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28/11/2006 | FRANCE | N°05-83492

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 28 novembre 2006, 05-83492


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-huit novembre deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de la société civile professionnelle BACHELLIER et POTIER de la VARDE, et de Me BALAT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAUNAY ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Pierre Marcel,

- Y... Francis,

- LA SOCIETE EDITIONS X..., civilement responsable,

co

ntre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11e chambre, en date du 26 mai 2005, qui, pour diffama...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-huit novembre deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de la société civile professionnelle BACHELLIER et POTIER de la VARDE, et de Me BALAT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAUNAY ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Pierre Marcel,

- Y... Francis,

- LA SOCIETE EDITIONS X..., civilement responsable,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11e chambre, en date du 26 mai 2005, qui, pour diffamation envers un ministre et complicité, a condamné les deux premiers à 4 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 31, 48, 50 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, 528 et 538 nouveaux du code de procédure civile, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la poursuite ;

"aux motifs que la défense énonce qu'avant de déposer plainte, le 15 juillet 2002, Bernard Z... a engagé devant le tribunal de grande instance de Paris une instance civile en diffamation contre Francis Y... et la maison d'édition X... sur le fondement de l'article 32, alinéa 1er, de la loi sur la presse, que, par requête du 14 mai 2002, il a sollicité l'autorisation d'assigner à jour fixe, que, par ordonnance du même jour, le président du tribunal a autorisé Bernard Z... à assigner pour le 18 septembre 2002, que l'assignation a été délivrée aux défendeurs le 28 mai 2002, qu'en définitive, Bernard Z... a fait signifier le 13 septembre 2002 des conclusions de désistement d'instance en indiquant qu'au vu des réactions d'indignation soulevées par l'ouvrage de Francis Y..., il avait déposé plainte le 15 juillet 2002 auprès du ministre de la justice, que, lors de l'audience du 18 septembre 2002, les défendeurs ont indiqué qu'ils n'acceptaient pas le désistement et que, par jugement du 23 octobre 2002, le tribunal, après avoir observé qu'un ministre n'avait pas, en cette qualité, le droit de citer directement la personne qui le diffame en application de l'article 48 de la loi sur la presse, a déclaré parfait le désistement d'instance, a constaté l'extinction de l'instance civile et a condamné Bernard Z... à payer à Francis Y... et à la société X... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 nouveau du code de procédure civile ; que la défense fait observer que les mêmes passages sont visés dans l'assignation du 28 mai 2002 et dans la plainte du 15 juillet 2002, mais sous une qualification juridique différente : diffamation envers un particulier (article 32, alinéa 1er, de la loi sur la presse) pour l'assignation, diffamation publique envers un membre du ministère (article 31, alinéa 1er) pour la plainte ;

qu'elle soutient qu'il en résulte un concours de qualification prohibé par l'article 53 de la loi sur la presse devant entraîner la nullité des poursuites pénales ; que, cependant, la cour observe, d'une part, que les poursuites pénales ont été engagées par le ministère public, conformément aux prescriptions de l'article 48 (2 ) de la loi sur la presse, et, d'autre part, que le parquet de Paris a établi le mandement de la citation le 18 novembre 2002, soit postérieurement au désistement de l'instance civile et au jugement constatant ce désistement ;

"et aux motifs encore qu'aux termes de l'article 5 du code de procédure pénale, la partie, qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente, ne peut la porter devant la juridiction répressive, sauf si la juridiction répressive a été saisie par le ministère public avant qu'un jugement ait été rendu par la juridiction civile ; que, dans le cas présent, aucun jugement n'a été rendu au fond par la juridiction civile en raison du désistement d'instance ;

que la juridiction répressive a été saisie par le parquet ; que, dès lors, on ne saurait faire grief à Bernard Z... d'avoir renoncé à l'instance civile pour se constituer partie civile devant la juridiction répressive ; que, par ailleurs, l'argument tiré de la méconnaissance de l'article 53 de la loi sur la presse n'est pas pertinent dans la mesure où l'action civile était éteinte au moment de l'engagement des poursuites pénales par voie de citation directe ; que le fait que Bernard Z... ait déposé plainte auprès du garde des Sceaux avant de se désister de son instance civile est sans conséquence au plan de la validité des poursuites ;

"1 ) alors que les mêmes faits ne sauraient recevoir une double qualification sans créer une incertitude dans l'esprit de la personne poursuivie et que le plaignant ne saurait échapper à cette obligation impérative en engageant ou faisant engager par un artifice deux poursuites concomitantes relatives aux mêmes propos qualifiés différemment dans chacune d'elles ; qu'en se fondant, pour écarter l'exception de nullité de la poursuite pénale soulevée par les prévenus sur le fondement de ce principe, sur la double circonstance que la juridiction répressive avait été saisie par le parquet et que l'action civile engagée par Bernard Z... était éteinte au moment où la citation directe avait été délivrée, la cour d'appel, qui constatait pourtant que cette citation avait pour origine une plainte déposée par Bernard Z... avant que le juge civil ne constate l'extinction de l'instance par suite du désistement de ce dernier, a entaché sa décision d'une erreur de droit ;

"2 ) alors, en tout état de cause, qu'un jugement civil n'est définitif qu'un mois après sa signification ; qu'en retenant que l'instance civile était éteinte au moment où la citation directe avait été délivrée, le mandement de citation ayant été établi le 18 novembre 2002, tout en relevant que le jugement ayant constaté le désistement de Bernard Z... et, partant, l'extinction de l'instance avait été rendu le 23 octobre 2002, soit moins d'un mois avant la délivrance de la citation, la cour d'appel s'est contredite ;

"3 ) alors que, lorsqu'un ministre ou un ancien ministre a saisi la juridiction civile d'une demande en réparation formée contre une personne qui l'aurait diffamé, la maxime electa una via fait obstacle à ce qu'une poursuite pénale soit valablement engagée contre cette personne sur la plainte de ce ministre ou ancien ministre si celui-ci ne s'est pas désisté de l'action qu'il a portée devant le juge civil avant de porter plainte ; qu'en retenant, en l'espèce, que la poursuite exercée du chef de diffamation envers un ancien ministre ne se heurtait pas aux dispositions de l'article 5 du code de procédure pénale tout en constatant que la citation directe délivrée par le parquet de Paris avait pour origine une plainte que Bernard Z... avait adressée au garde des sceaux avant de se désister de l'action qu'il avait portée, à raison des mêmes faits, devant le juge civil, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de la maxime electa una via" ;

Vu l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu qu'il résulte des dispositions de ce texte que les mêmes faits ne sauraient recevoir une double qualification sans créer une incertitude dans l'esprit du prévenu, et que, si des poursuites relatives aux mêmes imputations qualifiées différemment et visant des textes de loi distincts ont été engagées successivement, la seconde se trouve frappée de nullité ;

Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, par acte du 28 mai 2002, Bernard Z..., ancien ministre, a fait assigner à jour fixe Francis Y... et la société Editions X... devant le tribunal de grande instance de Paris, pour diffamation envers un particulier, à la suite de la publication d'un ouvrage de Francis Y..., intitulé "Nuit gravement au tabac", comportant des passages le mettant en cause ; qu'il s'est désisté de son instance le 13 septembre 2002 ;

Attendu que, le 15 juillet 2002, Bernard Z... a déposé plainte auprès du ministre de la justice, en application de l'article 48, 1 bis, de la loi du 29 juillet 1881 ; que, par jugement du 23 octobre 2002, le tribunal de grande instance, après avoir constaté que l'offre de preuve de la vérité des faits proposée par le prévenu, constituant une défense au fond, rendait nécessaire l'acceptation du désistement par le défendeur, a déclaré parfait ce désistement, dont la non-acceptation n'était en l'espèce fondée sur aucun motif légitime, et constaté l'extinction de l'action civile ;

qu'en raison de la même publication et des mêmes passages, Pierre X..., président de la société Editions X..., Francis Y... et ladite société ont été cités par le ministère public le 18 novembre 2002 devant le tribunal correctionnel des chefs de diffamation publique envers un ministre et complicité de ce délit ; que les prévenus ont conclu à l'annulation de la procédure, en ce qu'elle visait des propos déjà poursuivis sous une qualification différente devant la juridiction civile ;

Attendu que, pour confirmer les dispositions du jugement ayant rejeté l'exception soulevée, l'arrêt, après avoir relevé que le mandement de citation devant la juridiction pénale avait été établi le 18 novembre 2002, postérieurement au désistement de l'instance civile et au jugement constatant ce désistement, énonce que, selon l'article 5 du code de procédure pénale, la partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive, sauf si cette juridiction a été saisie par le ministère public avant le prononcé d'un jugement sur le fond par la juridiction civile, et que tel est le cas en l'espèce, aucune décision sur le fond n'étant intervenue en raison du désistement d'instance devant la juridiction civile et la poursuite pénale ayant été exercée par le ministère public ; que les juges en déduisent qu'il ne saurait être reproché à Bernard Z... d'avoir renoncé à son instance civile pour se constituer partie civile devant la juridiction répressive ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, par des motifs inopérants relatifs à l'application des dispositions de l'article 5 du code de procédure pénale et alors que, pour les mêmes faits, deux poursuites ont été engagées sur des fondements différents, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;

Qu'il s'ensuit que la cassation est encourue de ce chef ; que n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 26 mai 2005 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 618-1 du code de procédure pénale en faveur de Bernard Z... ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Joly, Mme Anzani, M. Beyer, Mme Palisse, M. Beauvais conseillers de la chambre, M. Valat, Mme Ménotti conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Launay ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 05-83492
Date de la décision : 28/11/2006
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Procédure - Citation - Mentions obligatoires - Qualification des faits incriminés - Double qualification d'un même fait - Validité (non).

PRESSE - Procédure - Citation - Mentions obligatoires - Qualification des faits incriminés - Poursuites successives - Double qualification d'un même fait - Validité de la seconde poursuite (non)

Il résulte des dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 que les mêmes faits ne sauraient recevoir une double qualification sans créer d'incertitude dans l'esprit du prévenu et que, si des poursuites relatives aux mêmes imputations qualifiées différemment et visant des textes de loi distincts ont été engagées successivement, la seconde se trouve frappée de nullité.


Références :

Code de procédure pénale 5
Loi du 29 juillet 1881 art. 48 1° bis, art. 53

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 26 mai 2005

A rapprocher : Chambre criminelle, 1992-04-07, Bulletin criminel 1992, n° 149, p. 389 (rejet) ; Chambre criminelle, 2000-04-26, Bulletin criminel 2000, n° 167, p. 486 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 28 nov. 2006, pourvoi n°05-83492, Bull. crim. criminel 2006 N° 301 p. 1083
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2006 N° 301 p. 1083

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Launay.
Rapporteur ?: Mme Guirimand.
Avocat(s) : SCP Bachellier et Potier de la Varde, Me Balat.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2006:05.83492
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