LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur la demande de mise hors de cause :
Met hors de cause, sur sa demande, le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Salvador X..., salarié de 1967 à 2002 de la société Rhône-Poulenc, aux droits de laquelle viennent les sociétés Rhodia chimie et Rhodia intermédiaires, cette dernière devenue Rhodia opérations (les sociétés), a déclaré le 17 octobre 2003 être atteint d'une affection professionnelle consécutive à l'inhalation des poussières d'amiante que la caisse primaire d'assurance maladie de Grenoble (la caisse) a pris en charge au titre du tableau n° 30 A des maladies professionnelles le 22 mars 2004 ; qu'il est décédé le 19 octobre 2003 ; que ses ayants droit ont saisi le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (le fonds) d'une demande d'indemnisation et ont accepté l'offre d'indemnisation émise par celui-ci ; que le Fonds, subrogé dans les droits des consorts X..., a formé une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ; que la cour d'appel a dit que la maladie professionnelle dont le salarié est décédé est due à la faute inexcusable des sociétés Rhodia chimie et Rhodia intermédiaires, solidaires entre elles, dit que la décision de prise en charge de la maladie leur est opposable, fixé les conséquences financières de cette faute et dit que la caisse pourrait récupérer les sommes avancées au fonds auprès des sociétés ;
Sur la troisième branche du premier moyen et les deux premières branches du second moyen, réunies :
Vu l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale ;
Attendu que pour dire opposable aux sociétés la décision de la caisse du 22 mars 2004 de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie dont est décédé Salvador X..., l'arrêt retient que la caisse a adressé à la société Rhodia chimie un courrier daté du 10 mars 2004 pour l'informer que le dossier était entièrement constitué et qu'elle avait la possibilité de venir consulter les pièces constitutives du dossier dans un délai de dix jours à compter de la date d'établissement de ce courrier ; que la prise en charge du décès de l'assuré au titre de la législation professionnelle s'est traduite administrativement pour la caisse uniquement par la décision de versement d'une rente à ses ayants droit et qu'aucune disposition du code de la sécurité sociale n'impose à la caisse d'assurer l'information préalable de l'employeur lorsqu'elle décide de verser une rente d'ayant droit ;
Qu'en statuant ainsi, tout en constatant que l'imputabilité du décès de l'assuré à la maladie professionnelle résultait d'un avis du médecin conseil du 11 mars 2004, sans rechercher si cet élément susceptible de faire grief à l'employeur, postérieur à l'avis de clôture de l'instruction, figurait dans le dossier constitué par la caisse et mis à la disposition de celui-ci préalablement à la décision de prise en charge de la maladie du 22 mars 2004, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit opposable aux sociétés Rhodia chimie et Rhodia intermédiaires la décision de la CPAM de Grenoble du 22 mars 2004 de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie dont est décédé Salvador X..., l'arrêt rendu le 14 février 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de Grenoble aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la caisse primaire d'assurance maladie de Grenoble ; la condamne à payer aux sociétés Rhodia chimie et Rhodia opérations la somme globale de 2 500 euros ; rejette la demande du FIVA ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux avril deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP CELICE, BLANCPAIN et SOLTNER, avocat aux Conseils pour les sociétés Rhodia chimie et Rhodia opérations
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la décision de la CPAM de GRENOBLE du 22 mars 2004 était opposable aux sociétés RHODIA CHIMIE et RHODIA INTERMEDIAIRES et d'avoir dit que la CPAM de GRENOBLE se verrait remboursée les sommes dont elle devrait faire l'avance au FIVA au titre de la faute inexcusable auprès des sociétés RHODIA CHIMIE et RHODIA INTERMEDIAIRES ;
AUX MOTIFS QU‘« au regard des éléments régulièrement communiqués et notamment du certificat médical initial établi dans ces termes le 9 septembre 2003 par le pneumo-phtisiologue Bruno Y... : « conclusions : maladie professionnelle n°30 A (asb estose) », qui cite également le terme de « fibrose », la maladie professionnelle qui a été instruite et dont la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de GRENOBLE a décidé le 22 mars 2004 la prise en charge au titre de la législation professionnelle et, plus spécifiquement, du tableau n°30 A, était constituée par l'asbestose, que ce tableau désigne également sous les termes de « fibrose pulmonaire » ; qu'elle n'était pas constituée par « l'adénocarcinome » ou par le « cancer broncho-pulmonaire » dont les Sociétés RHODIA CHIMIE et RHODIA INTERMEDIAIRES ou OPERATIONS font état dans leurs écritures déposées devant la Cour au soutien de leurs observations orales, mais qui sont sans objet sur une prétendue seconde affection, distincte de l'asbestose, puisque ces parties concluent à l'inopposabilité d'une décision administrative de prise en charge distincte, en fait inexistante ; qu'en application de l'article R.441-11 du Code de la Sécurité Sociale, hors les cas de reconnaissance implicite, et en l'absence de réserves de l'employeur, la Caisse Primaire assure l'information de la victime, de ses ayants-droit et de l'employeur, préalablement à sa décision, sur la procédure d'instruction et sur les points susceptibles de leur faire grief ; que dans le cadre de l'instruction de la maladie ayant fait l'objet du certificat médical initial du 9 septembre 2003, la Caisse Primaire a adressé à la Société RHODIA CHIMIE un courrier daté du mercredi 10 mars 2004 pour l'informer qu'à ce jour le dossier était entièrement constitué et que le destinataire avait la possibilité de venir consulter les pièces constitutives du dossier pendant un délai de dix jours à compter de la date d'établissement de ce courrier ; que certes, cette lettre a été envoyée sous pli non recommandé, l'employeur ajoutant, sans produire l'enveloppe, qu'elle avait été affranchie au tarif non prioritaire ; que même en admettant qu'elle ait été timbrée au tarif lent, compte tenu des délais habituels d'acheminement, la correspondances était nécessairement parvenue à la Société RHODIA CHIMIE au plus tard le vendredi 12 mars 2004 ; que la décision a été prise le lundi 22 mars 2004 ; que l'employeur a disposé d'un délai pratique suffisant et compatible avec les exigences du principe de la contradiction, pour prendre connaissance des éléments du dossier et faire valoir ses observations ; que la décision de prise en charge de la maladie professionnelle est donc bien opposable à l'employeur ; qu'un médecin-conseil de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de GRENOBLE, le Dr Marc Z..., a estimé sur une fiche de liaison du 11 mars 2004 que le décès était imputable à la maladie professionnelle ; que l'employeur n'est donc pas fondé à demander que la prise en charge du décès lui soit déclarée inopposable » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE le débiteur d'une obligation légale d'information doit rapporter la preuve de l'exécution de son obligation, c'est-àdire de la transmission de l'information au créancier ; qu'il incombe dès lors à une CPAM, tenue en vertu de l'article R.441-11 du Code de la sécurité sociale d'assurer l'information des parties sur la procédure d'instruction et les éléments susceptibles de leur faire grief préalablement à sa décision, de démontrer que l'employeur a eu effectivement connaissance de la clôture de l'instruction avant la décision de prise en charge et a disposé d'un délai suffisant ; qu'au cas présent, la société RHODIA CHIMIE exposait qu'elle n'avait reçu le courrier simple contenant la lettre de clôture de l'instruction portant la date du 10 mars 2004, lui indiquant qu'il disposait de dix jours à compter de cette date pour venir consulter le dossier constitué par elle, seulement le 17 mars 2004 et qu'elle n'avait donc pas bénéficié d'un délai suffisant pour prendre connaissance du dossier et émettre d'éventuelles observations préalablement à la décision de la CPAM concernant la prise en charge qui est finalement intervenue le 22 mars ; que la CPAM de GRENOBLE ne produisait de son côté aucun document permettant d'attester des dates d'envoi et de réception de sa lettre de clôture de l'instruction ; que pour débouter l'employeur de sa demande d'inopposabilité, la Cour d'appel a énoncé que cette correspondance était « nécessairement parvenue à la société RHODIA CHIMIE au plus tard le vendredi 12 mars 2004 » en se fondant sur « les délais habituels d'acheminement » du courrier ; qu'en fixant ainsi la date de réception du courrier par l'employeur, sans faire reposer sa motivation sur un fait réel et certain, mais en se fondant sur une pure hypothèse, la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles R.441-11 du Code de la sécurité sociale et 1315 du Code civil ;
ALORS, D'AUTRE PART ET EN TOUTE HYPOTHESE, QUE, à supposer que la référence aux « délais habituels d'acheminement du courrier » permette de déterminer la date de réception d'un courrier, encore faut-il dans cette hypothèse que soit établie préalablement de manière certaine la date d'envoi du courrier ; qu'à cet égard, le fait qu'une lettre indique une certaine date ne permet nullement de considérer qu'elle a été effectivement envoyée à cette date en l'absence de tout document attestant de l'envoi de ce courrier ; qu'en énonçant dès lors que « compte tenu des délais habituels d'acheminement, la correspondance était nécessairement parvenue à la société RHODIA CHIMIE au plus tard le vendredi 12 mars 2004 », sans avoir préalablement déterminé la date d'envoi par la CPAM de GRENOBLE de son courrier de clôture de l'instruction, la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article R.441-11 du Code de la sécurité sociale ;
ALORS, ENFIN QUE viole l'article 455 du Nouveau Code de Procédure Civile, la Cour d'Appel qui laisse dépourvues de toute réponse les conclusions péremptoires de RHODIA CHIMIE faisant valoir que la fiche du médecin-conseil imputant le décès à l'AT-MP de Monsieur X... n'avait été enregistrée par la Caisse que le 19 mai 2004 et qu'ainsi, le dossier, était nécessairement incomplet au jour de la prétendue communication et de la prise en charge intervenue le 22 mars précédent.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
, SUBSIDIAIRELe pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les sociétés RHODIA CHIMIE et RHODIA INTERMEDIAIRES de leur demande tendant à ce que la prise en charge du décès de Monsieur X... par la CPAM de GRENOBLE leur soit déclarée inopposable ;
AUX MOTIFS QUE « la prise en charge, le décès de l'assuré au titre de la législation professionnelle s'est traduite administrativement pour la Caisse Primaire d'Assurance Maladie uniquement par la décision de versement d'une rente à ses ayants-droit ; qu'aucune disposition du Code de la Sécurité Sociale n'impose à la Caisse d'assurer l'information préalable de l'employeur lorsque la Caisse décide, ce qu'elle a fait le 17 juin 2004 au bénéfice de Madame Conception X..., de verser une rente d'ayant-droit par application des articles L.434-15 et R.434-35 du même Code ; que l'employeur n'est donc pas fondé à soulever de ce chef un moyen d'inopposabilité ; qu'il conserve la faculté de contester, notamment devant la juridiction saisie de la question de la faute inexcusable et de l'indemnisation des ayants-droit, le lien entre le décès et la maladie professionnelle, ce que fait en l'espèce la Société RHODIA CHIMIE puisqu'elle invoque un « doute sérieux » sur l'origine professionnelle, en faisant valoir que le cancer des poumons est dû majoritairement au tabac et à hauteur de seulement 10 % aux poussières d'amiante ; que Salvador X... n'a pas été reconnu atteint d'un cancer broncho-pulmonaire mais d'une asbestose ; que le Docteur Denis A...
B..., du département de pneumologie du CHU de GRENOBLE, a certifié le 19 novembre 2003 que Salvador X... était décédé des suites de sa maladie professionnelle ; qu'un médecin-conseil de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de GRENOBLE, le Dr Marc Z..., a estimé sur une fiche de liaison du 11 mars 2004 que le décès était imputable à la maladie professionnelle ; que l'employeur n'est donc pas fondé à demander que la prise en charge du décès lui soit déclarée inopposable » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE si aucune disposition du Code de la Sécurité Sociale n'impose à la Caisse l'information préalable de l'employeur lorsqu'elle décide d'allouer une rente aux ayants droit du défunt, une telle décision résulte nécessairement d'une reconnaissance de l'origine professionnelle de cet évènement dont l'entreprise est d'autant plus fondée à contester l'opposabilité que ladite reconnaissance a fait l'objet d'une simple décision administrative implicite ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a violé l'article R.441-11 et, par fausse application, l'article L.434-7 du Code de la Sécurité sociale ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU'en se référant à la fiche du médecin-conseil du 11 mars 2003, affirmant que le décès était imputable à « la maladie professionnelle », la Cour de GRENOBLE reconnaît par là même qu'une instruction médicale interne a eu lieu pour rechercher les causes du décès, et ne peut, dès lors, sans priver sa décision de toute base légale au regard des articles R.441-100 et R.442-1 (applicables à l'époque) décider, par ailleurs, que la prise en charge du décès serait intervenue au terme d'une décision simplement « administrative » d'allocation d'une rente aux ayants-droit, non susceptible d'opposabilité ;
ALORS, DE TROISIEME PART, QUE lorsque le salarié décède après avoir régularisé une déclaration de maladie professionnelle auprès de la CPAM, il n'en résulte aucune présomption de l'origine professionnelle de ce décès ; que l'exposante avait fait valoir que le lien de causalité entre l'asbestose, reconnue par la Caisse, et le décès était d'autant moins établi que, dans les rapports entre les ayants-droit de la victime et le FIVA, le décès avait été imputé à un « carcinome pulmonaire gauche » ; que prive sa décision de toute base légale au regard des articles 1315 et 1349 du Code Civil, la Cour d'Appel qui, statuant dans le cadre de la contestation judiciaire, se borne, pour dénier tout rôle causal à cette affection, à énoncer qu'elle n'a pas fait l'objet d'une reconnaissance par la Caisse ;
ALORS, ENFIN ET SUBSIDIAIREMENT, QUE ni l'avis du médecin traitant du 19 novembre 2003, ni celui du médecin-conseil du 11mars 2004 qui affirment l'existence d'une relation de cause à effet entre la maladie professionnelle et le décès de Monsieur X... ne précisent la nature exacte de cette affection, de sorte qu'en se référant, dans le cadre du débat judiciaire, à ces pièces pour affirmer que l'asbestose reconnue à l'encontre des exposantes serait bien à l'origine du décès, la Cour d'Appel a, à nouveau, privé sa décision de base légale au regard des articles R.441-10 et D.461-8 du Code de la Sécurité Sociale et 1315 du Code Civil.