AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 17 juin 2004), que M. X... ayant, le 3 juin 2000, demandé à bénéficier de ses droits à la retraite à compter du 1er octobre 2000, la caisse régionale d'assurance maladie (CRAMA) lui a notifié qu'à cette date, il ne pourrait invoquer que cent cinquante-deux trimestres au lieu des cent cinquante-sept exigés pour l'attribution d'une pension à taux plein ; que M. X... a alors fait valoir qu'ayant élevé seul son fils, il était en droit de revendiquer la majoration de la durée d'assurance attribuée par l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale aux femmes ayant élevé un ou plusieurs enfants dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L.342-4 dudit code ;
Attendu que la CRAMA fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande de M. X..., alors, selon le moyen :
1 / que l'article 14 de la Convention de sauvergarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'interdit les distinctions fondées sur le sexe qu'en ce qui concerne la jouissance des droits et libertés reconnus par les autres clauses normatives de la Convention et des protocoles additionnels ; que l'avantage accordé en matière d'assurance viellesse par l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale aux femmes ayant élevé un ou plusieurs enfants ne constitue pas un bien au sens de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en affirmant, au visa de ces deux textes, que la décision de la CRAMA refusant à M. X... le bénéfice des dispositions de l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale n'était pas justifiée, la cour d'appel a violé lesdits textes ;
2 / que la violation du droit garanti par l'article 14 de la Convention de ne pas subir de discrimination dans la jouissance des droits reconnus par la Convention n'est caractérisée que lorsque les Etats imposent sans justification objective et raisonnable un traitement différent à des personnes se trouvant dans des situations analogues ; que l'existence d'une justification objective et raisonnable s'apprécie globalement et non de la situation individuelle de tel ou tel individu ; qu'en l'espèce, l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale, qui accorde aux femmes ayant élevé un ou plusieurs enfants un avantage en matière d'assurance vieillesse, repose sur une justification objective et raisonnable, en ce que d'une part, il poursuit le but légitime de compenser les inégalités de fait dont les femmes ont jusqu'à présent été l'objet -tenant en particulier à ce qu'elles ont interrompu leur activité professionnelle bien davantage que les hommes afin d'assurer l'éducation des enfants- et d'autre part, il respecte un rapport de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les textes précités ;
Mais attendu qu'il résulte de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, telle qu'interprétée par la Cour européenne des droits de l'homme, que, d'une part, dès lors qu'un Etat contractant met en place une législation prévoyant le versement automatique d'une prestation sociale, que l'octroi de celle-ci dépende ou non du versement préalable de cotisations, cette législation engendre un intérêt patrimonial relevant du champ d'application de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1, d'autre part, une différence de traitement entre hommes et femmes ayant élevé des enfants dans les mêmes circonstances ne peut être admise qu'en présence d'une justification objective et raisonnable ;
Et attendu que l'arrêt retient que l'avantage résultant de l'article L. 351-4 du code de sécurité sociale dans sa rédaction applicable à l'espèce est accordé aussi bien aux femmes qui ont poursuivi leur carrière sans interruption qu'à celles qui l'ont interrompue, qu'il n'existe aucun motif de faire une discrimination entre une femme qui n'a pas interrompu sa carrière pour élever ses enfants et un homme qui apporte la preuve qu'il a élevé seul un enfant ;
Que de ces constatations et énonciations, dont il ressort l'absence de justification objective et raisonnable de la discrimination litigieuse, la cour d'appel a exactement déduit qu'en vertu des dispositions combinées de l'article 14 de la Convention et de l'article 1er du Protocole n° 1, directement applicables à toute personne relevant de la juridiction des Etats signataires, M. X... devait bénéficier de la majoration de durée d'assurance sollicitée ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la CRAMA aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette la demande de la CRAMA ; la condamne à payer à M. X... la somme de 2 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un décembre deux mille six.