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06/11/2007 | FRANCE | N°06-84634

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 06 novembre 2007, 06-84634


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Perrine,
- Y... Jean-François,
- LA SOCIÉTÉ MARIANNE, civilement responsable,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11e chambre, en date du 10 mai 2006, qui, pour diffamation publique envers des particuliers, a condamné les deux premiers à 1 500 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article

10 de la Convention européenne des droits de l'homme, des article 29 et 32, alinéa 1er, de l...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Perrine,
- Y... Jean-François,
- LA SOCIÉTÉ MARIANNE, civilement responsable,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11e chambre, en date du 10 mai 2006, qui, pour diffamation publique envers des particuliers, a condamné les deux premiers à 1 500 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, des article 29 et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 et des articles 2, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt partiellement infirmatif attaqué a reconnu Perrine X... et Jean-François Y... coupables, comme auteur et complice, du délit de diffamation, les a condamnés à une peine d'amende, les a condamnés à verser des dommages-intérêts aux parties civiles, a ordonné la publication d'un communiqué judiciaire dans le journal Marianne et a déclaré la société Marianne civilement responsable ;

"aux motifs que, d'abord, les passages "exploiter son personnel en toute impunité" (1), "fliqués, méprisés, humiliés, et à la première occasion virés" (2), "publicité mensongère destinée à séduire les jeunes internautes. Chez Free la liberté n'a pas de prix disent-ils. Mais les salariés, eux, sont traités comme des chiens" (3), "Iliad les asservit pour assouvir sa soif de profits laisse-t-il entendre" (4), "Mais Iliad a une spécificité : il casse les prix sur le dos des salariés, au mépris de la loi" (5), "Salariés ou Serfs ? Chez Free, la campagne de publicité annonce les prix les plus bas du marché, mais les salaires le sont aussi" (7) imputent à l'une ou l'autre des sociétés parties civiles, d'exploiter leurs salariés, soit en les sous-payant, soit en les traitant de façon indigne, afin de pouvoir offrir des services au plus bas du marché tout en faisant des bénéfices significatifs, ce qui porte indiscutablement atteinte à l'honneur et à la considération des employeurs concernés ; que les sociétés Centrapel, Free et Iliad soutiennent à juste titre être visées par cette imputation ;

"1°) alors que, pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être sans difficulté l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ; que les passages incriminés (1 à 5 et 7), en ce qu'ils énoncent que le personnel est "exploité", "fliqué, humilié", "viré à la première occasion", "traité comme des chiens", "asservi", ne contiennent aucun fait précis de nature à caractériser la diffamation, mais ne sont que des opinions, fussent-elles polémiques, sur les formes modernes et policées d'exploitation des salariés par des entreprises de la nouvelle économie, emblématiques du nouveau capitalisme, auxquelles le journal consacrait un dossier ;

"2°) alors que le septième passage "Salariés ou Serfs ? Chez Free, la campagne de publicité annonce les prix les plus bas du marché, mais les salaires le sont aussi" constitue une légende sous la publicité de la société Free montrant une personne en train de se flageller pour se refuser la liberté tarifaire que lui offre Free ; que cette légende ne constitue donc qu'une référence humoristique au slogan de Free sur le thème médiéval du servage, de la corvée et des châtiments corporels, dénuée de sérieux et partant exclusive de toute imputation d'un fait précis de nature diffamatoire ;

"3°) alors que seule l'allégation ou l'imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur et à la considération de la personne présente un caractère diffamatoire ; que ne relève donc pas de la diffamation l'imputation de faits que la loi autorise ; qu'ainsi, les passages incriminés imputant à une entreprise de faire du profit (passage 4), de mal payer son personnel (passages 5 et 7), d'avoir des méthodes de gestion du personnel expéditives (passages 1 à 4 et 6), dès lors qu'elles ne sont pas illégales ou présentées comme telles, ne constituent pas le délit de diffamation ;

"aux motifs, ensuite, que les passages "les ‘‘méthodes managériales'' de Centrapel reposent sur un précepte rudimentaire : le bâton et la carotte" (6), "les écoutes sont utilisées à des fins répressives et non pédagogiques" (8) imputent à la société Centrapel d'utiliser des méthodes de gestion infantilisantes et peu loyales, ce qui porte atteinte à son honneur et à sa considération ;

"4°) alors que l'imputation de faits que la loi autorise ne saurait caractériser une atteinte à l'honneur et à la considération de la personne à laquelle un tel fait est imputé ; que ne constituent donc pas une diffamation les passages incriminés (6 et 8) imputant à une entreprise d'avoir des méthodes de gestion du personnel rudimentaires en ayant un recours fréquent à la sanction (le "bâton", des écoutes "répressives") dès lors qu'elles ne sont pas illégales ou présentées comme telles ;

"5°) alors que ces passages ne contiennent aucun fait précis de nature à caractériser la diffamation, mais ne sont que la relation de l'opinion d'un employé, fût-elle polémique, sur les "méthodes managériales" de son entreprise ;

"aux motifs, enfin, que les passages "Embauchés en contrat de qualification, par conséquent payés 65 % du smic, ils se sont vu imposer les pires horaires : 15 heures-22 heures tous les jours, dimanche compris" (9), "Des avenants aux contrats de travail stipulant que le salariés sont payés à l'heure et non à la journée : illégal ! Des élections du personnel où les syndicats n'ont pas été conviés malgré les demandes réitérées par écrit : illégal ! Un règlement intérieur qui engage la responsabilité du personnel sur le matériel de l'entreprise : illégal ! Chez Free, la liberté des prix n'a décidément pas de prix" (10) concernent la société Free et Centrapel et leur impute de bafouer les règles du code du travail, ce qui porte atteinte à leur honneur et à leur considération ;

"6°) alors que l'imputation de faits que la loi autorise ne saurait caractériser une atteinte à l'honneur et à la considération de la personne à laquelle un tel fait est imputé ; que ne constitue donc pas une diffamation le passage incriminé (9) imputant à une entreprise d'imposer des horaires déplaisants à certains de ses employés, dès lors que cette pratique n'est pas illégale ou désignée comme telle ;

"7°) alors que les passages incriminés (9 et 10) étant relatifs aux seules pratiques de la société Centrapel, ils ne sauraient être considérés comme diffamatoires à l'égard de la société Free et engager la responsabilité civile des prévenus à son égard" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et l'examen des pièces de la procédure mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a exactement apprécié le sens et la portée des propos incriminés et a, à bon droit, retenu qu'ils comportaient des imputations diffamatoires visant les sociétés Centrapel, Free et Iliad ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 35 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a écarté l'exception de vérité des faits diffamatoires ;

"alors que, dans leurs conclusions visées le 15 mars 2006 (page 12, § 4), les prévenus avaient régulièrement présenté la preuve que les affirmations contenues dans le passage 9 selon lequel de jeunes grévistes, "embauchés en contrat de qualification, par conséquent payés 65 % du smic, se sont vu imposer les pires horaires : 15 heures-22 heures tous les jours , dimanche compris (pièce n° 2) ; qu'en ne répondant pas à ce moyen péremptoire, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motif" ;

Attendu que, pour dire non rapportée la preuve des faits diffamatoires, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié la teneur des documents produits et contradictoirement débattus, pour en déduire à bon droit que les éléments de preuve qui lui étaient soumis étaient sans corrélation avec les faits dénoncés, a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 29 et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a écarté l'exception de bonne foi des prévenus ;

"aux motifs que l'enquête n'a pas été suffisante, s‘agissant d'un article de fond mettant en cause trois sociétés ; qu'ainsi, la journaliste n'a rencontré qu'un salarié de la société Centrapel, alors que cette seule société comprend plus de neuf cents salariés, n'a pas cherché sérieusement à interroger les responsables pour recueillir leur position et en faire état dans son article (arrêt, page 9) ; qu'elle devait recueillir le témoignage de salariés plus nombreux et surtout la position de la direction, sans se contenter de seulement tenter de joindre celle-ci sans succès en téléphonant au centre d'appels, sans même en faire état dans l'article, ni chercher à contacter un responsable au siège social (jugement, page 9) ; qu'en outre, les documents recueillis, certes nombreux, sont anciens, datant pour leur quasi-totalité d'avant juillet 2002, alors que l'article est paru en septembre 2003 ; qu'enfin, les termes utilisés et en particulier le mot "illégal" répété quatre fois en fin d'article ou la formule "prix cassé sur le dos des salariés" manquent de la plus élémentaire prudence, au regard des informations dont la journaliste disposait et de l'absence d'enquête contradictoire (arrêt, page 9) ;

"1°) alors que doit être réputée contradictoire l'enquête au cours de laquelle un journaliste tente de contacter la personne à laquelle est imputé un fait diffamatoire ; que, dès lors qu'il est avéré que la journaliste prévenue avait cherché à joindre, sans succès, un responsable de la société Centrapel, l'enquête n'a pas été réalisée à charge mais conservait un caractère sérieux ;

"2°) alors que n'est pas imprudente l'expression d'un jugement de valeur critique qui repose sur une base factuelle ; que, dès lors que l'enquête de la journaliste pouvait être réputée contradictoire, qu'elle attestait d'irrégularités dans la gestion du personnel, telles que celles relevées par l'arrêt pour admettre partiellement l'exception de vérité s'agissant des élections professionnelles (arrêt, page 8), il lui était loisible de présenter comme elle l'a fait les pratiques illégales de la société Centrapel, de même que la pression qu'elle exerce sur les salaires en contrepartie de ses prix attractifs ; que ce jugement critique, en dépit de la vivacité des termes employés, n'en conservait pas moins un caractère prudent dès lors qu'il était assis sur une base factuelle" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs répondant aux conclusions dont elle était saisie, a, sans insuffisance ni contradiction, exposé les circonstances particulières invoquées par le prévenu et énoncé les faits sur lesquels elle s'est fondée pour écarter l'admission à son profit du bénéfice de la bonne foi ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

DIT n'y avoir lieu à application, au profit des sociétés Centrapel, Free et Iliad, de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Cotte président, Mme Ménotti conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 06-84634
Date de la décision : 06/11/2007
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 10 mai 2006


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 06 nov. 2007, pourvoi n°06-84634


Composition du Tribunal
Président : M. Cotte (président)
Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Yves et Blaise Capron

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2007:06.84634
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