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20/05/2008 | FRANCE | N°06-15136

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 20 mai 2008, 06-15136


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Donne acte à M. X... de sa reprise d'instance en sa qualité de liquidateur de la société Tiger ;

Statuant, tant sur le pourvoi principal formé par la société Google France, que sur le pourvoi incident relevé par la société Tiger ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Google France propose aux annonceurs un service dénommé "Adwords" leur permettant, moyennant la réservation de mots-clefs, de faire apparaître de manière privilégiée, sous la rubrique liens commerciaux, les

coordonnées de leur site en marge des résultats d'une recherche sur internet, en cas d...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Donne acte à M. X... de sa reprise d'instance en sa qualité de liquidateur de la société Tiger ;

Statuant, tant sur le pourvoi principal formé par la société Google France, que sur le pourvoi incident relevé par la société Tiger ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Google France propose aux annonceurs un service dénommé "Adwords" leur permettant, moyennant la réservation de mots-clefs, de faire apparaître de manière privilégiée, sous la rubrique liens commerciaux, les coordonnées de leur site en marge des résultats d'une recherche sur internet, en cas de concordance entre ces mots et ceux contenus dans la requête adressée au moteur de recherches de cette société sur internet ; que cette société propose à l'opérateur, pour améliorer le choix des mots-clefs, d'avoir recours à un générateur de mots-clefs ; que la société CNRRH, dont le nom commercial est Eurochallenges, et qui exploite un site internet eurochallenges.com, est titulaire d'une licence sur la marque "Eurochallenges", enregistrée au bénéfice de M. Y... afin de désigner les services de conseils, recherches et informations en relations humaines, et agence matrimoniale ; qu'ayant constaté qu'une requête adressée au moteur de recherche de la société Google France faisait apparaître, à titre de liens commerciaux, des liens hypertextes pointant vers les sites unicisparis.com et innaconsulting.fr, respectivement exploités par la société Tiger et par M. Z..., dont les activités sont concurrentes des leurs, M. Y... et la société CNRRH ont, le 18 juin 2003, mis en demeure la société Google France de désactiver ces liens, puis ont fait dresser procès-verbal, afin d'établir cette situation, et ont, enfin, assigné la société Google France, en contrefaçon de marque, et la société Tiger et M. Z... en contrefaçon de marque et concurrence déloyale ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi incident, pris en sa cinquième branche :

Vu l'article 234 du Traité instituant la Communauté européenne ;

Attendu que pour dire que la société Tiger s'était rendue coupable de contrefaçon de marque, les juges du fond ont retenu que, si le mot-clef eurochallenges est un outil technique permettant le référencement des signes internet, et s'il ne désigne pas en tant que tels les produits ou services commercialisés par ces exploitants, son utilisation n'en constitue pas moins un usage contrefaisant de la marque, dès lors qu'elle conduit nécessairement à promouvoir des services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ;

Attendu qu'il n'est pas prétendu que les sites désignés par les liens commerciaux incriminés proposent à la vente des produits ou services sous le signe imitant ou reproduisant la marque dont la protection est réclamée ;

Attendu que se trouve ainsi posée la question de savoir si l'usage d'un signe reproduisant ou imitant une marque enregistrée pour inviter le public à consulter les offres, faites par un concurrent pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux couverts par l'enregistrement de cette marque est un usage que le titulaire est habilité à interdire, sur le fondement de l'article 5, paragraphe 1, sous a) et sous b) de la première Directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ;

Attendu que la Cour de justice des Communautés européennes a décidé (11 septembre 2007, Céline, C-17/06), que, même en l'absence d'apposition, il y a usage "pour des produits ou des services", au sens de l'article 5 paragraphe 1, lorsque le tiers utilise ledit signe de telle façon qu'il s'établit un lien entre le signe constituant la dénomination sociale, le nom commercial ou l'enseigne du tiers et les produits commercialisés ou les services fournis par le tiers, et que l'usage par un tiers qui n'y a pas été autorisé, d'une dénomination sociale, d'un nom commercial ou d'une enseigne identique à une marque antérieure dans le cadre d'une activité de commercialisation de produits identiques à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée constitue un usage que le titulaire de ladite marque est habilité à interdire conformément à l'article 5, paragraphe 1, sous a) de la directive s'il s'agit d'un usage pour des produits qui porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque ; qu'en l'espèce cependant, le signe n'a pas été utilisé à titre de dénomination sociale, de nom commercial ou d'enseigne ;

Attendu qu'il existe une difficulté sérieuse quant au point de savoir si un concurrent du titulaire de marque peut faire usage du signe incriminé pour inviter le public à consulter ses propres offres ;

Attendu que l'article 5 de la directive procédant à une harmonisation complète des règles relatives aux droits conférés par la marque et définissant ainsi les droits dont jouissent les titulaires de marque dans la Communauté (CJCE, 20 novembre 2001 Zino Davidoff et Levi Strauss, C-414/99 à C-416/99, et la jurisprudence citée) cette question, qui se pose en termes similaires dans tous les Etats membres, reçoit des réponses divergentes ;

Qu'il convient donc de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche :

Attendu que pour déclarer la société Google France coupable de contrefaçon de marque, les juges du fond ont retenu que l'offre faite par cette société consiste à permettre au souscripteur de consulter, s'il le souhaite, un générateur de mots-clefs qui lui proposera une liste des mots le plus souvent utilisés dans le secteur concerné, cette liste étant établie à partir des requêtes des internautes ; qu'ils relèvent encore que cette société explique que le mot-clé "eurochallenges", apparu dans la sélection des mots-clés est issu des requêtes des internautes, et qu'elle ne peut exercer un contrôle a priori sur ces requêtes qui ne sont pas de son fait et sont particulièrement nombreuses, puisqu'elle répond à plus de deux cent millions de demandes de recherche par jour ; qu'ils décident cependant que, si la société Google France ne peut être tenue à une obligation de surveillance générale concernant la sélection de mots-clés effectuée par les exploitants des sites référencés, elle doit être en mesure d'interdire l'utilisation de mots-clés manifestement illicites, qu'à cette fin, elle ne peut se contenter de simples mises en garde à l'attention de ses clients, et qu'il lui incombe de mettre en oeuvre les moyens lui permettant de vérifier que les mots-clés réservés par les annonceurs ne constituent pas la reproduction ou l'imitation de marques françaises en vigueur, une telle vérification préalable s'avère parfaitement compatible avec les possibilités d'information dont dispose une société spécialisée dans la communication Internet ;

Attendu que se trouve ainsi posée la question de savoir si le prestataire de service de référencement payant sur internet se rend coupable d'une contrefaçon, ou d'une complicité de contrefaçon de marque en cas d'utilisation par un tiers non autorisé d'un signe reproduisant ou imitant une marque enregistrée, afin de proposer sur internet des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement de cette marque, dans la mesure où il serait ainsi fait un usage de la marque que son titulaire serait habilité à interdire, sur le fondement de l'article 5, paragraphe 1, sous a) et sous b) de la première Directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques ;

Attendu qu'il est constant que le prestataire de service de référencement payant ne fait pas usage du mot-clef reproduisant ou imitant la marque pour désigner ses propres produits et services ;

Attendu qu'on souligne encore qu'il n'est pas prétendu que les sites désignés par les liens commerciaux incriminés proposent à la vente des produits ou services sous le signe reproduisant ou imitant la marque dont la protection est réclamée ;

Attendu que la Cour de justice des Communautés européennes a jugé dans l'arrêt Adam A... (25 janvier 2007, C-48/05), que l'interprétation selon laquelle les produits et services visés à l'article 5, paragraphe 1, sous a) de la directive sont ceux commercialisés ou fournis par le tiers, découle du libellé même de cette disposition, en particulier des termes "usage pour des produits ou des services", et que l'interprétation contraire aboutirait à ce que les termes "produits et services" employés à l'article 5, paragraphe 1, sous a) de la directive désignent le cas échéant les produits ou les services du titulaire de la marque, alors même que les termes "produit" et "service" figurant dans l'article 6, paragraphe 1, sous b) et sous c) de la directive visent nécessairement ceux commercialisés ou fournis par le tiers, conduisant ainsi, contre l'économie de la directive, à interpréter les mêmes termes de façon différente selon qu'ils figurent à l'article 5 ou à l'article 6 ; que la question de savoir si les produits ou services pouvaient être ceux d'un autre tiers n'a pas été posée ;

Attendu qu'il existe une difficulté sérieuse quant au fait de savoir si le prestataire qui propose un service de référencement payant sur internet, tel que celui décrit ci-dessus, fait un usage de marque que le titulaire est habilité à interdire sur le fondement des articles 5, paragraphe 1, sous a) et sous b) de la directive ;

Attendu que l'article 5 de la directive procédant à une harmonisation complète des règles relatives aux droits conférés par la marque et définissant ainsi les droits dont jouissent les titulaires de marque dans la Communauté (CJCE, 20 novembre 2001 Zino Davidoff et Levi Strauss, C-414/99 à C-416/99, et la jurisprudence citée) cette question, qui se pose en termes similaires dans tous les Etats membres, reçoit des réponses divergentes ;

Qu'il convient donc de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle ;

Et sur le cinquième moyen du pourvoi principal :

Vu l'article 234 du traité instituant la Communauté européenne ;

Attendu que les juges du fond ont en outre dénié à la société Google France le bénéfice des dispositions de la Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information ;

Attendu que la société Google France soutient cependant, d'une part, que cette directive ne distinguerait pas entre les catégories d'intermédiaires, et serait applicable aux activités de stockage de données, et, d'autre part, que le complice ne répond de la contrefaçon commise par celui auquel il a fourni le moyen de la commettre que s'il a agi en connaissance de cause du caractère illicite du projet du contrefacteur ;

Attendu que ces questions sont intimement liées à celles qui viennent d'être évoquées, puisqu'elles supposent que le régime de la responsabilité du prestataire de référencement payant sur internet soit précisé, au regard de la connaissance par ce dernier des faits de contrefaçon éventuellement caractérisés dans le chef de son client ;

Qu'il convient de compléter en ce sens la précédente question préjudicielle ;

PAR CES MOTIFS :

Renvoie à la Cour de justice des Communautés européennes aux fins de répondre aux questions suivantes :

1°/ La réservation par un opérateur économique, par voie de contrat de référencement payant sur internet, d'un mot-clef déclenchant en cas de requête utilisant ce mot, l'affichage d'un lien proposant de se connecter à un site exploité par cet opérateur afin d'offrir à la vente des produits ou services, d'un signe reproduisant ou imitant une marque enregistrée par un tiers afin de désigner des produits identiques ou similaires, sans l'autorisation du titulaire de cette marque, caractérise-t-elle en elle-même une atteinte au droit exclusif garanti à ce dernier par l'article 5 de la première Directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ?

2°/ L'article 5, paragraphe 1, sous a et b de la première Directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques doit-il être interprété en ce sens que le prestataire de service de référencement payant qui met à la disposition des annonceurs des mots-clefs reproduisant ou imitant des marques déposées, et organise par le contrat de référencement la création et l'affichage privilégié, à partir de ces mots clefs, de liens promotionnels vers des sites sur lesquels sont proposés des produits identiques ou similaires à ceux couverts par l'enregistrement de marques, fait un usage de ces marques que son titulaire est habilité à interdire ?

3°/ Dans l'hypothèse où un tel usage ne constituerait pas un usage susceptible d'être interdit par le titulaire de la marque, en application de la directive et du règlement, le prestataire de service de référencement payant peut-il être considéré comme fournissant un service de la société de l'information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, au sens de l'article 14 de la Directive 2000/31 du 8 juin 2000, de sorte que sa responsabilité ne pourrait être recherchée avant qu'il ait été informé par le titulaire de marque de l'usage illicite du signe par l'annonceur ?

Sursoit à statuer sur le pourvoi jusqu'à décision de la Cour de justice des Communautés européennes ;

Réserve les dépens ;

Dit qu'une expédition du présent arrêt ainsi qu'un dossier, comprenant notamment le texte de la décision attaquée, seront transmis par le directeur de greffe de la Cour de cassation au greffier en chef de la Cour de justice des Communautés européennes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mai deux mille huit.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 06-15136
Date de la décision : 20/05/2008
Sens de l'arrêt : Renvoi devant la cour de justice des c.e
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

COMMUNAUTE EUROPEENNE - Cour de justice des Communautés européennes - Question préjudicielle - Interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté - Première Directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 - Article 5

Un prestataire de référencement payant sur internet proposant la réservation de mots-clefs afin de faire apparaître de manière privilégiée, sous la rubrique liens commerciaux, les coordonnées du site de son client, en marge des résultats d'une recherche sur internet, en cas de concordance entre ces mots et ceux contenus dans la requête adressée, il importe, eu égard, aux solutions divergentes adoptées par certaines juridictions des Etats membres de l'Union européenne, de surseoir à statuer sur l'action en contrefaçon de marque intentée par le titulaire de marque à raison de l'utilisation à titre de mot-clef d'un signe imitant cette marque, tant contre ce prestataire, que contre l'exploitant des sites incriminés, et de soumettre à la Cour de justice des Communautés européennes les questions suivantes : 1°/ La réservation par un opérateur économique, par voie de contrat de référencement payant sur internet, d'un mot-clef déclenchant en cas de requête utilisant ce mot, l'affichage d'un lien proposant de se connecter à un site exploité par cet opérateur afin d'offrir à la vente des produits ou services, d'un signe reproduisant ou imitant une marque enregistrée par un tiers afin de désigner des produits identiques ou similaires, sans l'autorisation du titulaire de cette marque, caractérise-t-elle en elle-même une atteinte au droit exclusif garanti à ce dernier par l'article 5 de la première Directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ? 2°/ L'article 5, paragraphe 1, sous a et b de la première Directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques doit-il être interprété en ce sens que le prestataire de service de référencement payant qui met à la disposition des annonceurs des mots-clefs reproduisant ou imitant des marques déposées, et organise par le contrat de référencement la création et l'affichage privilégié, à partir de ces mots clefs, de liens promotionnels vers des sites sur lesquels sont proposés des produits identiques ou similaires à ceux couverts par l'enregistrement de marques, fait un usage de ces marques que son titulaire est habilité à interdire ? 3°/ Dans l'hypothèse où un tel usage ne constituerait pas un usage susceptible d'être interdit par le titulaire de la marque, en application de la Directive et du Règlement, le prestataire de service de référencement payant peut-il être considéré comme fournissant un service de la société de l'information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, au sens de l'article 14 de la Directive 2000/31 du 8 juin 2000, de sorte que sa responsabilité ne pourrait être recherchée avant qu'il ait été informé par le titulaire de marque de l'usage illicite du signe par l'annonceur ?


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 23 mars 2006


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 20 mai. 2008, pourvoi n°06-15136, Bull. civ. 2008, IV, N° 101
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2008, IV, N° 101

Composition du Tribunal
Président : Mme Favre
Avocat général : M. Jobard
Rapporteur ?: M. Sémériva
Avocat(s) : Me de Nervo, SCP Piwnica et Molinié, SCP Thomas-Raquin et Bénabent

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2008:06.15136
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