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14/06/2006 | FRANCE | N°05-82453

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 14 juin 2006, 05-82453


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Georges,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 9e chambre, en date du 24 mars 2005, qui, pour délit d'initié, l'a condamné à 2 200 000 euros d'amende ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 31 mai 2006 où étaient présents : M. Cotte président, M. Dulin conseiller rapporteur, M. Challe, Mmes Thin, Desgrange, MM. Rognon, Chanut,

Mmes Nocquet, Ract-Madoux conseillers de la chambre, MM. Soulard, Lemoine, Mme Degorce con...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Georges,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 9e chambre, en date du 24 mars 2005, qui, pour délit d'initié, l'a condamné à 2 200 000 euros d'amende ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 31 mai 2006 où étaient présents : M. Cotte président, M. Dulin conseiller rapporteur, M. Challe, Mmes Thin, Desgrange, MM. Rognon, Chanut, Mmes Nocquet, Ract-Madoux conseillers de la chambre, MM. Soulard, Lemoine, Mme Degorce conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Mouton ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

Sur le rapport de M. le conseiller DULIN, les observations de Me BOUTHORS, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHARPENEL, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, 66 de la constitution, premier, 171, 385, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense ;

"en ce qu'après avoir joint l'incident au fond, la Cour a validé la procédure suivie à I'encontre du demandeur qu'elle a pénalement condamné pour délit d'initié ;

"aux motifs qu'avant toute défense au fond, Georges X... demande à la Cour de prononcer la nullité de la procédure et, à titre subsidiaire, de dire qu'eu égard au caractère incontestable de la durée déraisonnable du procès dont elle est saisie, la Cour n'est pas en mesure de prononcer un arrêt compatible avec l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que toutefois, ni les obligations dérivant de ce texte, ni les dispositions internes relatives aux nullités de la procédure ne commandent que la méconnaissance du délai raisonnable au sens de l'article 6-1 de Convention européenne entraîne la nullité de la procédure ; qu'une telle méconnaissance, à la supposer établie, permet seulement, en droit interne, à celui qui subit un préjudice de solliciter une réparation devant la juridiction nationale compétente ; qu'en conséquence, la demande tendant à l'annulation de la procédure ou, à titre subsidiaire, à ce que la Cour juge qu'elle n'est pas en mesure de statuer au regard des dispositions de l'article 6-1 de Convention européenne sera rejetée ;

"1) alors que, d'une part, la durée déraisonnable d'une procédure pénale peut être un motif d'annulation au regard des principes fondamentaux du procès équitable en cas d'atteinte substantielle aux droits de la défense ; que viole cette exigence et méconnaît son office la Cour qui refuse de rechercher si le prévenu, poursuivi pour un délit d'initié, n'est pas gravement désavantagé par rapport à l'accusation du fait de la longueur de la procédure (15 ans) et de l'insuffisance de l'instruction, durant laquelle il n'avait été entendu qu'une fois (12 ans auparavant) sans la moindre confrontation et sans possibilité pour lui de faire valoir ses éléments de défense avant son renvoi devant le tribunal correctionnel ; qu'eu égard en particulier à la nature des charges articulées contre lui, la Cour devait spécialement rechercher si la situation ainsi faite au prévenu ne révélait pas, devant les juridictions de jugement, un net déséquilibre en sa défaveur sous le rapport des droits de sa défense ;

"2) alors que, d'autre part, spécialement requise de se prononcer sur l'incompatibilité de la procédure avec les garanties fondamentales du procès équitable, la Cour doit expressément motiver sa décision sur ce point sans pouvoir se borner à renvoyer les parties à solliciter ultérieurement des dommages-intérêts devant le juge civil pour mauvais fonctionnement du service public de la justice ; que la Cour n'a pu légalement se déterminer comme elle l'a fait sans autrement s'expliquer, par motifs propres, sur la portée du caractère déraisonnable de la durée de la procédure sous le rapport devant elle, de l'exercice des droits de la défense ;

"3) alors que, de troisième part, viole l'égalité de traitement des justiciables la Cour qui relaxe des coprévenus au bénéfice du doute en faisant ressortir que l'instruction ne leur avait pas permis d'obtenir des confrontations utiles et qui entre néanmoins en voie de condamnation à l'encontre du seul requérant dont la situation était cependant identique à celle des précédents sous le rapport de la méconnaissance des droits de la défense et des exigences de procès équitable" ;

Attendu que, pour écarter l'exception de nullité prise, notamment, de la violation de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et qui résulterait de la durée excessive de la procédure, l'arrêt énonce que la méconnaissance du délai raisonnable au sens de ce texte, à la supposer établie, n'entraîne pas la nullité de la procédure et permet seulement à celui qui subit un préjudice d'en solliciter la réparation devant la juridiction nationale compétente ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en sa troisième branche, la relaxe de coprévenus ne portant pas atteinte au principe du procès équitable, ne saurait être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de I'homme et des libertés fondamentales, 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de la directive n° 89/592/CEE du 13 novembre 1989 et de la directive n° 2003/124/CEE du 22 décembre 2003, de l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967, de l'article L. 465-1 du code monétaire et financier, des articles 112-1 et 113-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a validé les poursuites et condamné le demandeur pour délit d'initié à une amende délictuelle de 2 200 000 euros ;

"aux motifs, éventuellement adoptés des premiers juges, d'une part, qu'à l'époque des faits, le délit d'initié était prévu et réprimé par l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 dans sa rédaction issue de la loi du 22 janvier 1988 ( ... ) ; que ces dispositions ont été ultérieurement modifiées et complétées ; que la défense a soulevé l'illégalité de la poursuite en raison de l'imprécision de l'incrimination sur les personnes punissables et la définition de l'information privilégiée ; que, sur la notion d'initié secondaire à l'occasion de la fonction ou de la profession Jean-Charles Y..., présidents d'Euris et Georges X..., dirigeant de Quantum Fund sont des initiés secondaires puisqu'ils ne font pas partie des dirigeants de la société émettrice, soit la Société Générale ; qu'ils sont considérés comme ayant disposé, à l'occasion de l'exercice de leur profession ou de leur fonction, d'informations privilégiées sur les perspectives ou la situation de Société Générale ou ses perspectives d'évolution ;

que la défense de Georges X... fait valoir que la COB a estimé qu'il était difficile de délimiter la frontière entre le licite et l'illicite à l'occasion de ce " raid " et que d'ailleurs, elle a pris un règlement, le 17 juillet 1990, dont le domaine d'application était plus vaste que l'ordonnance précitée, puisqu'il incluait expressément de nouvelles catégories d'initiés, les initiés primaires externes, soit les personnes qui disposaient d'une information privilégiée à raison de la préparation et de l'exécution d'une opération financière, et les initiés tertiaires, et que la catégorie des initiés secondaires visait uniquement les personnes en relation professionnelle avec l'émetteur ou toute autre personne ayant accès aux informations confidentielles qui la concernaient ; que la défense ajoutait que d'ailleurs la loi 15 novembre 2001 avait comblé à son tour cette lacune en incluant une nouvelle catégorie d'initiés, non prévue antérieurement ; que le règlement COB dont il est fait état concerne le manquement d'initiés, a été pris en application de la loi du 22 janvier 1988 et ne peut ajouter au texte légal ; que le fait que cet organisme n'ait pas fait la distinction entre les différentes catégories d'initiés avant ce texte de 1990 n'implique nullement que le délit pénal limitait les initiés secondaires aux personnes ayant un lien professionnel ou une fonction en rapport avec l'émetteur ; que d'ailleurs le texte n'a pas été modifié sur ce point ; que la loi du 2 août 1989 a créé une infraction appelée communément " dîner en ville " pour toute personne qui disposant d'une information privilégiée dans l'exercice de sa profession ou de sa fonction, la communique à un tiers en dehors du cadre normal de cet exercice ;

que la loi du 2 juillet 1996 a étendu le délit aux opérations hors marché ; que la loi du 15 novembre 2001 a visé la catégorie des personnes poursuivies antérieurement sous la qualification de recel de délit d'initié ; que le texte sur le délit d'initié applicable à l'époque des faits et qui est toujours d'actualité n'exige pas que les initiés secondaires aient été en relation professionnelle avec l'émetteur du titre mais seulement que par leur profession ou leur fonction, ils aient été amenés à connaître l'information privilégiée concernant cet émetteur ou la valeur mobilière, ce qui est le cas puisque Jean-Charles Y... et Georges X..., dirigeants de sociétés qui prennent des participations ou font des investissements, ont été approchés par Georges Z... en cette qualité et ont pu avoir une information privilégiée à ce sujet ; que, si ils l'ont réellement obtenu, ils avaient un devoir d'abstention sur le marché de ce titre ; que, sur la notion d'information privilegiée mentionnée en tant que telle dans le texte de loi, il appartient à la jurisprudence de la définir, s'agissant d'une question de fait ; que l'information doit être précise, mais il n'est pas nécessaire qu'elle soit complète, elle doit concernée un projet suffisamment élaboré pour être mené à son terme même si des aléas sont toujours possibles, avoir un caractère confidentiel donc inconnu du public, son utilisation doit être susceptible d'influer sur le cours de l'action, des rumeurs ne constituant pas une information privilégiée ; qu'en I'espèce, l'information portait sur une prise de participation significative dans le capital de la Société générale à l'initiative et sous l'autorité de Georges Z..., qui avait fait collecter dans le cadre d'une politique d'achat concerté 5 milliards ; qu'une stratégie complexe et opaque avait été mise en place pour en préserver la confidentialité et l'accord du gouvernement était acquis, les rumeurs concernant les sociétés privatisées et parmi elles la Société générale, ne faisaient pas état au moment de la période litigieuse de l'opération financière de Marceau Investissement mais uniquement de mouvements sur le titre et du renoyautage souhaité par les pouvoirs publics ; que le public n'a été informé que le 28 octobre du " raid " et l'exploitation de cette information était de nature à influer sur le cours du titre Société générale ; qu'il s'agit donc bien d'une information privilégiée qui n'était connue que d'un nombre très limité de personnes sans qu'il soit besoin de signer une lettre de confidentialité ; mais qu'il s'agit de déterminer si les prévenus ont réellement reçu cette information privilégiée et si ils l'ont utilisée sciemment pour réaliser des opérations sur le titre ;

"et aux motifs adoptés des premiers juges, d'autre part, que financier international, Georges X... avait créé en 1973 un fonds d'investissement Quantum Fund aux Antilles néerlandaises dont l'objet était de réaliser des placements internationaux diversifiés; que la gestion de Quantum Fund était assurée par la société X... Fund Management sise à New York, dirigée par Georges X... ; qu'à l'époque des faits, le fonds avait un portefeuille de 2 000 000 000 de dollars investis en actions à hauteur de 870 MF sur le marché américain, 650 MF sur le marché canadien et européen, dont 150 à 200 MF en actions françaises ; que le 12 septembre 1988 à New York, à l'issue d'une réunion à laquelle assistait le banquier suisse A..., ce dernier a demandé à Georges X... - et à aucun autre participant à la réunion- après une discution sur les privatisées, s'il était intéressé par une participation avec d'autres investisseurs à l'acquisition de titres de la Société générale, cette opération étant initiée par Marceau Investissement dirigée par Georges Z... ; que Pierre A... avait été effectivement informé début août 1988 du projet sur cette banque et suite à son refus d'y participer, Georges Z... l'avait sollicité pour rechercher des investisseurs et recevoir des titres ; que Georges X..., qui faisait régulièrement appel à des conseils indépendants, mandatait M. B..., dirigeant d'une société britannique Investment Management afin qu'il contacte les dirigeants de Marceau Investissement pour avoir des précisions sur ledit projet ; que le 14 septembre, M. B... rencontrait Mme de C..., collaboratrice de Georges Z..., puis Georges Z... lui-même, et a rendu compte immédiatement à Georges X... ; que l'objet était bien la prise de participation significative de Marceau Investissement au capital de la Société Générale ; que M. B... a indiqué au cours de l'instruction que son interlocuteur lui avait précisé que cette participation serait de 35 % - précision qui figure dans les notes de M. B... - , que Georges Z... souhaitait la présidence de la banque, que l'opération avait l'aval du gouvernement et avait déjà réuni des investisseurs importants comme la Caisse des Dépôts et Consignations, l'Oréal, Perrier, qu'il était souhaité une participation de Quantum Fund à hauteur de 50 millions de dollars ; que la stratégie avait été décrite en détail, soit un investissement au travers de la SGIP, soit des achats d'action en direct par Quantum Fund avec engagement de blocage pendant trois ans ; que le jour même, Georges X... rejoignait l'avis de M. B..., déclinait cette proposition car la méthode d'investissement, et particulièrement la convention de blocage, ne le satisfaisait pas ;

que Mme de C... avait relancé en vain M. B... et envoyé des documents sur la Société Générale, transmis à Georges X... qui n'a pas changé d'avis ; que ceux-ci ont rendu une courte visite de courtoisie à Georges Z... le 21 octobre semble-t-il ; or, Georges X... a, pour Quantum Fund, prit la décision d'acquérir 160 000 titres des titres Société générale sur le marché de Londres, soit le 22 septembre 1988, revendues le 21 novembre et les 12 et 13 octobre, revendues à la liquidation d'octobre et le 21 novembre, la plus-value réalisée étant de 2 280 000 dollars ; que lors de sa venue à Paris, en octobre, et à la suite de divers entretiens et la constatation de surchauffe sur le titre dont les mouvements lui paraissaient plus politiques que financiers, il avait préféré vendre ;

que Georges X... considère que l'opération sur la Société générale n'était pas confidentielle, ni suffisamment définie et qu'il pouvait acquérir des titres d'autant qu'à la même époque, connaissant les rumeurs sur les noyaux stables des sociétés privatisées depuis le mois de mai, il avait acquis un " bouquet " de ces entreprises, Suez, Paribas et CGE ; que Georges Z... et Mme de C... ont déclaré l'avoir informé sur les grandes lignes du projet concernant la Société Générale ; qu'il est incontestable que Georges X... a été informé le 12 septembre par Pierre A..., puis le 14 septembre et les jours suivants par Georges Z... et Mme de C..., de l'opération de prise de participation significative de Marceau Investissement dans le capital de la Société Générale et qu'il a été contacté précisément afin de faire partie du tour de table qu'il a décliné ; que le fait de ne pas avoir signé une lettre de confidentialité et de ne pas avoir plus de précision sur l'amélioration escomptée de la gestion éventuelle de cette banque par Georges Z... n'a aucune incidence sur le caractère privilégié de l'information donnée, qui n'était pas connue du public comme cela a été développé précédemment ; que Georges X... a donc bien été informé sur la cible et les moyens pour mener à bien l'opération, l'ampleur de celle-ci, les investisseurs participants, les ramassages d'actions, ce qui expliquait les mouvements constatés sur le titre ; qu'il a même été relancé par l'intermédiaire de son conseiller ; que le projet exposé, même s'il pouvait encore évoluer, n'était donc pas hypothétique et contenait suffisamment de précisions pour que l'on puisse considérer que l'information donnée était privilégiée ;

qu'aussi le délit d'initié est constitué à l'égard de Georges X... qui avait un devoir d'abstention sur le titre Société générale, aucune circonstance particulière ne l'obligeant à intervenir sur le marché de ce titre ;

"aux motifs propres, enfin, que s'agissant du caractère privilégié de l'information prévue, il est établi que, le 12 septembre 1988, Georges X... était informé par Pierre A... du projet précis de prise de participation significative au sein de la Société générale à l'initiative et sous l'autorité de Georges Z..., président de la société Marceau Investissement, alors qu'à cette date, les seules informations, très générales, connues du marché, se limitaient au fait que les titres de l'ensemble des sociétés publiques privatisées étaient vraisemblablement sous cotés et qu'une opération de ce qu'il fut convenu d'appelé " dénoyautage " et " renoyautage " au sein des sociétés récemment privatisées était envisageable ; que l'information reçue était ainsi ignorée du public ;

que l'information était précisée le 14 septembre, date à laquelle Tim B..., mandaté par Georges X..., rencontrait Georges Z... et sa collaboratrice afin de connaître le détail du projet ; qu'à cette occasion, s'il est exact de soutenir qu'il n'y avait pas de véritable projet d'entreprise, il convient de constater que Georges X... a reçu des informations financières, que le montage de l'opération lui a été décrit dans ses deux branches : investissements directs au travers de la société créée pour la circonstance aux fins de prendre des participations dans différentes entreprises, ou achats directs de titres de la Société générale avec engagement de blocage pendant trois ans ; que M. B... a indiqué, lors de son audition du 19 mai 1992, qu'il lui avait été précisé par la collaboratrice de Georges Z..., que le but de l'opération était d'acquérir 35 % de la Société générale, information qu'il n'a pas démenti lors de sa seconde audition intervenue le 6 novembre 1992 ; qu'il était indiqué à Georges X... que cette opération avait l'appui du gouvernement ;

qu'à l'occasion de contacts qui se poursuivront pendant environ dix jours, M. B... recevra en télécopie des projets d'accord de la part de Mme de C... ; que Georges X..., afin de lui permettre de se prononcer en toute connaissance de cause sur la proposition qu'il lui était faite de participer à l'opération de grande envergure projetée sur la Société Générale, a ainsi obtenu de ses interlocuteurs une information précise, confidentielle et de nature à influer sur le cours de la valeur en raison notamment de la vaste opération de ramassage de titres qui était envisagée ; qu'en outre, l'information privilégiée a été déterminante des opération réalisées ;

qu'en effet, pour ce qui concerne les caractéristiques des opérations effectuées, si c'est bien à tort, ainsi que le prétend le prévenu, qu'ont été retenus à l'encontre de Georges X..., les achats des 22 et 27 septembre 1988 effectués à Londres par l'intermédiaire de Goldman Sachs, par suite d'opérations de gré à gré en dehors du marché boursier, alors que les règles en vigueur à l'époque des faits exigeaient que l'opération litigieuse ait été réalisée sur le marché, en revanche, Georges X... ne peut sérieusement prétendre que le surplus de ses acquisitions litigieuses, portant sur 95 000 titres, aient été des opérations courantes et normales qui n'auraient nullement été déterminées par les informations qu'il venait de recevoir ; que Georges X..., qui avait décidé de ne pas participer à l'opération de Georges Z..., car il ne souhaitait pas engager Quantum Fund dans des investissements à long terme sans une stratégie de sortie très clairement définie, commençait, en revanche à acquérir les titres de la Société générale dès le 22 septembre 1988, et procédait à leur revente dans des délais rapprochés lui permettant de réaliser une plus-value importante ; qu'il ne démontre pas que le choix d'acquisition des actions de la Société générale ait été antérieur à l'information reçue au cours du mois de septembre 1988 ;

que le respect de l'égalité entre les différents clients du marché boursier impose un devoir d'abstention de la part de celui qui détient une information privilégiée concernant une opération déterminée ;

qu'en l'espèce Georges X... ne démontre l'existence d'aucun motif impérieux qui lui aurait permis d'échapper à cette obligation et aurait justifié son intervention sur le titre Société générale ; que Georges X... a utilisé sciemment une information privilégiée ; qu'en conséquence le délit d'initié est établi ; que, sur la peine, compte tenu des circonstances de l'espèce et de la personnalité du prévenu qui n'a jamais fait l'objet de condamnation, il convient de confirmer la décision déférée qui a condamné Georges X... à une amende de 2 200 000 euros ;

"1/ alors que, d'une part, les dispositions législatives ou réglementaires postérieures à la loi du 22 janvier 1988 ayant étendu le champ de la répression du délit d'initié à des cercles plus larges de personnes susceptibles d'être poursuivies à raison de leur qualité ou de la source de leur information, la COB ayant au surplus émis l'avis en 1988 que les faits de la cause ne tombaient pas clairement sous le coup de la loi pénale française en l'état de l'interprétation alors admise de l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967, c'est à la faveur d'une interprétation rétrospective aggravante que la Cour a réputé la prévention située en octobre 1988 comme entrant dans le champ d'application de l'ordonnance précitée dans son économie applicable à l'époque des faits ;

"2/ alors que, d'autre part, s'il est interdit aux personnes disposant en raison de leur profession ou de leur fonction, d'informations privilégiées sur la perspective d'évolution d'une valeur mobilière, de réaliser des opérations sur le marché avant que le public en ait eu connaissance, c'est à la condition que ces informations soient précises, confidentielles, de nature à influer sur le cours de la valeur et déterminantes des opérations réalisées ;

qu'est réputé ayant un caractère "précis" au sens de l'article 1er de la directive n° 2003/124/CEE du 22 décembre 2003, l'information faisant mention d'un ensemble de circonstances qui existent ou dont on peut raisonnablement penser qu'il existera ou d'un événement qui s'est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu'il se produira, et si elle est suffisamment précise pour que l'on puisse en tirer une conclusion quant à l'effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés ; que cette définition, plus précise et étroite que celle donnée par la directive antérieure était applicable aux faits de l'espèce ; qu'en ne cherchant pas à caractériser la prétendue " précision " des informations litigieuses au regard des exigences de la directive précitée et des conclusions dont elle était saisie, la Cour a privé sa décision de toute base légale ;

"3/ alors que, de troisième part en prêtant à Georges X... une information privilégiée de la part du banquier Pierre A... pour le compte de Georges Z... le 12 septembre 1988, quand il résulte au contraire du procès-verbal d'audition de ce dernier (PV du 6 décembre 1990. D 1690) que Pierre A... n'avait été précisément informé par Georges Z... des conditions du "ramassage des titres" que 22 le septembre suivant, la Cour s'est placée en contradiction avec les pièces du dossier ;

"4/ alors, de quatrième part, qu'il appartient à l'accusation de rapporter la preuve de l'influence de l'information privilégiée sur la valeur du titre ; qu'en I'état d'une opération de " ramassage " par un tiers sur le marché de titres de la Société Générale, dont la valeur, sous-estimée selon les analystes du marché, devait nécessairement monter dans le cadre de la constitution, annoncée au printemps précédent par les pouvoirs publics, d'une recomposition du capital des sociétés privatisées, dont la Société générale, la Cour, qui ne s'est pas autrement expliquée sur le cours de cette valeur, a mis à la charge de la défense la preuve impossible à rapporter que l'opération de "ramassage" en elle-même ne pouvait influer sur la valeur du titre ;

qu'il en va de plus fort ainsi que ladite opération avait à juste titre, était considérée comme peu crédible par le prévenu ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait la Cour a renversé la charge de la preuve et violé la présomption d'innocence ;

"5/ alors que, de cinquième part, un investisseur avisé qui utilise sa connaissance des mécanismes des marchés financiers alors même qu'il disposerait d'une information privilégiée n'est pas punissable au titre du délit d'initié ; qu'en procédant par voie de pure affirmation, sans autrement s'expliquer et si l'achat de titres de sociétés françaises nouvellement privatisées, en septembre ou octobre 1988, ne constituait pas un investissement normal pour un financier avisé, la Cour a privé sa décision de toute base légale ;

"6/ alors que, de sixième part, le devoir d'abstention d'un opérateur étranger n'est pas sans lien avec sa loi nationale, laquelle subordonnait l'abstention à des conditions particulières (notamment signature d'une lettre du confidentialité) non réunies en l'espèce ; qu'en refusant d'examiner le moyen de défense de Georges X... établissant la conformité de son comportement avec les règles de l'Etat dont il avait la nationalité, la Cour a privé son arrêt de toute base légale ;

"7/ alors que, de septième part, le délit d'initié est un délit intentionnel ; qu'en l'état de la compétence financière de Georges X..., de son intérêt de longue date pour les sociétés privatisées françaises dans le cadre de sa stratégie d'investissement de l'état du marché en septembre-octobre 1988, la Cour a procédé par voie d'affirmation et n'a pas recherché si l'acquisition d'un " bouquet " d'actions de sociétés françaises récemment privatisées mi-octobre 1988 avait pu être exclusivement ou directement déterminé par l'information litigieuse prêtée à Georges X... le 12 septembre précédent, soit plus d'un mois plus tôt, privant ainsi sa décision de toute base légale sur l'élément intentionnel de l'infraction ;

"8/ alors en tout état de cause, que la Cour n'a pu légalement maintenir l'amende à son niveau prononcée par les premiers juges dès lors qu'elle avait expressément exclu de la prévention les achats opérés à Londres et n'avait condamné le demandeur qu'à raison des opérations réalisées à Paris ; qu'il suit de là que le maintien de l'amende prononcée en première instance est dénuée de support légal" ;

Sur le moyen pris en ses sept premières branches ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que Georges X..., dirigeant de la société X... Fund Management, établie à New York et qui gérait le fonds d'investissement Quantum Fund, dont l'objet était de réaliser des placements internationaux diversifiés, a été informé, le 12 septembre 1988, d'un projet de prise de participation significative dans le capital de la Société générale formé par la société Marceau Investissement, dirigée par Georges Z... et de ce que ce dernier était à la recherche d'investisseurs ;

qu'après avoir obtenu, le 14 septembre 1988, des précisions sur cette opération qui avait reçu l'aval du gouvernement, Georges X... a refusé d'y participer ;

que, cependant, il a, dès le 22 septembre 1988, commencé à acquérir des titres de la Société générale, qu'il a revendus en réalisant une plus-value importante ;

Attendu que, pour déclarer Georges X... coupable de délit d'initié, l'arrêt relève qu'afin de lui permettre de se prononcer en connaissance de cause sur la proposition qui lui avait été faite de prendre une participation dans le capital de la Société générale, l'intéressé a obtenu de ses interlocuteurs une information précise, confidentielle et de nature à influer sur le cours de la valeur et que cette information qu'il a sciemment utilisée a été déterminante des opérations réalisées ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, procédant de son appréciation souveraine des faits de la cause et qui caractérisent en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont le prévenu a été déclaré coupable, la cour d'appel, qui a répondu sans insuffisance aux articulations essentielles des conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision ;

Mais sur le moyen pris en sa huitième branche

:

Vu l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 10.1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967, modifié par la loi du 27 janvier 1988 ;

Attendu que, d'une part, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, d'autre part, selon l'article 10-1 précité, en vigueur à l'époque des faits, l'auteur du délit d'initié encourait une amende de 5 millions de francs dont le montant pouvait être porté au-delà de ce chiffre, jusqu'au quadruple du profit éventuellement réalisé, sans que l'amende puisse être inférieure à ce même profit ;

Attendu qu'après avoir déclaré Georges X... coupable de délit d'initié et écarté les achats de 65 000 titres de la Société générale effectués de gré à gré, les 22 et 27 septembre 1988 à Londres, en dehors du marché boursier, l'arrêt confirme la peine d'amende de 2 200 000 euros prononcée par le tribunal correctionnel ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans préciser le montant du profit réalisé à la suite des seules opérations retenues portant sur 95 000 titres de la Société générale, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de la peine d'amende prononcée ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 24 mars 2005, en ses seules dispositions relatives au montant de la peine d'amende prononcée, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatorze juin deux mille six ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 05-82453
Date de la décision : 14/06/2006
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° BOURSE - Bourse de valeurs - Opérations - Infractions - Délit d'initié - Ordonnance du 28 septembre 1967 (article modifié par la loi du 22 janvier 1988) - Eléments constitutifs - Détermination.

1° Se rend coupable du délit d'initié, prévu par l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967, modifié par la loi du 22 janvier 1988, alors applicable, le gérant d'un fonds d'investissement, ayant pour objet de réaliser des placements internationaux, qui, informé d'un projet de prise de participation significative dans le capital d'une banque par une société d'investissement, a obtenu de cette société à la recherche d'investisseurs des précisions sur cette opération à laquelle il a refusé de participer et a, dans les jours suivants, acquis des titres de la banque qu'il a revendus en réalisant une plus-value importante, dès lors que l'arrêt relève que le prévenu a obtenu de ses interlocuteurs une information précise, confidentielle et de nature à influer sur le cours de la valeur et que cette information, qu'il a sciemment utilisée, a été déterminante des opérations réalisées.

2° BOURSE - Bourse de valeurs - Opérations - Infractions - Délit d'initié - Ordonnance du 28 septembre 1967 (article modifié par la loi du 22 janvier 1988) - Peines - Amende proportionnelle au montant du profit réalisé - Indication du montant du profit - Nécessité.

2° La cour d'appel, qui prononce une peine d'amende proportionnelle au profit résultant de l'infraction doit dans sa décision préciser le montant dudit profit, afin de permettre à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur la légalité de la peine prononcée.


Références :

2° :
Ordonnance 67-833 du 28 septembre 1967 art. 10-1

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 24 mars 2005


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 14 jui. 2006, pourvoi n°05-82453, Bull. crim. criminel 2006 N° 178 p. 616
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2006 N° 178 p. 616

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Charpenel.
Rapporteur ?: M. Dulin.
Avocat(s) : Me Bouthors.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2006:05.82453
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