LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que Mme X..., avocate, associée au sein de la SCP Ghislaine X...- Marc Y... et Olivier X..., a fait l'objet de poursuites disciplinaires à l'initiative du bâtonnier de l'ordre des avocats de Laval, à la suite de la transmission à celui-ci, par un associé de la SCP spécialement chargé de l'ouverture des correspondances reçues au cabinet, des relevés de prestations sociales adressés à cette avocate par les organismes payeurs et mentionnant la perception d'indemnités journalières pour des périodes où elle aurait en réalité eu une activité professionnelle ; que l'arrêt attaqué (Angers, 5 février 2007) confirme la décision du conseil régional de discipline en ce qu'elle a déclaré la procédure régulière et, l'infirmant pour le surplus, déclare Mme X... coupable de manquements à l'honneur, à la probité et à la délicatesse et la condamne à la peine disciplinaire de deux ans d'interdiction temporaire dont un an avec sursis ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que Mme X... reproche à l'arrêt de statuer comme il le fait, alors, selon le moyen :
1° / que chacun a droit au respect de l'intimité de sa vie privée, qui implique en particulier le secret des correspondances qui ont un objet personnel ; que les courriers relatifs au versement de revenus de substitution pour pallier les conséquences d'une interruption d'activité pour cause de maladie ne concernent que la vie privée de l'intéressé ; qu'en retenant le contraire pour refuser de considérer comme irrégulière et déloyale une procédure introduite et tout entière fondée sur de tels courriers couverts par le secret de la vie privée, la cour d'appel aurait violé les articles 6 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 9 du code civil et 9 du code de procédure civile ;
2° / que le caractère privé d'un courrier ne dépend pas du lieu où il est adressé, mais de son contenu ; qu'en retenant que les courriers des organismes sociaux relatifs à la prise en charge de la maladie de Mme X... ne relevaient pas de sa vie privée dès lors qu'ils étaient adressés à son cabinet, la cour d'appel aurait violé les articles 6 et 8 convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 9 du code civil et 9 du code de procédure civile ;
3° / qu'en retenant, pour écarter la violation du secret de la vie privée, que M. Y... avait pris connaissance des courriers litigieux dans le cadre de la répartition des tâches décidée au sein de la SCP, au sein de laquelle il était chargé de l'ouverture du courrier, la cour d'appel, qui a confondu le fait que M. Y... ait eu les moyens matériels de prendre connaissance de documents relevant de la vie privée de Mme X... et le fait qu'il ait eu le droit de les utiliser, aurait violé les articles 6 et 8 convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 9 du code civil et 9 du code de procédure civile ;
Mais attendu que, après avoir énoncé justement que les conditions, convenues entre les associés, du traitement du courrier reçu dans le cabinet d'avocats, rendaient licite l'ouverture par M. Y... des correspondances personnellement adressées à Mme X..., dont celles contenant les relevés de prestations sociales qu'elle percevait, la cour d'appel, qui a retenu que ces relevés ne portaient aucune indication sur les affections dont souffrait Mme X..., ni aucun renseignement sur l'état de ses comptes ou sur les mouvements de fond, et ne faisaient que rappeler les arrêts de travail, lesquels étaient notoires, de sorte que l'associé n'avait commis aucune atteinte à sa vie privée en informant l'autorité ordinale de ce qui était susceptible de constituer un manquement déontologique révélé par le rapprochement des pièces entrées en sa possession avec les éléments connus du fonctionnement interne du cabinet, a, à bon droit, retenu la validité de la procédure ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que Mme X... forme le même grief, alors, selon le moyen :
1° / que la gravité de la maladie de Mme X..., la fréquence de ses hospitalisations, les interventions chirurgicales lourdes qu'elle a dû subir, les fractures à répétition causées par son affection, ses difficultés à se déplacer, n'étaient pas compatibles avec l'exercice normal d'une activité professionnelle d'avocat, ce qu'a au demeurant relevé la cour d'appel ; que le fait qu'elle ait été présente au cabinet, entre deux hospitalisations et quand son état de santé le lui permettait, qu'elle ait conseillé et soutenu les collaborateurs et maintenu un lien avec certains clients, ne constitue pas une activité professionnelle d'avocat, qui exige une implication totale ; qu'il est à cet égard significatif qu'aucun des organismes ayant versé à Mme X... un revenu de substitution n'ait remis en cause ces versements ; qu'ayant constaté que l'état de santé de Mme X... l'empêchait d'exercer normalement son activité, tout en retenant qu'elle avait manqué à l'honneur, à la probité et à la délicatesse, en déclarant avoir interrompu son activité, ce qui correspondait pourtant à la réalité de la situation, la cour d'appel n'aurait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles 183 et 184 du décret du 27 novembre 1991 ;
2° / que Mme X... faisait valoir dans ses conclusions que M. Y... savait parfaitement qu'elle percevait des revenus de substitution ; qu'elle produisait en ce sens une attestation de M. Z... ; que le fait même que M. Y... ouvre chaque matin le courrier, et notamment les notifications de prise en charge de Mme X... et d'attribution de revenus de substitution n'est pas compatible avec le fait qu'il ait ignoré cette circonstance ; qu'il l'a au demeurant expressément reconnu lors de son audition par le SRPJ ; qu'en tenant pour acquis que M. Y... ignorait la perception par Mme X... de revenus de substitution, sans s'expliquer de ces circonstances qui démontraient le contraire, la cour d'appel aurait privé sa décision de base légale au regard des articles 183 et 184 du décret du 27 novembre 1991 ;
3° / qu'à considérer même que M. Y... ait ignoré que Mme X... percevait des revenus de substitution, les statuts de la SCP prévoyaient que chaque associé avait droit à une quote-part des bénéfices réalisés par la société en fonction de sa participation dans le capital de la société ; qu'une réduction du droit aux bénéfices était prévue en cas d'incapacité d'exercer ; que cette quote-part des bénéfices et sa réduction n'étaient pas affectées par l'éventuelle perception de revenus de substitution, qui ne pouvait priver Mme X... de son droit à la répartition des bénéfices ; qu'en retenant, pour considérer que Mme X... avait manqué à son devoir de délicatesse à l'égard de ses associés, que la circonstance, prétendument ignorée par M. Y..., qu'elle percevait des revenus de substitution, « n'était pas sans incidence sur les choix que les associés pouvaient souhaiter prendre sur la répartition des honoraires », la cour d'appel aurait violé les articles 1134 du code civil et articles 183 et 184 du décret du 27 novembre 1991 ;
Mais attendu que le moyen, qui, en ses deux premières branches, ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine des juges du fond quant aux éléments de preuve relatifs, d'une part, à la réalité des interventions de Mme X... caractérisant la pratique épisodique de son activité professionnelle, et, d'autre part, à l'ignorance par son associé de la perception de revenus de substitution pendant les périodes où elle avait repris une activité, est inopérant en sa troisième branche dès lors que la cour d'appel a retenu que les faits avérés, commis par Mme X..., constituait un manquement à l'honneur et à la probité au regard des règles professionnelles ; que, dès lors, il ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize octobre deux mille huit.