LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Alain,- Y... Jean-François,
contre l'arrêt de la cour d'appel de CHAMBÉRY, chambre correctionnelle, en date du 19 mars 2008, qui a condamné le premier, pour corruption passive, à six mois d'emprisonnement avec sursis et 3 000 euros d'amende, le second, pour complicité de corruption passive, à deux mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé pour Alain X..., pris de la violation des articles 111-5, 112-1, 121-3 et 432-11 du code pénal, 459, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Alain X... coupable de corruption passive et l'a condamné pénalement et civilement ;
"aux motifs que, s'il est acquis que la réunion à la Mairie au cours de laquelle a été signée la reconnaissance de dette s'est tenue le 9 novembre alors que le permis de construire avait été délivré le 8 novembre 2004, cet élément est sans emport sur la cause dès lors que l'infraction résulte de la seule sollicitation, à tout moment, de dons, promesses pour accomplir un acte de sa fonction et que les allégations de M. Z... selon lesquelles Alain X... lui avait réclamé des fonds dès qu'il avait eu connaissance du projet sont établies non seulement par le témoignage de Mme A... mais par les déclarations d'Alain X... lui-même et que, d'autre part, à cette date, seule la finalisation de l'opération s'est jouée, le maire ayant conservé le permis de construire après l'avoir signé comme ultime moyen de pression sur son administré pour faire aboutir ses sollicitations ; que « l'élément intentionnel résulte de la conscience qu'avait Alain X... du fait qu'il était sans droit pour exiger cette somme, ce qu'il a expressément reconnu dans son interrogatoire d'enquête préliminaire et qui suffit en tout état de cause à démontrer la parfaite connaissance qu'il avait des conditions d'exigibilité de la TLE et les marchandages dont il a accompagné les démarches de M. Z... en vue de l'obtention de son permis de construire » ; que « le fait que le projet aurait dû se heurter à un refus de permis de construire n'a pas à être pris en considération dès lors que cette circonstance n'autorisait pas plus Alain X... à réclamer le paiement de la somme litigieuse et qu'à supposer cette hypothèse avérée, ce qui n'est pas le cas en l'état du dossier, il aurait été le seul responsable de cette situation pour avoir transmis à la DDE des plans de l'existant qu'il savait faux » ; qu'enfin, le fait que les dons ou promesses sollicités l'aient été au bénéfice d'un tiers n'est pas de nature à faire disparaître l'infraction, les dispositions de l'article L. 432-11 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi du 13 novembre 2007 ne distinguant pas selon que le bénéfice de la corruption est destiné à l'auteur lui-même ou à autrui et ne subordonnant pas l'existence de l'infraction à une condition d'enrichissement personnel, direct ou indirect de l'auteur » ;
"alors que, selon l'article 432-11 du code pénal, dans sa rédaction antérieure à la loi du 13 novembre 2007 sur la lutte contre la corruption, applicable aux faits de l'espèce, la corruption passive résultait du fait de solliciter ou agréer « des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques » au seul profit de son auteur ; que dès lors, la cour d'appel, qui considère que le seul fait que la promesse sollicitée l'ait été au profit d'un tiers, à savoir la commune, indirectement à travers son office du tourisme, ne fait pas disparaître l'infraction, a méconnu l'article précité ;
"alors qu'à tout le moins, la corruption passive résulte du seul fait de solliciter ou agréer « des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques » au profit de son auteur ou pour autrui, à l'exclusion de la personne publique pour laquelle le corrompu exerce la fonction ou le mandat à l'occasion desquels il commet l'infraction ; que, dès lors, d'une part, la cour d'appel ne pouvait considérer que le fait que la corruption visait à favoriser un tiers était indifférent pour retenir l'infraction, sans répondre au chef péremptoire des conclusions qui soutenait que le bénéficiaire de l'avantage sollicité n'était autre que la commune pour le compte de laquelle le maire avait demandé les fonds, ce qui excluait la possibilité de retenir l'infraction ; que, dès lors, d'autre part, à supposer qu'elle ait admis que ce tiers était la commune, la cour d'appel a méconnu l'article 432-11 du code pénal ;
"alors qu'enfin, les juges du fond doivent constater l'intention du corrompu de porter atteinte aux intérêts de l'administration ou la collectivité dans laquelle il exerce ses fonctions ou son mandat, par un acte contraire à la probité, pour caractériser la corruption passive ; qu'en l'espèce, en se contentant de constater que le prévenu savait qu'aucune taxe locale d'équipement n'était due par M. Z..., contrairement à ce qu'il avait affirmé à ce dernier afin qu'il signe une reconnaissance de dette d'un montant équivalent à cette taxe, la cour d'appel n'a pas constaté que le prévenu avait ainsi voulu porter atteinte aux intérêts de la commune dont il était le représentant et n'a pu caractériser l'élément intentionnel de la corruption ;
Attendu que, pour déclarer Alain X... coupable de corruption passive, l'arrêt attaqué et le jugement qu'il confirme énoncent que la somme d'argent que celui-ci a indûment réclamée en contrepartie de la délivrance d'un permis de construire devait profiter à la commune dont il était le maire ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que le profit retiré par le corrompu peut être indirect, la cour d'appel a justifié sa décision au regard de l'article 432-11 du code pénal, dans sa rédaction alors en vigueur ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour Jean-François Y..., pris de la violation des articles 121-7 du code pénal, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Jean-François Y..., coupable de complicité de corruption passive, et l'a condamné pénalement et civilement ;
"aux motifs qu'en établissant la reconnaissance de dette signée par Gilles Z..., Jean-François Y... a facilité la commission du délit ; que la requalification des faits reprochés en complicité de corruption passive a été mise dans le débat et Jean-François Y... mis en mesure de se défendre sur ce point ; que s'il est acquis qu'il a agi sur ordre et que son statut de subordonné du Maire lui rendait délicat de s'opposer à l'opération, il n'en demeure pas moins qu'il résulte de ses propres déclarations qu'il avait conscience de participer à une action illégale aux fins d'obtenir de Gilles Z... des fonds que celui-ci n'avait aucune obligation de payer ; que sa culpabilité sera en conséquence retenue comme complice de l'infraction commise par Alain X... ... " ;
"alors que, d'une part, tout jugement ou arrêt doit établir en lui même, la preuve intrinsèque de sa régularité ; que la procédure pénale doit être contradictoire, et préserver l'équilibre des droits des parties ; que, lorsque la cour d'appel est amenée à requalifier les faits ayant justifié la relaxe du prévenu par les premiers juges, elle doit préalablement inviter le prévenu à présenter sa défense sur la nouvelle qualification envisagée ; qu'en se bornant à énoncer, pour retenir la culpabilité du prévenu sur cette nouvelle infraction, que : "la requalification des faits reprochés en complicité de corruption passive a été mise dans le débat et Jean-François Y... mis en mesure de se défendre sur ce point", sans mettre la Cour de cassation en mesure de vérifier cette assertion, par d'autres mentions destinées à établir la preuve que le prévenu avait été préalablement avisé de l'intention de la cour, et mis en mesure de disposer du temps et des facilités nécessaires pour sa défense, la cour d'appel a violé les droits de la défense, et privé sa décision des motifs propres à justifier le dispositif ;
"alors que, d'autre part, les jugements et arrêts rendus en dernier ressort sont déclarés nuls s'ils ne contiennent pas de motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif ; qu'il en est de même lorsqu'il a été omis ou refusé de prononcer soit sur une ou plusieurs demandes des parties, soit sur une ou plusieurs réquisitions du ministère public ; qu'avant de procéder à la requalification des faits, la cour d'appel se devait de se prononcer sur les faits poursuivis, et sur la relaxe du prévenu prononcée par les premiers juges, dont la confirmation était demandée ; qu'en s'abstenant de statuer sur les seuls faits dont elle était saisie, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale" ;
Attendu qu'il résulte tant des mentions de l'arrêt que des pièces de procédure que Jean-François Y... a été mis en mesure de s'expliquer sur la nouvelle qualification de complicité de corruption passive qui a été retenue par la cour d'appel ;
Que, dès lors, le moyen manque en fait ;
Mais sur le second moyen de cassation proposé pour Alain X..., pris de la violation du décret du 16 fructidor an III, des articles 10 à 13 de la loi des 16-24 août 1790, 432-11 du code pénal, 2,3, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Alain X... à verser à la partie civile la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral résultant de la corruption passive dont il a été déclaré coupable ;
"aux motifs adoptés que son préjudice moral est en revanche démontré » ;
"alors que, d'une part, les tribunaux répressifs de l'ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d'une administration ou d'un service public en raison d'un fait dommageable commis par l'un de leurs agents ; que, d'autre part, l'agent d'un service public n'est personnellement responsable des conséquences dommageables de l'acte délictueux qu'il a commis que si cet acte constitue une faute détachable de ses fonctions ; qu'il résulte de l'arrêt confirmatif attaqué que les juges d'appel, après avoir déclaré Alain X..., maire de la commune de Morillon, coupable de corruption passive en sollicitant le versement d'une somme au profit de la commune, l'ont condamné à des réparations en faveur de Gilles Z..., partie civile ; qu'en se reconnaissant ainsi compétente pour statuer sur la responsabilité civile du prévenu, maire ayant agi dans l'exercice de ses fonctions, sans rechercher si la faute imputée à celui-ci présentait le caractère d'une faute personnelle détachable du service, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe rappelé ci-dessus" ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Attendu que, d'une part, les tribunaux répressifs de l'ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d'une administration ou d'un service public en raison d'un fait dommageable commis par l'un de ses agents, d'autre part, l'agent d'un service public n'est personnellement responsable des conséquences dommageables de l'acte délictueux qu'il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions ;
Attendu que, pour condamner solidairement les prévenus à verser des dommages et intérêts à la partie civile, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Mais attendu qu'en se reconnaissant ainsi compétente pour statuer sur la responsabilité civile d'Alain X... et de Jean-François Y..., respectivement maire et secrétaire de mairie ayant agi dans l'exercice de leurs fonctions, sans rechercher, même d'office, si la faute imputée à ceux-ci présentait le caractère d'une faute personnelle détachable du service, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe rappelé ci-dessus ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Chambéry, en date du 19 mars 2008, en ses seules dispositions ayant prononcé sur les intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Grenoble, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application, au profit de la partie civile, de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Chambéry, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Dulin conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Nocquet conseiller rapporteur, M. Rognon conseiller de la chambre.
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.