LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt février deux mille sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire VALAT, les observations de la société civile professionnelle THOUIN-PALAT, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
REJET des pourvois formés par X... Marie-Lise, Y... Guy, contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 3e chambre, en date du 2 mai 2006, qui, pour diffamation publique envers un particulier, les a condamnés à 3 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits, communs aux demandeurs ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme,29,35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881,591 et 593 du code de procédure pénale :
" en ce que la cour a rejeté l'exception de vérité invoquée par Marie-Lise X... et Guy Y... ;
" aux motifs que les premiers juges ont parfaitement apprécié le caractère diffamatoire de la publication figurant sur le site « anneau-de-la-justice. net » le 6 avril 2005, en ce que Daniel Z... est présenté comme un pédophile ayant sévi, en sa qualité d'instituteur et de directeur d'école, au sein du milieu scolaire du Val-de-Marne, à une époque déterminée, et dont le comportement a donné lieu à trois dépôts de plainte et implique d'autres révélations dès lors que d'autres enfants seraient concernés ; que pour ces motifs et ceux contenus à la décision et que la cour adopte il convient de confirmer le jugement sur ce point ; que les prévenus ont fait une offre de preuve dans les conditions prévues par la loi ; que l'ordonnance de non-lieu du 31 janvier 2006 à l'issue de l'information ouverte contre X des chefs d'atteintes sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans vise expressément le contenu des attestations de Georgette A..., de Franck-Annick B... et d'Esther C... produites dans le cadre de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 ; que, par ailleurs, si malgré la normalité de l'examen, le gynécologue E... a conclu en novembre 2001 à ce que les dires de Sara faisaient fortement suspecter la possibilité d'attouchements et d'abus sexuels, cette pièce qui évoque la simple possibilité n'a pas été confortée par l'expertise et la contre-expertise diligentées dans le cadre de l'information ; qu'il résulte, en revanche, de la lecture de l'ordonnance de non-lieu en date du 31 janvier 2006, que la désignation de Daniel Z... comme coupable n'est pas apparue crédible à l'expert qui a vu dans ce mécanisme de désignation l'effet de la perversité du conflit noué entre des adultes inconséquents ; que figure encore parmi les pièces produites, la sommation interpellative délivrée par Jack D...à sa fille le 21 août 2002 par l'intermédiaire d'un huissier, procédé pour le moins surprenant du recueil de la parole d'un enfant âgée de 5 ans ; que les premiers juges ont, en outre, valablement relevé que l'attestation d'Anne-Sophie D..., la demi-soeur de Sara, relate les dires de l'enfant Sara et que le témoignage à la barre de Jack D...a consisté dans la relation des événements et faits qui sont à l'origine de l'ouverture de l'information clôturée depuis par l'ordonnance de non-lieu ; que pour ces motifs, et ceux figurant à la décision critiquée et que la cour adopte, le jugement dont appel doit encore être confirmé en ce que les prévenus n'ont pas rapporté la preuve de la véracité des faits diffamatoires ;
" alors 1°) que l'absence de poursuite à l'encontre de la partie civile ne signifie nullement que le comportement prêté au diffamé n'ait jamais existé ou ait été inexact, pas plus qu'il n'interdit pas la preuve de la vérité des faits diffamatoires ; qu'ainsi la cour ne pouvait rejeter l'exception de vérité soulevée par les demandeurs, motif pris de l'ordonnance de non-lieu du chef d'atteinte sexuelle aggravée sur mineure de 15 ans prononcée en faveur du prétendu diffamé ;
" alors 2°) que la preuve de la vérité des faits litigieux doit être antérieure ou concomitante à leur publication ; qu'en se bornant à rejeter l'exception de vérité soulevée par les demandeurs sur le fondement d'éléments postérieurs à la publication des faits, objet de l'imputation, sans rechercher si et en quoi, lors de ladite publication, les éléments de preuve fournis étaient de nature à justifier les imputations litigieuses, la cour a privé sa décision de base légale " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Marie-Lise X... et Guy Y... ont diffusé sur le réseau Internet un texte imputant à Daniel Z... d'avoir commis des agressions sexuelles sur des mineurs, notamment sur la jeune Sara et invitant d'autres victimes à se faire connaître ; qu'à la suite de cette publication, celui-ci a fait citer les demandeurs devant la juridiction correctionnelle du chef de diffamation publique envers un particulier ; que les prévenus ayant offert de prouver la vérité des faits diffamatoires, ont produit à cette fin copie d'une plainte avec constitution de partie civile du chef d'agression sexuelle portée par le père de l'enfant, des attestations et certificats de personnes ayant recueilli les déclarations de la mineure, des dessins qui lui étaient attribués et une sommation interpellative délivrée à la requête de son père lequel a été, en outre, cité comme témoin ;
Attendu que, pour écarter le fait justificatif invoqué, l'arrêt, par motifs propres et adoptés, relève que les éléments produits par les prévenus, s'ils sont de nature à justifier des investigations dans le cadre d'une enquête judiciaire, ne peuvent en aucune façon établir la vérité des faits diffamatoires ; que les juges ajoutent que la sommation délivrée à l'enfant, l'attestation de sa demi-soeur et le témoignage du père ne font que reprendre les faits dénoncés sans en établir la réalité ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié la teneur des documents produits et contradictoirement débattus, pour en déduire à bon droit que les prévenus ne rapportaient pas une preuve complète, parfaite et corrélative aux imputations ou allégations formulées, ont justifié leur décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme,9-1 du code civil,29 et 35 de la loi du 29 juillet 1881,591 et 593 du code de procédure pénale :
" en ce que : la cour a refusé à Marie-Lise X... et à Guy Y... le bénéfice de la bonne foi ;
" aux motifs que « s'agissant de la bonne foi, les auteurs du site internet, qui n'ignoraient pas l'existence des poursuites pénales en cours, ont manifestement manqué de prudence dans l'expression en lançant un avis de recherche et ont porté atteinte ainsi à la présomption d'innocence ; que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté l'exception de bonne foi et déclaré les deux prévenus, qui ne contestent pas être les auteurs de l'avis de recherche, coupables des faits qui leur sont reprochés » ;
" alors 1°) que toute restriction à la liberté d'expression doit être justifiée sous le double rapport de sa proportionnalité et de sa nécessité ; qu'en écartant ainsi la bonne foi de Marie-Lise X... et de Guy Y... sans rechercher si la restriction imposée à l'exercice de la liberté d'expression était proportionnée au but de protection de la présomption d'innocence, la cour a privé sa décision de base légale ;
" alors 2°) qu'en matière de diffamation, le bénéfice de bonne foi n'est pas soumis à l'absence de toute atteinte à la présomption d'innocence ; qu'ainsi le fait justificatif de la bonne foi n'a pu être écarté par la cour, motif pris d'une telle atteinte, sans autre examen de la légitimité du but poursuivi par Marie-Lise X... et Guy Y... et de la proportionnalité du moyen employé " ;
Attendu que, pour refuser aux prévenus le bénéfice de la bonne foi, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que les auteurs du communiqué sur lequel se fonde la poursuite, alors qu'ils n'avaient réellement connaissance que des seules déclarations de l'enfant Sara révélées par son père, ont présenté Daniel Z..., sans la moindre justification, comme l'auteur d'abus sexuels ; que les juges ajoutent que les prévenus ont agi en violation de la présomption d'innocence alors qu'une information judiciaire était en cours ; qu'ils en déduisent exactement que les prévenus ont manqué de prudence dans l'expression en lançant un tel avis de recherche ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations qui établissent que la restriction apportée à la liberté d'expression des prévenus est proportionnée à la nécessité de faire respecter le principe de la présomption d'innocence affirmé tant par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen que par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ; Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Cotte président, M. Valat conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ; Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;