LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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X... Marie-Claude,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5e chambre, en date du 11 mars 2008, qui, pour abus de faiblesse, l'a condamnée à deux ans d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 503-1, 558, 559, 560 et suivants, 593 du code de procédure pénale, et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense ;
"en ce que l'arrêt attaqué mentionne qu'il sera contradictoire à signifier en ce qui concerne la prévenue ;
"aux motifs que la prévenue a interjeté appel sans indiquer son adresse déclarée ; que l'huissier s'est présenté à l'adresse indiquée dans le jugement : « 8 bd Albert 1 er – 06600 Antibes » où l'intéressée n'est pas connue ;
"alors que si l'article 503-1 du code de procédure pénale prévoit dans son alinéa 4, que toute citation, notification ou signification faite à l'adresse déclarée du prévenu, est réputée faite à sa personne et que s'il ne comparaît pas à l'audience sans excuse reconnue valable par la cour d'appel, l'intéressé est jugé par un arrêt contradictoire à signifier, ces dispositions ne permettent pas de juger dans ces conditions une prévenue qui n'a pas comparu et n'a pas été représentée au prétexte qu'elle ne serait pas connue à l'adresse indiquée dans le jugement rendu en premier ressort sans que les dispositions destinées à protéger les droits de la défense des articles 558, 559 et 560 du code précité, relatives à la remise de l'exploit en mairie ou à parquet et aux recherches destinées à découvrir l'adresse du destinataire de la citation, aient été mises en oeuvre, cette lacune, qui a privé la prévenue de la possibilité de se défendre en cause d'appel, constituant une violation flagrante des droits de la défense et de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que l'avocat de Marie-Claude X... a relevé appel du jugement ayant condamné sa cliente à deux ans d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pour abus de faiblesse ; qu'il n'a déclaré ni l'adresse personnelle de la prévenue ni l'adresse d'un tiers ; que, par application de l'article 503-1, alinéa 2, du code de procédure pénale, le procureur général a fait citer Marie-Claude X... à l'adresse figurant dans le jugement rendu en premier ressort ; que l'intéressée étant inconnue à cette adresse, l'huissier a dressé un procès-verbal de "perquisition et de recherches" ; que Marie-Claude X... n'a pas comparu à l'audience ni n'a fourni d'excuse ;
Attendu que, pour statuer à l'égard de la prévenue par arrêt contradictoire à signifier, les juges retiennent que l'huissier s'est présenté à l'adresse indiquée dans le jugement, adresse où l'intéressée n'est pas connue ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 503-1 du code de procédure pénale ;
Qu'en effet l'acte délivré par l'huissier à la dernière adresse déclarée au sens de l'alinéa 2 de l'article précité vaut citation à personne ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Mais, sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 223-15-2 du code pénal issu de la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001, de l'ancien article 313-4 abrogé par la loi du 12 juin 2001 en vigueur au moment des faits, 111-4, 112-1 dudit code et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la prévenue coupable d'abus de faiblesse ;
"aux motifs propres à la cour qu'en l'état des déclarations précises et circonstanciées de Mme Y..., mandataire spéciale, désignée par le juge des tutelles d'Antibes, des déclarations de Mme Z..., des propres déclarations de Marie-Claude X... et des constatations matérielles opérées par les enquêteurs, il y a lieu de regarder Marie-Claude X... convaincue des faits reprochés qui caractérisent exactement le délit imputé et de confirmer sur la culpabilité le jugement entrepris ; qu'en effet l'information et les débats ont démontré que dès 1995 Berthe A... était incapable de gérer ses biens ; qu'elle était particulièrement vulnérable en raison de son état mental déficient, situation qui a entraîné la saisine du juge des tutelles ; que cet état était connu de sa belle-fille Marie-Claude X... qui n'avait pu lui faire connaître le décès de son fils (le mari de la prévenue) survenu en 1997 ; qu'enfin l'importance des sommes dissipées par la prévenue a été gravement préjudiciable à Berthe A... (non-paiement des charges, comptes débiteurs) ; que la gravité des faits et la personnalité de la prévenue justifient également la confirmation de la décision sur la répression ;
"et aux motifs implicitement adoptés des premiers juges que par ordonnance du juge des tutelles d'Antibes du 7 avril 1998, Marie-Claude X... (en réalité Mme Y...) était désignée mandataire spéciale de Berthe A..., âgée de 92 ans, dans le cadre de l'instruction d'une mesure de protection sollicitée par les deux petites filles de l'intéressée ; que Mme Y... constatait immédiatement que Berthe A... était à la tête d'un patrimoine important constitué essentiellement de biens immobiliers (2 279 417 euros 70 selon déclaration ISF de 1996), qu'elle logeait depuis 1993 chez sa belle fille et son fils, lequel est décédé le 25 août 1977, et que si la personne protégée semblait correctement entretenue et soignée, la gestion de son patrimoine, en revanche, se révélait catastrophique : retrait de sommes très importantes en espèces, mouvements financiers conséquents entre le compte de Berthe A... et celui de sa belle fille, utilisation abusive de la carte bancaire, défaut de paiement des charges de l'immeuble parisien loué à l'ambassade d'Espagne pour un loyer de 20 580 euros 62 par trimestre ayant entraîné des coupures de chauffage en plein hiver ; que l'examen systématique des virements opérés entre le compte de la prévenue et celui de la victime révélait que sur la période du 28 juin 1994 au 6 mars 1998, Berthe A... lui avait versé 283 882 euros 93 à partir de ses comptes courant et d'épargne et n'avait été créditée en retour que d'un montant de 75 919 euros 61, soit un différentiel de 207 963 euros 52 ; que sur la même période, Berthe A... émettait des chèques pour un montant total de 468 646 euros, soit près de 10 000 euros mensuels, dont 28 386 euros 01 au profit de sa belle fille et effectuait des retraits en espèces pour un total de 278 006 euros 02 ; que s'agissant enfin de sa carte bleue, elle était débitée d'un montant de 24 865 euros 33 au profit d'hôtels, de restaurants et de grands magasins du sud de la France ; que de toute évidence, le cumul de ces dépenses apparaissait sans commune mesure avec les frais d'entretien d'une personne âgée de 92 ans qui ne quittait pas son domicile et dont les charges courantes n'étaient pas réglées ; qu'entendue par les enquêteurs, Marie-Claude X... contestait avoir voulu spolier sa belle mère mais reconnaissait avoir très largement profité de ses revenus ; qu'elle imputait l'essentiel de la responsabilité des mouvements de fonds à son défunt mari alors que c'est bien son compte bancaire qui a enregistré les mouvements précédents décrits, que ceux-ci ont persisté après le décès, que l'utilisation abusive de la carte bancaire a continué bien au-delà et qu'elle a reconnu avoir géré jusqu'en 1998 le compte de "mamie" nonobstant l'absence de toute procuration ; qu'elle admettait enfin que fin 1995 début 1996 "mamie" a commencé à avoir des crises d'absence ; Mme Z... gouvernante de la personne âgée déclarait pour sa part qu'à compter de l'été 1996, celle-ci perdait la tête de temps en temps, qu'en 1997 elle avait encore 60 % de ses facultés mentales et qu'à compter du début de l'année 1998, elle était dépendante mentalement ; que Mme Y..., lors de son entrée en fonction, constatait que Berthe A... se révélait bien incapable d'établir un chèque ; que Marie-Claude X... n'ignorait pas sa particulière vulnérabilité pour n'avoir pas même osé l'informer de la disparition de son fils en 1997, au domicile duquel elle vivait, ce qui n'avait pas été envisageable en présence d'une lucidité persistante (sa déclaration devant le juge des tutelles) ; que c'est grâce à ce contexte qu'elle a pu effectuer les opérations frauduleuses précédemment décrites, tirer des chèques sur le compte de la victime sans procuration, utiliser sa carte bancaire dont elle n'était pas sensée connaître le code tout en négligeant d'acquitter les charges générées par le patrimoine de sa belle mère, voire même d'éviter que ses comptes ne deviennent débiteurs alors qu'elle percevait des revenus annuels de 130 000 euros que la culpabilité de Marie-Claude X... ainsi parfaitement établie, le tribunal entre en voie de condamnation ;
"alors que, d'une part, en application du principe de la non rétroactivité de la loi pénale, une loi pénale qui modifie une incrimination ne peut s'appliquer à des faits commis antérieurement à sa promulgation et non encore définitivement jugés lorsqu'elle modifie les éléments de cette incrimination dans un sens défavorable au prévenu ; qu'en l'espèce où la prévenue était, aux termes de l'ordonnance de renvoi du 8 août 2003, poursuivie pour avoir de 1995 à 1998, commis le délit prévu et réprimé par l'article 223-15-2 du code Pénal issu de la loi du 12 juin 2001 et donc postérieure aux faits poursuivis, les juges du fond ont violé l'article 112-1 du code pénal en faisant application de ce texte pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de la prévenue ;
"alors, d'autre part, qu'en supposant, à titre de pure hypothèse, que l'article 313-4 ancien du code pénal soit applicable aux faits poursuivis bien qu'il ait été abrogé par la loi du 12 juin 2001, les juges du fond, qui n'ont pas constaté que la victime ait été obligée d'effectuer un acte ou une abstention qui lui soit gravement préjudiciable alors que la contrainte de la victime est un élément constitutif de l'infraction prévue par le texte précité, ont ainsi privé leur décision de condamnation de toute base légale ;
"alors qu'enfin, les juges du fond, dont les constatations imprécises et contradictoires, ne font pas apparaître l'existence de détournements commis par la prévenue, ayant, sur l'action civile des parties civiles, ordonné une expertise comptable pour déterminer le montant des sommes prétendument détournées et n'ayant pas non plus constaté que la prévenue ait exercé des pressions graves ou réitérées sur la victime ou qu'elle ait eu recours à des techniques propres à l'amener à effectuer un acte ou une abstention qui lui était gravement préjudiciable, n'ont, ce faisant, pas caractérisé le délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse prévu par l'article 223-15-2 du code pénal dont ils ont déclaré la demanderesse coupable, violant ainsi le texte précité ainsi que l'article 593 du code de procédure pénale" ;
Vu l'article 112-1 du code pénal ;
Attendu que, selon ce texte, une loi pénale modifiant une incrimination ne peut s'appliquer à des faits commis avant sa promulgation et non encore définitivement jugés lorsqu'elle modifie les éléments de cette incrimination dans un sens défavorable au prévenu ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Marie-Claude X... a été condamnée du chef d'abus de faiblesse d'une personne vulnérable au visa de l'article 223-15-2 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 en répression de faits commis entre 1995 et 1998 ;
Mais attendu qu'en cet état et alors que les juges ne pouvaient faire rétroagir un texte qui, en modifiant les éléments constitutifs de l'infraction par suppression de la condition de contrainte, étend le champ d'application de l'incrimination et constitue une disposition plus sévère pour le prévenu, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
Que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 11 mars 2008, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nîmes à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Le Gall conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Ponroy conseiller rapporteur, Mme Chanet conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;