LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 24 avril 2008), que M. et Mme X... ont déduit de l'actif imposable à l'impôt de solidarité sur la fortune, pour chacune des années 1999, 2000 et 2001, le montant d'un découvert bancaire ; que, soutenant que ce découvert avait servi à financer des biens exonérés, l'administration fiscale leur a notifié le 6 novembre 2002 un redressement ; qu'après mise en recouvrement des impositions et rejet de leur réclamation, M. et Mme X... ont saisi le tribunal de grande instance afin d'obtenir la décharge des impositions réclamées ;
Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande, alors, selon le moyen :
1°/ qu'en application de l'article 769 du code général des impôts applicable en matière d'impôt de solidarité sur la fortune, les dettes contractées pour l'acquisition ou la conservation de biens exonérés d'impôt de solidarité sur la fortune doivent être imputées par priorité sur la valeur des biens de cette nature ; qu'à cet égard, il résulte des termes même de la doctrine administrative que dans l'hypothèse où le montant des dettes liées à des biens exonérés se révèle supérieur à la valeur vénale des biens qu'elles grèvent, le contribuable est en droit de déduire l'excédent d'un tel passif de son patrimoine taxable ; que dès lors, en ayant refusé de valider l'imputation du passif litigieux tel qu'opérée par les époux X... au motif pris que le fait d'admettre la déductibilité d'un passif résultant d'un découvert bancaire ayant servi à l'acquisition de biens exonérés n'est pas une opération fiscalement neutre en ce qu'un tel dispositif reviendrait à permettre aux contribuables de faire l'acquisition de biens non taxables à l'impôt de solidarité sur la fortune en imputant le découvert bancaire y afférent sur la valeur taxable de biens non exonérés tout en diminuant leurs actifs imposables et ce, alors qu'un tel dispositif est expressément admis par la doctrine administrative, à tout le moins, pour un excédent de passif résultant de dettes professionnelles, la cour d'appel a statué par des considérations inopérantes impropres à justifier l'arrêt en ce qu'il a validé l'imputation du passif correspondant au découvert bancaire consenti aux époux X... telle qu'opérée par l'administration fiscale ; que ce faisant, la cour d'appel a affecté sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 769 du code général des impôts ;
2°/ que les dettes contractées pour l'acquisition ou la conservation de biens exonérés l'impôt de solidarité sur la fortune doivent être imputées par priorité sur la valeur des biens de cette nature ; qu'à cet égard, la doctrine administrative prévoit expressément que l'affectation de la dette doit résulter d'un contrat de prêt ; qu'en l'occurrence, il est de principe constant que l'ouverture de crédit, qui constitue une promesse de prêt, ne donne naissance à un prêt qu'à concurrence des fonds utilisés par le client ; qu'en l'espèce, pour décider que l'administration fiscale était fondée à imputer la dette correspondant au découvert bancaire consenti aux époux X... par priorité sur les biens exonérés prétendument acquis au moyen d'un tel découvert, la cour d'appel a qualifié "l'ouverture de découvert" consentie aux époux X... de contrat de prêt sur le constat que le montant maximum du découvert était déterminé au moment de l'octroi du crédit ainsi que la durée et les conditions de remboursement ; qu'en ayant statué de la sorte et ce alors, d'une part, que l'ouverture de crédit, qui ne constitue qu'une promesse de prêt au moment de l'octroi du crédit, ne donne naissance à un contrat de prêt qu'à concurrence des fonds utilisés par le client et, d'autre part, que seule une opération consistant en la mise à disposition immédiate d'une somme à restituer à une échéance et moyennant une rémunération conventionnellement fixée constitue en tant que telle une opération de prêt rémunéré, la cour d'appel s'est déterminée sur le fondement de constatations impropres à justifier l'arrêt en ce qu'il a validé l'imputation telle qu'opérée par l'administration fiscale, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles 1892 du code civil, 769 du code général des impôts et L. 80 A du code des procédures fiscales ;
3°/ qu'aux termes de la doctrine administrative l'affectation de la dette doit résulter d'un contrat de prêt ce dont il ressort, qu'il incombe à l'administration fiscale qui entend imputer par priorité un passif sur la valeur de biens exonérés l'impôt de solidarité sur la fortune, de démontrer que celui-ci résulte de l'acquisition de bien de même nature et, en tout état de cause, de caractériser le lien qui existe entre un tel passif et lesdits biens - laquelle preuve ne peut être administrée qu'au vu des termes d'un contrat de prêt prévoyant l'affectation de la dette litigieuse ; qu'il appartenait donc à la cour d'appel de rechercher si l'administration fiscale a démontré que l'affectation du passif litigieux résultait des termes d'un contrat de prêt ; que dès lors, en s'étant bornée à qualifier "l'ouverture de découvert" consentie aux époux X... de contrat de prêt sans rechercher, ainsi qu'elle le devait, s'il résultait de ladite ouverture de crédit que les fonds que la banque s'est engagée à mettre à leur disposition était affectés à l'acquisition de biens exonérés d'impôt sur la fortune, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 769 du code général des impôts ;
4°/ qu'en s'étant fondée sur le constat que les époux X... en ayant procédé à la ventilation de leurs dépenses entre biens exonérés et biens non exonérés, dans leur correspondance du 4 septembre 2002, auraient ainsi reconnu implicitement qu'ils ont recouru au découvert bancaire pour financer les dépenses relatives à des biens exonérés et ce, alors qu'aux termes de la doctrine administrative, l'affectation du passif litigieux ne peut résulter que des dispositions d'un contrat de prêt, la cour d'appel a statué par la voie d'un motif inopérant impropre à justifier l'arrêt en ce qu'il a considéré que la preuve du lien entre la dette et les biens exonérés était suffisamment rapportée par l'administration fiscale ; qu'en s'étant déterminée par de tels motifs, la cour d'appel a, ce faisant, privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 80 A du code des procédures fiscales et de l'article 769 du code général des impôts ;
5°/ qu'en ayant déduit du fait pour les époux X... d'avoir ventilé les dépenses correspondant aux biens exonérés d'impôt sur la fortune et celles afférentes à des biens non exonérés, dans leur correspondance du 4 septembre 2002, que ces derniers ont implicitement reconnu qu'ils ont recouru au découvert bancaire pour financer les dépenses afférentes à des biens exonérés, la cour a dénaturé la portée des termes clairs et précis de cette lettre dont il ressort que les intéressés se sont bornés à préciser quels étaient les biens exonérés d'impôt sur la fortune et ceux qui ne l'étaient pas et à indiquer l'objet, les dates et les montants des dépenses qui ont été engagées au titre de chacun des biens composant leur patrimoine, violant ainsi l'article 1134 du code civil ;
6°/ qu'il résulte de la doctrine administrative que ne sont pas considérées comme des dettes professionnelles les dettes de l'entreprise qui se rapportent spécialement à des biens ne présentant pas un caractère professionnel, celles afférentes à des dépenses engagées pour le compte de l'exploitant des associés ou des tiers ainsi que le compte créditeur de l'exploitant dans une entreprise individuelle ; qu'en l'espèce, les époux X... avaient fait valoir, à titre subsidiaire, que le passif correspondant aux dépenses liées au bâtiment dénommé "Ferme Caroline" de l'entreprise individuelle agricole de M.
X...
ne correspondaient nullement à des dépenses professionnelles ; que les époux X... ont exposé, au soutien d'une telle allégation, qu'un tel passif a été comptabilisé au compte 108 000, lequel constitue un sous-compte du compte de l'exploitant ; qu'en ayant néanmoins considéré qu'il appartenait aux époux X... de démontrer que les dépenses intitulées "Ferme Caroline" ne concernaient pas des dettes professionnelles contrairement à leur déclaration du 4 septembre 2002 et ce, alors qu'il incombait à l'administration fiscale, qui contestait la qualification de dettes non professionnelles des dépenses intitulées "Ferme Caroline", invoquée par les époux X..., de démontrer que de telles dépenses étaient de nature professionnelle, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et ce en violation des dispositions de l'article 1315 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient, par une interprétation nécessaire des termes ambigus de la lettre du 4 septembre 2002, qui procède à une ventilation des dépenses entre biens exonérés et non exonérés, en relation avec les débits bancaires, que les époux X... ont reconnu avoir eu recours au découvert bancaire pour le financement des biens exonérés, et admis que les dépenses relatives à la ferme "Caroline" avaient un caractère professionnel ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche, relative à la mention expresse de l'affectation des fonds dans le contrat, qui était inopérante, a, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la première branche du moyen et sans inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer au directeur général des finances publiques la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept avril deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocat aux Conseils pour M. et Mme X...
ATTENDU QU'il est fait grief à l'arrêt attaqué, d'avoir déclaré l'appel mal fondé et d'avoir confirmé en toutes ses dispositions le jugement entrepris du 4 décembre 2006 qui a constaté qu'à la suite de l'engagement de la procédure l'administration fiscale avait accordé une décharge partielle de l'impôt selon avis de dégrèvement du 27 mars 2006 et a débouté les époux Thierry X... du surplus de leurs demandes ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE, « L'article 885 D du Code général des impôts dispose que "l'impôt de solidarité sur la fortune est assis et les bases déclarées selon les mêmes règles et sous les mêmes sanctions que les droits de mutation après décès sous réserve des dispositions particulière du présent chapitre." L'article 769 du même code dispose que "les dettes à la charge du défunt, qui ont été contractées pour l'achat de biens compris dans la succession et exonérés de droits de mutation par décès ou dans l'intérêt de tels biens, sont imputées en priorité sur la valeur des dits biens. Il en est de même des dettes garanties par des biens exonérés des droits de mutation par décès lorsqu'il est établi que le ou les emprunts ont été contractés par le de cujus ou son conjoint en vue de soustraire tout ou partie de son patrimoine à l'application de ces droits." Le redressement contesté est fondé sur l'aliéna 1er de ce texte et non sur l'abus du contribuable. L'article 769 aliéna 1 prévoit l'imputation prioritaire des dettes afférentes aux biens exonérés à l'impôt de solidarité sur la fortune sur la valeur des biens non déclarés à l'impôt de solidarité sur la fortune, ce qui implique une non déductibilité de ces dettes dans la limite de la valeur du patrimoine exonéré. Or admettre la déductibilité du passif résultant d'un découvert bancaire ayant servi à l'acquisition de biens non exonérés n'est pas une opération fiscalement neutre, contrairement à ce qui est prétendu par les époux Thierry X.... En effet ainsi que le souligne l'administration fiscale, la déduction de ce passif conduit à un double avantage fiscal, lorsque le découvert est remboursé: d'une part, les contribuables auront acquis des biens non taxables à l'impôt de solidarité sur la fortune en imputant le découvert bancaire afférent sur la valeur taxable de biens non exonérés, d'autre part ils auront diminué leurs actifs financiers imposables et par conséquent le montant de l'impôt de solidarité sur la fortune dû. Les dettes visées par l'article 769 du Code général des impôts sont les dettes contractées pour l'achat de biens exonérés. Ce texte pas plus que la doctrine administrative, n'exigent que la dette soit affectée avant son engagement ni qu'il s'agisse de crédits affectés au sens du droit de la consommation. Il doit par contre être démontré qu'il s'agit de prêts ayant servi au financement desdits biens.
ET AUX MOTIFS PROPRES QUE, C'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que le découvert bancaire est un contrat de prêt, le montant maximum du découvert étant déterminé au moment de l'octroi du crédit, quand bien même son utilisation peut être partielle ou fractionnée, ainsi que la durée et les conditions de remboursement. Conformément à l'article 885 Z du Code général des impôts, lors de la déclaration d'imposition à l'impôt de solidarité sur la fortune les contribuables doivent joindre à leur déclaration les éléments justifiant de l'existence, de l'objet et du montant des dettes dont déduction est opérée. la charge de la preuve de l'objet du crédit dont la déduction est demandée pèse donc sur le contribuable. En l'espèce, les époux Thierry X... ne peuvent sérieusement soutenir au regard de l'importance du découvert dont s'agit d'un montant de 40.000.000 F au 5 septembre 1998 porté à 70.000.000 F le 15 novembre 1999, que les sommes empruntées n'auraient servi qu'au seul financement de leurs dépenses courantes. En outre, dans le courrier qu'ils ont adressé le 4 septembre 2002 à l'administration fiscale, ils ont ventilé les dépenses entre biens exonérés et biens non exonérés, reconnaissant ainsi, implicitement mais nécessairement, le recours au découvert bancaire pour le financement des biens exonérés. Dès lors qu'il est admis par les époux Thierry X... que le découvert bancaire, garanti par le nantissement de contrats d'assurance-vie, était destiné à financer leurs dépenses courantes mais aussi leurs dépenses d'investissement et notamment l'achat d'oeuvres d'art, l'achat de parts sociales d'un groupement forestier et le financement de l'activité agricole de la ferme Caroline, biens exonérés de l'impôt de solidarité sur la fortune, la preuve du lien existant entre la dette et lesdits biens exonérés est ainsi suffisamment rapportée. Il appartient aux époux Thierry X... de rapporter la preuve que les dépenses intitulées "ferme Caroline" ne concerneraient pas des dettes professionnelles contrairement à leur déclaration du 4 septembre 2002, ou que les biens exonérés auraient en réalité étaient financés au moyen de la vente de SICAV monétaires, preuve non rapportée en l'espèce. Le jugement entrepris devra donc être confirmé en toutes ses dispositions. »
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'« en l'espèce le redressement contesté est expressément fondé sur l'alinéa premier de ce texte de loi, la bonne foi du contribuable n'étant pas mise en cause. Contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, le fait de recourir à un découvert bancaire pour, notamment, acquérir des biens exonérés alors que le contribuable aurait disposé de liquidités suffisantes, n'est pas une opération fiscalement neutre puisque : s'il finance ces biens avec des fonds personnels, il ne modifie pas l'assiette de l'ISF, les biens en étant exonérés mais il diminue la valeur de son actif assujetti à l'ISF en réduisant ses liquidités imposables sans créer de passif déductible en revanche, s'il finance ces biens avec un découvert bancaire, il ne maintient la valeur de son actif assujetti à l'ISF que l'année où il engage la dépense, augmente corrélativement son passif déductible puis diminue la valeur de son actif imposable les années suivantes en remboursant le découvert.
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'ainsi, autoriser le contribuable à déduire le passif constitué par l'octroi d'un découvert bancaire aboutirait à lui permettre de financer partiellement l'acquisition de biens exonérés par l'ISF qu'il a éludé en remboursant son découvert. L'article 769 sus-rappelé n'exige nullement que la dette soit affectée préalablement à la dépense ou qu'elle résulte d'un crédit "lié" au sens du code de la consommation : il suffit qu'elle ait été contractée pour l'acquisition du bien exonéré. En l'espèce, le découvert bancaire qualifié par les parties d'ouverture de découvert ", est un contrat de prêt d'argent à intérêt, garanti par le nantissement au profit de la Banque d'un contrat d'assurance-vie, et les époux X... ne peuvent de bonne foi prétendre que les sommes ainsi empruntées, eu égard à l'importance de leur montant, ont été exclusivement affectées au paiement de leurs dépenses courantes et n'ont pas été utilisées pour financer le prix des nombreux biens exonérés qu'ils ont acquis pendant la période de référence. Ils reconnaissent d'ailleurs eux-mêmes à partir de septembre 1998, ils utilisaient deux sources de financement : la vente de SlCAV monétaires et le découvert bancaire. Il s'ensuit que de leur propre aveu contenu dans leur lettre du 4 septembre 2002, ils ont utilisé indistinctement ces deux sources pour financer l'ensemble de leurs dépenses et ils sont dans l'incapacité de démontrer que les biens exonérés ont été financés exclusivement par la vente de SICAV monétaires. Ainsi, la preuve du lien existant entre le découvert bancaire et l'acquisition de biens exonérés est suffisamment établie et l'Administration Fiscale, qui n'a pas à administrer d'autre preuve, était parfaitement fondée à imputer la dette correspondante par priorité sur la valeur desdits biens exonérés. Pour le surplus, il appartenait aux époux X... de démontrer, ce qu'ils ne font pas, que les dépenses intitulées "ferme Caroline" seraient, contrairement à leurs propres déclarations faites au Fisc, autre chose que des dépenses relatives à un bien professionnel exonéré d'ISF ce d'autant plus que l'activité professionnelle d'exploitant agricole a été expressément reconnu par le Fisc à Monsieur X.... Il en est de même en ce qui concerne le rachat des parts composant le capital du "Groupement Forestier du Climont" qui ont été déclarées le 4 septembre 2002 comme des "dépenses pour bien exonéré". Il résulte de ce qui précède que la réclamation formée par les époux X... n'est pas fondée et qu'elle doit être rejetée. »