- X... Willy, partie civile,
contre l' arrêt de la cour d' appel de POITIERS, chambre correctionnelle, en date du 11 mai 2007, qui, après avoir condamné Dominique Y..., pour blessures involontaires, à six mois d' emprisonnement avec sursis, s' est déclarée incompétente pour connaître de la demande en réparation présentée par la partie civile ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 à 13 de la loi des 16- 24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III, du principe de la séparation des pouvoirs et des articles 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l' arrêt attaqué a dit que " les fautes dont a été déclaré coupable le docteur Y..., agent d' un service public administratif hospitalier, ne peuvent être considérées comme détachables de ses fonctions de médecin- chirurgien au centre hospitalier de Royan et que seules les juridictions administratives sont compétentes pour connaître de l' action en indemnisation de la victime en pareil cas " et a déclaré la juridiction pénale incompétente pour connaître de l' action en indemnisation formée par Willy X... ;
" aux motifs qu' il résulte de la procédure et des débats que Willy X... a été admis à l' hôpital de Royan et pris en charge à 4 heures 32 par le médecin des urgences, le docteur Z... qui a diagnostiqué une fracture ouverte des deux os de l' avant bras gauche, une fracture fermée, déplacée, du fémur gauche avec une grosse cuisse, des troubles sensitivo- moteurs au bas de la jambe fracturée et du pied gauche, absence de pouls distaux ; que le docteur Y..., chirurgien orthopédiste de garde, a été appelé à son domicile dès 4 heures 40, soit huit minutes seulement après l' arrivée du patient à l' hôpital par le docteur Z... qui lui a alors indiqué que Willy X... avait une fracture du fémur avec chevauchement compliquée avec des troubles sensitivo- moteurs d' aval de la jambe gauche ; qu' au lieu de se déplacer aussitôt, le docteur Y... n' est arrivé au chevet du malade qu' à 9 heures 30 soit près de cinq heures après avoir été appelé ; que les dommages subis par Willy X..., dont la jambe gauche a été amputée au niveau de la cuisse, résultent du fait que la circulation sanguine n' a pas été rétablie à temps, la réparation des lésions vasculaires devant être réalisée dans les heures qui suivent le traumatisme pour éviter une ischémie tissulaire irréversible ; que le prévenu ne peut comme il le fait dans ses conclusions expliquer la cause de son important retard uniquement par le fait d' avoir été mal renseigné par le médecin urgentiste ; qu' en effet, le tribunal a, par des motifs circonstanciés et pertinents que la cour adopte, rejeté toute responsabilité du docteur Z... en estimant qu' il n' était pas démontré que ce dernier avait manqué à ses obligations de médecin urgentiste et a relaxé le docteur Z... des faits visés à la prévention ; que cette décision de relaxe est devenue définitive puisque le ministère public n' en a pas interjeté appel et n' a fait sur le plan civil l' objet d' aucune critique de la partie civile ; qu' il appartenait au docteur Y..., seul chirurgien othopédiste de garde à l' hôpital cette nuit- là, de se rendre au chevet du patient aussitôt après avoir entendu le rapport du médecin urgentiste y compris pour compléter le diagnostic du docteur Z... s' il estimait celui- ci insuffisant ; que le manque de disponibilité du docteur Y... a encore été illustré par le fait d' avoir demandé au docteur Z... de mettre en place une traction transtibiale sur la personne de Willy X..., au lieu de venir le faire lui- même ; que cette intervention relève, en principe, des attributions propres au médecin othopédiste et non à celui des urgences, et se pratique au bloc opératoire ; que le docteur Z... et Marie- Claire A..., l' infirmière, ont tous les deux affirmé que c' était la première fois qu' ils pratiquaient une traction trans- tibiale au service des urgences à la demande du médecin spécialiste de garde et précisaient que le matériel avait même dû être transféré du bloc opératoire aux urgences ; qu' en intervenant seulement à 9 heures 30, soit cinq heures après avoir été sollicité par le médecin urgentiste, auquel aucun reproche ne peut être fait, au chevet de Willy X..., le docteur Y..., seul chirurgien de garde à l' hôpital de Royan cette nuit- là, a commis une faute caractérisée, exposant le malade à un risque d' une particulière gravité qu' il ne pouvait ignorer eu égard à son expérience de praticien ; que l' impossibilité technique de pouvoir procéder à une artériographie invoquée dans ses conclusions n' est pas suffisante pour exonérer le docteur Y... de toute responsabilité ; que le docteur Y..., après s' être rendu au chevet de Willy X... à 9 heures 30, a bien constaté l' état vasculaire déficient de ce patient par l' absence de pouls distaux au niveau de la cheville gauche mais sans en tirer les conséquences qui s' imposaient ; que suivant les auditions du prévenu lui- même et du docteur B..., le médecin anesthésiste, le docteur Y... n' a pas cherché à soumettre Willy X... à une artériographie avant la réduction des fractures, seul examen qui pouvait permettre d' établir un diagnostic précis de la nature et du siège des lésions vasculaires ; que cet examen n' a été demandé qu' au cours de l' intervention chirurgicale où il s' est avéré que la table d' artériographie de l' hôpital était en panne ; que le docteur Y... a opéré Willy X... sur le membre inférieur gauche de dix heures à douze heures du matin puis sur le membre supérieur de 13 heures à 14 heures l' après- midi et c' est seulement devant l' absence de récupération vasculaire en fin d' opération que le docteur Y... a décidé de faire appel au docteur C..., chirurgien vasculaire ; que le docteur C... n' était pas de garde, jointe à 14 heures 20, elle a réussi à se rendre à l' hôpital dès 14 heures 30 ; qu' elle a expliqué avoir rencontré le docteur Y... sur le parking au moment où il s' apprêtait à quitter l' hôpital, et qu' il l' avait " brièvement " renseignée sur l' état de Willy X... ; qu' arrivée au bloc opératoire, elle a été informée par le docteur B..., l' anesthésiste ; qu' elle constatait une ischémie grave du membre inférieur fracturé qui datait d' au moins 10 heures et après avoir appris que la table d' artériographie était en panne elle décidait aussitôt, dès 15 heures, après avoir pratiqué un doppler, de transférer en toute urgence le patient sur Bordeaux ; qu' elle téléphonait au médecin de garde de l' hôpital Pellegrin à Bordeaux auquel elle expliquait qu' elle avait été appelée tardivement auprès de ce malade et qu' elle ne pouvait faire d' artériographie, examen indispensable pour faire le bilan des lésions avant toute intervention ; que le transfert du blessé de l' hôpital de Royan sur celui de Bordeaux avait lieu par hélicoptère à 17 heures soit 13 heures après son admission à l' hôpital de Royan ; que le docteur D..., expert commis par le juge d' instruction, a estimé qu' après avoir constaté un déficit vasculaire de la jambe et du pied gauche au- dessous d' une fracture du fémur et avoir pris connaissance des radios, le docteur Y... aurait dû en urgence demander une artériographie, celle- ci n' étant pas réalisable du fait d' un appareil inutilisable, il aurait dû immédiatement décider du transfert du blessé vers le CHU de Bordeaux où auraient été réalisés l' artériographie puis en un seul temps opératoire l' ostéosynthèse de la fracture fémorale et la réparation des lésions vasculaires ; qu' il est rappelé que le facteur temps était essentiel ; que le traitement précoce constitue le meilleur garant du pronostic et a conclu que le transfert extrêmement tardif vers le CHU de Bordeaux a très fortement hypothéqué les chances d' une récupération vasculaire au niveau de la jambe gauche ; que la réparation vasculaire a eu lieu 16 à 18 heures environ après l' accident, ce qui ne laissait plus qu' une très minime chance de récupération vasculaire ; que selon lui, il existe un lien de causalité direct et certain entre le retard apporté à la réparation de la lésion de l' artère fémorale superficielle gauche dû à un transfert trop tardif de la partie civile du Centre hospitalier de Royan au CHU de Bordeaux et l' état actuel de Willy X..., amputation au niveau de la cuisse gauche ; qu' il ressort de la procédure qu' en se préoccupant très tardivement du problème vasculaire qu' il avait pourtant diagnostiqué, le docteur Y... a fait preuve d' imprudence et de négligence ; que si la réduction de la fracture fémorale pouvait être faite avant de réparer les lésions vasculaires comme l' a décidé le docteur Y..., celle- ci aurait dû être réalisée beaucoup plus tôt dans la matinée, ce qui lui aurait permis de solliciter l' artériographie, de constater plus tôt la défection de ce matériel et de faire transférer Willy X... au CHU de Bordeaux dans des délais beaucoup plus courts ; que les fautes pénales reprochées au prévenu sont caractérisées, que c' est à bon droit que le tribunal a retenu que le lien de causalité entre les faits reprochés au docteur Y... et la situation de la victime était certain mais non exclusif pour des motifs que la cour adopte ; qu' il ne s' agit pas en l' espèce, comme le soutient le prévenu, d' un dysfonctionnement du service public hospitalier relevant de la compétence administrative ; qu' en effet, les éléments retenus par l' expert E... pour conclure à un défaut d' organisation du service, basés principalement sur l' insuffisance des renseignements fournis par le docteur Z..., ont été entièrement démentis par les investigations et notamment l' examen complémentaire réalisé par le docteur F... ; qu' il résulte au contraire des investigations et des débats que les faits reprochés au docteur Y... sont constitutifs de fautes pénales qui relèvent de la compétence judiciaire ; que l' agent d' un service public n' est personnellement responsable des conséquences dommageables de l' acte délictueux qu' il commet que si celui- ci constitue une faute détachable de ses fonctions ; que les fautes dont a été déclaré coupable le docteur Y..., alors agent d' un service public administratif hospitalier, ne peuvent être considérées comme détachables de ses fonctions de médecin- chirurgien au centre hospitalier de Royan ; que les juridictions de l' ordre judiciaire ne sont pas compétentes pour apprécier la responsabilité civile d' un collaborateur du service public lorsqu' elles relèvent à la charge de ce dernier une faute non détachable de ses fonctions ; que seules les juridictions administratives sont compétentes pour connaître de l' action en indemnisation de la victime en pareil cas ; que l' incompétence de la juridiction judiciaire est alors d' ordre public, de sorte qu' elle doit être relevée d' office et peut être proposée pour la première fois devant la Cour de cassation ; que la cour en conséquence réformera la décision attaquée sur l' action civile ; que les fautes dont a été déclaré coupable le docteur Y..., agent d' un service public administratif hospitalier, ne peuvent être considérées comme détachables de ses fonctions de médecin- chirurgien au centre hospitalier de Royan ; que la cour déclarera la juridiction pénale incompétente pour connaître de l' action en indemnisation de Willy X... (cf., arrêt attaqué, p. 4 à 7) ;
" alors que les tribunaux répressifs de l' ordre judiciaire sont compétents pour apprécier, à la suite de sa condamnation pénale, la responsabilité civile d' un agent d' un service public à raison des fautes personnelles, détachables de ses fonctions, qu' il a commises ; que la faute commise par un agent d' un service public dans l' exercice de ses fonctions constitue une faute personnelle, détachable de ses fonctions, lorsque, eu égard notamment aux obligations d' ordre professionnel et déontologique qui lui incombent, elle revêt un caractère inexcusable ; qu' en énonçant, pour se déclarer incompétente pour statuer sur l' action en indemnisation formée par Willy X..., que les fautes dont le docteur Dominique Y... a été déclaré coupable n' étaient pas détachables de ses fonctions de chirurgien orthopédiste de l' hôpital de Royan, quand elle relevait que tandis qu' il assurait, par astreinte à domicile, le service de garde de chirurgie orthopédique et alors que l' état de Willy X... rendait nécessaire sa prise en charge à très bref délai par un chirurgien orthopédiste, le docteur Dominique Y..., sans raison valable, ne s' était rendu au chevet de Willy X... que cinq heures après avoir été informé de son état et après s' être borné à prescrire, au téléphone, au médecin urgentiste de procéder, au service des urgences, à une traction trans- tibiale, laquelle constitue une intervention qui relève des seules attributions des chirurgiens orthopédistes et doit normalement être pratiquée au bloc opératoire, et n' avait, de surcroît, là aussi sans aucune justification, cherché à réaliser une artériographie qu' au bout de plusieurs heures, alors qu' il avait constaté que l' état vasculaire de Willy X... était déficient et que, dès lors, il était indispensable de procéder d' urgence à cet examen qui, seul, permettait d' établir un diagnostic des lésions vasculaires présentées par Willy X..., et quand, par conséquent, il résultait de ses propres constatations que le docteur Dominique Y... avait commis des manquements graves et inexcusables à ses obligations d' ordre professionnel et déontologique, constitutifs de fautes personnelles et détachables de ses fonctions, la cour d' appel a violé les dispositions et le principe susvisé " ;
Attendu qu' il résulte de l' arrêt attaqué et des pièces de procédure qu' hospitalisé, le 24 août 1996 à 4 heures 32, à la suite d' un accident corporel de la circulation, au centre hospitalier de Royan (Charente- Maritime), Willy X... a dû être transféré, le même jour à 17 heures 15, au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, où il a subi plusieurs pontages avant d' être amputé de la jambe gauche au cours de trois opérations réalisées entre le 12 septembre 1996 et le 29 avril 1998 ; qu' à l' issue de l' information ouverte sur sa plainte, Jamal Z..., médecin urgentiste qui l' avait examiné à son arrivée au centre hospitalier de Royan, et Dominique Y..., chirurgien du service d' orthopédie de cet établissement, qui, de garde à son domicile au cours de la nuit du 23 au 24 août 1996, ne l' avait opéré de ses diverses fractures, notamment fémorale, qu' entre 10 heures et 14 heures, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel de Saintes du chef de blessures involontaires ; que, par jugement du 20 juillet 2005, cette juridiction, après avoir relaxé Jamal Z..., a condamné Dominique Y... à une peine d' emprisonnement avec sursis, l' a déclaré responsable pour moitié du préjudice subi par la victime et l' a condamné dans cette limite à rembourser à la sécurité sociale le montant de ses débours et à indemniser la partie civile de son préjudice personnel ;
Attendu qu' ayant relevé appel de l' ensemble des dispositions du jugement, Dominique Y... a non seulement contesté sa responsabilité pénale, confirmée par l' arrêt, mais décliné la compétence de la juridiction correctionnelle pour statuer sur l' action civile, en faisant valoir qu' à les supposer démontrées, les fautes qui lui étaient reprochées, commises dans l' exercice de ses fonctions au centre hospitalier de Royan, engageaient la responsabilité du service public hospitalier ;
Attendu que, pour admettre cette exception et constater son incompétence pour connaître des demandes de la partie civile, la cour d' appel, après avoir confirmé la culpabilité du prévenu, énonce que les fautes dont Dominique Y..., agent du service public hospitalier, a été reconnu coupable, " ne peuvent être considérées comme détachables de ses fonctions de médecin chirurgien au centre hospitalier de Royan " ;
Attendu qu' en l' état de ces énonciations, la cour d' appel, qui a souverainement déduit de ses constatations que la faute du prévenu ne révélait pas un manquement volontaire et inexcusable à ses obligations d' ordre professionnel et déontologique, a justifié sa décision ;
D' où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l' arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Farge conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Blondet conseiller rapporteur, MM. Palisse, Le Corroller, Mme Radenne conseillers de la chambre, Mme Agostini, MM. Chaumont, Delbano conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Boccon- Gibod ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;