AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 29 juin 2004), que le 3 juin 1999, M. X...
Y..., salarié de la société Synergie, entreprise de travail temporaire, mis à la disposition de la société Entreprise des associés du bâtiment (EAB) en qualité de coffreur, a été victime d'un accident du travail ; que la cour d'appel a dit que cet accident était dû à la faute inexcusable de la société EAB, fixé au maximum la majoration de la rente due à la victime, condamné la société Synergie à lui payer une certaine somme à valoir sur le montant de l'indemnité qui lui sera attribuée en réparation de son préjudice à caractère personnel, dit que la société EAB devait relever et garantir intégralement la société Synergie des condamnations prononcées à son encontre, dit que la caisse primaire d'assurance maladie devait faire l'avance des sommes allouées à la victime et ordonné une expertise médicale de celle-ci ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société EAB fait grief à la cour d'appel d'avoir ainsi statué, alors selon le moyen :
1 / qu'en faisant peser sur la société EAB, entreprise utilisatrice, une présomption de faute inexcusable édictée par la loi à l'encontre du seul employeur du salarié intérimaire, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 231-8 du code du travail ;
2 / que tout employeur est tenu d'organiser une formation pratique et appropriée en matière de sécurité au profit des travailleurs qu'il embauche ; que l'entreprise de travail temporaire, seul employeur des salariés intérimaires, est seule débitrice de l'obligation de leur dispenser une formation appropriée à leur qualification professionnelle, l'entreprise utilisatrice ayant, pour sa part, l'obligation de leur fournir un "accueil et une information adaptés" à la tâche à laquelle ils sont affectés ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que M. X...
Y..., embauché par la SA Synergie en qualité de coffreur, et mis, en cette qualité, à la disposition de la SA EAB, "pouvait être amené, dans le cadre de cette activité, à effectuer des opérations de manutention et de réception des matériaux transportés à l'aide d'appareils de levage" ; que les risques éventuellement courus par le salarié étaient donc inhérents à sa qualification professionnelle et non au poste particulier auquel elle l'avait affecté ; que dès lors, aucune obligation de formation spécifique à la sécurité n'était due à ce salarié par l'entreprise utilisatrice ; qu'en retenant à la charge de la SA EAB une présomption de faute inexcusable due à l'absence de formation de M. X...
Y... " sur les risques encourus et les règles à observer lors des opérations sur les engins de levage", c'est-à-dire sur des risques inhérents à sa qualification professionnelle, et non point particuliers au poste auquel il était affecté, la cour d'appel a violé les articles L. 231-3-1 et L. 231-8 du code du travail ;
3 / subsidiairement que l'entreprise de travail temporaire, seul employeur des salariés intérimaires, est débitrice de l'obligation de formation renforcée à la sécurité prévue par l'article L. 231-3-1 du code du travail, l'entreprise utilisatrice ne devant, pour sa part, qu'un "accueil et une information adaptés" à la tâche à laquelle ils sont affectés ; qu'en imputant à la SA EAB, entreprise utilisatrice, une présomption de faute inexcusable déduite de l'absence de formation de M. X...
Y... " sur les risques encourus et les règles à observer lors des opérations sur les engins de levage" la cour d'appel a violé par fausse interprétation les textes susvisés ;
4 / qu'en retenant, à la charge de l'entreprise utilisatrice, une présomption de faute inexcusable déduite de l'absence de dispense, à M. X...
Y..., d'une formation renforcée à la sécurité, tout en constatant, par ailleurs, que le comportement de ce salarié était sans aucun lien avec l'accident la cour d'appel, qui s'est déterminée par un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
Mais attendu qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 231-8, alinéa 3, et L. 231-3-1, alinéa 5, du code du travail que l'existence de la faute inexcusable de l'employeur est présumée établie pour les salariés mis à la disposition d'une entreprise utilisatrice par une entreprise de travail temporaire, victimes d'un accident du travail alors qu'affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur sécurité, ils n'ont pas bénéficié d'une formation à la sécurité renforcée ainsi que d'un accueil et d'une information adaptés dans l'entreprise dans laquelle ils sont occupés ;
Et attendu que la cour d'appel, après avoir constaté que M. X...
Y... était affecté à un poste de travail présentant des risques pour sa sécurité et qu'il n'avait pas reçu une formation renforcée à la sécurité et une information complète et détaillée sur les risques encourus et les règles à observer lors des opérations sur des engins de levage, en a exactement déduit que la présomption de l'article L. 231-8 du code du travail devait produire son effet à l'égard du salarié ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société EAB fait encore grief à la cour d'appel de l'avoir condamnée à garantir intégralement la société Synergie des condamnations mises à sa charge au profit du salarié, alors, selon le moyen, que la présomption de faute et de causalité édictée par l'article L. 231-8 du code du travail pèse sur l'employeur et profite au seul salarié ; qu'en faisant application de cette présomption au profit de l'entreprise de travail temporaire, pour accueillir son action récursoire dirigée contre l'entreprise utilisatrice sans caractériser, ni l'existence d'une telle faute, ni le lien entre le défaut d'information à la sécurité retenu à sa charge et l'accident, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Mais attendu qu'il résulte de la combinaison des articles L. 412-6 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale que si, en cas d'accident du travail survenu à un travailleur intérimaire et imputable à la faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice, l'entreprise de travail temporaire employeur est seule tenue envers l'organisme social du remboursement des indemnités complémentaires prévues par la loi, elle dispose d'une action récursoire contre l'entreprise utilisatrice, auteur de la faute inexcusable ; qu'ayant relevé l'existence d'une telle faute à l'encontre de la société EAB, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que celle-ci devrait relever et garantir intégralement la société Synergie des conséquences financières de cette faute ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société EAB aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamne la société EAB à payer à M. Driss X...
Y... la somme de 2 000 euros et à la société Synergie la somme de 2 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille six.