LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1315 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., engagé le 14 avril 2003 par la société Y... en qualité de chef de produit, a été licencié pour insuffisance professionnelle le 23 février 2006 après avoir été convoqué à un entretien préalable par lettre du 3 février 2003 alors qu'il avait adressé à son employeur le même jour une lettre prenant acte de son licenciement verbal ;
Attendu que pour juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse pour avoir été prononcé sans notification d'une lettre de licenciement qui en énonçait les motifs, l'arrêt retient que l'employeur n'a contesté que trois semaines plus tard l'affirmation par le salarié dans sa lettre du 3 février 2003 de ce qu'il avait fait l'objet d'un licenciement verbal ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'employeur, après avoir convoqué le salarié à un entretien préalable, avait adressé, le 23 février 2003, une lettre de licenciement au salarié et qu'il appartenait à ce dernier d'établir la réalité du licenciement verbal antérieur qu'il invoquait, la cour d'appel qui ne pouvait déduire du silence temporairement opposé par l'employeur à l'affirmation par le salarié, dans sa lettre du 3 février 2003, de l'existence d'un tel licenciement, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er avril 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize juin deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP GATINEAU et FATTACCINI, avocat aux Conseils pour la société Y...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de Monsieur X..., consommé le 3 février 2006, est sans cause réelle et sérieuse, et d'AVOIR, en conséquence, condamné l'exposante à payer à Monsieur X... la somme de 13.000 pour inobservation de la procédure et licenciement sans cause réelle et sérieuse et 2.500 en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, d'AVOIR condamné l'exposante à remettre à Monsieur X..., sous astreinte de 50 par jour de retard à l'expiration d'un délai de huit jours à compter de la notification du présent arrêt, le bulletin de paie correspondant au solde de tout compte, et d'AVOIR ordonné le remboursement par l'exposante aux Assedic des indemnités de chômage qui ont été payées à Monsieur X... depuis le 23 février 2006 au 31 juillet 2006 ;
AUX MOTIFS QUE « s'appuyant sur les termes d'une lettre recommandée avec avis de réception qu'il a adressée à son employeur le 3 février 2006, Monsieur X... soutient avoir, au terme d'une discussion vive avec celui-ci pris acte de son licenciement verbal prononcé la veille. Il ajoute que dans un courrier daté du 3 février, la Sarl Y... a tenté de régulariser la situation en le convoquant à un entretien préalable en vue de son licenciement, tout en le dispensant de venir travailler jusqu'à cet entretien, sans que cette dispense puisse s'analyser en une mise à pied. Subsidiairement, il conteste les griefs invoqués dans la lettre de licenciement qui lui a été adressée le 23 février 2006.Se fondant sur le même courrier du 3 février adressé par son salarié, contestant les allégations qu'il comporte et y décelant un "scénario de rupture", la Sarl Y... analyse la prise d'acte de M X... comme une démission avec toutes les conséquences devant en résulter. Subsidiairement, elle soutient le bien fondé du licenciement de Monsieur X... auquel il est reproché de nombreuses carences dans l'exercice de son activité professionnelle ainsi que le relate la lettre de licenciement.Les termes du courrier en date du 3 février 2006 adressé par Monsieur X... à son employeur sont les suivants :" Monsieur Y..., Je fais suite aux évènements du Jeudi 2 Février 2006 aux environs de 16H00, qui se sont passés comme suit :Suite à un déplacement professionnel aux Etats Unis du mardi 17 janvier au mardi 24janvier 2006 incluant un week-end de travail, je n'ai pas constaté de compensations sur ma fiche de paye de janvier. Je vous ai envoyé un Email avec pour titre : "WE NAMM" VOUS demandant de m'informer sur ce que prévoyait la convention collective (récupération et paiement) pour le travail d'un employé le week-end.A cela vous m'avez répondu par Email que vous ne saviez pas et vous m'avez dans ce même Email demandé la cause de ma requête.Je vous ai répondu par Email que je souhaitais juste connaître mes droits. A cela vous m'avez répondu par Email que je ne "manquais pas de toupet ».Juste après l'envoi de votre Email, vous êtes sorti de votre bureau en vous dirigeant vers moi et en vous exprimant très clairement, et ce, en présence de plusieurs collègues, que j'étais "viré" et que je pouvais partir immédiatement.A cela, vous m'avez interdit l'accès à mon poste de travail et avez éteint mon ordinateur. Vous m'avez alors renouvelé votre décision de me voir quitter l'entreprise sur le champ et que j'étais "viré".Malgré cela, ayant été surpris par cette réaction soudaine de votre part et ne sachant quelle attitude tenir face à cette situation, je n'ai pas voulu partir de l'entreprise avant la fin de ma journée de travail, craignant que l'on m'accuse ultérieurement d'abandon de poste. Je suis donc resté en salle de réunion pendant deux heures jusqu'à 18h30.Durant ces deux heures d'attente, vous m'avez réitéré votre désir de me voir quitter l'entreprise et que cela ne servait à rien de rester, J'ai réitéré mon souhait de vouloir rester jusqu'à 18h30. A 18h30, j'ai alors quitté l'entreprise normalement.Je me suis présenté à l'entreprise le vendredi 3 février à 9h00. Je suis allé vous voir dans votre bureau afin de savoir ce qui allait se passer suite aux évènements du Jeudi février. A cela, vous m'avez répondu que je recevrai un courrier recommandé de votre part, et que je devais partir.J'ai donc quitté l'entreprise le vendredi 3 février 2006 à 9h10 pour me rendre, mon domicile.Par cela, je prends donc acte de la rupture de mon contrat de travail de votre fait en date vendredi 3 Février 2006.Veuillez agréer, Monsieur Y..., mas salutations distinguées."Par courrier en date du même jour, la Sarl Y... a écrit en ces termes à Monsieur X... :Votre comportement général dans l'entreprise, mais surtout les nombreuses erreurs que vous dans l'exécution de vos tâches caractérisant une insuffisance professionnelle m'incitent à envisager votre licenciement.Mais avant tout décision, je tiens à vous entendre sur ce qui précède.C'est la raison pour laquelle je vous convoque à un entretien préalable qui se déroulera le mardi 14 février 2006 à 9 heures…Votre hostilité à vouloir réaliser concrètement votre travail serait de nature à démontrer que vous entendez vous désolidariser de l'entreprise, alors même que l'ensemble de vos collègues fournissent des efforts remarquables dans un esprit d'équipe que manifestement vous entendez négliger.Dans ces conditions, je préfère que vous restiez chez vous jusqu'à la date de l'entretien préalable, bien qu'il ne s'agisse pas d'une mise à pied conservatoire, sachant que vous serez intégralement payé durant cette période.J'ose croire que vous déciderez de mettre à profit cette dispense de travail, pour réfléchir à la situation et étudier de ce qui pourrait être fait de votre part pour améliorer très sensiblement votre travail pour éventuellement me faire des propositions qui soient de nature à me prouver que vous entendez réellement changer d'attitude et ce d'une manière Dans l'attente de vous rencontrer, je vous prie d'agréer, Monsieur, mes salutations distinguées »Ces deux courriers, adressés en recommandé avec accusé de réception, portent la même date, celle du 3 février 2006. Ne constituant pas une réponse de l'un adressée à l'autre, ils relatent une crise dans les relations de travail unissant le salarié et son employeur dans des termes divergents.Les documents que verse aux débats Monsieur X... (documents de la Poste "preuve du dépôt" et "accusé de réception") établissent que celui-ci a bien envoyé son courrier à la date du 3 février 2006, à son employeur qui l'a reçu le 7 février 2006, date à laquelle il en a signé l'accusé de réception. En revanche, en ce qui concerne l'employeur, à défaut de produire ces mêmes documents, la date du 3 février apposée sur le courrier qu'il a adressé à son salarié n'est pas établie en toute certitude et la date de réception est indéterminée. En outre, l'employeur n'a pas répondu à son salarié, ni pour contester, ni pour admettre les termes de son courrier lui faisant part de ce qu'il prenait acte de son licenciement verbal, dans des termes dénués de toute ambiguïté. Seule la lettre de licenciement datée du 23 février 2006, soit près de trois semaines plus tard, en fait mention, qui plus est incidemment, en énonçant à la fin "Or, non seulement vous refusez de travailler mais en plus vous adoptez des attitudes provocatrices, et à cet égard votre lettre datée du 3 février dont je conteste les termes, démontre que ..."Il s'ensuit que le licenciement verbal de Monsieur X... est avéré. Celui-ci est intervenu sans que au préalable, la société ait suivi les procédures imposées, à cet effet, par les articles L 122-14 et suivants du code du travail.Le courrier daté du 3 février, portant convocation à un entretien préalable de licenciement adressé par l'employeur, apparaît en conséquence comme une tentative de donner au licenciement notifié le 23 février 2006, une apparence de régularité, que l'employeur a encore souhaité accroître par l'envoi ultérieur à son salarié des courriers des 27 février, 1er mars et 7 mars 2006, soit pour lui opposer de nouveaux griefs, soit pour s'étonner de son absence pendant la durée du prétendu préavis.Cette apparence ne résiste cependant pas à l'examen alors que, en tout état de cause, la régularisation de la procédure entreprise par l'employeur s'analyse en un repentir qui est en l'absence d'acceptation du salarié sans effet sur le licenciement verbal antérieurement prononcé, par lequel la rupture des relations de travail a été consommée.Il s'ensuit qu'à défaut pour l'employeur d'avoir respecté les procédures prévues aux articles L.122-14 et suivants du code du travail et d'en avoir précisé les motifs, le licenciement de Monsieur X... apparaît sans cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré est donc infirmé sur ce chef » ;
1. ALORS QUE le juge du fond ne peut modifier les termes du litige tels que déterminés par les prétentions des parties ; qu'en l'espèce, Monsieur X... n'avait jamais soutenu que le courrier daté du 3 février 2006 portant convocation à un entretien préalable de licenciement que lui avait adressé l'employeur aurait été rédigé et adressé à une date postérieure, ou qu'il n'aurait pas reçu ce courrier; qu'en jugeant qu'à défaut pour la société Y... de produire la preuve du dépôt et l'accusé de réception de son courrier daté du 3 février 2006, cette date n'était pas établie avec certitude et la date de réception était indéterminée, de sorte qu'il convenait d'en déduire la valeur probante du courrier du 3 février 2006 du salarié, la Cour d'appel a dénaturé les termes du litige en violation de l'article 4 du nouveau code de procédure civile ;
2. et ALORS à tous le moins QU'en l'absence de toute argumentation ou contestation du salarié sur les dates d'envoi et de réception du courrier du 3 février 2006 adressé par l'employeur, il appartenait aux juges du fond, s'ils entendaient tirer des conséquences juridiques du moment précis auquel l'employeur, sur lequel ne pesait pas la charge de prouver l'absence d'un licenciement verbal, avait adressé la convocation du salarié à un entretien préalable et sur le moment auquel ce dernier l'avait reçu, de solliciter au préalable de l'employeur qu'il en justifie par la production de l'avis de dépôt et de l'accusé de réception du courrier litigieux ; qu'en s'en abstenant, la Cour d'appel a violé les articles 7,8,11 et 16 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des Libertés ;
3. ALORS QU'il appartient au salarié demandeur d'établir l'existence d'un licenciement verbal ; qu'en l'espèce, en reprochant à l'employeur de ne pas établir avoir contesté suffisamment tôt les termes du courrier du salarié faisant part de ce qu'il prenait acte de son licenciement verbal pour en déduire que celui-ci était avéré, la Cour d'appel a fait peser sur l'employeur la charge de la preuve de l'absence de licenciement verbal quand il appartenait au salarié de démontrer, autrement que par ses seules affirmations, l'existence d'un licenciement verbal, en violation de l'article 1315 du code civil ;