Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Geoffroy,- Y... Aude, épouse X..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs,- Z... Annick,- Z... Brigitte,- Z... Etienne,- Z... Marie,- Z... Marie-Josée,- Z... Marie-Thérèse,- Z... Odile,- Z... Pauline,- Z... Sophie,- Z... Suzanne,- Z... Sylvie,- Z... Valérie,- Y... Patrick,- Y... Chantal,- A... Catherine, veuve Z..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de son enfant mineur, parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de RIOM, chambre correctionnelle, en date du 26 mars 2008, qui les a déboutés de leurs demandes, après relaxe de la société CGAO du chef d'homicides involontaires ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé par Me Luc-Thaler pour Geoffroy et Aude X..., pris de la violation des articles 121-3 et 221-6 du code pénal, 1382 et 1383 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé la prévenue des fins de la poursuite et débouté les parties civiles de leurs demandes ;
" aux motifs que " les autopsies des corps des trois victimes ont révélé que les décès étaient compatibles avec un syndrome asphyxique par hypoxie, hypoxémie après inhalation accidentelle de vapeurs d'hydrogène sulfuré et d'acide cyanhydrique dans un espace clos (silo hermétique) dans le cadre du travail, l'hydrogène sulfuré, gaz foudroyant inodore à forte concentration inhalé, provient de la fermentation, putréfaction du mélange de grains ensilé sous une bâche hermétique ; que les experts ont précisé que l'hydrogène sulfuré (H2S) est un gaz foudroyant inhibant la chaîne respiratoire cytochronique à l'origine d'une anoxie cellulaire et qui a également un effet dépresseur direct sur tout le système nerveux central incluant la paralysie totale du centre de la respiration, le système cardiaque étant atteint dans les minutes qui suivent ; qu'il est communément admis que l'hydrogène sulfuré se forme par fermentation anaérobie des substances organiques les plus diverses et que son odeur fétide caractéristique s'atténue ou même disparaît à forte concentration par anesthésie de l'odorat au dessus de 100 ppm, que l'inhalation d'une forte concentration de cyanure d'hydrogène a un effet immédiat et entraîne la mort en quelques minutes dans un tableau de coma convulsif avec apnée et collapsus cardio vasculaire ; que l'analyse bactériologique du grain a révélé la présence d'une bactérie phytopatogène identifiée comme étant Pantea Spp et d'un champignon cosmopolite saprophyte des végétaux dénommé " Alternaria " ; qu'il est vraisemblable que la bactérie a provoqué la mort d'une gamme des semences et la fermentation puis la putréfaction secondaire, cause de production d'hydrogène sulfuré ; que, pour extraire le grain du silo à boudin, Bertrand et Henri Z... ont ouvert la gaine qu'ils avaient refermée trois ou quatre jours plus tôt après avoir réalisé un premier prélèvement et ont procédé à l'aspiration du mélange triticale pois fourrager à l'aide d'une suceuse tenue manuellement par l'un d'eux tandis que l'autre agenouillé approchait le grain avec ses mains vers la bouche de la suceuse lequel était conduit par aspiration jusqu'à la benne d'une remorque ; que divers éléments relevés sur les lieux (volume du grain aspiré, témoignage de Patrick Y...) permettent d'établir que les décès sont intervenus en tout début du travail, soit entre cinq et dix minutes après que Bertrand et Henri Z... aient commencé leur opération hors la présence de témoins, seulement rejoints par le jeune B... qui, par jeu, a pénétré sous la bâche à côté des deux hommes ; que le principe du stockage de végétaux en silo boudin hermétique consiste à conserver sous enveloppe plastique souple spécifiquement conçue à cet effet, des végétaux (herbe voire grain) introduit à l'aide d'une machine emboutisseuse dédiée à cet effet ; que ce procédé de conservation par processus d'inertage, lequel se produit grâce à la consommation des faibles quantités d'oxygène présentes sous la bâche par les végétaux stockés et leur remplacement par du dioxyde de carbone, présente l'avantage d'inhiber sans apport de produits de conservation l'activité physiologique des végétaux et autres organismes présents tel que bactéries et insectes ; que ce procédé, très peu répandu en France, du moins en ce qui concerne le grain, était mis en oeuvre pour la première fois au cours de la campagne 2005 par Patrick Y... qui se lançait dans la culture biologique des céréales ; qu'après avoir lu des articles dans la presse agricole sur les avantages du stockage Silograin, Patrick C... est entré en contact avec Régis E..., exploitant agricole sur la commune de Saint-Ennemond (Allier), lequel a mis à sa disposition, à titre onéreux, courant juillet 2005, l'ensileuse Silograin et deux bâches de stockage de soixante mètres de long chacune, le tout acheté auprès de la société CGAO dont le siège est à Saint-Priest-les-Fougères (Dordogne) ; que Régis E... a procédé à une démonstration à la ferme de Patrick Y... et lui a expliqué le fonctionnement de l'emboutisseuse à l'occasion de la première visite que ce dernier lui avait rendue à Saint-Ennemond ; que Régis E... ne procédait pas à la reprise du grain selon la méthode de la suceuse manuelle pratiquée par Patrick Y... dans la mesure où il louait un extracteur type E180 qui enroule la gaine plastique au fur et à mesure et verse directement le grain dans la benne de transport ; que Régis E... remettait également à Patrick Y... plusieurs rustines destinées à réparer d'éventuels trous occasionnés par les oiseaux ou les rongeurs à la gaine plastique dont l'étanchéité doit être parfaite afin de ne pas permettre l'introduction d'air ou d'eau ; que Régis E... s'était approvisionné auprès de la société CGAO qui lui a fourni la machine à ensiler et les gaines plastiques importées d'Argentine où le procédé de stockage par boudin souple est répandu ; qu'à l'occasion de la livraison, François F... gérant de la société CGAO, s'est rendu chez Régis E... et au cours d'une séance de démonstration qui aurait duré trois ou quatre heures environ, lui a expliqué le fonctionnement de la machine et ses conditions d'utilisation ; que la société CGAO ignorait que Régis E... avait loué le matériel (ensileuse Silograin et boudin plastique) à Patrick Y... et ne l'a appris qu'après le décès des trois victimes ; que, s'agissant d'un procédé nouveau de conservation des grains utilisé par quelques agriculteurs seulement et diffusé par cinq sociétés en France, CGAO avait fait procédé, par Arvalis, à une étude technico-économique sur la conservation du grain en boudin plastique ; que son rapport, remis en 2004, a fait l'objet d'une diffusion dans la presse spécialisée et n'a pas attiré l'attention des usagers sur des risques liés à la reprise du grain (destockage) et sur d'éventuels risques mortels ; que la littérature publiée dans la presse spécialisée en fin d'année 2004 ainsi que les articles publiés sur le net auxquels il est probable que Patrick Y... avait eu accès ne signalaient pas ce risque ; qu'en l'espèce, la formation de ces gaz, qui n'a pas été rencontrée lors de l'étude Arvalis, a été rendue possible par la présence de trous dans la gaine plastique ainsi que par l'ouverture du silo quelques jours plus tôt pour un premier prélèvement opéré à la demande de Patrick Y... ; (...) que le ministère public a engagé des poursuites contre la seule société CGAO lui faisant reproche de n'avoir fourni aucune notice d'instruction du procédé de stockage du grain ni " modèle d'attestation de sécurité " mettant notamment en garde l'utilisateur du danger d'utilisation de ce procédé ; qu'il convient de souligner qu'il n'existe, en l'espèce, aucun lien contractuel entre la société CGAO et Patrick Y... utilisateur du matériel qui lui avait été loué par Régis E... lequel avait reçu au cours d'une longue séance de démonstration les renseignements relatifs à la mise en service du matériel étant précisé que la machine à ensiler Silograin n'a joué aucun rôle causal dans la mort des trois victimes et que seule la méthode de reprise du grain est en cause " (arrêt, pp 6-8) ;
" 1°) alors que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, et méconnaître le sens et la portée des articles 121-3 et 221-6 du code pénal, constater que, d'une part, le décès des victimes avait pour cause certaine l'inhalation de gaz produits par le procédé hermétique de stockage mis sur le marché par la prévenue, et considérer, d'autre part, que ledit procédé n'a joué aucun rôle causal dans la mort des trois victimes ;
" 2°) alors que, en matière d'homicide involontaire, le lien de causalité entre la faute du fabricant d'un produit dangereux et le décès de la victime est indépendant du lien contractuel unissant le fabricant du produit à son utilisateur ; qu'en considérant, pour relaxer le prévenu des fins de la poursuite, qu'il n'existe aucun lien contractuel entre la prévenue et l'utilisateur du matériel Silograin, la cour d'appel a violé les textes visés au pourvoi " ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé, dans les mêmes termes, pour les consorts Z..., pour Patrick et Chantal C..., et pour Catherine A... ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pour Geoffroy et Aude X..., pris de la violation des articles 121-3 et 221-6 du code pénal, 1382 et 1383 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé la prévenue des fins de la poursuite et débouté les parties civiles de leurs demandes ;
" aux motifs que, " s'agissant d'un procédé nouveau de conservation des grains utilisé par quelques agriculteurs seulement et diffusé par cinq sociétés en France, CGAO avait fait procédé par Arvalis à une étude technico-économique sur la conservation du grain en boudin plastique ; que son rapport remis en 2004 a fait l'objet d'une diffusion dans la presse spécialisée et n'a pas attiré l'attention des usagers sur des risques liés à la reprise du grain (destockage) et sur d'éventuels risques mortels ; que la littérature publiée dans la presse spécialisée en fin d'année 2004 ainsi que les articles publiés sur le net auxquels il est probable que Patrick Y... avait eu accès ne signalaient pas ce risque ; qu'en l'espèce, la formation de ces gaz, qui n'a pas été rencontrée lors de l'étude Arvalis, a été rendue possible par la présence de trous dans la gaine plastique ainsi que par l'ouverture du silo quelques jours plus tôt pour un premier prélèvement opéré à la demande de M. Y... (...) ; qu'il convient de souligner qu'il n'existe, en l'espèce, aucun lien contractuel entre la société CGAO et Patrick Y... utilisateur du matériel qui lui avait été loué par Régis E... lequel avait reçu au cours d'une longue séance de démonstration les renseignements relatifs à la mise en service du matériel étant précisé que la machine à ensiler Silograin n'a joué aucun rôle causal dans la mort des trois victimes et que seule la méthode de reprise du grain est en cause ; que l'on ne saurait dès lors faire reproche à CGAO de ne pas avoir délivré une notice d'instruction de la machine comportant les aspects relatifs à la sécurité ; qu'en ce qui concerne le boudin plastique sous lequel les gaz mortifères se sont accumulés, aucune obligation légale, réglementaire ou de prudence, n'oblige " son fabriquant à signaler l'éventuel danger qu'il y aurait pour un être vivant à s'introduire à l'intérieur ; que la preuve d'une maladresse, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement n'est pas rapportée " (arrêt, pp. 8-9) ;
" 1°) alors que, lorsque le lien de causalité entre la faute du prévenu et le dommage est direct, le délit d'homicide involontaire est caractérisé par la commission d'une faute d'imprudence, de négligence ou par le manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ; qu'ayant relevé que la prévenue n'a fourni aucune notice d'instruction du procédé de stockage du grain ni modèle d'attestation de sécurité mettant notamment en garde l'utilisateur du danger d'utilisation de ce procédé, d'où il résulte le constat d'une négligence, le cour d'appel, qui a néanmoins relaxé la prévenue, n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations ;
" 2°) alors que la cour d'appel ne pouvait sans se contredire considérer, d'une part, qu'avant l'accident, la prévenue ignorait les risques liés à la production de gaz dangereux par le procédé incriminé et, d'autre part, que la présence de gaz dangereux dans les silos était bien connue de tous " ;
Sur le deuxième moyen de cassation, proposé, dans les mêmes termes, pour les consorts Z..., pour Patrick et Chantal C..., et pour Catherine A... ;
Les moyens étant réunis ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que la société CGAO a importé et commercialisé un nouveau procédé d'ensilage, dénommé " Silograin ", consistant à stocker dans une gaine en plastique des végétaux introduits par une ensileuse ; qu'elle a vendu ce matériel à Régis E..., exploitant agricole, et a mis à sa disposition un extracteur mécanique permettant d'enrouler la gaine au fur et à mesure de l'aspiration des végétaux ; que celui-ci a loué l'ensileuse et le silo à un autre agriculteur, Patrick Y..., qui les a utilisés pour stocker du grain ; que, le 11 novembre 2005, deux salariés de Patrick Y..., Bertrand et Henri Z..., ont entrepris d'extraire le grain à l'aide d'un aspirateur manuel ; qu'ils ont été asphyxiés, quelques minutes plus tard, par un mélange d'hydrogène sulfuré et d'acide cyanhydrique ; que le jeune B...
X..., âgé de six ans, qui, par jeu, avait pénétré sous la bâche aux côté des deux hommes, est décédé dans les mêmes conditions ; que l'enquête a établi que les gaz mortels avaient pour origine la fermentation du grain, provoquée par de l'air qui s'était introduit à l'occasion de l'ouverture temporaire, quelques jours auparavant, de la gaine, laquelle en outre était percée ; que seule la société CGAO a été poursuivie devant le tribunal correctionnel, à l'initiative du ministère public, pour avoir involontairement causé la mort des victimes en " n'ayant fourni aucune notice d'instruction du procédé de stockage du grain ni modèle d'attestation de sécurité mettant notamment en garde l'utilisateur ", sur le danger de ce procédé ; que le tribunal a relaxé la prévenue et s'est déclaré incompétent pour prononcer sur les demandes des ayants droit des victimes ; que le ministère public, ainsi que les parties civiles, ont relevé appel du jugement ;
Attendu que, pour relaxer la société CGAO et débouter les parties civiles de leurs demandes, l'arrêt retient que la prévenue, qui n'avait pas de relation contractuelle avec Patrick Y..., n'était pas tenue de délivrer une notice relative à la sécurité du silo, lequel n'avait pas causé la mort des victimes ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que les décès avaient été provoqués par l'inhalation de gaz formés à l'intérieur du silo et qu'il appartenait à la prévenue d'informer les utilisateurs des risques liés à la manipulation de ce matériel, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens proposés :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Riom, en date du 26 mars 2008, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expréssément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, sur les intérêts civils ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bourges, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Riom et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Pelletier président, M. Chaumont conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Palisse, Le Corroller, Mme Radenne conseillers de la chambre, Mme Agostini, M. Delbano, Mme Harel-Dutirou conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Boccon-Gibod ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;