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12/09/2006 | FRANCE | N°05-84781

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 12 septembre 2006, 05-84781


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le douze septembre deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller PALISSE, les observations de la société civile professionnelle RICHARD, de Me LE PRADO et de la société civile professionnelle VINCENT et OHL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRECHEDE ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Gilbert,

- Y... Gilbert,

contre l'arrêt de la cour d'appel de

LIMOGES, chambre correctionnelle, en date du 6 juillet 2005, qui les a condamnés chacun à 1 ...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le douze septembre deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller PALISSE, les observations de la société civile professionnelle RICHARD, de Me LE PRADO et de la société civile professionnelle VINCENT et OHL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRECHEDE ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Gilbert,

- Y... Gilbert,

contre l'arrêt de la cour d'appel de LIMOGES, chambre correctionnelle, en date du 6 juillet 2005, qui les a condamnés chacun à 1 an d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, le premier pour infractions au code de la construction et de l'habitation, le second pour complicité de ces délits, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I - Sur le pourvoi de Gilbert Y... :

Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;

II - Sur le pourvoi de Gilbert X... :

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 231-1, L. 231-4-II, L. 241-1 du code de la construction et de l'habitation, 122-3 du code pénal, et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gilbert X... coupable de perception anticipée de fonds par un constructeur de maison individuelle, puis l'a condamné à une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et à verser diverses indemnités aux parties civiles, en réparation de leurs préjudices ;

"aux motifs que l'inexpérience alléguée de Gilbert X... est sans effet, de même qu'il n'ait fait que reprendre les modèles mis au point par l'ancienne société, et il importe peu qu'il n'ait pas été informé de l'obligation de conclure des contrats de construction de maison individuelle alors qu'il était présumé connaître les dispositions légales, ni que les prêteurs aient émis des offres de prêts, sans avoir vérifié que les contrats comportaient les énonciations mentionnées à l'article L. 231-2 ; que la trésorerie de la société était constituée par les avances des clients, lesquelles ne correspondaient pas à des prestations effectives ; qu'en ce qui concerne Gilbert X..., l'élément intentionnel du délit consiste dans le fait qu'il a sciemment éludé les dispositions légales ;

"alors que, constitue un délit intentionnel, le fait d'exiger ou de percevoir une partie du prix avant la signature du contrat de construction d'une maison individuelle, ou avant la date à laquelle la créance est exigible ; qu'en se bornant à affirmer, pour déclarer Gilbert X... coupable du délit de perception anticipée de fonds par un constructeur de maison individuelle, que celui-ci avait sciemment éludé les dispositions légales, sans indiquer sur quels éléments elle s'est fondée, pour considérer que Gilbert X... avait eu une connaissance effective des dispositions du code de la construction et de l'habitation, prohibant la perception des sommes litigieuses, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Gilbert Y... dirigeait une société construisant des chalets d'habitation ; que cette société a été mise en liquidation judiciaire et que son activité a été reprise par une nouvelle société, dirigée par Gilbert X..., Gilbert Y... étant employé comme directeur commercial ; que cette seconde société, elle aussi mise en liquidation judiciaire, a abandonné le chantier en cours ;

Attendu qu'après avoir constaté que Gilbert X... avait exigé de divers clients le versement d'acomptes avant la signature de contrats de construction de maisons individuelles, l'arrêt retient qu'il a sciemment éludé les dispositions légales prohibant une telle pratique ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a suffisamment caractérisé l'élément intentionnel du délit reproché au prévenu, a justifié sa décision ;

Que, dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté ;

Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 231-1, L. 231-4-II, L. 241-1 du code de la construction et de l'habitation, 1382 du code civil, 2, 3 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Gilbert X... à payer à Patrick Z... les sommes de 32 654,58 euros en réparation de son préjudice patrimonial et 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

"aux motifs que celui-ci a signé un contrat d'entreprise le 6 juillet 2000 en vue de la construction d'un chalet pour un montant de 38 417,15 euros ; que le 10 juillet 2000, il a versé un acompte de 3 841,71 euros ; que le 21 février 2002, il a versé un deuxième acompte de 19 208,58 euros ; que le 5 mars, il lui a été confirmé que le chalet serait livré le 11 mars ; qu'un troisième acompte lui a été facturé le 7 mars pour un montant de 9 604,29 euros, soit un total de 32 654,58 euros ; qu'au mois de mai 2002, ni le toit, ni les fenêtres, ni les portes, ni les parquets n'avaient été réalisés, le chantier étant abandonné ; que Patrick Z... est fondé en sa demande en remboursement de la somme de 32 654,58 euros ; qu'il lui sera en outre alloué celle de 5 000 euros en réparation du préjudice moral ;

"alors qu'en décidant que Patrick Z... avait subi un préjudice égal à la totalité de la somme qu'il avait versée pour la construction de la maison, après avoir constaté que la construction avait débuté, de sorte que la somme versée avait été partiellement affectée à l'exécution du contrat et que Patrick Z... bénéficiait des travaux d'ores et déjà réalisés, la cour d'appel a exposé sa décision à la censure de la Cour de cassation" ;

Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 231-1, L. 231-4-II, L. 241-1 du code de la construction et de l'habitation, 1382 du code civil, 2, 3 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Gilbert X... à payer aux époux A... les sommes de 31 748 euros au titre du surcoût des travaux et 2 000 euros à titre de dommages-intérêts, aux époux B... les sommes de 20 605,51 euros au titre du surcoût des travaux et 3 000 euros à titre de dommages-intérêts, aux époux C... la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts, à Karnik D... les sommes de 9 023,65 euros au titre du surcoût des travaux, 5 577 euros au titre du paiement des loyers, et 5 559,24 euros au titre des frais d'emprunt, à Sandrine E... les sommes de 19 292,06 euros au titre du surcoût des travaux et de 3 000 euros en réparation du préjudice moral ;

"aux motifs que pour les époux A..., le contrat a été signé le 4 janvier 2001 par Mme X... pour un montant de 73 944 euros ; que les époux A... ont payé un montant de 51 761 euros soit 70 % du prix ; qu'il ont pu récupérer une partie des matériaux de construction et ont dû exposer une somme de 53 931,13 euros pour effectuer le montage ; qu'ils ont subi un surcoût de 31 748 euros que Gilbert X... sera condamné à leur payer, ainsi que la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts ; que pour les époux B..., le contrat a été signé le 16 janvier 2001 pour un montant de 53 057 euros ; que les époux B... ont payé 95 % du prix, le montage ayant été interrompu alors que la construction n'était pas hors d'eau ; que les époux B... ont dû acquérir les fournitures manquantes et les poser eux-mêmes ; qu'ils ont subi un surcoût de 20 605,51 euros qu'il convient de leur allouer, outre 3 000 euros de dommages-intérêts ; que pour les époux C..., le contrat a été signé par Gilbert Y... le 26 février 2001 pour un montant de 54 886,41 euros ; que les époux C... ont payé 84 % du prix et ont dû exposer un montant de 8 805 euros pour la réalisation des fenêtres et escaliers ; qu'il convient de leur allouer la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts ; que Karnik D... a signé un contrat d'entreprise le 28 mars 2001 moyennant le prix de 34 455,48 euros payable 10 % à la commande, 60 % à la fabrication, 25 % à la livraison, 5 % à la fin des travaux de montage ; que Karnik D... s'engageait à remettre un chèque de 60 % à la fabrication qui ne serait encaissé qu'à la livraison prévue en février 2002 ; que Karnik D... a payé 3 445,35 euros à la date de signature du contrat et 20 672,09 euros le 30 mars 2002 ; que la liquidation judiciaire a été prononcée le 23 mai 2002 ; que le 17 juin 2002, Karnik D... a déclaré une créance de 20 672,09 euros au titre de trop perçu et 10 336,04 euros au titre des dommages-intérêts ; qu'il a dû faire appel à d'autres entreprises et a contracté un emprunt pour un montant de 9 982 euros ; que le chalet n'a pas été livré dans le délai prévu ; que Karnik D... a subi un surcoût de 9 023,65 euros, a dû exposer les loyers pour un montant de 5 577 euros, des frais d'emprunt pour un montant de 5 559,24 euros ; qu'il convient de condamner Gilbert X... à lui

payer ces sommes, ainsi que celle de 5 000 euros en réparation du préjudice moral ; que, pour Sandrine E..., celle-ci a dû effectuer des dépenses pour achever le chalet pour un montant de 38 912,25 euros ; qu'elle a payé des acomptes pour un montant de 45 780,43 euros, soit un total de 84 692,68 euros ; qu'il convient de lui allouer la différence entre ce montant et le prix convenu du chalet, soit la somme de 19 292,06 euros, outre celle de 3 000 euros en réparation du préjudice moral ;

qu'Isabelle F... a signé un contrat le 12 octobre 2001 pour un montant de 45 048,68 euros et a payé sans contrepartie deux acomptes pour un total de 9 131,70 euros ; qu'elle a dû faire un nouveau projet de construction et emprunter le montant versé ; qu'il convient de lui allouer ce montant augmenté des intérêts ;

"alors que, le droit d'exercer l'action civile devant les juridictions répressives appartient à ceux qui ont personnellement et directement souffert du dommage causé par l'infraction ; que seul le préjudice résultant, pour un maître d'ouvrage, de l'inexécution des travaux et du défaut de remboursement des sommes versées par anticipation au constructeur de maison individuelle découle directement de l'infraction de perception anticipée des sommes ;

qu'en décidant néanmoins de condamner Gilbert X... à verser aux parties civiles une somme égale au surcoût, par rapport au prix convenu, des travaux qu'elles avaient dû exposer pour faire achever les constructions, bien que ce surcoût ait eu pour cause la liquidation judiciaire de la société Nouvelle Chalets Europa et non la perception anticipée des fonds, ce dont il résultait que le préjudice n'avait pas été directement causé par l'infraction, la cour d'appel a exposé sa décision à la censure de la Cour de cassation" ;

Et sur les mêmes moyens relevés d'office au profit de Gilbert Y... ;

Les moyens étant réunis ;

Vu les articles 1382 du code civil, 2 et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ;

Attendu que, pour condamner Gilbert X... et Gilbert Y... à payer aux parties civiles, Patrick Z..., les époux A..., les époux B..., les époux C..., Karnik D... et Sandrine E..., diverses sommes en réparation de leur préjudice patrimonial, l'arrêt prononce par les motifs repris aux moyens ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi sans s'expliquer sur l'affectation qui avait été réservée aux acomptes versés et sans rechercher si le surcoût des travaux était la conséquence de la perception anticipée de ces acomptes, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Limoges, en date du 6 juillet 2005, en ses seules dispositions ayant condamné Gilbert X... et Gilbert Y... à payer diverses sommes à Patrick Z..., aux époux A..., aux époux B..., aux époux C..., à Karnik D... et à Sandrine E..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Poitiers, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Limoges et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

DIT n'y avoir lieu à application, au profit des époux G..., de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Palisse conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Le Corroller, Castagnède, Mme Radenne conseillers de la chambre, Mme Guihal, MM. Chaumont, Delbano conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Fréchède ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 05-84781
Date de la décision : 12/09/2006
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

ACTION CIVILE - Préjudice - Préjudice direct - Urbanisme - Perception anticipée de fonds par le constructeur d'une maison individuelle.

URBANISME - Contrat de construction - Infractions - Perception anticipée de fonds par le constructeur d'une maison individuelle - Action civile - Préjudice direct

Méconnaît les articles 2 et 593 du code de procédure pénale, la cour d'appel, qui condamne des constructeurs de maisons individuelles, déclarés coupables de perception anticipée de fonds, à des réparations civiles, sans s'expliquer sur l'affectation donnée aux acomptes versés, ni rechercher si le surcoût des travaux était la conséquence de la perception anticipée de ces acomptes.


Références :

Code civil 1382
Code de la construction et de l'habitation L241-1
Code de procédure pénale 2, 593

Décision attaquée : Cour d'appel de Limoges, 06 juillet 2005

A rapprocher : Chambre criminelle, 1997-05-28, Bulletin criminel 1997, n° 206, p. 673 (rejet), et les arrêts cités ; Chambre criminelle, 2006-01-10, Bulletin criminel 2006, n° 10 (2), p. 33 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 12 sep. 2006, pourvoi n°05-84781, Bull. crim. criminel 2006 N° 216 p. 758
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2006 N° 216 p. 758

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Fréchède.
Rapporteur ?: M. Palisse.
Avocat(s) : SCP Richard, Me Le Prado, SCP Vincent et Ohl.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2006:05.84781
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