages dans les 130 000 tonnes prévues » ; qu'il était aussi précisé que « les producteurs ont signé avec chaque négociant « stockiste-ensacheur » disposant de capacité de stockage sur pied (minimum 500 t) adapté à la norme ciments et optimisant le transport par bateau vraquier, un contrat de dépôt » et que « la rémunération de ce dépôt est convenue au cas par cas en fonction des services rendus par le négociant et de sa capacité de stockage », qu'enfin « les producteurs informeront leurs éventuels nouveaux clients ne disposant pas d'installations de stockage et d'ensachage conforme aux normes AFNOR que la commercialisation de leur produit se fera notamment par l'intermédiaire de négociants stockistes ensacheurs »… ; que, selon les données retenues par le Conseil au terme d'une motivation circonstanciée que la cour fait sienne, le volume total de ciment acheté par les négociants corses était en 1997 de 130 000 tonnes, qu'il a été en 1998 de 132 000 tonnes environ et qu'il était estimé à 135 000 tonnes pour l'année 1999, de sorte que le minimum garanti de 130 000 tonnes représentait lors de la conclusion du protocole plus de 90 % du marché en cause, ce qui avait pour conséquence évidente de restreindre d'autant les possibilités d'importation en provenance de Grèce ou d'Italie ; qu'ainsi, et même si l'expression ne figure pas expressément dans le protocole, cet engagement du syndicat caractérisait un engagement d'approvisionnement exclusif auprès de Lafarge et Vicat, puisqu'il couvrait la quasi-totalité des besoins de ses adhérents ; que d'ailleurs, le Conseil a relevé (points 162 à 166) les échanges de courriers qui ont précédé la signature du protocole et qui attestent de l'intention des parties, à l'origine, de signer des contrats d'approvisionnement exclusif individuels, assortis de remises, auxquels elles ont renoncé en raison des risques qu'ils présentaient au regard du droit de la concurrence, qui s'est reportée sur un contrat collectif, moins explicite (« le syndicat prend acte »), et prévoyant certains avantages commerciaux au profit des négociants « stockistes-ensacheurs » qui assureraient des prestations de stockage et de mise en sac au profit de nouveaux clients de Lafarge et Vicat ne disposant pas d'installations conformes ; qu'il n'importe pour la qualification de l'entente que le protocole ne contienne pas de formule le rendant juridiquement contraignant envers les adhérents dès lors que ces derniers étaient disposés à l'appliquer, nombre d'entre eux ayant d'ailleurs signé individuellement des contrats de dépôt avec les cimentiers ; que les requérantes ne peuvent utilement soutenir que l'objectif de 130.000 tonnes correspondait au tonnage nécessaire à l'équilibre économique du navire, dès lors qu'elles s'engageaient simultanément à signaler au syndicat toute vente hors navire Someca effectuée à partir de leurs sites industriels à destination de la région Corse, «afin de permettre la comptabilisation de ces tonnages dans les 130 000 tonnes prévues », cette stipulation démontrant au contraire que c'était uniquement le montant du marché qui était visé, ce qu'au reste le syndicat a confirmé dans ses observations devant le Conseil, en admettant que « à l'origine, ce chiffre de 130.000 tonnes a été fixé par référence à ce qui correspondait à la consommation totale de la Corse en ciment en 1997 » ; qu'au demeurant, le Conseil a relevé qu'au cours de la période considérée, soit de 1999 à 2002, date à laquelle le protocole a été dénoncé, les importations de ciments étrangers sont demeurées faibles, et n'ont crû que du fait des utilisateurs finals et non des négociants stockistes-ensacheurs adhérents du syndicat signataire ; que le tableau reproduit au point 20 de la décision, qui contredit les allégations des requérantes quant aux importations effectuées après la mise en place de la desserte Someca, révèle d'ailleurs que les importations des négociants en Corse, qui avaient atteint 8,2 % en 1998, sont redescendues à 4,8 % en 1999 ; que ce protocole, par lequel les négociants s'engageaient à s'approvisionner en ciment Lafarge et Vicat pour la totalité de leurs besoins et acceptaient de ne stocker et de n'ensacher que du ciment Lafarge ou Vicat, est venu anéantir ce qui subsistait de concurrence possible sur le marché, notamment en provenance d'Italie ou de Grèce, seuls quelques négociants isolés non membres du syndicat, d'ailleurs, comme l'entreprise Pierretti à Propriano ayant continué à acheter auprès de fournisseurs étrangers ; qu'ayant pour objet et pour effet de confisquer la quasi-totalité du marché de la fourniture de ciment en Corse au profit des sociétés Lafarge et Vicat, il ne peut bénéficier de l'exemption prévue aux articles 81, § 3 du Traité CE et L.420-4, 2° du code de commerce ; qu'il suit de là que c'est à juste titre que le Conseil a retenu ce grief à l'encontre des sociétés Lafarge et Vicat, mais seulement pour une période de trois ans et non de quatre ans, le protocole ayant été dénoncé fin 2002 (…) (arrêt p. 10 et 11) ;
ET AUX MOTIFS ENFIN. sur les sanctions (…) qu'il est constant qu'au moment où les pratiques ont été mises en oeuvre, la concurrence en Corse sur le marché de gros de l'approvisionnement en ciment était déjà sérieusement altérée pour les raisons suivantes : barrières à l'entrée liées à la nécessité du transport maritime et au respect de la norme NF, le processus de normalisation européenne n'ayant pas encore déployé son plein effet, déséquilibre concurrentiel préexistant du fait de la subvention publique bénéficiant aux seuls opérateurs nationaux, supprimée afin de respecter la réglementation européenne relative aux aides d'Etat, intégration dans le périmètre des activités des cimentiers Lafarge et Vicat des installations de stockage et d'ensachage de Bastia, concédée par la CCI de Bastia, accords d'exclusivité passés par ces deux cimentiers avec le transporteur Someca ; que cette situation était la conséquence des deux crises graves qui ont successivement affecté le marché de l'approvisionnement en gros du ciment en Corse, soit la menace de la disparition des installations de stockage et d'ensachage du port de Bastia et la suppression de la subvention publique du transport maritime pour l'île, qui ont pu être surmontées grâce à l'intervention, encouragée voire voulue par les pouvoirs publics, des deux cimentiers Lafarge et Vicat, lesquels ont obtenu en contrepartie l'exclusivité de l'exploitation des installations de réception maintenues grâce à eux à Bastia et du transport par le navire qu'ils avaient affrété, soit le contrôle de deux infrastructures d'un intérêt majeur pour le marché de l'approvisionnement du ciment en Corse ; que les sociétés Lafarge et Vicat ont profité de cette position privilégiée pour mettre en oeuvre des pratiques d'ententes qui, horizontales entre elles, devenaient verticales dès lors qu'y étaient associés, d'un côté, le GIE regroupant les négociants de Haute-Corse, de l'autre, le Syndicat des négociants en matériaux de construction, avec la circonstance que les accords d'exclusivité consentis par le GIE et le syndicat ont eu pour effet supplémentaire de limiter entre leurs membres la concurrence par les prix qui aurait pu s'instituer du fait des prix plus bas des ciments importés, et se sont appuyées sur la domination qu'elles étaient ainsi parvenues à s'octroyer pour accorder des remises fidélisantes aux négociants réputés ne pas importer de ciment étranger ; qu'en agissant ainsi, allant au-delà de ce qui était justifié par les investissements qu'elles avaient consentis, elles ont cherché à verrouiller totalement le marché, à seule fin de tirer le maximum de profit des risques qu'elles avaient pris, ce qui caractérise la gravité des pratiques qui leur sont imputées ; que cependant, il doit être relevé à leur décharge que l'avantage concurrentiel dont elles bénéficiaient préalablement en contrepartie de leurs investissements laissait peu de place à la concurrence étrangère, de sorte que le dommage à l'économie n'a pu être que limité, étant observé d'ailleurs que le dossier contient peu de données concrètes sur l'état effectif du marché corse après 1999 alors que les requérantes prétendant que les importations de ciment se sont amplement développées à partir de 2000 ; qu'au demeurant si le Conseil a relevé que les prix des concurrents étrangers – pour du ciment ne bénéficiant d'ailleurs pas de la norme NF – étaient inférieurs de 20 % aux prix moyens pratiqués par Lafarge et Vicat en Corse du Sud, lesquels étaient encore inférieurs de 30 % à ceux que les cimentiers eux-mêmes ont pratiqués en Haute-Corse entre 1997 et 1999, là où l'intégration de la chaîne « production-transport-stockage-ensachage » sous leur contrôle était la plus accomplie, les requérantes persistent à soutenir, sans être contredites, que les prix qu'elles ont pratiqués sur le marché corse, hors transport, étaient inférieurs à ceux qu'elles pratiquaient simultanément en France continentale, sans que les raisons de cette situation paradoxale aient pu être expliquées ; qu'en tenant compte de ces éléments, et également de la dimension du marché affecté et de sa valeur (10 millions d'euros), de la durée des pratiques, légèrement moins longue que ce que la décision retient (10 ans pour la subdélégation en Haute-Corse, 3 ans pour le protocole avec le syndicat et six mois pour les remises, dont l'attribution n'a pas été strictement limitée aux négociants « fidèles »), des rôles respectifs des requérantes et de leurs chiffres d'affaires en France pour l'exercice 2005 (398.808 millions d'euros pour la société Vicat et 881.592 millions d'euros pour la société Lafarge), la cour estime que le principe de proportionnalité commande de réduire les sanctions prononcées, en prononçant contre la société Lafarge une sanction de 10 millions d'euros et contre la société Vicat une sanction de 4,5 millions d'euros (…) (p. 13 et 14) ;
1°) ALORS QUE constitue une obligation d'achat exclusif, toute obligation directe ou indirecte imposant à l'acheteur d'acquérir auprès du fournisseur ou d'une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché pertinent, calculés sur la base de la valeur des achats qu'il a effectués au cours de l'année civile précédente ; qu'en considérant que même si l'expression ne figure pas expressément dans le protocole du 6 mai 1999, l'engagement du syndicat caractérisait un engagement d'approvisionnement exclusif auprès de Lafarge et Vicat, puisqu'il couvrait la quasi-totalité des besoins de ses adhérents, après avoir constaté que, par ce protocole, le syndicat des négociants avait seulement pris acte des engagements des cimentiers envers le transporteur, qu'il ne s'était formellement engagé qu'à favoriser l'acquisition de moyens de stockage par ses membres et qu'en toute hypothèse, ledit protocole n'était pas contraignant envers ses adhérents, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles L 420-1 du code de commerce et 81 du traité CE, ensemble l'article 1er du règlement n° 2790/1999 du 22 décembre 1999, relatif aux accords verticaux ;
2°) ALORS QUE constitue une obligation d'achat exclusif, toute obligation directe ou indirecte imposant à l'acheteur d'acquérir auprès du fournisseur ou d'une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché pertinent, calculés sur la base de la valeur des achats qu'il a effectués au cours de l'année civile précédente ; qu'en affirmant que les négociants étaient liés par un engagement d'approvisionnement exclusif conclu par l'intermédiaire de leur syndicat tout en constatant que ces derniers pouvaient s'approvisionner soit auprès de la société Vicat, soit auprès de la société concurrente Lafarge, la cour d'appel a violé de plus fort les articles L 420-1 du code de commerce et 81 du traité CE, ensemble l'article 1er du règlement n°2790/1999 du 22 décembre 1999, relatif aux accords verticaux ;
3°) ALORS QU'une entente verticale n'est établie que si les parties y ont librement consenti en vue de limiter l'accès au marché ou à la libre concurrence ; qu'en se bornant à affirmer, pour dire, à l'instar du Conseil de la concurrence, que les membres du syndicat des négociants en matériaux de construction avaient adhéré à l'engagement d'approvisionnement exclusif soi-disant induit du protocole du 6 mai 1999 signé par le syndicat, que nombre de négociants ont d'ailleurs signé individuellement des contrats de dépôt avec les cimentiers, sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si ces contrats de dépôt censés démontrer l'adhésion des négociants au protocole du 6 mai 1999 n'avaient pas été conclus antérieurement à celui-ci et ne visaient pas à garantir le respect de la norme NF ou encore si la société Vicat avait effectivement pris des mesures de représailles à l'égard de ses clients ayant importé du ciment étranger ;
4°) ALORS QU'en affirmant que les sociétés Lafarge et Vicat ne peuvent utilement soutenir que l'objectif de 130.000 tonnes de ciment mentionné au protocole du 6 mai 1999 liant ces sociétés au syndicat des négociants des matériaux de construction, à la suite de la convention maritime du 6 juillet 1998 attribuant pour cinq ans à la Someca l'exclusivité du transport de leur trafic de marchandises, correspondait au tonnage nécessaire à l'équilibre économique du navire vraquier, après avoir constaté que la société Someca qui était bénéficiaire depuis 1986 d'une concession de service public de transport en vrac de ciment, indispensable à la continuité territoriale de la Corse, avait négocié, avant l'expiration de sa concession avec les cimentiers et sous l'égide des pouvoirs publics, une garantie minimale de remplissage des cuves de son navire à hauteur de 130.000 tonnes, assortie du paiement d'une indemnité par tonne manquante en contrepartie de la réorganisation complète du système de desserte de la Corse afin de réduire les coûts et de pallier ainsi à la disparition concomitante des subventions, ce dont il résultait que la garantie minimale de remplissage de 130.000 tonnes était effectivement indispensable à l'équilibre économique du navire assurant la continuité territoriale et avait effectivement permis de réduire le coût du transport, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles L 420-1, L 2° du code de commerce et 81 du traité CE ;
5°) ALORS QU'en affirmant, pour caractériser les effets anticoncurrentiels du protocole du 6 mai 1999, que « le Conseil de la concurrence avait relevé qu'au cours de la période considérée, soit de 1999 à 2002, date à laquelle (ce) protocole a été dénoncé, les importations de ciments étrangers sont demeurées faibles », tout en constatant non seulement qu'au moment où cette pratique a été mise en oeuvre, la concurrence était déjà altérée pour des raisons structurelles étrangères à l'entente, mais aussi que « le dossier contient peu de données concrètes sur l'état effectif du marché corse après 1999 alors que les requérantes prétendent que les importations de ciments se sont amplement développées à partir de l'année 2000 », la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles L 420-1 du code de commerce et 81 du traité CE.
CINQUIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir réformé la décision n° 07-D-08 du Conseil de la concurrence, mais seulement en son article 7 relatif au quantum de la sanction prononcée contre la société Vicat pour en réduire le montant de 8 millions d'euros à 4,5 millions d'euros, confirmant ainsi la décision du Conseil de la concurrence en ce qu'elle avait notamment considéré que les sociétés Vicat et Lafarge ont enfreint les dispositions des articles L 420-2 du code de commerce et 82 du traité CE en abusant d'une position dominante collective sur le marché du ciment corse par octroi de remises de fidélité ;
AUX MOTIFS QUE sur le grief d'abus de position dominante collective de Lafarge et Vicat par octroi de remises fidélisantes de décembre 1997 à mars 1998 puis de juillet à septembre 1998, pour constater l'existence d'une domination collective sur un marché, il est nécessaire d'examiner les liens ou facteurs de corrélation économiques entre les entreprises concernées et, en particulier, de vérifier s'il existe des liens économiques entre ces entreprises qui leur permettent d'agir ensemble indépendamment de leurs concurrents, de leurs clients et des consommateurs ; que, si la seule circonstance que des entreprises soient liées par des accords, comme c'est le cas en l'espèce, ne constitue pas, en soi, un élément suffisant à asseoir une telle constatation, en revanche, la mise en oeuvre de ces accords peut avoir pour conséquence que ces entreprises se sont liées quant à leur comportement sur un marché déterminé de telle sorte qu'elles se présentent sur ce marché come une entité collective à l'égard de leurs concurrents, de leurs partenaires commerciaux et des consommateurs ; que la constatation de l'existence d'une position dominante collective peut donc résulter de la nature et des termes d'un ou de plusieurs accords ainsi que de leur mise en oeuvre et, partant, des liens ou facteurs de corrélation entre entreprises qui en résultent, étant précisé toutefois que l'existence de tels accords ou d'autres liens juridiques n'est pas une condition indispensable à une telle constatation, qui pourrait résulter d'autres facteurs de corrélation relevant d'une appréciation économique et, notamment, d'une appréciation de la structure du marché en cause ; qu'en l'espèce, le Conseil a, à suffisance de droit et par des motifs pertinents qui ne sont pas utilement discutés par les requérantes et que la cour adopte, caractérisé, à la fois, tant les liens qui unissent les sociétés Lafarge et Vicat – qui résultent des nombreux contrats conclus conjointement cités ci-avant – dont la mise en oeuvre à l'égard de leurs clients, de leurs concurrents et des consommateurs traduit que ces deux entreprises se présentaient sur le marché de l'approvisionnement en gros de la Corse en ciment comme une entité collective pratiquant une stratégie commune (constatation que n'invalident pas les variations réciproques de leurs parts de marché), que la structure du marché en cause qui rend possible une telle domination collective, soit un marché duopolistique dont la transparence permet à chacun des membres du duopole de connaître, de manière suffisamment précise et immédiate, l'évolution du comportement de l'autre sur ce marché, les capacités de représailles de chacun d'entre eux les incitant à ne pas s'écarter de la ligne de conduite commune sur le marché, et l'impossibilité pour les concurrents (dont la part de marché en l'espèce est inférieure à 10 % et qui se heurtent aux barrières à l'entrée résultant de la norme AFNOR et des capacités du transport par rolls limitées par les clauses d'exclusivité liant leurs clients éventuels comme pour les partenaires commerciaux, tenus par les engagements d'exclusivité déjà consentis, et les utilisateurs finals trop peu nombreux pour contester efficacement cette domination, de remettre en cause les résultats attendus de la ligne d'action commune ; que sur l'abus c'est également à juste titre et au terme d'une analyse précise des éléments du dossier que la décision retient que tant Vicat que Lafarge ont, entre décembre 1997 et mars 1998, puis de juillet à septembre 1999, accordé aux négociants membres du syndicat les plus susceptibles de faire jouer la concurrence, des remises ciblées (50 F la tonne sous forme d'avoir au mois le mois), dénuées de justification économique, dont le seul objet était de « lutter contre les importations » en récompensant a posteriori ceux qui n'avaient pas importé de ciments étrangers ou qui avaient fortement réduit ces importations, et que ces remises, dont l'objet était clairement anticoncurrentiel et dont l'effet était démultiplié par les volumes concernés, ne pouvaient être efficacement contrebalancées par les fournisseurs étrangers, cantonnés à un rôle d'offreurs marginaux ; qu'il n'importe pour la caractérisation de la pratique que l'attribution de ces remises, dont l'objet était expressément de récompenser les « négociants n'ayant pas acheté de ciments d'importation sur le mois considéré » (point 38) n'ait pas été effectuée strictement et que quelques négociants, comme Meoni, Brico Balagne et ETM, aient perçu cette remise exceptionnelle bien qu'ils eussent continué à importer partie d eleur consommation de ciments, d'autant que le tableau reproduit au point 20 de la décision révèle que, pour ce qui est d'ETM, ce négociant avait réduit ses importations de ciment étranger de plus de 60 % entre 1997 et 1998 et que, de même, l'entreprise Castelli à Porto-Vecchio, à qui Vicat prétend avoir accordé la remise en 1997 et 1998, avait cessé toute importation en 1998 ; qu'ainsi, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le Conseil a décidé que ce grief est établi à l'encontre des requérantes, étant encore observé qu'aucun lien de causalité n'unit cette pratique avec les gains d'efficacité invoqués par Vicat à savoir « la contribution au fonctionnement d'un système d'approvisionnement régulier et continu de la Corse dans lequel Vicat avait massivement investi » ; qu'enfin, les sociétés Lafarge et Vicat ne contestent pas les motifs par lesquels le Conseil a retenu que les pratiques dont s'agit ont affecté le commerce intracommunautaire, de sorte qu'elles sont également prohibées par les articles 81 et du Traité CE ; (p. 11 à 13) ;
ET AUX MOTIFS ENFIN. sur les sanctions (…) qu'il est constant qu'au moment où les pratiques ont été mises en oeuvre, la concurrence en Corse sur le marché de gros de l'approvisionnement en ciment était déjà sérieusement altérée pour les raisons suivantes : barrières à l'entrée liées à la nécessité du transport maritime et au respect de la norme NF, le processus de normalisation européenne n'ayant pas encore déployé son plein effet, déséquilibre concurrentiel préexistant du fait de la subvention publique bénéficiant aux seuls opérateurs nationaux, supprimée afin de respecter la réglementation européenne relative aux aides d'Etat, intégration dans le périmètre des activités des cimentiers Lafarge et Vicat des installations de stockage et d'ensachage de Bastia, concédée par la CCI de Bastia, accords d'exclusivité passés par ces deux cimentiers avec le transporteur Someca ; que cette situation était la conséquence des deux crises graves qui ont successivement affecté le marché de l'approvisionnement en gros du ciment en Corse, soit la menace de la disparition des installations de stockage et d'ensachage du port de Bastia et la suppression de la subvention publique du transport maritime pour l'île, qui ont pu être surmontées grâce à l'intervention, encouragée voire voulue par les pouvoirs publics, des deux cimentiers Lafarge et Vicat, lesquels ont obtenu en contrepartie l'exclusivité de l'exploitation des installations de réception maintenues grâce à eux à Bastia et du transport par le navire qu'ils avaient affrété, soit le contrôle de deux infrastructures d'un intérêt majeur pour le marché de l'approvisionnement du ciment en Corse ; que les sociétés Lafarge et Vicat ont profité de cette position privilégiée pour mettre en oeuvre des pratiques d'ententes qui, horizontales entre elles, devenaient verticales dès lors qu'y étaient associés, d'un côté, le GIE regroupant les négociants de Haute-Corse, de l'autre, le Syndicat des négociants en matériaux de construction, avec la circonstance que les accords d'exclusivité consentis par le GIE et le syndicat ont eu pour effet supplémentaire de limiter entre leurs membres la concurrence par les prix qui aurait pu s'instituer du fait des prix plus bas des ciments importés, et se sont appuyées sur la domination qu'elles étaient ainsi parvenues à s'octroyer pour accorder des remises fidélisantes aux négociants réputés ne pas importer de ciment étranger ; qu'en agissant ainsi, allant au-delà de ce qui était justifié par les investissements qu'elles avaient consentis, elles ont cherché à verrouiller totalement le marché, à seule fin de tirer le maximum de profit des risques qu'elles avaient pris, ce qui caractérise la gravité des pratiques qui leur sont imputées ; que cependant, il doit être relevé à leur décharge que l'avantage concurrentiel dont elles bénéficiaient préalablement en contrepartie de leurs investissements laissait peu de place à la concurrence étrangère, de sorte que le dommage à l'économie n'a pu être que limité, étant observé d'ailleurs que le dossier contient peu de données concrètes sur l'état effectif du marché corse après 1999 alors que les requérantes prétendant que les importations de ciment se sont amplement développées à partir de 2000 ; qu'au demeurant si le Conseil a relevé que les prix des concurrents étrangers – pour du ciment ne bénéficiant d'ailleurs pas de la norme NF – étaient inférieurs de 20 % aux prix moyens pratiqués par Lafarge et Vicat en Corse du Sud, lesquels étaient encore inférieurs de 30 % à ceux que les cimentiers eux-mêmes ont pratiqués en Haute-Corse entre 1997 et 1999, là où l'intégration de la chaîne « production-transport-stockage-ensachage » sous leur contrôle était la plus accomplie, les requérantes persistent à soutenir, sans être contredites, que les prix qu'elles ont pratiqués sur le marché corse, hors transport, étaient inférieurs à ceux qu'elles pratiquaient simultanément en France continentale, sans que les raisons de cette situation paradoxale aient pu être expliquées ; qu'en tenant compte de ces éléments, et également de la dimension du marché affecté et de sa valeur (10 millions d'euros), de la durée des pratiques, légèrement moins longue que ce que la décision retient (10 ans pour la subdélégation en Haute-Corse, 3 ans pour le protocole avec le syndicat et six mois pour les remises, dont l'attribution n'a pas été strictement limitée aux négociants « fidèles »), des rôles respectifs des requérantes et de leurs chiffres d'affaires en France pour l'exercice 2005 (398.808 millions d'euros pour la société Vicat et 881.592 millions d'euros pour la société Lafarge), la cour estime que le principe de proportionnalité commande de réduire les sanctions prononcées, en prononçant contre la société Lafarge une sanction de 10 millions d'euros et contre la société Vicat une sanction de 4,5 millions d'euros (…) (p. 13 et 14) ;
1°) ALORS QUE le juge ne peut caractériser une position dominante collective sans établir que plusieurs conditions cumulatives sont concrètement réunies ; qu'en se bornant à affirmer d'une manière purement abstraite que la structure du marché en cause rend possible une domination collective dans la mesure où il s'agit d'un marché duopolistique dont la transparence permet à chacun des membres du duopole de connaître de manière suffisamment précise et immédiate l'évolution du comportement de l'autre sur ce marché, les capacités de représailles de chacun d'entre eux les incitant à ne pas s'écarter de la ligne de conduite commune sur le marché, sans se livrer, comme elle y avait été expressément invitée, à la moindre analyse concrète du fonctionnement du marché en cause, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L 420-2 du code de commerce et 82 du traité CE ;
2°) ALORS QU'une position dominante collective consiste, pour plusieurs entreprises, non seulement à avoir ensemble, notamment en raison des facteurs de corrélation existant entre elles, le pouvoir d'adopter une même ligne d'action sur le marché, mais encore d'agir dans une mesure appréciable indépendamment des autres concurrents et de leur clientèle et finalement des consommateurs ; qu'en affirmant qu'une position dominante collective pouvait être caractérisée entre les sociétés Vicat et Lafarge sur le marché du ciment en corse, après avoir constaté que ces producteurs avait dû s'entendre avec leur clientèle pour évincer les concurrents étrangers du marché, ce qui suffisait à démontrer qu'ils n'avaient pas pu agir indépendamment de leurs concurrents et plus encore de leur clientèle, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles L 420-2 du code de commerce et 82 du traité CE ;
3°) ALORS QU'une position dominante collective ne peut être caractérisée sans établir que les entreprises concernées se sont présentées sur le marché en cause comme une entité collective à l'égard de leurs concurrents, de leurs partenaires commerciaux et des consommateurs ; qu'en affirmant que les entreprises Vicat et Lafarge se présentaient sur le marché de l'approvisionnement en gros de la Corse en ciment comme une entité collective pratiquant une stratégie commune, tout en constatant que leurs parts de marché respectives étaient variables, ce dont il résultait que les négociants demeuraient libres de s'approvisionner à leur guise auprès de deux entités distinctes, Vicat, ou Lafarge, la cour d'appel a violé de plus fort les articles L du code de commerce et 82 du traité CE ;
4°) ALORS QUE le caractère éventuellement abusif d'un rabais offert par une entreprise en position dominante est apprécié en fonction de l'ensemble des circonstances de fait et notamment de ses modalités concrètes d'attribution ; qu'en affirmant que les remises exceptionnelles octroyées par la société Vicat étaient abusives, qu'elles avaient pour objet de lutter contre les importations et qu'il importait peu que celles-ci aient été attribuées à certains négociants ayant pourtant continué à importer une partie au moins de leur consommation de ciment, la cour d'appel a violé les articles L 420-2 du code de commerce et 81 du traité CE ;
Moyens produits au pourvoi n° J 08 16.094 par la SCP Baraduc et Duhamel, avocat aux Conseils pour la société Lafarge ciments.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
:IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué, réformant la décision du Conseil de la Concurrence, d'avoir prononcé contre la société LAFARGE CIMENTS une sanction pécuniaire de 10 millions d'euros, en retenant notamment un grief d'entente entre LAFARGE, VICAT et le GIE Groupement Logistique Ciment Havre-Corse à raison de la convention de subdélégation de l'exploitation des infrastructures du port de Bastia du novembre 1994.
AUX MOTIFS QUE le ciment est un produit dérivé d'un produit intermédiaire, le "clinker", mélangé à d'autres substances, dont les propriétés varient selon les quantités de matières premières utilisées et les méthodes de production choisies ; qu'eu égard à ces différentes propriétés, les autorités communautaires ont mis en place un processus de normalisation des ciments courants qui a abouti en 1992 à la prénorme ENV-197-1 puis en 1995 à la pré-norme ENV-197-2, en vigueur à l'époque des faits, laquelle distingue les ciments courants selon leur composition (ciment Portland, ciment Portland composé, ciment de haut fourneau, ciment pouzzolanique et ciment au laitier et aux cendres) et les répartit en trois classes (32,5 - 42,5 - 52,5) selon la valeur minimale de résistance à la compression mesurée à 28 jours ; qu'il n'existe pas en Corse de cimenterie ou de centre de distribution exploité directement par les cimentiers, de sorte que tout le ciment distribué dans l'île est importé par voie maritime -via les ports de Bastia, Calvi, Ile Rousse, Ajaccio, Porto-Vecchio et Propriano- soit par navires rouliers (autrement dits "rolls", à bord desquels embarquent des camions chargés de ciment, le plus souvent conditionné en sacs), l'avantage de ce mode de transport étant qu'il ne nécessite aucune installation spécifique de stockage-ensachage, ni au port de livraison, ni chez le négociant, soit par navires vraquiers, plus économiques pour les grandes quantités et permettant d'amortir les investissements d'installations de stockage et d'ensachage nécessités sur place ; que ces deux modes de transport sont donc complémentaires, leur utilité dépendant de la quantité transportée et de la disponibilité sur place d'installations cimentières fixes ; qu'à partir des années 60, alors que jusque là, le ciment provenant de France continentale était transporté essentiellement par navires rouliers, les autorités locales et les négociants corses ont souhaité développer le transport en vrac ; que des silos ont été construits sur le port de Bastia tandis que, dans le sud de la Corse, les négociants créaient leurs propres infrastructures de stockage et d'ensachage du ciment ; que, par arrêté ministériel du 30 juillet1969, l'Etat a octroyé à la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Haute-Corse une concession d'outillage public de 30 ans sur le port de Bastia, en prévoyant la possibilité pour le concessionnaire de confier à un tiers l'exploitation de l'outillage public concédé ; que c'est ainsi que, le 27 septembre 1994, la CCI a conclu avec les producteurs de ciments Lafarge et Vicat un "sous-traité d'exploitation d'un outillage public de stockage et d'ensachage du ciment" (soit 4 silos de stockage d'une capacité individuelle de 800 tonnes, complétés par une unité d'ensachage) pour une durée de 5 ans, renouvelable à compter du 1er septembre 1999 pour une durée minimale de 25 ans, prévoyant en son article XI une faculté de subdélégation de tout ou partie de l'exploitation des installations en cause au GIE Groupement Logistique Ciments Haute-Corse, qui avait été constitué le 20 juin 1993 pour l'exploitation logistique des installations de réception et de distribution du ciment admis à la marque "NF liants hydrauliques" ; que, le même jour, a été signé un protocole d'accord en vertu duquel les producteurs de ciment participaient au financement du réaménagement des installations de réception, soit de stockage et d'ensachage, et de distribution sur le port de Bastia, en accordant à la CCI un prêt de 15 millions de francs au taux de 7 %, remboursable en 30 annuités de 1 208 796 francs ; que par convention de subdélégation du 8 novembre 1994, les sociétés Lafarge et Vicat ont confié l'exploitation exclusive des installations du port de Bastia au GIE Groupement Logistique Ciments Haute-Corse pendant 30 ans, lequel prenait en charge le paiement des annuités de remboursement du prêt sus-mentionné ; que, parallèlement, et depuis 1986, le transport du ciment en vrac bénéficiait d'une subvention étatique dans le cadre du "principe de continuité territoriale" ; qu'un contrat de concession de service public, devant expirer le 31 décembre 1998, avait été conclu avec la compagnie de transport Someca Transport (ci-après Someca) et l'affréteur Pittaluga pour assurer le transport de ciment en vrac entre la Corse et le continent, imposant un nombre minimum de voyages par an et l'obligation de desservir l'ensemble des ports corses, moyennant une subvention d'un montant, entre 1990 et 1998, de 12 à 15 millions de francs par an et ce, jusqu'au 1er juillet 1998 ; qu'avant le terme de ce contrat, des études ont été menées en vue de réorganiser les filières d'approvisionnement en ciment en Corse et, finalement, le 6 juillet 1998, un contrat d'exclusivité a été signé entre Lafarge, Vicat et Someca par lequel cette dernière s'engageait à poursuivre le transport de ciment en vrac à destination de la Corse selon de nouvelles modalités (utilisation d'un seul navire, le Capo Rosso, dont la capacité était portée à 1500 tonnes, remplissage maximal, et non à la carte, des cuves à ciment, diminution du nombre de rotations), les cimentiers garantissant en contrepartie un quota minimum annuel de remplissage des cuves de 130 000 tonnes ; que ces nouvelles dispositions ont eu pour effet de ramener le prix du transport par tonne de ciment à 153F (Vicat) ou 178,50F (Lafarge) au lieu de 245F sous le régime précédent, ces économies permettant de compenser partiellement la perte de la subvention publique de 120F par tonne ; que c'est dans ces conditions que la structure du marché du transport de ciment s'est profondément modifiée au cours de cette période, le transport roulier diminuant substantiellement voire disparaissant au profit du transport en vrac par le navire de Someca (85 % du total du trafic dans les années 80 contre 99 % en 1998) (arrêt p. 6 et 7).
ET QUE, sur le grief d'entente entre Lafarge, Vicat et le GIE Groupement logistique ciments Haute-Corse au moyen de la subdélégation du 8 novembre 1994, par cette convention conclue pour une durée de trente ans devant s'achever le 30 août 2024, les cimentiers Lafarge et Vicat -qui avaient financé, par le biais d'un prêt consenti à la CCI, le réaménagement des installations dans le cadre de la restructuration du port en contrepartie de la concession d'exploitation des installations en cause- ont concédé à leur tour l'exploitation exclusive des installations de stockage et d'ensachage du ciment sur le port de Bastia au GIE Groupement Logistique Ciments Haute-Corse, contre paiement par celui-ci à la CCI, à la fois, de la redevance d'usage convenue dans le soustraité d'exploitation du 27 septembre 1994 et des annuités de remboursement du prêt, d'un montant de 1.208.796 francs ; que le GIE, qui constituait un intermédiaire obligé pour les négociants installés en Haute-Corse ne disposant pas d'installations alternatives sur le port de Bastia, regroupait la quasi-totalité des négociants de Haute-Corse ; qu'en pratique, ses adhérents venaient s'approvisionner sur le port comme à une usine ou à un dépôt de ciment décentralisé, chaque enlèvement de ciment donnant lieu à facturation au négociant, par le GIE, de sa propre prestation de stockage et d'ensachage, et par les cimentiers concernés du prix du produit rendu au port de Bastia, les cimentiers se chargeant aussi de la gestion des stocks ; qu'en vertu de l'article 1er de cette convention, le GIE s'est également engagé, en qualité de porte-fort, "en contrepartie de l'octroi de l'exploitation exclusive des installations de ciments", "à ce que ses membres s'approvisionnent exclusivement auprès de Ciments Lafarge et Vicat, pour les gammes des catégories de produits transitant ou ayant transité par les installations faisant l'objet du présent contrat", "cet engagement d'approvisionnement exclusif constituant une condition essentielle sans laquelle Lafarge et Vicat n'accepteraient pas d'octroyer l'exclusivité de l'exploitation des installations" ; que cette clause, dont les termes sont, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, exempts d'ambiguïté, met à la charge de l'ensemble des négociants de Haute-Corse une obligation d'approvisionnement exclusif auprès de Lafarge et Vicat, pendant une durée de trente ans, pour toutes les gammes transitant ou ayant transité par les silos -soit principalement les gammes 42,5 et 52,5 qui représentent la majeure partie du ciment vendu en Corse et leur interdit donc tout approvisionnement alternatif s'agissant de ces gammes ; qu'elle est d'autant plus contraignante pour ces négociants que le GIE était simultanément tenu au paiement des échéances du prêt accordé par Vicat et Lafarge, cette circonstance expliquant les interventions du GIE auprès de ses adhérents en vue de la faire respecter (notamment envers Brico-Balagne et ETM, relatées aux points 54 à 59 de la décision), et privant de pertinence l'argument des requérantes selon lequel elles sont étrangères à ces pressions, qui relèvent des seules relations du GIE avec ses adhérents ; que cette clause, qui induit une restriction de la liberté d'approvisionnement des négociants majeure, tant par son champ que par sa durée, a donc un objet anticoncurrentiel et ce, indépendamment des contrats administratifs précédemment conclus avec la CCI, qui n'excluaient pas au contraire le maintien d'une concurrence sur le marché de la fourniture de ciment ; qu'il n'importe qu'elle n'ait pas été appliquée strictement, comme le font valoir les requérantes en se fondant sur le tableau reproduit au point 20 de la décision, selon lequel quelques entreprises en Haute-Corse ont néanmoins persisté à recourir à un approvisionnement importé ; que d'ailleurs, ce tableau confirme les appréciations du Conseil selon lesquelles la clause a déployé des effets anticoncurrentiels en ce qu'elle a réduit sensiblement les débouchés des autres fournisseurs de ciment, grecs ou italiens, les quantités importées par les négociants via les ports de Haute-Corse étant demeurées minimes (6% en 1997, 8% en 1998 et 4,5% en 1999, année à partir de laquelle la pratique dont s'agit s'est cumulée avec celle examinée ci-dessous) et essentiellement destinées à des revendeurs non spécialisés (Corse Carrelage, Baticash) (arrêt p. 8 et 9).
ET QUE, sur les sanctions, il est constant qu'au moment où les pratiques ont été mises en oeuvre, la concurrence en Corse sur le marché de gros de l'approvisionnement en ciment était déjà sérieusement altérée pour les raisons suivantes :- barrières à l'entrée liées à la nécessité du transport maritime et au respect de la norme NF, le processus de normalisation européenne n'ayant pas encore déployé son plein effet,- déséquilibre concurrentiel préexistant du fait de la subvention publique bénéficiant aux seuls opérateurs nationaux, supprimée afin de respecter la réglementation européenne relative aux aides d'Etat,- intégration dans le périmètre des activités des cimentiers Lafarge et Vicat des installations de stockage et d'ensachage de Bastia, concédée par la CCI de Bastia,- accords d'exclusivité passés par ces deux cimentiers avec le transporteur Someca ;que cette situation était la conséquence des deux crises graves qui ont successivement affecté le marché de l'approvisionnement en gros du ciment en Corse, soit la menace de la disparition des installations de stockage et d'ensachage du port de Bastia et la suppression de la subvention publique du transport maritime pour l'île, qui ont pu être surmontées grâce à l'intervention, encouragée voire voulue par les pouvoirs publics, des deux cimentiers Lafarge et Vicat, lesquels ont obtenu en contrepartie l'exclusivité de l'exploitation des installations de réception maintenues grâce à eux à Bastia et du transport par le navire qu'ils avaient affrété, soit le contrôle de deux infrastructures d'un intérêt majeur pour le marché de l'approvisionnement du ciment en Corse (arrêt p.13).
ALORS QUE, D'UNE PART, une clause d'approvisionnement ne peut avoir pour objet ou effet de porter atteinte à la concurrence que s'il en résulte, pour le négociant qui s'engage à s'approvisionner auprès du producteur, une interdiction de se fournir par ailleurs pour le produit considéré ; qu'en l'espèce, par l'article 1er de la convention de subdélégation du 8 novembre 1994, les sociétés LAFARGE et VICAT ont uniquement entendu réserver l'utilisation des installations du port de Bastia dont elles avaient financé l'édification à leurs propres produits, sans interdire aux négociants en ciments de se fournir par ailleurs, soit dans les autres ports de Corse, soit directement sur le continent, soit par navires rouliers ; qu'en jugeant néanmoins que la convention de subdélégation avait pour objet ou effet de restreindre la concurrence sur le marché du ciment en Corse, la cour d'appel a violé les articles 1134 du Code civil, L.420-1 du Code de commerce et 81 du Traité CE ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, une pratique n'a d'effet anticoncurrentiel que lorsqu'elle limite l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ; que pour juger que la convention de subdélégation du 8 novembre 1994 était anticoncurrentielle, la cour d'appel a considéré que l'article 1er de cette convention avait eu pour effet de réduire les débouchés des autres fournisseurs de ciment grecs ou italiens, dont la part de ciments importés était passée de 6% en 1997 à 8% en 1998 et 4,5% en 1999, année à partir de laquelle avait été mise en place la desserte maritime du port de Bastia par la société SOMECA ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'il résultait de ses propres constatations que la part de marché des ciments concurrents de ceux des sociétés LAFARGE et VICAT avait augmenté entre 1997 et 1998, nonobstant la convention de subdélégation mise en place en 1994, et que la baisse de cette part de marché n'avait diminué, en 1999, que du seul fait de la desserte assurée par la société SOMECA, la cour d'appel a violé les articles L.420-1 du Code de commerce et 81 du Traité CE ;
ALORS QUE, DE TROISIEME PART, l'effet anticoncurrentiel d'une pratique ne peut être établi que s'il est démontré, en comparaison à la situation antérieure à la mise en oeuvre de cette pratique, que celle-ci a eu pour conséquence de restreindre l'accès au marché des entreprises concurrentes ; que pour juger que la convention du 8 novembre 1994 avait un effet anticoncurrentiel, la cour d'appel a estimé que la part de marché des concurrents des sociétés LAFARGE et VICAT s'était réduite entre 1997 et 1999, soit durant une période entièrement comprise pendant la mise en oeuvre de cette convention ; qu'en statuant ainsi, sans établir que la part de marché des concurrents des sociétés LAFARGE et VICAT aurait été croissante ou constante avant la mise en oeuvre de la convention litigieuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.420-1 du Code de commerce et 81 du Traité CE ;
ALORS QU'EN OUTRE, pour juger que la convention du 8 novembre 1994 avait un effet anticoncurrentiel, la cour d'appel a affirmé que la part du trafic de ciment en vrac à destination de la Corse, par le navire de la société SOMECA, avait atteint 99% du transport de ciment en 1998 (arrêt p. 7, § 6), tout en constatant que, pour cette même année, les quantités de ciments italiens et grecs importées par les négociants, exclusivement par navires rouliers, s'élevaient à 8% des quantités totales ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel s'est contredite et a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
ALORS QU'ENFIN, une pratique ne peut être sanctionnée que lorsqu'elle a pour objet ou peut avoir pour effet d'empêcher ou de restreindre le jeu de la concurrence ; que la restriction de concurrence résultant d'une politique publique décidée par les pouvoirs publics ne peut être imputée à la pratique qui constitue la mise en oeuvre de cette politique par des sociétés privées ; que la cour d'appel a constaté que les pouvoirs publics avaient mis en place, dès 1960, une politique tendant à l'approvisionnement de la Corse en ciment par navire vraquiers, notamment par l'édification de silos destinés à stocker ce matériau en Corse, et que cette politique avait conduit à la diminution substantielle, voire à la disparition, de l'approvisionnement par transport roulier ; que la cour d'appel a, par ailleurs, constaté que l'Etat français avait mis en place une subvention bénéficiant au transport de ciment en vrac ; qu'en jugeant néanmoins que la convention de subdélégation du 8 novembre 1994 pourtant expressément prévue par le contrat administratif du 27 septembre 1994 unissant la CCI de Corse aux Sociétés Lafarge et Vicat, avait pour objet ou effet de restreindre la concurrence des cimentiers étrangers, qui approvisionnent la Corse par transport roulier, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, et a violé les articles L.420-1 du Code de commerce et 81 du Traité CE.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
:IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué, réformant la décision du Conseil de la concurrence, d'avoir, prononcé contre la société LAFARGE CIMENTS une sanction pécuniaire de 10 millions d'euros et de s'être ainsi opposé au bénéfice de l'exemption prévue par les articles 81 § 3 du Traité CE et L 420-4,2° revendiqué pour l'article 1er de la convention de subdélégation du 8 novembre 1994
AUX MOTIFS QUE à partir des années 60, alors que jusque là, le ciment provenant de France continentale était transporté essentiellement par navires rouliers, les autorités locales et les négociants corses ont souhaité développer le transport en vrac ; que des silos ont été construits sur le port de Bastia tandis que, dans le sud de la Corse, les négociants créaient leurs propres infrastructures de stockage et d'ensachage du ciment ; que, par arrêté ministériel du 30 juillet1969, l'Etat a octroyé à la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Haute-Corse une concession d'outillage public de 30 ans sur le port de Bastia, en prévoyant la possibilité pour le concessionnaire de confier à un tiers l'exploitation de l'outillage public concédé ; (…) que les producteurs de ciment participaient au financement du réaménagement des installations de réception, soit de stockage et d'ensachage, et de distribution sur le port de Bastia, en accordant à la CCI un prêt de 15 millions de francs au taux de 7 %, remboursable en 30 annuités de 1.208.796 francs ; (…) que, parallèlement, et depuis 1986, le transport du ciment en vrac bénéficiait d'une subvention étatique dans le cadre du "principe de continuité territoriale" ; qu'un contrat de concession de service public, devant expirer le 31 décembre 1998, avait été conclu avec la compagnie de transport Someca Transport (ciaprès Someca) et l'affréteur Pittaluga pour assurer le transport de ciment en vrac entre la Corse et le continent, imposant un nombre minimum de voyages par an et l'obligation de desservir l'ensemble des ports corses, moyennant une subvention d'un montant, entre 1990 et 1998, de 12 à 15 millions de francs par an et ce, jusqu'au 1er juillet 1998 ; qu'avant le terme de ce contrat, des études ont été menées en vue de réorganiser les filières d'approvisionnement en ciment en Corse et, finalement, le 6 juillet 1998, un contrat d'exclusivité a été signé entre Lafarge, Vicat et Someca par lequel cette dernière s'engageait à poursuivre le transport de ciment en vrac à destination de la Corse selon de nouvelles modalités (utilisation d'un seul navire, le Capo Rosso, dont la capacité était portée à 1500 tonnes, remplissage maximal, et non à la carte, des cuves à ciment, diminution du nombre de rotations), les cimentiers garantissant en contrepartie un quota minimum annuel de remplissage des cuves de 130 000 tonnes ; que ces nouvelles dispositions ont eu pour effet de ramener le prix du transport par tonne de ciment à 153F (Vicat) ou 178,50F (Lafarge) au lieu de 245F sous le régime précédent, ces économies permettant de compenser partiellement la perte de la subvention publique de 120F par tonne ; que c'est dans ces conditions que la structure du marché du transport de ciment s'est profondément modifiée au cours de cette période, le transport roulier diminuant substantiellement voire disparaissant au profit du transport en vrac par le navire de Someca (85 % du total du trafic dans les années 80 contre 99 % en 1998) ;
ET QUE les requérantes ne sauraient utilement revendiquer, pour la pratique résultant de la convention de subdélégation du 8 novembre 1994, le bénéfice de l'exemption prévue aux articles 81§3 du Traité CE et L.420-4, 2° du code de commerce dès lors, d'une part, qu'ainsi qu'il vient d'être vu, la clause dont s'agit leur donnait la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause, en particulier en cantonnant au minimum l'approvisionnement par rolls en provenance d'Italie ou de Grèce qui, quoique limité, était susceptible de se développer davantage et d'exercer une pression concurrentielle significative, notamment sur les prix, et, d'autre part, qu'elles n'expliquent pas en quoi cette restriction de concurrence était indispensable pour atteindre les objectifs de progrès économique qu'elles invoquent, à savoir le réaménagement des installation de Bastia dont le financement était, au final, entièrement pris en charge par le GIE, la rationalisation des infrastructures du port de Bastia eu égard aux opérations de nettoyage des silos à effectuer en cas de stockage de ciments différents, dénuée de lien avec l'interdiction de tout approvisionnement par transport roulier ou de l'utilisation de dispositifs de stockage distincts, le respect de la traçabilité des produits et de la norme AFNOR, que l'approvisionnement en transport roulier ne compromet pas nécessairement et qui demeure d'un intérêt secondaire dès lors que le respect de la norme AFNOR n'est imposé que pour les marchés publics, et les économies de coût pour les négociants, alors que les ciments étrangers sont vendus à des prix nettement plus bas (- 20%) ; que, de toute façon, le Conseil objecte avec pertinence que ces gains d'efficience, à les supposer établis, ne seraient pas suffisants pour contrebalancer les effets d'une restriction de concurrence aussi grave et longue ; qu'il suit de là que c'est par justes motifs que la cour adopte que le Conseil a déclaré ce grief établi ; que toutefois, il résulte des documents produits, par la société Lafarge notamment, que, de nouvelles dispositions ayant été adoptées avec la CCI de Bastia, la convention de subdélégation est devenue caduque à compter du 31 décembre 2004, de sorte que la durée effective de la pratique a été de dix ans et non de douze ans (…) ;
ALORS QUE, D'UNE PART, sont exemptées des dispositions des articles L.420-1 du Code de commerce et 81 du Traité les pratiques qui ont pour effet d'assurer un progrès économique, lorsque la restriction de concurrence en résultant éventuellement est indispensable pour atteindre cet objectif de progrès ; qu'en jugeant que la restriction de concurrence qu'elle estimait résulter de la convention de subdélégation du 8 novembre 1994 ne pouvait faire l'objet d'une exemption au motif inopérant que le financement du réaménagement des installations du port de Bastia était finalement pris en charge par le GIE des négociants, sans rechercher si les investissements nécessaires à cette rénovation auraient pu être réalisés sans l'engagement pris des sociétés LAFARGE et VICAT et si leur intervention n'avait pas été ainsi indispensable pour mettre en oeuvre la politique publique déterminée par la convention du 27 septembre 1994 à raison de la suppression des subventions de l'Etat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.420-1 et L.420-4 du Code de commerce, et 81§3 du Traité CE ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, sont exemptées des dispositions des articles L.420-1 du Code de commerce et 81 du Traité les pratiques qui ont pour effet d'assurer un progrès économique, dès lors qu'elles ne donnent pas aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause ; que pour juger que la restriction de concurrence qu'elle estimait résulter de la convention de subdélégation du 8 novembre 1994 ne pouvait faire l'objet d'une exemption, la cour d'appel a considéré que cette convention donnait aux sociétés LAFARGE et VICAT la possibilité d'éliminer la concurrence pour certains des produits en cause, en cantonnant au minimum l'approvisionnement par rolls en provenance d'Italie ou de Grèce ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'elle avait constaté que la diminution voire la disparition du transport par rolls résultait d'une politique publique mise en oeuvre depuis les années 1960, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi les articles L.420-1 et L.420-4 du Code de commerce, et 81§3 du Traité CE.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué, réformant la décision du Conseil de la concurrence, d'avoir, prononcé contre la société LAFARGE CIMENTS une sanction pécuniaire de 10 millions d'euros en retenant que les sociétés Lafarge et Vicat avaient enfreint les dispositions des articles L 420-1 du code de commerce et 81 du Traité CE en signant le protocole du 6 mai 1999 ;
AUX MOTIFS QUE le ciment est un produit dérivé d'un produit intermédiaire, le "clinker", mélangé à d'autres substances, dont les propriétés varient selon les quantités de matières premières utilisées et les méthodes de production choisies ; qu'eu égard à ces différentes propriétés, les autorités communautaires ont mis en place un processus de normalisation des ciments courants qui a abouti en 1992 à la prénorme ENV-197-1 puis en 1995 à la pré-norme ENV-197-2, en vigueur à l'époque des faits, laquelle distingue les ciments courants selon leur composition (ciment Portland, ciment Portland composé, ciment de haut fourneau, ciment pouzzolanique et ciment au laitier et aux cendres) et les répartit en trois classes (32,5 - 42,5 - 52,5) selon la valeur minimale de résistance à la compression mesurée à 28 jours ; qu'il n'existe pas en Corse de cimenterie ou de centre de distribution exploité directement par les cimentiers, de sorte que tout le ciment distribué dans l'île est importé par voie maritime -via les ports de Bastia, Calvi, Ile Rousse, Ajaccio, Porto-Vecchio et Propriano- soit par navires rouliers (autrement dits "rolls", à bord desquels embarquent des camions chargés de ciment, le plus souvent conditionné en sacs), l'avantage de ce mode de transport étant qu'il ne nécessite aucune installation spécifique de stockage-ensachage, ni au port de livraison, ni chez le négociant, soit par navires vraquiers, plus économiques pour les grandes quantités et permettant d'amortir les investissements d'installations de stockage et d'ensachage nécessités sur place ; que ces deux modes de transport sont donc complémentaires, leur utilité dépendant de la quantité transportée et de la disponibilité sur place d'installations cimentières fixes ; qu'à partir des années 60, alors que jusque là, le ciment provenant de France continentale était transporté essentiellement par navires rouliers, les autorités locales et les négociants corses ont souhaité développer le transport en vrac ; que des silos ont été construits sur le port de Bastia tandis que, dans le sud de la Corse, les négociants créaient leurs propres infrastructures de stockage et d'ensachage du ciment ; que, par arrêté ministériel du 30 juillet1969, l'Etat a octroyé à la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Haute-Corse une concession d'outillage public de 30 ans sur le port de Bastia, en prévoyant la possibilité pour le concessionnaire de confier à un tiers l'exploitation de l'outillage public concédé ; que c'est ainsi que, le 27 septembre 1994, la CCI a conclu avec les producteurs de ciments Lafarge et Vicat un "sous-traité d'exploitation d'un outillage public de stockage et d'ensachage du ciment" (soit 4 silos de stockage d'une capacité individuelle de 800 tonnes, complétés par une unité d'ensachage) pour une durée de 5 ans, renouvelable à compter du 1er septembre 1999 pour une durée minimale de 25 ans, prévoyant en son article XI une faculté de subdélégation de tout ou partie de l'exploitation des installations en cause au GIE Groupement Logistique Ciments Haute-Corse, qui avait été constitué le 20 juin 1993 pour l'exploitation logistique des installations de réception et de distribution du ciment admis à la marque "NF liants hydrauliques" ; que, le même jour, a été signé un protocole d'accord en vertu duquel les producteurs de ciment participaient au financement du réaménagement des installations de réception, soit de stockage et d'ensachage, et de distribution sur le port de Bastia, en accordant à la CCI un prêt de 15 millions de francs au taux de 7 %, remboursable en 30 annuités de 1 208 796 francs ; que par convention de subdélégation du 8 novembre 1994, les sociétés Lafarge et Vicat ont confié l'exploitation exclusive des installations du port de Bastia au GIE Groupement Logistique Ciments Haute-Corse pendant 30 ans, lequel prenait en charge le paiement des annuités de remboursement du prêt sus-mentionné ; que, parallèlement, et depuis 1986, le transport du ciment en vrac bénéficiait d'une subvention étatique dans le cadre du "principe de continuité territoriale" ; qu'un contrat de concession de service public, devant expirer le 31 décembre 1998, avait été conclu avec la compagnie de transport Someca Transport (ci-après Someca) et l'affréteur Pittaluga pour assurer le transport de ciment en vrac entre la Corse et le continent, imposant un nombre minimum de voyages par an et l'obligation de desservir l'ensemble des ports corses, moyennant une subvention d'un montant, entre 1990 et 1998, de 12 à 15 millions de francs par an et ce, jusqu'au 1er juillet 1998 ; qu'avant le terme de ce contrat, des études ont été menées en vue de réorganiser les filières d'approvisionnement en ciment en Corse et, finalement, le 6 juillet 1998, un contrat d'exclusivité a été signé entre Lafarge, Vicat et Someca par lequel cette dernière s'engageait à poursuivre le transport de ciment en vrac à destination de la Corse selon de nouvelles modalités (utilisation d'un seul navire, le Capo Rosso, dont la capacité était portée à 1500 tonnes, remplissage maximal, et non à la carte, des cuves à ciment, diminution du nombre de rotations), les cimentiers garantissant en contrepartie un quota minimum annuel de remplissage des cuves de 130 000 tonnes ; que ces nouvelles dispositions ont eu pour effet de ramener le prix du transport par tonne de ciment à 153F (Vicat) ou 178,50F (Lafarge) au lieu de 245F sous le régime précédent, ces économies permettant de compenser partiellement la perte de la subvention publique de 120F par tonne ; que c'est dans ces conditions que la structure du marché du transport de ciment s'est profondément modifiée au cours de cette période, le transport roulier diminuant substantiellement voire disparaissant au profit du transport en vrac par le navire de Someca (85 % du total du trafic dans les années 80 contre 99 % en 1998) (arrêt p. 6 et 7).
ET QUE, sur le grief d'entente entre Lafarge, Vicat et le syndicat des négociants en matériaux de construction au moyen du protocole du 6 mai 1999 les sociétés Lafarge et Vicat, qui avaient conclu, le 6 juillet 1998, une "convention maritime" pour une durée de 5 ans avec Someca -par laquelle elles attribuaient à cette dernière l'exclusivité du transport de leur trafic de marchandises depuis le continent vers la Corse, sur la base d'une prévision de marché de 130.000 tonnes annuelles dont elles garantissaient l'obtention sous peine du paiement d'une indemnité de 153 francs par tonne manquante- ont, le 6 mai 1999, après plusieurs mois de négociations, conclu avec le Syndicat des négociants en matériaux de construction un protocole d'accord d'une durée de quatre ans, renouvelable par tacite reconduction, par lequel ce dernier prenait "acte de l'engagement global minimum annuel de 130.000 tonnes de ciment en provenance du port de Nice, par l'utilisation de moyens logistiques exclusifs de la Someca", incluant le paiement par les producteurs d'une indemnité par tonne manquante, et s'engageait "à favoriser -dans le respect et les limites des contraintes réglementaires- l'acquisition et les moyens de stockages par ses membres" ; que les producteurs, de leur côté, s'engageaient cependant "à déclarer auprès du Syndicat des négociants les tonnages de ciments en sacs ou vrac/roll enlevés dans leurs sites industriels à destination de la région Corse, afin de permettre la comptabilisation de ces tonnages dans les 130 000 tonnes prévues" ; qu'il était aussi précisé que "les producteurs ont signé avec chaque négociant "stockiste-ensacheur " disposant de capacité de stockage sur pied (minimum 500 t) adapté à la norme ciments et optimisant le transport par bateau vraquier, un contrat de dépôt" et que "la rémunération de ce dépôt est convenue au cas par cas en fonction des services rendus par le négociant et de sa capacité de stockage" ; qu'enfin, "les producteurs informeront leurs éventuels nouveaux clients ne disposant pas d'installations de stockage et d'ensachage conforme aux normes AFNOR que la commercialisation de leur produit se fera notamment par l'intermédiaire de négociants stockistes ensacheurs "... ; que, selon les données retenues par le Conseil au terme d'une motivation circonstanciée que la cour fait sienne, le volume total de ciment acheté par les négociants corses était en 1997 de 130.000 tonnes, qu'il a été en 1998 de 132.000 tonnes environ et qu'il était estimé à 135.000 tonnes pour l'année 1999, de sorte que le minimum garanti de 130.000 tonnes représentait lors de la conclusion du protocole plus de 90 % du marché en cause, ce qui avait pour conséquence évidente de restreindre d'autant les possibilités d'importation en provenance de Grèce ou d'Italie ; qu'ainsi, et même si l'expression ne figure pas expressément dans le protocole, cet engagement du syndicat caractérisait un engagement d'approvisionnement exclusif auprès de Lafarge et Vicat, puisqu'il couvrait la quasi-totalité des besoins de ses adhérents ; que d'ailleurs, le Conseil a relevé (points 162 à166) les échanges de courriers qui ont précédé la signature du protocole et qui attestent de l'intention des parties, à l'origine, de signer des contrats d'approvisionnement exclusif individuels, assortis de remises, auxquels elles ont renoncé en raison des risques qu'ils présentaient au regard du droit de la concurrence, qui s'est reportée sur un contrat collectif, moins explicite ("le syndicat prend acte"), et prévoyant certains avantages commerciaux au profit des négociants "stockistesensacheurs" qui assureraient des prestations de stockage et de mise en sac au profit de nouveaux clients de Lafarge et Vicat ne disposant pas d'installations conformes ; qu'il n'importe pour la qualification de l'entente que le protocole ne contienne pas de formule le rendant juridiquement contraignant envers les adhérents dès lors que ces derniers étaient disposés à l'appliquer, nombre d'entre eux ayant d'ailleurs signé individuellement des contrats de dépôt avec les cimentiers ; que les sociétés LAFARGE et VICAT ne peuvent utilement soutenir que l'objectif de 130.000 tonnes correspondait au tonnage nécessaire à l'équilibre économique du navire, dès lors qu'elles s'engageaient simultanément à signaler au syndicat toute vente hors navire Someca effectuée à partir de leurs sites industriels à destination de la région Corse, "afin de permettre la comptabilisation de ces tonnages dans les 130.000 tonnes prévues", cette stipulation démontrant au contraire que c'était uniquement le montant du marché qui était visé, ce qu'au reste le syndicat a confirmé dans ses observations devant le Conseil, en admettant que "à l'origine, ce chiffre de 130.000 tonnes a été fixé par référence à ce qui correspondait à la consommation totale de la Corse en ciment en 1997" ; qu'au demeurant, le Conseil a relevé qu'au cours de la période considérée, soit de 1999 à 2002, date à laquelle le protocole a été dénoncé, les importations de ciments étrangers sont demeurées faibles, et n'ont crû que du fait des utilisateurs finals et non des négociants stockistes-ensacheurs adhérents du syndicat signataire ; que le tableau reproduit au point 20 de la décision, qui contredit les allégations des requérantes quant aux importations effectuées après la mise en place de la desserte Someca, révèle d'ailleurs que les importations des négociants en Corse, qui avaient atteint 8,2 % en 1998, sont redescendues à 4,8 % en 1999 ; que ce protocole, par lequel les négociants s'engageaient à s'approvisionner en ciment Lafarge et Vicat pour la totalité de leurs besoins et acceptaient de ne stocker et de n'ensacher que du ciment Lafarge ou Vicat, est venu anéantir ce qui subsistait de concurrence possible sur le marché, notamment en provenance d'Italie ou de Grèce, seuls quelques négociants isolés non membres du syndicat, d'ailleurs, comme l'entreprise Pierretti à Propriano ayant continué à acheter auprès de fournisseurs étrangers (arrêt p. 10 et 11).
ET QUE, sur les sanctions, il est constant qu'au moment où les pratiques ont été mises en oeuvre, la concurrence en Corse sur le marché de gros de l'approvisionnement en ciment était déjà sérieusement altérée pour les raisons suivantes :- barrières à l'entrée liées à la nécessité du transport maritime et au respect de la norme NF, le processus de normalisation européenne n'ayant pas encore déployé son plein effet,- déséquilibre concurrentiel préexistant du fait de la subvention publique bénéficiant aux seuls opérateurs nationaux, supprimée afin de respecter la réglementation européenne relative aux aides d'Etat,- intégration dans le périmètre des activités des cimentiers Lafarge et Vicat des installations de stockage et d'ensachage de Bastia, concédée par la CCI de Bastia,- accords d'exclusivité passés par ces deux cimentiers avec le transporteur Someca ;que cette situation était la conséquence des deux crises graves qui ont successivement affecté le marché de l'approvisionnement en gros du ciment en Corse, soit la menace de la disparition des installations de stockage et d'ensachage du port de Bastia et la suppression de la subvention publique du transport maritime pour l'île, qui ont pu être surmontées grâce à l'intervention, encouragée voire voulue par les pouvoirs publics, des deux cimentiers Lafarge et Vicat, lesquels ont obtenu en contrepartie l'exclusivité de l'exploitation des installations de réception maintenues grâce à eux à Bastia et du transport par le navire qu'ils avaient affrété, soit le contrôle de deux infrastructures d'un intérêt majeur pour le marché de l'approvisionnement du ciment en Corse ;
ALORS, D'UNE PART, QU' un protocole conclu entre un producteur et un syndicat de négociants ne peut caractériser un engagement d'approvisionnement exclusif dès lors qu'en l'absence de tout caractère contraignant, les adhérents de ce syndicat restent libres d'acquérir ou de ne pas acquérir les produits du producteur et de se fournir par ailleurs ; qu'en jugeant néanmoins que le protocole du 6 mai 1999 caractérisait un approvisionnement exclusif des adhérents du syndicat des négociants en matériaux de construction auprès des sociétés LAFARGE et VICAT, tandis qu'elle constatait que ce protocole ne contenait aucune formule le rendant juridiquement contraignant, ce dont il résultait que les adhérents du syndicat restaient libres de s'approvisionner auprès de la société Lafarge, de son concurrent Vicat ou auprès d'autres producteurs, peu important qu'ils s'en abstiennent, la cour d'appel a violé les articles 1134 du Code civil, L.420-1 du Code de commerce et 81 du Traité CE ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE pour juger que le protocole du 6 mai 1999 caractérisait un approvisionnement exclusif des adhérents du syndicat des négociants en matériaux de construction auprès des sociétés LAFARGE et VICAT, la cour d'appel s'est fondée sur l'intention originelle des parties lors des négociations précontractuelles ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'elle constatait que les parties avaient expressément renoncé à signer des contrats d'approvisionnement exclusifs en raison de leur caractère contraire au droit de la concurrence et que le protocole finalement signé ne contenait aucune formule le rendant juridiquement contraignant, ce dont il résultait que les adhérents du syndicat restaient libres de s'approvisionner auprès de la société Lafarge, de son concurrent Vicat ou auprès d'autres producteurs, peu important qu'ils s'en abstiennent, la cour d'appel a violé les articles 1134 du Code civil, L.420-1 du Code de commerce et 81 du Traité CE ;
ALORS, ENFIN, QU' un protocole dépourvu d'effet contraignant ne peut avoir pour objet ni effet de porter atteinte à la concurrence s'il n'en résulte une éviction des entreprises tierces du marché concerné par ce protocole ; que la cour d'appel a relevé que le transport de ciments par navires vraquiers avait été encouragé par les autorités locales dans les années 1960 (arrêt p. 6, in fine) et bénéficiait d'une subvention étatique (arrêt p. 7, § 4), pour ensuite constater que le transport par navires rouliers avait diminué substantiellement, voire disparu durant la même période (arrêt p. 7, §5) ; qu'en jugeant néanmoins que l'éviction des concurrents des sociétés LAFARGE et VICAT, qui n'approvisionnaient la Corse que par navires rouliers, résultait du protocole facultatif du 6 mai 1999, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi les articles L.420-1 du Code de commerce et 81 du Traité CE.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
:IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué, réformant la décision du conseil de la concurrence d'avoir prononcé contre la société LAFARGE CIMENTS une sanction pécuniaire de 10 millions d'euros et d'avoir refusé le bénéfice de l'exemption prévue par les articles 81 § 3 du Traité CE et L 420-4,2° revendiqué pour le protocole du 6 mai 1999 ;
AUX MOTIFS QUE à partir des années 60, alors que jusque là, le ciment provenant de France continentale était transporté essentiellement par navires rouliers, les autorités locales et les négociants corses ont souhaité développer le transport en vrac ; que des silos ont été construits sur le port de Bastia tandis que, dans le sud de la Corse, les négociants créaient leurs propres infrastructures de stockage et d'ensachage du ciment ; que, par arrêté ministériel du 30 juillet 1969, l'Etat a octroyé à la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Haute-Corse une concession d'outillage public de 30 ans sur le port de Bastia, en prévoyant la possibilité pour le concessionnaire de confier à un tiers l'exploitation de l'outillage public concédé ; (…) que les producteurs de ciment participaient au financement du réaménagement des installations de réception, soit de stockage et d'ensachage, et de distribution sur le port de Bastia, en accordant à la CCI un prêt de 15 millions de francs au taux de 7 %, remboursable en 30 annuités de 1.208.796 francs ; (…) que, parallèlement, et depuis 1986, le transport du ciment en vrac bénéficiait d'une subvention étatique dans le cadre du "principe de continuité territoriale" ; qu'un contrat de concession de service public, devant expirer le 31 décembre 1998, avait été conclu avec la compagnie de transport Someca Transport (ciaprès Someca) et l'affréteur Pittaluga pour assurer le transport de ciment en vrac entre la Corse et le continent, imposant un nombre minimum de voyages par an et l'obligation de desservir l'ensemble des ports corses, moyennant une subvention d'un montant, entre 1990 et 1998, de 12 à 15 millions de francs par an et ce, jusqu'au 1er juillet 1998 ; qu'avant le terme de ce contrat, des études ont été menées en vue de réorganiser les filières d'approvisionnement en ciment en Corse et, finalement, le 6 juillet 1998, un contrat d'exclusivité a été signé entre Lafarge, Vicat et Someca par lequel cette dernière s'engageait à poursuivre le transport de ciment en vrac à destination de la Corse selon de nouvelles modalités (utilisation d'un seul navire, le Capo Rosso, dont la capacité était portée à 1500 tonnes, remplissage maximal, et non à la carte, des cuves à ciment, diminution du nombre de rotations), les cimentiers garantissant en contrepartie un quota minimum annuel de remplissage des cuves de 130 000 tonnes ; que ces nouvelles dispositions ont eu pour effet de ramener le prix du transport par tonne de ciment à 153F (Vicat) ou 178,50F (Lafarge) au lieu de 245F sous le régime précédent, ces économies permettant de compenser partiellement la perte de la subvention publique de 120F par tonne ; que c'est dans ces conditions que la structure du marché du transport de ciment s'est profondément modifiée au cours de cette période, le transport roulier diminuant substantiellement voire disparaissant au profit du transport en vrac par le navire de Someca (85 % du total du trafic dans les années 80 contre 99 % en 1998) ;
ET QU'ayant pour objet et pour effet de confisquer la quasi-totalité du marché de la fourniture de ciment en Corse au profit des sociétés Lafarge et Vicat, le protocole du mai 1999 ne peut bénéficier de l'exemption prévue aux articles 81, § 3 du Traité CE et L 420-4, 2° du code de commerce ; qu'il suit de là que c'est à juste titre que le Conseil a retenu ce grief à l'encontre des sociétés Lafarge et Vicat, mais seulement pour une période de trois ans et non de quatre ans, le protocole ayant été dénoncé fin 2002 (arrêt p. 11).
ET QUE, sur les sanctions, il est constant qu'au moment où les pratiques ont été mises en oeuvre, la concurrence en Corse sur le marché de gros de l'approvisionnement en ciment était déjà sérieusement altérée pour les raisons suivantes :- barrières à l'entrée liées à la nécessité du transport maritime et au respect de la norme NF, le processus de normalisation européenne n'ayant pas encore déployé son plein effet,- déséquilibre concurrentiel préexistant du fait de la subvention publique bénéficiant aux seuls opérateurs nationaux, supprimée afin de respecter la réglementation européenne relative aux aides d'Etat,- intégration dans le périmètre des activités des cimentiers Lafarge et Vicat des installations de stockage et d'ensachage de Bastia, concédée par la CCI de Bastia,- accords d'exclusivité passés par ces deux cimentiers avec le transporteur Someca ;que cette situation était la conséquence des deux crises graves qui ont successivement affecté le marché de l'approvisionnement en gros du ciment en Corse, soit la menace de la disparition des installations de stockage et d'ensachage du port de Bastia et la suppression de la subvention publique du transport maritime pour l'île, qui ont pu être surmontées grâce à l'intervention, encouragée voire voulue par les pouvoirs publics, des deux cimentiers Lafarge et Vicat, lesquels ont obtenu en contrepartie l'exclusivité de l'exploitation des installations de réception maintenues grâce à eux à Bastia et du transport par le navire qu'ils avaient affrété, soit le contrôle de deux infrastructures d'un intérêt majeur pour le marché de l'approvisionnement du ciment en Corse ;
ALORS QUE, D'UNE PART, sont exemptées des dispositions des articles L.420-1 du Code de commerce et 81 du Traité les pratiques qui ont pour effet d'assurer un progrès économique, dès lors qu'elles ne donnent pas aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause ; qu'en affirmant que les sociétés Lafarge et Vicat ne peuvent utilement soutenir que l'objectif de 130.000 tonnes de ciment mentionné au protocole du 6 mai 1999 liant ces sociétés au syndicat des négociants des matériaux de construction, à la suite de la convention maritime du 6 juillet 1998 attribuant pour cinq ans à la Someca l'exclusivité du transport de leur trafic de marchandises, correspondait au tonnage nécessaire à l'équilibre économique du navire vraquier, après avoir pourtant constaté que la société Someca qui était bénéficiaire depuis 1986 d'une concession de service public de transport en vrac de ciment, indispensable à la continuité territoriale de la Corse, avait négocié, avant l'expiration de sa concession avec les cimentiers et sous l'égide des pouvoirs publics, une garantie minimale de remplissage des cuves de son navire à hauteur de 130.000 tonnes, assortie du paiement d'une indemnité par tonne manquante en contrepartie de la réorganisation complète du système de desserte de la Corse afin de réduire les coûts et de pallier ainsi à la disparition concomitante des subventions, ce dont il résultait que la garantie minimale de remplissage de 130.000 tonnes était effectivement indispensable à l'équilibre économique du navire assurant la continuité territoriale et avait effectivement permis de réduire le coût du transport, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles L 420-1, L 420-4 2° du code de commerce et 81 du traité CE ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, pour caractériser les effets anticoncurrentiels du protocole de 1999, la cour d'appel, qui n'a pas contredit le progrès économique résultant de cet accord tenant au maintien de l'approvisionnement de la Corse en ciment à prix constant nonobstant la suppression de la subvention étatique de continuité territoriale, s'est contentée d'affirmer que cet accord était venu anéantir ce qui subsistait de concurrence possible ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'elle avait constaté que, par l'effet d'une politique publique, le transport par navires rouliers avait disparu au profit du transport par navire vraquier avant même l'accord litigieux, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres observations et a violé les dispositions des articles L.420-4 du Code de commerce et 81§3 du Traité CE.
CINQUIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué réformant la décision du conseil de la concurrence d'avoir prononcé contre la société LAFARGE CIMENTS une sanction pécuniaire de 10 millions d'euros en considérant que les Sociétés Lafarge et Vicat ont abusé d'une position dominante collective sur le marché du ciment corse ;
AUX MOTIFS QUE, pour constater l'existence d'une domination collective sur un marché, il est nécessaire d'examiner les liens ou facteurs de corrélation économiques entre les entreprises concernées et, en particulier, de vérifier s'il existe des liens économiques entre ces entreprises qui leur permettent d'agir ensemble indépendamment de leurs concurrents, de leurs clients et des consommateurs ; que, si la seule circonstance que des entreprises soient liées par des accords, comme c'est le cas en l'espèce, ne constitue pas, en soi, un élément suffisant à asseoir une telle constatation, en revanche, la mise en oeuvre de ces accords peut avoir pour conséquence que ces entreprises se sont liées quant à leur comportement sur un marché déterminé de telle sorte qu'elles se présentent sur ce marché comme une entité collective à l'égard de leurs concurrents, de leurs partenaires commerciaux et des consommateurs ; que la constatation de l'existence d'une position dominante collective peut donc résulter de la nature et des termes d'un ou de plusieurs accords ainsi que de leur mise en oeuvre et, partant, des liens ou facteurs de corrélation entre entreprises qui en résultent, étant précisé toutefois que l'existence de tels accords ou d'autres liens juridiques n'est pas une condition indispensable à une telle constatation, qui pourrait résulter d'autres facteurs de corrélation relevant d'une appréciation économique et, notamment, d'une appréciation de la structure du marché en cause ; qu'en l'espèce, le Conseil a, à suffisance de droit et par des motifs pertinents qui ne sont pas utilement discutés par les requérantes et que la cour adopte, caractérisé, à la fois, tant les liens qui unissent les sociétés Lafarge et Vicat -qui résultent des nombreux contrats conclus conjointement cités ci-avant- dont la mise en oeuvre à l'égard de leurs clients, de leurs concurrents et des consommateurs traduit que ces deux entreprises se présentaient sur le marché de l'approvisionnement en gros de la Corse en ciment comme une entité collective pratiquant une stratégie commune (constatation que n'invalident pas les variations réciproques de leurs parts de marché), que la structure du marché en cause qui rend possible une telle domination collective, soit un marché duopolistique dont la transparence permet à chacun des membres du duopole de connaître, de manière suffisamment précise et immédiate, l'évolution du comportement de l'autre sur ce marché, les capacités de représailles de chacun d'entre eux les incitant à ne pas s'écarter de la ligne de conduite commune sur le marché, et l'impossibilité pour les concurrents (dont la part de marché en l'espèce est inférieure à 10 % et qui se heurtent aux barrières à l'entrée résultant de la norme AFNOR et des capacités du transport par rolls limitées par les clauses d'exclusivité liant leurs clients éventuels) comme pour les partenaires commerciaux, tenus par les engagements d'exclusivité déjà consentis, et les utilisateurs finals, trop peu nombreux pour contester efficacement cette domination, de remettre en cause les résultats attendus de la ligne d'action commune ; que c'est également à juste titre et au terme d'une analyse précise des éléments du dossier que la décision retient que tant Vicat que Lafarge ont, entre décembre 1997 et mars 1998, puis de juillet à septembre 1999, accordé aux négociants membres du syndicat les plus susceptibles de faire jouer la concurrence, des remises ciblées (50 F la tonne sous forme d'avoir au mois le mois), dénuées de justification économique, dont le seul objet était de "lutter contre les importations" en récompensant a posteriori ceux qui n'avaient pas importé de ciments étrangers ou qui avaient fortement réduit ces importations, et que ces remises, dont l'objet était clairement anticoncurrentiel et dont l'effet était démultiplié par les volumes concernés, ne pouvaient être efficacement contrebalancées par les fournisseurs étrangers, cantonnés à un rôle d'offreurs marginaux ; qu'il n'importe pour la caractérisation de la pratique que l'attribution de ces remises, dont I'objet était expressément de récompenser les "négociants n 'ayant pas acheté de ciments d'importation sur le mois considéré" (point 38) n'ait pas été effectuée strictement et que quelques négociants, comme Meoni, Brico Balagne et ETM, aient perçu cette remise exceptionnelle bien qu'ils eussent continué à importer- partie de leur consommation de ciments, d'autant que le tableau reproduit au point 20 de la décision révèle que, pour ce qui est d'ETM, ce négociant avait réduit ses importations de ciment étranger de plus de 60 % entre 1997 et 1998 et que, de même, l'entreprise Castelli à Porto-Vecchio, à qui Vicat prétend avoir accordé la remise en 1997 et 1998, avait cessé toute importation en 1998 ; qu' ainsi, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le Conseil a décidé que ce grief est établi à l'encontre des requérantes, étant encore observé qu'aucun lien de causalité n'unit cette pratique avec les gains d'efficacité invoqués par Vicat à savoir "la contribution au fonctionnement d'un système d'approvisionnement régulier et continu de la Corse dans lequel Vicat avait massivement investi" ;
ALORS QUE D'UNE PART le juge ne peut caractériser une position dominante collective sans établir que trois conditions cumulatives sont concrètement réunies au regard du fonctionnement du marché considéré; que la Cour devait rechercher, comme elle y était invitée par les conclusions de la société Lafarge du 16 mai 2007 (prod. 2 p. 46 et suivants) si étaient réunies les conditions tenant à la transparence du marché, à l'incitation des membres de l'oligopole à mettre en oeuvre une coordination tacite et durable à raison du risque de représailles et enfin l'absence de possibilité pour les clients et concurrents de remettre en cause la coordination tacite des membres de l'oligopole ; qu'en se dispensant de procéder à une analyse concrète portant notamment sur la transparence et la contestabilité du marché du ciment en Corse et en se bornant à affirmer d'une manière abstraite que la structure du marché en cause rendait possible la domination collective dans la mesure où il s'agit d'un marché duopolistique dont la transparence permet à chacun des membres du duopole de connaître de manière suffisamment précise et immédiate l'évolution du comportement de l'autre sur ce marché, les capacités de représailles de chacun d'entre eux les incitant à ne pas s'écarter de la ligne de conduite commune, la Cour n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L 420-2 du Code de Commerce et 82 du Traité CE.
ALORS QUE D'AUTRE PART, l'existence d'une position dominante collective suppose, pour les entreprises qui la détiennent, le pouvoir d'agir ensemble et indépendamment des autres concurrents et de leur propre clientèle ; que l'existence d'une entente verticale entre des producteurs supposés détenir une position dominante collective et leurs clients suffit à établir l'absence d'autonomie des producteurs à l'égard de leur clientèle et des consommateurs; que la cour d'appel, qui a estimé que les sociétés LAFARGE et VICAT, producteurs de ciment, étaient parties à une entente avec les groupements des négociants corses de ce matériau, ne pouvait simultanément juger que les producteurs détenaient une position dominante collective sur ce marché, leur permettant d'agir en toute autonomie à l'égard de leur clientèle respective ; qu'en jugeant néanmoins le contraire, la cour d'appel a violé les articles L.420-2 du Code de commerce et 82 du Traité CE ;
ALORS QUE DE TROISIEME PART, l'existence d'une norme qualitative nationale concernant un produit n'est pas de nature à constituer une barrière à l'entrée du marché, emportant une distorsion de concurrence, dès lors que chaque concurrent peut, en respectant le cahier des charges de cette norme, pénétrer ledit marché qui n'est pas réservé aux seuls producteurs nationaux ; qu'en considérant, pour juger que les sociétés LAFARGE et VICAT pouvaient s'abstraire de la concurrence et en déduire qu'elles détenaient une position dominante collective, que la norme AFNOR NF P 15-300, dont elle constatait au demeurant qu'elle ne portait que pour les marchés publics, constituait une barrière à l'entrée du marché pour les concurrents étrangers, tandis que ces derniers pouvaient, en respectant le cahier des charges de cette norme, produire et commercialiser du ciment bénéficiant de celle-ci, la cour d'appel a violé les articles L.420-2 du Code de commerce et 82 du Traité CE ;
ALORS QUE DE QUATRIEME PART, l'effet anticoncurrentiel d'une remise suppose que celui à qui elle est accordée s'abstient, en conséquence de la remise, de contracter avec des concurrents de celui qui la lui octroie ; qu'en jugeant que la société LAFARGE avait abusé de la position dominante qu'elle détenait, selon l'arrêt, avec la société VICAT, en octroyant des remises qui auraient eu pour objet d'évincer les concurrents étrangers, tandis qu'elle constatait que ces remises avaient été indifféremment octroyées à des négociants continuant de se fournir auprès des concurrents étrangers des sociétés LAFARGE et VICAT, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard des articles L.420-2 du Code de commerce et 82 du Traité CE ;
ALORS QUE DE CINQUIEME PART, l'entreprise qui, détenant avec d'autres une position dominante sur un marché, ne peut être sanctionnée pour des actes imputés aux entreprises partageant cette position avec elle ; qu'en condamnant néanmoins la société LAFARGE pour un abus de la position détenue sur le marché du ciment Corse avec la société VICAT, tandis qu'elle ne relevait qu'à l'égard de cette dernière société des remises susceptibles d'être jugées abusives, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L.420-2 du Code de commerce et 82 du Traité CE ;
ALORS QU'ENFIN, l'abus d'une position dominante collective ne peut être caractérisé que si les effets d'exclusion actuels ou potentiels sont démontrés ; qu'en se contentant d'affirmer que les remises ne pouvaient être efficacement contrebalancées par les fournisseurs étrangers sans préciser les éléments démontrant la réalité de la menace d'exclusion du marché, la Cour a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles L 420-2 du Code de Commerce et 82 du Traité CE.