AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu que la Banque hypothécaire européenne, aux droits de laquelle se trouve la Compagnie européenne d'opérations immobilières (BIE), a accordé, solidairement avec le Crédit immobilier et la Matmut, un prêt aux consorts X... garanti par l'inscription de deux privilèges de prêteurs de deniers sur un immeuble appartenant aux emprunteurs ; que le premier privilège était inscrit au profit de la Matmut et du Crédit immobilier européen à hauteur de 150 000 francs et le second au profit du Crédit immobilier européen et de la BIE à hauteur de 100 000 francs ; qu'à la suite de la défaillance des débiteurs, la BIE, agissant pour le compte des créanciers solidaires, a chargé M. Y..., avocat, de poursuivre la saisie immobilière de l'immeuble ; que, ce dernier ayant omis d'effectuer la production au nom de la BIE dans le cadre de la procédure d'ordre, le prix d'adjudication a été intégralement attribué à la Banque française de l'agriculture, créancier inscrit en troisième rang après les privilèges de prêteurs de deniers bénéficiant à la Matmut au Crédit immobilier européen et à la BIE ; que cette dernière a assigné M. Y... pour voir dire qu'il avait engagé sa responsabilité professionnelle et le voir condamner à lui payer la somme de 310 000 francs, montant du prix d'adjudication, ainsi que des dommages-intérêts complémentaires ;
Attendu que la BIE reproche à l'arrêt attaqué (Bordeaux, 15 décembre 2003) d'avoir limité aux sommes de 15 260 euros et 2 000 euros en principal les condamnations prononcées à l'encontre de M. Y..., alors, selon le moyen :
1 / qu'en limitant le montant de l'indemnisation allouée à la BIE à la somme de 15 260 euros pour laquelle elle bénéficiait d'un privilège de prêteur de deniers perdu par la faute de M. Y..., quand son préjudice consistait en réalité en la perte de la totalité du produit de la vente que la BIE pouvait intégralement appréhender à charge pour elle de la répartir entre les créanciers solidaires, tous titulaires d'un privilège primant celui du créancier finalement colloqué, la cour d'appel aurait violé les articles 1197 et 1147 du code civil ;
2 / que la faute de M. Y... ayant définitivement fait perdre à la Matmut et au Crédit immobilier européen toute possibilité d'obtenir, sur le prix de la vente de l'immeuble, le remboursement des prêts dont la BIE était fondée, en vertu de la solidarité, à demander le remboursement en leur nom, la cour d'appel qui a considéré que cette faute, consistant dans le fait pour l'avocat de s'être abstenu de représenter la BIE à la procédure d'ordre, n'avait causé préjudice qu'à cette dernière aurait violé l'article 1147 du code civil ;
3 / qu'en statuant comme elle a fait, cependant que la BIE produisait une lettre de la Matmut et du Crédit immobilier européen d'où il ressortait qu'elle avait expressément reçu délégation de ces deux établissements pour recouvrer les prêts en cause, de sorte que la faute de M. Y... l'exposait à des poursuites de leur part, la cour d'appel aurait violé les articles 1147 et 1991 du code civil ;
Mais attendu, d'abord, que la solidarité active stipulée à l'acte de prêt ne permettait pas à la BIE d'exercer une action en responsabilité, au nom des créanciers solidaires, à l'encontre d'un tiers à ce contrat et que la cour d'appel a décidé, à bon droit, que le préjudice personnel subi par la BIE, du fait de la faute commise par M. Y..., ne pouvait représenter l'intégralité du prix d'adjudication, dès lors que cette banque n'aurait pas eu vocation à le conserver en totalité dans son patrimoine, mais qu'il était constitué par la perte de sa propre créance telle qu'elle était garantie par la seule inscription lui profitant ; qu'ensuite le moyen tiré d'une délégation reçue par la BIE, aux termes d'une lettre non produite aux débats devant les juges du fond, est nouveau et mélangé de fait ; qu'il s'ensuit que le moyen, non fondé en ses deux premières branches, est irrecevable en sa troisième branche ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Compagnie européenne d'opérations immobilières - BIE aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette la demande de M. Y... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept juin deux mille six.