LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par le ministre de l'économie, des finances et de l'emploi que sur le pourvoi incident relevé par la société Baguyled-Intermarché ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a opéré, entre octobre 2003 et mars 2004, auprès de la société Baguyled-Intermarché qui exploite un supermarché à la Côte Saint-André, un contrôle portant sur les accords de coopération commerciale souscrits par cette dernière auprès de onze de ses fournisseurs directs ; que le ministre chargé de l'économie a alors assigné la société Baguyled-Intermarché pour obtenir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6-I-2-a et L. 442-6-I-3 du code de commerce l'annulation de contrats de coopération commerciale irréguliers, le reversement par la société Baguyled-Intermarché de sommes indûment versées par ses fournisseurs, la cessation des pratiques illicites et la condamnation de la société Baguyled-Intermarché au paiement d'une amende civile ;
Attendu que la société Baguyled-Intermarché fait grief à l'arrêt d'avoir admis la recevabilité de l'appel interjeté par le délégataire du ministre, alors, selon le moyen, que constitue une irrégularité de fond celle qui affecte la validité de l'acte, tel le défaut de pouvoir de l'auteur de la déclaration d'objet ; que l'arrêté du 25 juillet 2005 doit s'interpréter dans le seul sens qui lui permet d'être légal, c'est-à-dire comme attribuant à Mme X... les seules compétences pour lesquelles la délégation a été autorisée par décret du 12 mars 1987, c'est-à-dire les seules compétences existant à cette date ; qu'en admettant néanmoins la déclaration d'appel signée par Mme X..., et invoquant les articles L. 442-6 I 2 a) et L. 442-6 I 3 du code de commerce qui n'existaient pas en 1987, était valable, la cour d'appel a violé l'article 117 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient que le décret n° 83-167 du 12 mars 1987, qui n'a pas été abrogé et est toujours applicable, autorise le ministre de l'économie à déléguer sa signature dans le cadre de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, que cette ordonnance a été codifiée et que son article 36 est devenu l'article L. 442-6 du code de commerce, que la loi NRE du 15 mai 2001, si elle a modifié l'article L. 442-6 du code de commerce et donné de nouvelles définitions de faits illicites ou des demandes nouvelles fondées sur ces faits, n'a pas conféré au ministre de l'économie un pouvoir nouveau, et que par arrêté ministériel du 25 juillet 2005, pris en application du décret n° 87-163 du 12 mars 1987, Mme X... a reçu du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, délégation permanente à l'effet de signer, dans la limite de ses attributions et de sa compétence territoriale, les actes relatifs à l'action de l'article L. 442-6 du code de commerce ; qu'ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes invoqués ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal :
Vu l'article L. 442-6 III du code de commerce, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Attendu que pour dire irrecevable l‘action du ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, en nullité des contrats de coopération commerciale et en restitution des fournisseurs et, par voie de conséquence, sans objet sa demande d'amende civile, l'arrêt retient que la loi NRE du 15 mai 2001 a donné au ministre chargé de l'économie le pouvoir d'exercer une action de substitution en faveur de la partie lésée, afin de demander, en ses lieux et place, la nullité des clauses ou contrats illicites, ainsi que la répétition de l'indu et la réparation des préjudices subis, qu'agissant sur ce fondement le ministre met nécessairement en oeuvre les droits privés des victimes pour les rétablir dans leurs droits patrimoniaux, que même s'il agit pour la défense de l'ordre public économique, cette finalité ne justifie pas l'absence des co-contractants fournisseurs, dans une action tendant à l'annulation des contrats passés entre eux et le distributeur et qu'en intentant son action judiciaire sans que les co-contractants y soient associés, voire même contre leur gré, le ministre a méconnu l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'action du ministre chargé de l'économie, exercée en application des dispositions de l'article L. 442-6-III, qui tend à la cessation des pratiques qui sont mentionnées dans ce texte, à la constatation de la nullité des clauses ou contrats illicites, à la répétition de l'indu et au prononcé d'une amende civile, est une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence qui n'est pas soumise au consentement ou à la présence des fournisseurs, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré le ministre de l'économie, des finances et de l'emploi irrecevable en son action en nullité et en restitution et en ce qu'il a dit sans objet sa demande d'amende civile, l'arrêt rendu le 6 mars 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble, autrement composée ;
Condamne la société Baguyled-Intermarché aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande, la condamne à payer au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mai deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Ancel et Couturier-Heller, avocat aux Conseils pour le ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, demandeur au pourvoi principal
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré le ministre de l'économie irrecevable en son action en nullité et restitution et dit sans objet sa demande d'amende civile ;
AUX MOTIFS QUE «sur la recevabilité de l'action en nullité des contrats de coopération économique et en restitution intentée par le Ministre de l'économie des finances et de l'emploi sans intervention des fournisseurs»
«que la SAS Baguyled soulève l'irrecevabilité de l'action du Ministre de l'économie, essentiellement au regard des dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme, en faisant valoir que l'article L 442-6-III alinéa 2 du code de commerce subordonne la répétition de l'indu, qui est sollicitée par lui, à la reconnaissance de la nullité des contrats de coopération commerciale, alors que cette nullité ne saurait être prononcée outre, et même contre l'avis des fournisseurs cocontractants ;
Que le Ministre de l'économie oppose que son action n'est pas une action en représentation des intérêts des fournisseurs ayant pour but la restauration de leurs droits patrimoniaux, mais une action autonome visant à défendre l'ordre public économique, laquelle n'est pas contraire aux dispositions de l'article 6 § 1 de la CEDH, article que le distributeur n'a, d'ailleurs pas qualité à invoquer ;
Que la loi NRE du 15 mai 2001, dans le but de renforcer les sanctions contre les pratiques abusives et faciliter la réparation des préjudices subis par les présumées victimes, a entendu élargir les prérogatives du Ministre de l'économie, initialement prévues par l'ancien article L 442-6 du code de commerce (dans sa rédaction résultant de l'article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986) en lui donnant désormais le pouvoir d'exercer une action de substitution en faveur de la partie lésée, afin de demander, en ses lieux et place, la nullité des clauses ou contrats illicites, ainsi que la répétition de l'indu et la réparation des préjudices subis ;
Qu'il en résulte que, si le Ministre de l'économie exerce bien un pouvoir propre pour lequel il dispose d'une qualité propre à agir, il reste que, dans la mesure où il se substitue à la victime des pratiques dénoncées, il met nécessairement en oeuvre les droits privés de ces victimes pour les rétablir dans leurs droits patrimoniaux, même si c'est pour la défense de l'ordre public économique ;
Que cependant aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit la possibilité pour la partie prétendument lésée de faire connaître sa position, ni sur les dispositions du contrat la liant au distributeur et dont le Ministre de l'économie conteste le bien fondé au regard de l'ordre public économique, ni sur l'existence et le montant des sommes que le Ministre de l'économie considère comme indues, ni, non plus, sur l'existence et le montant du préjudice des co-contractants (préjudice qui n'est, il est vrai, pas réclamé dans le présent litige par le Ministre de l'économie) ;
Que, même si le Ministre de l'économie agit dans un but propre de défense de l'ordre public économique, cette finalité ne justifie pas l'absence des co-contractants fournisseurs, spécialement dans une action tendant à l'annulation des contrats passés entre eux et le distributeur, action par laquelle on prive, de plus, également le distributeur de son droit à un procès équitable ;
Qu'ainsi, à juste titre, la SAS Baguyled fait valoir qu'en intentant son action judiciaire sans appeler en cause ses co-contractants fournisseurs, le Ministre de l'économie porte atteinte à leur liberté de disposer de leurs droits individuels comme ils l'entendent, et que la défense de ces droits individuels, purement privés, exercée de cette manière sans qu'ils y soient associés, voire même contre leur gré, méconnaît à la fois les droits fondamentaux de ces fournisseurs, ainsi que le siens, en qualité de défenderesse à l'action intentée, droits reconnus par l'article 6 § 1 de la CEDH ;
Que, dans la mesure où, en raison des déclarations qui précèdent, le Ministre de l'économie est irrecevable à demander l'annulation des contrats de coopération commerciale en l'absence des co-contractants fournisseurs, et dans la mesure où cette annulation constitue un préalable à ses demandes de cessation des agissements visés aux paragraphes I et II de l'article L 442-6 du code de commerce ainsi que de répétition de l'indu pour le compte des fournisseurs, partenaires économiques lésés, le Ministre de l'économie sera déclaré irrecevable pour l'ensemble de ses demandes, y compris celle relative à l'amende civile qui se trouve, dès lors, sans objet» ;
ALORS QUE l'action du ministre chargé de l'économie, exercée en application des dispositions de l'article L 442-6 III du code de commerce, qui tend à la cessation des pratiques qui y sont mentionnées, à la constatation de la nullité des clauses ou contrats illicites, à la répétition de l'indu et au prononcé d'une amende civile, est une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence qui n'est pas soumise au consentement ou à la présence des fournisseurs ;
D'où il résulte qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l'article 6 § 1 de la CEDH.Moyen produit par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils pour la société Baguyled-Intermarché, demanderesse au pourvoi incident
Il est fait grief à l'arrêt d'avoir admis la recevabilité de l'appel interjeté par le délégataire du Ministre ;
Aux motifs que «l'appelant fait valoir à juste titre que : - le décret du 12 mars 1987, qui n'a pas été abrogé depuis et qui est donc toujours applicable, autorise le Ministre de l'Economie à déléguer sa signature dans le cadre de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, - l'ordonnance susvisée du 1er décembre 1986, a été, par la suite et par ordonnance du 18 décembre 2000, codifiée dans le Code de commerce, où l'article 36 est devenu l'article L.442-6, - la loi NRE du 15 mai 2001, qui a eu pour objet de modifier un certain nombre de dispositions du Code de commerce (notamment l'article L.442-6) ainsi que de donner de nouvelles définitions de faits illicites ou des demandes nouvelles fondées sur ces faits, ne confère aucunement au Ministre de l'Economie un pouvoir nouveau, en sorte qu'elle n'atteint pas, notamment au sens de l'article 21 de la constitution sur le pouvoir réglementaire, celui d'introduire l'action qui lui est dévolue depuis 1986 ; que l'article 470-5 du Code de commerce prévoit expressément que, pour l'application des dispositions du présent livre (le livre quatrième) le ministre chargé de l'économie ou son représentant peut, devant les juridictions civiles ou pénales, déposer les conclusions et les développer oralement à l'audience. Il peut également produire les procès-verbaux et les rapports d'enquête ; que, par arrêté en date du 25 juillet 2005 portant délégation de signature, le Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a donné à Mme Danielle X..., délégation permanente à l'effet de signer, dans la limite de (son) attribution et de (sa) compétence territoriale (…) les actes relatifs à l'action prévue à l'article L. 442-6 du Code de commerce susvisé, devant les juridictions de première instance et d'appel ; qu'ainsi, Mme X..., chef de service départemental, a pu valablement, en application de l'arrêté susvisé, signer à la fois l'acte d'appel contre le jugement rendu le 14 mars 2006 par le Tribunal de commerce de Vienne, et signer les premières conclusions d'appel ;
Alors que constitue une irrégularité de fond celle qui affecte la validité de l'acte, tel le défaut de pouvoir de l'auteur de la déclaration d'objet ; que l'arrêté du 25 juillet 2005 doit s'interpréter dans le seul sens qui lui permet d'être légal, c'est-à-dire comme attribuant à Mme X... les seules compétences pour lesquelles la délégation a été autorisée par décret du 12 mars 1987, c'est-à-dire les seules compétences existant à cette date ; qu'en admettant néanmoins la déclaration d'appel signée par Mme X..., et invoquant les articles L. 442-6 I 2 a) et L. 442-6 I 3 du Code de commerce qui n'existaient pas en 1987, était valable, la Cour d'appel a violé l'article 117 du code de procédure civile.