LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l' arrêt suivant : Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Pascale, épouse Y...,
contre l' arrêt de la cour d' appel de CHAMBÉRY, chambre correctionnelle, en date du 15 mars 2007, qui, pour harcèlement moral, l' a condamné à 8 000 euros d' amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l' audience publique du 8 avril 2008 où étaient présents : M. Joly conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Guérin conseiller rapporteur, Mmes Anzani, Palisse, Guirimand, MM. Beauvais, Straehli, Finidori conseillers de la chambre, Mme Ménotti conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Mathon ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
Sur le rapport de M. le conseiller GUÉRIN, les observations de la société civile professionnelle LYON- CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l' avocat général MATHON ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 111- 4, 121- 1, 121- 3, 121- 4 et 222- 33- 1 du code pénal, 459, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l' arrêt attaqué a déclaré Pascale Y... coupable de harcèlement moral et l' a condamnée pénalement et civilement ;
" aux motifs que les conditions de travail d' un salarié sont constituées par l' ensemble des éléments qu' un travailleur est en droit d' attendre dans son entreprise ou son service, notamment le respect de sa personne, la considération du travail qu' il a accompli, et par les conditions matérielles de travail adaptées à sa fonction et conformes à son activité ; qu' il s' ensuit que le délit de harcèlement moral est caractérisé par la prise, par le prévenu à l' encontre du salarié, d' un ensemble de mesures vexatoires, injustes et inappropriées, lorsque ces agissements répétés ont pour objet ou pour effet d' entraîner une dégradation des conditions de travail de la victime ; que l' article 222- 33- 2 du code pénal permet de retenir à l' encontre de l' employeur, ou de son représentant, le fait d' avoir refusé de fournir à son salarié, de façon prolongée, du travail, ou de ne lui avoir proposé que des tâches sous- qualifiées, dont il est résulté une véritable " mise au placard », ayant entraîné chez lui une altération de la santé physique ou mentale ; qu' en l' espèce, les dégradations des conditions de travail de Françoise Z... épouse A... ont consisté à l' affecter dans un local exigu et dépourvu de matériel efficace, lors de sa réintégration à son poste de travail le 4 décembre 2003, ordonné par la chambre sociale de la cour de ce siège dans son arrêt du 18 novembre 2003 » ; qu' « à cette date, il lui a été demandé d' effectuer un travail d' opératrice de saisie à titre transitoire, ainsi que cela résulte du courrier de l' établissement Léo Lagrange en date du 4 décembre 2003, signé par Pascale Y... ; qu' « il est acquis aux débats, que la salariée a ensuite vainement demandé à plusieurs reprises, en particulier le 29 décembre 2003, le 9 janvier 2004 et le 20 février 2004, à son employeur, représenté par Gérard B..., délégué régional, à être réintégrée dans son emploi initial » ; que « c' est tout aussi vainement que Françoise Z... épouse A... a demandé par courriers recommandés avec accusé de réception qu' il soit mis fin aux tâches subalternes, dévalorisantes, humiliantes et vexatoires qui lui ont été confiées depuis sa réintégration dans l' entreprise » ; qu' il est par ailleurs non sérieusement contesté que l' employeur a également volontairement isolé sa salariée en demandant à la collègue de travail avec laquelle elle devait désormais partager son ancien bureau, de ne plus lui parler ; que le 8 septembre 2004, la partie civile a fait délivrer à l' établissement Léo Lagrange une sommation interpellative et fait procéder à un constat d' huissier, après y avoir été régulièrement autorisée par ordonnance présidentielle, duquel il ressort qu' elle n' avait toujours pas, à cette date, été réintégrée dans son emploi de comptable, agent de maîtrise, niveau 5, puisque les quelques tâches qui lui ont été confiées depuis, ne correspondaient pas à son emploi initial » ; que l' huissier a, d' autre part, constaté que le bureau décrit par l' employeur comme étant celui de Françoise Z... épouse A... n' était en réalité pas le sien, aucun des objets ou matériels, notamment informatique, le garnissant ne la concernant, ni ne lui appartenant » ; qu' à trois reprises au moins, les 15, 21 et 23 avril 2004, Françoise Z... épouse A... a fait constater par le représentant des salariés, accompagné d' un autre témoin, qu' elle se trouvait présente sur son lieu de travail, à la disposition de l' établissement Léo Lagrange, mais sans la moindre tâche à accomplir, dès l' instant où cet employeur ne lui avait volontairement fourni aucun travail ; que le caractère mensonger de ces attestations n' est pas allégué par les prévenus » ; que « d' autre part, ces derniers ne sauraient se réfugier derrière de quelconques contraintes de gestion de l' établissement Léo Lagrange pour tenter de justifier le sous- emploi de Françoise Z... épouse A... ou le sous- équipement de son bureau, l' arrêt exécutoire du 18 novembre 2003 ordonnant sa réintégration dans son même emploi, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, après avoir constaté que son licenciement était intervenu de manière abrupte » ; que « ces agissements répétés ont été générateurs d' un état dépressif médicalement constaté, tant par le médecin du travail le 26 février 2004 que par le médecin traitant de la salariée le 8 octobre 2004 ou encore par un psychiatre » ; que « tous les praticiens décrivent le lien de causalité, ou à tout le moins la forte probabilité entre le vécu professionnel récent de Françoise Z... épouse A..., et les dégradations constatées de son état de santé » ; que « l' altération de la santé tant physique que morale de la salariée a nécessité, outre des arrêts de travail au cours du dernier trimestre 2004, des soins appropriés comme en atteste les ordonnances médicales produites » ; que « par leur conjonction et leur répétition, ces faits constituent bien un harcèlement moral, dès lors que la dégradation des conditions de travail de Françoise Z... épouse A... est établie, en particulier par le fait qu' aucun travail ne lui a été confié, qu' aucun véritable bureau et matériel suffisamment performant ne lui a été attribué et que ces agissements répétés ont notablement affecté sa santé physique ou mentale » ; qu' en sa qualité de directrice des ressources humaines, Pascale Y... dirigeait à l' époque des faits, l' ensemble du personnel, était responsable des conditions de travail des salariés, organisait les fonctions du personnel et, de façon générale, représentait en conséquence l' employeur pour tout le secteur social ; qu' elle est ainsi pénalement responsable de la situation mise en place, alors qu' au surplus, qu' elle ne justifie s' être à un quelconque moment, opposé aux instances hiérarchiques dont elle recherche vainement la responsabilité, concernant le sort réservé à la partie civile » ;
" et aux motifs adoptés que « suite à l' arrêt de la cour d' appel de Chambéry du 18 novembre 2003 qui a prononcé la nullité du licenciement de Françoise Z..., épouse A... et la continuité de son contrat de travail, un document à en- tête de Léo Lagrange daté du 4 décembre 2003 et signé au nom de Pascle Y..., confirme à Françoise Z..., épouse A... sa réintégration au poste de comptable avec transitoirement l' exécution de tâches de comptabilité délocalisées » ; que « suite à mises en demeure par Françoise Z..., épouse A... datées des 29 décembre 2003 et 12 janvier 2004, Gérard B... a informé Françoise Z..., épouse A..., par lettre datée du 12 janvier 2004, de son affectation à compter du 15 janvier 2004 « au poste administratif et comptable du centre social inter- quartiers de Thonon- les- Bains, route de Vongy, Samir C..., directeur du centre régional étant chargé de lui présenter l' ensemble des tâches à accomplir » ; que « par lettre datée du 21 janvier 2004, Pascale X... épouse Y... a confirmé à Françoise Z..., épouse A... l' ensemble des tâches à accomplir que lui a présenté Samir C...: " Dans le cadre de la mission du centre social inter- quartiers de Thonon- les- Bains et conformément au projet social agréé par la caisse d' allocations familiales de Haute- Savoie, vous interviendrez notamment dans une fonction de soutien technique aux associations de quartiers, dans le domaine de la comptabilité et de la gestion financière de ces associations. Vous participerez aussi à la gestion administrative du centre social. Vous assurerez, au côté des responsables associatifs, un suivi régulier des opérations financières et la saisie comptable, tout au long de l' exercice budgétaire. Vous réaliserez le compte de résultat et le bilan financier annuel des associations de quartiers. Vous mettez en place et animez, au sein du centre social, un espace ressources " gestion, comptabilité " à l' attention des associations de quartiers. En fonction des besoins du centre, vous participez au classement et autres activités d' ordre administratif (liquidation des prestations des services CAF, dossiers de financement …) " ; que « Françoise Z..., épouse A... écrit, le 6 avril 2004 à Léo Lagrange, considérer que l' arrêt de la cour d' appel n' est pas sérieusement exécuté, en soulignant notamment qu' elle a constaté, le 15 janvier 2004, qu' elle ne disposait d' aucun bureau et qu' en fait le poste de secrétaire comptable avait été pourvu dès le 20 novembre 2003 ; que Loïc D...atteste le 19 avril 2004 : « Le jeudi 15 avril 2004, je me suis rendu au centre inter- quartiers de Vongy en ma qualité de Délégué du personnel. J' ai rencontré Françoise Z..., épouse A... dans son bureau et j' ai constaté pendant l' heure passée avec elle que Françoise Z..., épouse A... n' avait aucune tâche à effectuer. Son bureau est en fait un local qui sert de permanences d' autres jours, et dans lequel les salariés avaient jusque lors l' habitude de faire une pause café. Françoise Z..., épouse A... dispose en tout et pour tout d' un téléphone comme outil de travail. Elle passe donc ses journées à lire et à attendre dans l' indifférence la plus totale " ; que Loïc D...atteste un constat semblable le 23 avril 2004 ; que le 21 juin 2004, Samir C...écrit à Françoise Z..., épouse A... : « Cette note fait suite à notre entretien du 16 juin 2004, concernant l' exécution de certaines tâches professionnelles au sein du centre social inter- quartiers. Afin de participer aux nécessités du service à la population qui s' imposent quotidiennement à l' équipe de salariés et de suppléer temporairement la secrétaire du centre social inter- quartiers, je vous demande de bien vouloir assurer l' accueil administratif et le standard téléphonique. A cet effet, vous occuperez le bureau d' accueil de l' équipe ECAT les lundis, mardis et jeudis de chaque semaine à partir de mardi 22 juin 2004. Par ailleurs, en accord avec Pascale Y..., responsable des ressources humaines de l' établissement régional Léo Lagrange, et en rapport avec les horaires d' ouvertures de l' équipement ECAT, je vous rappelle que votre emploi du temps est organisé comme suit (…) » ; que le procès- verbal de sommation interpellative du 07 septembre 2004 mentionne notamment : (…) me préciser de la manière la plus expresse l' ensemble des missions qui ont été attribuées à Françoise Z..., épouse A... depuis le 1er mai 2004 jusqu' à ce jour ». (…). Il m' a été répondu par Samir C...: " après avoir consulté le directeur des ressources humaines de l' établissement régional Léo Lagrange, Pascale Y..., je n' ai pas de déclaration à faire, l' affaire étant actuellement pendante devant les juridictions " ; que le procès- verbal de constat du même jour indique par ailleurs : ‘ (…) j' ai rencontré Samir C..., directeur du site de Vongy de l' établissement Léo Lagrange (…) lui demandant expressément de m' autoriser à procéder à toutes constatations utiles dans le bureau de Françoise Z..., épouse, A... » ; " Ce dernier a immédiatement contacté la directrice des ressources humaines de l' établissement régional Léo Lagrange, en la personne de Pascale Y..., qui m' a indiqué par téléphone qu' elle ne m' autorisait pas à procéder à des constatations dans les locaux de l' établissement et a fortiori dans le bureau de Françoise Z..., épouse A... ; qu' « il résulte des procès verbaux de sommation interpellative et des contestations du lendemain du 8 septembre 2004 diligentés sur décision de justice suite au refus de la veille, des éléments précités ci- dessus :- qu' il n' est pas contesté que les fonctions de comptable du centre social inter- quartiers Route de Vongy à Thonon- les- Bains ont été assurés non par Françoise Z..., épouse A..., le poste correspondant ayant été pourvu dès le 20 novembre 2003 ;- que les missions relatives aux associations de quartier sont distinctes et sans commune mesure avec les fonctions de comptable que Françoise Z..., épouse A... exerçait au sein de Léo Lagrange avant son licenciement ;- qu' il n' a pas été justifié de la réalisation d' une quantité de travail correspondant à la période d' avril à septembre 2004, qu' on est en droit d' attendre d' un salarié ;- que le désoeuvrement professionnel de Françoise Z..., épouse A... et les missions auprès des associations pendant toute cette période constituent des dégradations de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d' altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » ; que « la perpétuation de la dégradation des conditions de travail de Françoise Z..., épouse A..., d' avril à septembre 2004, malgré les sollicitations contraires, non contestées quant à leur existence, de Françoise Z..., épouse A..., démontre le caractère répété sur toute la période des agissements ayant pour effet ladite dégradation » ;
" 1°) alors que le harcèlement moral ne peut être imputé qu' à l' auteur des agissements répétés visés par l' article 222- 33- 2 du code pénal ; que la cour d' appel, pas plus que le tribunal, n' ont constaté que la prévenue avait déterminé les affectations de la partie civile ; qu' ainsi, le tribunal constate l' existence d' un courrier émanant de la prévenue à la salariée mais qui, selon les motifs du jugement, était signé au nom de la prévenue et confirmait la réintégration et l' affectation provisoire à des tâches de comptabilité délocalisées ; que, si le tribunal note par ailleurs l' existence d' un courrier postérieur de la prévenue, il constate que ce courrier confirme seulement une affectation dont Gérard B... avait fait part à la salariée, courrier qui prenait ainsi uniquement en compte une affectation déterminée par d' autres ; qu' ainsi, faute d' avoir constaté l' existence d' agissements répétés dont la prévenue aurait été à l' origine, sa seule qualité de directrice des ressources humaines étant insuffisante pour établir ce fait et son intervention ultérieure à l' occasion de la sommation interpellative n' établissant pas qu' elle était à l' origine des affectations de la salariée, la cour d' appel a privé sa décision de base légale ;
" 2°) alors que les agissements répétés ne peuvent être constitutifs de harcèlement moral que s' ils ne sont pas justifiés par les nécessités de l' organisation de l' entreprise ; qu' une condamnation sous astreinte à réintégrer un salarié n' implique pas que l' employeur dispose effectivement de la possibilité de réintégrer dans le même emploi ; qu' en considérant, contrairement à ce qui était soutenu dans les conclusions déposées pour la prévenue, que celle- ci pouvait réintégrer la partie civile dans son emploi, dès lors que la réintégration assortie d' une astreinte avait été ordonnée par le juge civil, la cour d' appel a de plus ample privé sa décision de base légale ;
" 3°) alors que le défaut de réponse à un chef péremptoire de conclusions équivaut à l' absence de motifs ; que, pour retenir le harcèlement moral, et plus particulièrement les dégradations dans les conditions de travail, la cour d' appel a pris en compte des constats établis par un délégué du personnel en avril 2004 selon lesquels la partie civile n' exerçait aucune activité lorsqu' il l' avait rencontrée ; que, ce faisant, la cour d' appel n' a pas répondu au chef péremptoire de conclusions déposées pour la prévenue selon lequel l' activité de la salariée avait été réduite du fait que son employeur l' ayant inscrite à une formation professionnelle de plusieurs mois, à raison de 18 heures par semaine, il avait du prévoir une activité limitée pendant cette formation, que lorsque Françoise Z..., épouse A... avait refusé de suivre ladite formation, son activité préalablement organisée avait pu paraître limitée, que si ultérieurement la partie civile n' avait pu exercer véritablement sa fonction de comptable, ce fut du à des arrêts de travail pour cause de maladie, si bien que la limitation d' activité n' était pas due au fait de l' employeur ;
" 4°) alors que le harcèlement moral suppose l' intention de nuire de l' auteur des agissements répétés qui ayant entraîner une dégradation des conditions de travail peuvent porter atteinte aux droit et à la dignité du salarié, à sa santé ou à son avenir professionnel ; que la cour d' appel qui n' a pas caractérisé le fait que les agissements imputés à la prévenue avaient été accomplis dans l' intention de nuire, a privé sa décision de base légale " ;
Attendu que les énonciations de l' arrêt attaqué et du jugement qu' il confirme, mettent la Cour de cassation en mesure de s' assurer que la cour d' appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu' intentionnel, le délit dont elle a déclaré la prévenue coupable ;
D' où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l' appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l' arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt mai deux mille huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;