AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° B 05-15822 et W 05-16001 en raison de leur connexité ;
Attendu que la société GIP, titulaire de la marque de vêtements Marithé François X... (MFG) a, à l'occasion du lancement de sa collection de printemps 2005, fait apposer une affiche, du 1er au 31 mars 2005, sur une surface de 400 m2 de la façade d'un immeuble de la porte Maillot à Neuilly-sur-Seine, qui consistait en une photographie inspirée du tableau "La Cène" de Léonard de Vinci, ses participants étant remplacés par des femmes portant des vêtements de la marque et accompagnées d'un homme dos nu ; que l'association Croyances et libertés, estimant que cette publicité était injurieuse à l'égard de la communauté des catholiques, a demandé au juge des référés qu'il soit interdit à l'agence Air Paris et à la société MFG d'afficher, de diffuser ou de publier la photographie litigieuse au motif qu'elle constituerait une injure au sens des articles 29, alinéa 2, et 33, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 et à ce titre un trouble manifestement illicite ; que cette association a ensuite limité ses prétentions à l'affichage public de la photographie litigieuse ; que par ordonnance du 10 mars 2005, le tribunal de grande instance de Paris, retenant l'existence de l'injure alléguée, a interdit aux sociétés GIP et JC Decaux publicité lumineuse d'afficher la photographie en tous lieux publics et sur tous supports, ordonné l'interruption de son affichage, fixé une astreinte de 100 000 euros, mis hors de cause les autres défendeurs ; que l'affiche a été déposée le 11 mars 2005 et remplacée par l'image de la seule table précédemment utilisée dépourvue de tout personnage ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° B 05-15.822 de la société GIP et de son pourvoi incident au pourvoi n° W 05-16.001 qui sont identiques :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté les exceptions de nullité de la procédure alors qu'en décidant que la société GIP à qui aucune citation n'avait été signifiée lorsqu'elle avait comparu avec son dirigeant personnellement assigné, avait néanmoins bénéficié d'un temps suffisant pour préparer sa défense quelles que soient les conditions de sa citation au prétexte que la qualité de l'intervention du conseil de la société GIP et de son dirigeant avait établi la parfaite connaissance que celui-ci avait du dossier, la cour d'appel a violé les articles 16 et 468 du nouveau code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que lorsqu'elle s'était présentée devant le juge, la société GIP était assistée d'un avocat qui avait reçu communication du dossier dont il avait démontré la parfaite connaissance qu'il en avait par la qualité de son intervention a, dans l'exercice de son pouvoir souverain, estimé qu'elle avait disposé d'un délai suffisant pour préparer sa défense ; qu'elle a pu en déduire que la cause de l'irrecevabilité de la demande avait disparu du fait de la régularisation intervenue au moment où le juge a statué ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être rejeté ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident éventuel n° W 05-16.001 de l'association Croyances et libertés :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable l'intervention volontaire de la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, alors :
1 / qu'en matière d'infractions prévues et réprimées par la loi du 29 juillet 1881, la qualité de partie au procès est limitée dans les conditions énoncées aux articles 47, 48 et 48-1 et en ce qui concerne l'injure à caractère religieux, les associations agréées ne peuvent exercer que les droits de la partie civile ; en admettant la recevabilité de l'intervention de la ligue, qui n'avait pas pour objet d'obtenir la réparation du préjudice causé par l'injure envers un groupe de personnes en raison de sa religion, la cour d'appel a violé les articles 48, 6 et 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 ;
2 / qu'en matière d'infractions prévues et réprimées par la loi du 29 juillet 1881, la qualité de partie au procès est limitée dans les conditions énoncées aux articles 47, 48 et 48-1 et en ce qui concerne l'injure à caractère religieux, les associations agréées ne peuvent agir qu'à la condition que l'infraction poursuivie relève de la cause qu'elles sont habilitées à défendre en justice et en constatant que la Ligue s'était donné pour mission la défense de causes différentes de la défense des victimes de discriminations fondées sur la religion quand seule l'injure envers un groupe de personnes en raison de leur religion était poursuivie, la cour d'appel a violé les articles 48, 6 et 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 ;
3 / qu'à défaut d'habilitation légale une association se proposant de défendre un intérêt collectif confinant à l'intérêt général n'a pas d'intérêt à intervenir en justice pour faire valoir ses prétentions concernant l'application d'une infraction et en se bornant à constater que l'association intervenante s'était donné pour mission de défendre les principes de liberté d'expression, de légalité des peines et de liberté de pensée pour admettre son intervention, la cour d'appel a violé les articles 31,330, alinéa 2, et 554 du nouveau code de procédure civile ;
4 / qu'en ne répondant pas au moyen qui soutenait que l'acte d'intervention de la ligue ne précisait pas le nom de la personne physique la représentant, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que la Ligue pour la défense des droits de l'homme et du citoyen qui avait fondé son intervention volontaire sur les articles 7, 9 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales entendait défendre le principe qu'il n'y a pas de peine sans loi, celui de la liberté de pensée et celui de la liberté d'expression et non assister les victimes d'une discrimination, en a déduit à bon droit que l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 lui était inapplicable ;
D'où il suit que le moyen qui est inopérant dans ses troisième et quatrième branches ne peut qu'être rejeté ;
Mais sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi de la société GIP et sur le moyen unique du pourvoi de la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen :
Vu les articles 29, alinéa 2 , 33, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l'article 809 du nouveau code de procédure civile, ainsi que 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Attendu que pour interdire d'afficher la photographie litigieuse en tous lieux publics et sur tous supports et faire injonction de l'interrompre, la cour d'appel a énoncé que cette affiche, dont la recherche esthétique n'était pas contestée, reproduisait à l'évidence la Cène de Jésus-Christ..., que cet événement fondateur du christianisme, lors duquel Jésus-Christ institua le sacrement de l'Eucharistie, faisait incontestablement partie des éléments essentiels de la foi catholique ;
que dès lors l'installation de l'affiche litigieuse sous la forme d'une bâche géante sur le passage d'un très grand nombre de personnes, constituait l'utilisation dévoyée, à grande échelle, d'un des principaux symboles de la religion catholique, à des fins publicitaires et commerciales en sorte que l'association Croyances et libertés était bien fondée à soutenir qu'il était fait gravement injure, au sens des articles 29, alinéa 2, et 33, alinéa 3, de la loi susvisée aux sentiments religieux et à la foi des catholiques et que cette représentation outrageante d'un thème sacré détourné par une publicité commerciale leur causait ainsi un trouble manifestement illicite qu'il importait de faire cesser par la mesure sollicitée ; que ladite composition n'avait d'évidence pour objet que de choquer celui qui la découvrait afin de retenir son attention sur la représentation saugrenue de la Cène ainsi travestie, en y ajoutant ostensiblement une attitude équivoque de certains personnages, et ce, au profit de la marque commerciale inscrite au-dessus de ce tableau délibérément provoquant ;
que le caractère artistique et l'esthétisme recherchés dans ce visuel publicitaire n'empêchait pas celui-ci de constituer même si l'institution de l'Eucharistie n'y était pas traitée un dévoiement caractérisé d'un acte fondateur de la religion chrétienne avec un élément de nudité racoleur, au mépris du caractère sacré de l'instant saisi ... ;
Qu'en retenant ainsi l'existence d'un trouble manifestement illicite, quand la seule parodie de la forme donnée à la représentation de la Cène qui n'avait pas pour objectif d'outrager les fidèles de confession catholique, ni de les atteindre dans leur considération en raison de leur obédience, ne constitue pas l'injure, attaque personnelle et directe dirigée contre un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et attendu que la Cour de cassation est en mesure de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi incident éventuel de l'association Croyances et libertés ;
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'intervention volontaire de la Ligue des droit de l'homme et du citoyen ainsi que rejeté l'exception de nullité de la procédure présentée par la société GIP, l'arrêt rendu le 8 avril 2005, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Vu l'article 627, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déboute l'association Croyances et libertés de sa demande ;
Condamne l'association Croyances et libertés aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille six.