LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., qui exerçait une activité d'exploitant agricole à titre individuel, a consulté en 1996 le Centre de gestion et d'économie rurale (le CGER) qui lui a conseillé de modifier la structure de son exploitation en créant une EARL qui deviendrait locataire du domaine agricole et à laquelle il apporterait les moyens d'exploitation lui appartenant en propre ; qu'il a constitué cette EARL, le début d'exploitation étant fixé au 1er octobre 1996 ; que le CGER a poursuivi sa mission d'expertise comptable ; que l'option fiscale permettant de calculer les bénéfices agricoles imposables suivant la moyenne triennale a été maintenue ; que de même l'assiette des cotisations sociales est demeurée triennale ; que, reprochant notamment au CGER d'avoir préconisé un montage juridique inadapté et de ne pas l'avoir utilement conseillé quant au choix des options fiscales et sociales, ce qui a eu pour conséquence l'intégration dans l'assiette des impôts et des cotisations, pendant plusieurs exercices, du bénéfice particulièrement élevé dégagé en 1996, l'EARL a saisi le tribunal de grande instance afin d'obtenir réparation de son préjudice ; que M. X... est intervenu à l'instance ;
Attendu que pour rejeter la demande de M. X..., l'arrêt retient que le respect par le comptable de son obligation doit être apprécié au regard de la mission qui lui a été confiée, en fonction des données existantes; que la progression des revenus agricoles entre 1995 et 1996 s'expliquait par la décision de M. X... d'arrêter l'exercice 1996 à la fin du mois de septembre 1996, renforçant ainsi puissamment les effets de la hausse du cours des tomates, décision qui ne s'explique que par la perspective du divorce des époux X..., ce qui confirme que l'opération conseillée par le CGER à son client avait bien pour objet d'écarter l'épouse de l'exploitation agricole ; que si, a posteriori, l'analyse des revenus agricoles à partir de 1997 fait apparaître que l'abandon du système de la moyenne triennale aurait été avantageux pour ce dernier, ces résultats n'étaient pas connus du CGER à la date à laquelle la dénonciation aurait pu être effectuée, en 1997, et que rien ne permettait alors à celui-ci de supposer que le chiffre d'affaires dégagé en 1996 ne serait pas maintenu durant les années suivantes ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il incombe à l'expert comptable, qui conseille à son client la création d'une EARL, de l'informer des différentes options qui sont à sa disposition, en matière fiscale et sociale, et de l'éclairer sur leurs avantages et inconvénients respectifs, en fonction notamment des évolutions possibles du chiffre d'affaires, la cour d‘appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de M. X..., l'arrêt rendu le 3 octobre 2007 par la cour d'appel d'Agen, remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne le Centre de gestion et d'économie rurale aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne le Centre de gestion et d'économie rurale à payer à M. X... la somme de 2 500 euros et rejette sa demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept janvier deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Spinosi, avocat aux Conseils pour M. X... et l'EARL de Bayonet
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit qu'aucun manquement du CGER à son devoir de conseil n'est établi et d'avoir débouté Monsieur X... de toutes ses demandes ;
Aux motifs que «Bernardus X..., après avoir exposé que d'autres montages juridiques auraient été plus avantageux pour lui, fait grief au C.G.E.R. de ne pas l'avoir utilement conseillé après la création de l'EARL et la conclusion du bail rural quant aux choix :
1) des options fiscales, l'absence de dénonciation en 1997de l'option pour la moyenne triennale souscrite en 1987, ayant eu pour conséquence le renouvellement tacite de cette option et par suite l'intégration dans l'assiette du bénéfice agricole pendant les deux exercices suivant celui de la cessation d'activité individuelle du bénéfice particulièrement élevé dégagé en 1996 ;
2) de l'option sociale, l'absence d'option en faveur des revenus de l'année de cotisation comme assiette des cotisations sociales des non salariés agricoles dues par Bernardus X... ayant eu pour conséquence que ladite assiette est demeurée égale à la moyenne des revenus des trois dernières années et qu'elle intégrait donc le bénéfice dégagé en 1996.
Pour rejeter son argumentation et dire et juger qu'aucun manquement du C.G.E.R. à son devoir de conseil n'est établi, il convient de relever que le respect par le comptable de son obligation doit être appréciée au regard de la mission qui lui a été confiée, en fonction des données existantes;
qu'ainsi que l'a rappelé le premier juge, la progression des revenus agricoles entre 1995 (338.822 F soit 51.668,33 ) et 1996 (1.185.370 F soit 180.707,48 ) s'expliquait par la décision de Bernardus X... d'arrêter l'exercice 1996 à la fin du mois de septembre 1996, renforçant ainsi puissamment les effets de la hausse du cours des tomates; -que Bernardus X... ne fournit aucune justification sur la cause de cette modification qui ne s'explique que par la perspective du divorce des époux X..., ce qui confirme également que l'opération conseillée par le C.G.E.R. à son client Bernardus X... avait bien pour objet d'écarter l'épouse de l'exploitation agricole ; que si à posteriori l'analyse des revenus agricoles de Bernardus X... à partir de 1997 fait apparaître que l'abandon du système de la moyenne triennale aurait été avantageuse pour lui, force est de constater que lorsque la dénomination aurait pu être effectuée, en 1997, ces résultats n'étaient pas connus du C.G.E.R. et que rien ne permettait alors à celui-ci de supposer que le chiffre d'affaires dégagé en 1996 ne serait pas maintenu durant les années suivantes; que dès lors, il ne peut être imputé à faute au C.G.E.R. de ne pas avoir conseillé à Bernardus X... de dénoncer l'option pour la moyenne tranche en matière fiscale, ou d'opter en faveur de la seule prise en compte des revenus de l'année de cotisation comme assiette des cotisations sociales" ;
Et aux motifs adoptés que «Le respect par le comptable de son obligation de conseil ne peut s'apprécier qu'au regard de la mission qui lui était confiée. Il apparaît que l'opération litigieuse a visé, à écarter l'épouse de l'exploitation agricole et à prévenir les conséquences économiques du divorce. Le créancier de l'obligation doit coopérer avec le débiteur. S'il est vrai que les époux étaient séparés de biens -ce qu'aucune pièce n'établit -il incombait à M X... de le savoir et de le faire savoir au CGER. Au reste, le préjudice n'apparaît pas lié à cette erreur, mais à la décision d'arrêter l'exercice 1996 à la fin du mois de septembre. Cette décision a puissamment renforcé l'effet de la hausse des cours de la tomate et fait apparaître un résultat anormalement favorable. Or, cette précipitation ne s'explique que par la perspective du divorce. Cette décision ne commandait pas l'abandon du système de la moyenne triennale, lequel permettait de lisser l'anomalie de 1996. La faute alléguée n'est donc pas démontrée. M. X... sera donc débouté de ses demandes. Sur les frais irrépétibles : L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit du CGER, qui s'est prêté, à la demande de son adhérent, à une opération discutable».
1/ Alors que, d'une part, quelle que soit la définition de sa mission, l'expert-comptable a, en toute hypothèse, l'obligation d'avertir son client des risques financiers impliqués par les choix proposés ; qu'ainsi, le client doit être informé des conséquences fiscales et sociales de l'opération proposée, quand bien même elle satisferait au but recherché ; qu'en se bornant à constater que «le respect par le comptable de son obligation doit être appréciée au regard de la mission qui lui a été confiée» et que la transformation de l'entreprise individuelle en EARL se justifiait au regard du but recherché par l'exposant, qui souhaitait divorcer et écarter son épouse de l'exploitation agricole, quand l'expert-comptable conseillant la transformation d'une entreprise individuelle en une EARL doit informer son client des conséquences fiscales et sociales de l'opération proposée, la Cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;
2/ Alors que, d'autre part, le devoir de conseil de l'expert-comptable ne s'apprécie pas seulement en fonction des données existantes ; que ce professionnel doit encore se livrer à une analyse prospective de la situation de son client en l'avertissant et le mettant en garde sur les risques futurs que les décisions conseillées comportent et sur les différentes options à sa disposition, en particulier en matière fiscale et sociale ; qu'en estimant, néanmoins, que le respect par le comptable de son obligation doit s'apprécier au regard de la mission qui lui a été confiée, en fonction des données existantes pour en déduire que si à posteriori l'analyse des revenus agricoles de Bernardus X... à partir de 1997 fait apparaître que l'abandon du système de la moyenne triennale aurait été avantageuse pour lui, ces résultats n'étaient alors pas connus du C.G.E.R et qu'à l'époque rien ne permettait de supposer que le chiffre d'affaires dégagé en 1996 ne serait pas maintenu durant les années suivantes, la Cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil.