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02/05/2007 | FRANCE | N°06-84710

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 02 mai 2007, 06-84710


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le deux mai deux mille sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MÉNOTTI, les observations de la société civile professionnelle Le GRIEL, de la société civile professionnelle THOUIN-PALAT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BOCCON-GIBOD ;
REJET et irrecevabilité du pourvoi formé par l'Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF), partie civile, co

ntre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 17 ma...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le deux mai deux mille sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MÉNOTTI, les observations de la société civile professionnelle Le GRIEL, de la société civile professionnelle THOUIN-PALAT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BOCCON-GIBOD ;
REJET et irrecevabilité du pourvoi formé par l'Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF), partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 17 mai 2006, qui, dans la procédure suivie, sur sa plainte, contre Serge X..., du chef d'injure publique raciale, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, alinéa 2,33, alinéa 3,53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Serge X... des fins de la poursuite pour injure publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de son appartenance à une religion déterminée ;
" aux motifs que " l'A.G.R.I.F. n'a pas pu cibler avec précision le groupe au nom duquel elle agit, en ce qu'elle a dans son assignation introductive d'instance reproché une injure envers les chrétiens ", notion particulièrement large puisqu'elle comprend diverses communautés de fidèles, et a dans ses conclusions d'appel, reproché une injure envers les chrétiens tout en mentionnant les catholiques " ;
" alors qu'en matière de délit de presse, l'objet de la poursuite et les points sur lesquels le prévenu aura à se défendre sont définitivement fixés par la citation ; qu'en l'espèce, la citation indiquait clairement et précisément que l'injure dénoncée visait les chrétiens et que la circonstance que l'A.G.R.I.F. aurait, dans ses conclusions d'appel, " reproché une injure envers les chrétiens tout en mentionnant les catholiques ", lesquels sont eux-mêmes des chrétiens, ne rend pas imprécis le groupe de personnes que l'A.G.R.I.F. soutient avoir été injurié à raison de sa religion " ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, alinéa 2,33, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Serge X... des fins de la poursuite pour injure publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de son appartenance à une religion déterminée ;
" aux motifs repris des premiers juges que " le propos d'ensemble, dont la représentation litigieuse du Christ n'est pas détachable, ne saurait être regardé comme visant à blesser l'ensemble des chrétiens, ni même l'ensemble des catholiques, lesquels ne paraissent pas tous partager la doctrine du pape sur l'usage du préservatif, certaines conférences épiscopales nationales n'ayant, d'ailleurs, jamais repris à leur compte, en tous cas sous cette forme, les positions communément prêtées à Jean-Paul II sur le sujet " ;
" alors que le délit d'injure prévu à l'article 33, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 est constitué dès lors qu'une personne ou un groupe de personnes, quelle qu'en soit l'ampleur, est injurié à raison de son appartenance ou de sa non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée et non pas seulement lorsqu'est injurié l'ensemble des personnes appartenant à cette ethnie, cette nation, cette race ou cette religion et qu'en relaxant le prévenu au motif repris des premiers juges que le dessin incriminé ne viserait pas " l'ensemble des chrétiens, ni même l'ensemble des catholiques ", la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qui ne s'y trouve pas " ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, alinéa 2,33, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Serge X... des fins de la poursuite pour injure publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de son appartenance à une religion déterminée ;
" aux motifs repris des premiers juges que " paru dans un quotidien que son histoire a pu apparenter à un journal d'opinion, il n'a pu surprendre que dans une faible mesure les lecteurs qui connaissent la tonalité éditoriale de Libération et qui ne sont nullement contraints de l'acheter et la manière du dessinateur Y... qui y tient, sous le titre " L'oeil de Y... ", une rubrique régulière, laquelle a accoutumé ses lecteurs au ton acide, fait d'ironie mordante et d'humour noir, qui est propre à ce dessinateur " ;
" alors que le délit reproché est constitué par le seul fait de proférer publiquement une injure à l'adresse d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; que le fait retenu par les premiers juges et repris par la cour d'appel que le dessin incriminé " n'a pu surprendre que dans une faible mesure " les lecteurs du journal Libération dans lequel ces dessins ont été publiés, ceci en raison de la ligne éditoriale de ce journal et du style et du genre habituellement adoptés par le dessinateur, ne saurait constituer un fait justificatif et que les motifs ainsi adoptés par la cour d'appel sont totalement inopérants " ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, alinéa 2,33, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881,10 de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Serge X... des fins de la poursuite pour injure publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de son appartenance à une religion déterminée ;
" aux motifs repris des premiers juges que, si la représentation par le dessinateur Y... du Christ nu, le sexe recouvert d'un préservatif, est, en soi, incontestablement de nature, par son incongruïté, à heurter la sensibilité de chrétiens, le dessin litigieux entend prendre parti dans le débat qui traverse l'Eglise catholique relativement aux positions prêtées au Pape Jean-Paul II sur l'interdiction pour un chrétien d'utiliser un préservatif, même dans le souci de se prémunir ou de protéger autrui, contre le SIDA ;

" qu'en dépit de la grossièreté qui s'attache à une telle représentation du Dieu des chrétiens, le dessin litigieux relève... de l'opinion : son auteur entend dénoncer, aux premiers jours du pontificat de Benoît XVI, les prises de positions du Pape précédent ou d'une partie du clergé catholique sur l'utilisation du préservatif comme moyen de prévention du fléau du SIDA, en se situant volontairement sur le registre de la provocation et du scandale, lequel fait sans doute écho aux sentiments que lui inspire la prohibition pontificale d'un tel moyen d'éviter la contamination " ;
que " ce dessin fait sa place à la diversité des points de vue au sein de l'Eglise catholique, lesquels se réclament tous de l'enseignement du Christ dont-sous une forme, il est vrai, singulière-son auteur cherche également à se prévaloir au motif de la lutte contre le SIDA ", et aux motifs propres que " les modalités de la lutte contre le SIDA, préconisées par le Pape, font l'objet d'un débat parmi les fidèles de l'Eglise catholique ", que " les restrictions à la liberté d'expression sont d'interprétation étroite " et que, " si ce dessin a pu heurter la sensibilité de certains chrétiens ou de certains catholiques, son contenu, à savoir un Christ en gloire, portant un préservatif, afin de frapper le lecteur sur la nécessité de se protéger du SIDA et d'éviter sa propagation, notamment en Afrique ou il constitue un fléau de grande ampleur, ainsi que la discussion entre deux cardinaux, l'un de couleur blanche et l'autre de couleur noire en témoigne, ne dépasse pas les limites admissibles de la liberté d'expression, garantie par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par le droit interne " ;
" alors que la représentation du Christ en gloire, nu, le sexe recouvert d'un préservatif, au dessus d'une assemblée d'évêques dont l'un d'eux, de race blanche, déclare à un autre, de race noire, que le Christ aurait sans doute utilisé un préservatif, par delà son caractère hautement blasphématoire, constitue une injure faite au Christ et, par conséquent, à tous ses disciples que constituent les chrétiens et que le fait retenu par les juges du fond que, d'une part, le dessinateur entendait dénoncer les " prises de positions " du Pape Jean-Paul II et " d'une partie du clergé catholique " sur l'utilisation du préservatif comme moyen de prévention du SIDA et que, d'autre part, cette question ferait l'objet d'un " débat " au sein même de l'Eglise catholique, ne retire en rien au dessin incriminé son caractère injurieux " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que l'Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne, dite AGRIF, a fait citer directement devant le tribunal correctionnel Serge X..., directeur de publication du journal " Libération ", du chef d'injure publique envers la communauté des chrétiens, en raison de la publication d'un dessin de Y..., représentant le " Christ en gloire ", nu, portant un préservatif, vers lequel se dirigent les regards d'un groupe d'évêques, dont l'un, blanc, déclare à un autre, noir : " lui-même aurait sans doute utilisé un préservatif ! " ; que le tribunal correctionnel a estimé le délit d'injure religieuse non constitué ; que l'AGRIF a interjeté appel de cette décision ;
Attendu que, pour débouter la partie civile de ses demandes, l'arrêt énonce notamment que les restrictions à la liberté d'expression sont d'interprétation étroite et que, si ce dessin a pu heurter la sensibilité de certains chrétiens ou de certains catholiques, son contenu, qui illustre un débat entre cardinaux sur la nécessité de se protéger du SIDA et entend frapper le lecteur sur le fléau que le virus représente notamment en Afrique, ne dépasse pas les limites admissibles de la liberté d'expression garantie par la Convention européenne des droits de l'homme ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que les moyens doivent êtres écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
DÉCLARE IRRECEVABLE la demande de l'AGRIF, présentée au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Joly conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Ménotti conseiller rapporteur, Mme Anzani conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 06-84710
Date de la décision : 02/05/2007
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Injures - Injures publiques - Injures envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée - Exclusion - Cas

INJURES - Injures publiques - Injures envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée - Eléments constitutifs CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 10 § 2 - Liberté d'expression - Presse - Injures envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée - Contrôle de la Cour de cassation

Justifie sa décision la cour d'appel qui, saisie d'une poursuite du chef d'injure publique religieuse en raison de la publication d'un dessin représentant le "Christ en gloire", nu, portant un préservatif, vers lequel se dirigent les regards d'un groupe d'évêques, dont l'un, blanc, déclare à un autre, noir : "Lui-même aurait sans doute utilisé un préservatif", prononce une relaxe après avoir relevé que les restrictions à la liberté d'expression sont d'interprétation étroite et que, si ce dessin a pu heurter la sensibilité de certains chrétiens ou de certains catholiques, son contenu, qui illustre un débat sur la nécessité de se protéger du sida et entendait frapper le lecteur sur le fléau que le virus représente notamment en Afrique, ne dépasse pas les limites admissibles de la liberté d'expression garantie par la Convention européenne des droits de l'homme


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 17 mai 2006


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 02 mai. 2007, pourvoi n°06-84710, Bull. crim.Buleltin criminel 2007, N° 115
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle Buleltin criminel 2007, N° 115

Composition du Tribunal
Président : M. Joly (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat général : M. Boccon-Gibod
Rapporteur ?: Mme Ménotti
Avocat(s) : SCP Le Griel, SCP Thouin-Palat

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2007:06.84710
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