AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'à la suite d'un contrôle de l'URSSAF agissant sur délégation de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), cette dernière a notifié le 20 février 2001, à la société laboratoire Takeda (la société), un redressement portant réintégration dans l'assiette de la contribution dont celle-ci était redevable en application de l'article L. 245-1 du code de la sécurité sociale, de divers abattements qu'elle avait pratiqués en 1997 et 1998, au titre notamment de l'activité de pharmacovigilance de ses visiteurs médicaux et de l'organisation de congrès à caractère exclusivement scientifique ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu que la société fait grief à la cour d'appel d'avoir fondé le rejet de sa contestation relative à la régularité de l'agrément des agents de contrôle sur les dispositions de l'article 73 1 de la loi 2003-1199 du 18 décembre 2003, alors, selon le moyen, que si le législateur peut adopter, en matière civile, des dispositions rétroactives, le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable consacré par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'opposent sauf pour des motifs d'intérêt général, à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice, afin d'influer sur le dénouement judiciaire des litiges ; que dès lors, en se bornant pour opposer les dispositions de l'article 73 de la loi du 18 décembre 2003 à la contestation de la validité des agréments des agents de contrôle, dont elle avait été saisie, à la suite des premiers juges, dès les premières conclusions d'appel en date du 1er avril 2003, à se référer à des considérations d'ordre général tirées du déficit "abyssal" de la sécurité sociale, ainsi qu'à l'obstacle mis par cette loi à une remise en cause "intempestive"de la régularité d'agréments, parfois très anciens, des agents de contrôle de l'URSSAF, la cour d'appel, qui n'a pas ainsi caractérisé l'existence d'impérieux motifs d'intérêt général justifiant l'application rétroactive de la loi nouvelle à une instance en cours, a violé l'article et les principes ci-dessus mentionnés ;
Mais attendu qu'obéit à d'impérieux motifs d'intérêt général l'intervention du législateur, qui, sans régler le fond du litige ni priver le débiteur de la contribution du droit de contester le bien-fondé du redressement, est destinée à éviter le développement d'un contentieux de nature à mettre en péril le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et par suite la pérennité du système de protection sociale ; que, dès lors, la cour d'appel, en faisant application de l'article 73 de la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003 au litige en cours, a légalement justifié sa décision ;
Et sur le premier moyen du pourvoi principal pris en ses deux premières branches ainsi que sur le second moyen du même pourvoi :
Attendu que l'ACOSS fait grief à l'arrêt d'avoir admis partiellement l'abattement pratiqué par la société au titre de l'activité de pharmacovigilance des visiteurs médicaux et d'avoir annulé le redressement opéré au titre des frais de congrès, alors, selon le moyen :
1 / que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et ne peut être modifié par le juge ; que dans ses conclusions d'appel l'ACOSS contestait la possibilité pour la société cotisante de pratiquer un abattement au titre de l'activité de pharmacovigilance de ses visiteurs médicaux avant l'entrée en vigueur de la loi du 21 décembre 2001 ; qu'elle ajoutait au surplus que la société Takeda n'avait fourni aucun élément comptable propre à quantifier cet abattement ; qu'en énonçant que selon l'ACOSS, le litige portait uniquement sur la quantification de l'abattement au titre de la pharmacovigilance pour en déduire que le principe d'un abattement devait être admis lorsque le principe même de cet abattement était contesté, la cour d'appel a modifié les termes du litige et violé l'article 4 du nouveau code de procédure civile ;
2 / que les juges ne peuvent statuer par voie d'affirmation ;
qu'en l'espèce l'ACOSS faisait valoir dans ses écritures qu'en l'état des textes applicables au litige, aucun abattement ne pouvait être opéré au titre de l'activité de pharmacovigilance à laquelle les visiteurs médicaux pouvaient contribuer, cette contribution à la pharmacovigilance n'étant pas dissociable de leur mission d'information et de promotion des médicaments auprès des praticiens ; qu'elle ajoutait que ce n'était qu'à compter de la loi du 21 décembre 2001 inapplicable à l'espèce qu'avait été institué un abattement forfaitaire de 3 % sur la rémunération versée aux visiteurs médicaux au titre du temps passé à la pharmacovigilance et que les abattements pratiqués avant cette loi n'avait aucun fondement légal ; qu'en se bornant à affirmer que le principe d'un abattement au titre de l'activité de pharmacovigilance devait être admis sans justifier en fait et en droit son appréciation sur ce point contesté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 245-1, L. 245-2, R. 245-1 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction alors en vigueur, et l'article L. 5122-11 du nouveau code de la santé publique ;
3 / que l'assiette de la contribution des entreprises de médicaments est déterminée par les articles L. 245-2 et R. 245-1 du code de la sécurité sociale qui incluent notamment les frais de congrès exposés au titre de l'information des praticiens et afférents directement ou indirectement à l'exploitation en France des spécialités pharmaceutiques remboursables ou des médicaments agréés à l'usage des collectivités ;
que cette assiette n'est pas déterminée par les frais exposés pour la publicité des médicaments telle que définie par l'article L. 5122-1 du code de la santé publique transposant la directive européenne du 31 mars 1992 ; qu'en considérant que les frais de congrès engagés par la société Takeda n'entraînaient pas dans l'assiette de la contribution comme ne constituant pas des frais de publicité pour ses médicaments, la cour d'appel a violé par refus d'application les articles L. 245-2 et R. 245-1 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction alors en vigueur ;
4 / qu'entrent dans l'assiette de la contribution les frais de congrès exposés par les entreprises de médicaments au cours desquels il est débattu entre professionnels de l'adaptation des traitements aux diverses pathologies et de l'amélioration des prescriptions, peu important que ces congrès ait un caractère professionnel et scientifique et qu'il n'y soit pas fait de publicité directe pour ces médicaments ; qu'en considérant en l'espèce que ces frais de congrès exposés par la société Takeda devaient être exclus de l'assiette de la contribution en raison du caractère exclusivement professionnel et scientifique de ces manifestations et de l'absence de publicité qui y était faite pour ses médicaments, la cour d'appel a violé les mêmes textes ;
Mais attendu qu'il résulte des articles L. 245-1 et L. 245-2 du code de la sécurité sociale que n'entrent dans l'assiette de la contribution instituée par le premier de ces textes que les charges comptabilisées au titre des frais de prospection et d'information des praticiens, afférents à l'exploitation en France des spécialités pharmaceutiques remboursables ou des médicaments agréés à l'usage des collectivités ;
Et attendu qu' après avoir justement rappelé la mission de pharmacovigilance dévolue aux visiteurs médicaux en relation avec l'exécution des obligations leur incombant par application de l'article L. 5122-11 du code de la santé publique et encore relevé que les frais de congrès litigieux avaient concerné des manifestations à caractère scientifiques étrangères à la présentation des médicaments fabriqués et à la prospection des praticiens, la cour d'appel a décidé à bon droit, sans dénaturer les termes du litige, que les charges exposées par la société en relation avec l' activité de pharmacovigilance de ses visiteurs médicaux ainsi que les frais de congrès litigieux n'entraient pas dans l'assiette de la contribution ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen du même pourvoi pris en ses deux dernières branches :
Vu l'article 1315 du code civil ;
Attendu que pour évaluer au montant qu'elle a fixé, les charges de pharmacovigilance supportées par la société, l'arrêt retient essentiellement que l'abattement doit être admis en fonction du temps consacré à la pharmacovigilance et qu'il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires à sa prétention ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il incombait à la société Takeda qui prétendait s'exonérer, de justifier du montant des charges invoquées au titre de la pharmacovigilance, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé le montant des sommes à déduire de l'assiette, de la contribution au titre de l'activité de pharmacovigilance, l'arrêt rendu le 5 octobre 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille six.