AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLEE PLENIERE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Douai, 12 novembre 2001), que M. X... a commandé à M. Y... une machine spécialement conçue pour les besoins de son activité professionnelle ; qu'en raison de l'état de santé de ce dernier, les parties sont convenues d'une nouvelle date de livraison qui n'a pas été respectée ; que les examens médicaux qu'il a subis ont révélé l'existence d'un cancer des suites duquel il est décédé quelques mois plus tard sans que la machine ait été livrée ; que M. X... a fait assigner les consorts Y..., héritiers du défunt, en résolution du contrat et en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de dommages-intérêts alors, selon le moyen :
1) qu'en estimant que la maladie dont a souffert M. Michel Z... avait un caractère imprévisible, pour en déduire qu'elle serait constitutive d'un cas de force majeure, après avoir constaté qu'au 7 janvier 1998, date à laquelle M. Michel Y... a fait à son cocontractant la proposition qui fut acceptée de fixer la date de livraison de la commande à la fin du mois de février 1998, M. Michel Y... savait souffrir, depuis plusieurs mois, d'une infection du poignet droit justifiant une incapacité temporaire totale de travail et se soumettait à de nombreux examens médicaux, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé, en conséquence, l'article 1148 du code civil ;
2) qu'un événement n'est pas constitutif de force majeure pour le débiteur lorsque ce dernier n'a pas pris toutes les mesures que la prévisibilité de l'événement rendait nécessaires pour en éviter la survenance et les effets ; qu'en reconnaissant à la maladie dont a souffert M. Michel Y... le caractère d'un cas de force majeure, quand elle avait constaté que, loin d'informer son cocontractant qu'il ne serait pas en mesure de livrer la machine commandée avant de longs mois, ce qui aurait permis à M. Philippe X... de prendre toutes les dispositions nécessaires pour pallier le défaut de livraison à la date convenue de la machine commandée, M. Michel Y... avait fait, le 7 janvier 1998, à son cocontractant la proposition qui fut acceptée de fixer la date de livraison de la commande à la fin du mois de février 1998, soit à une date qu'il ne pouvait prévisiblement pas respecter, compte tenu de l'infection au poignet droit justifiant une incapacité temporaire totale de travail, dont il savait souffrir depuis plusieurs mois, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé, en conséquence, l'article 1148 du code civil ;
Mais attendu qu'il n'y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ; qu'il en est ainsi lorsque le débiteur a été empêché d'exécuter par la maladie, dès lors que cet événement, présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, est constitutif d'un cas de force majeure ; qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que seul Michel Y... était en mesure de réaliser la machine et qu'il s'en était trouvé empêché par son incapacité temporaire partielle puis par la maladie ayant entraîné son décès, que l'incapacité physique résultant de l'infection et de la maladie grave survenues après la conclusion du contrat présentait un caractère imprévisible et que la chronologie des faits ainsi que les attestations relatant la dégradation brutale de son état de santé faisaient la preuve d'une maladie irrésistible, la cour d'appel a décidé à bon droit que ces circonstances étaient constitutives d'un cas de force majeure ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen :
Attendu que M. X... fait encore grief à l'arrêt d'avoir omis, après avoir prononcé la résolution du contrat, de condamner in solidum les défenderesses à lui payer les intérêts au taux légal, à compter de la date de l'acte introductif d'instance et jusqu'à celle de son versement, sur la somme correspondant aux acomptes qu'il avait versés à son débiteur alors, selon le moyen, que les intérêts au taux légal sont dus du jour de la demande en justice équivalent à la sommation de payer jusqu'à la date de leur versement sur le prix qui doit être restitué à la suite de l'exécution d'un contrat ; qu'en omettant, après avoir prononcé la résolution du contrat conclu le 11 juin 1997 entre M. Michel Y... et M. Philippe X..., de condamner in solidum Mme Micheline A..., Mme Delphine Y... et Mme Séverine Y... à payer à M. Philippe X... les intérêts au taux légal sur la somme correspondant au montant des acomptes initialement versés à M. Michel Y... par M. Philippe X..., à compter de la date de la délivrance de l'acte introductif d'instance jusqu'à celle de son versement par Mme Micheline A..., Mme Delphine Y... et Mme Séverine Y... à ce dernier, la cour d'appel a violé l'article 1153 du code civil ;
Mais attendu que l'omission de statuer pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du nouveau code de procédure civile, le moyen n'est pas recevable ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ; Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, le condamne à payer la somme globale de 2 000 euros à Mmes B... épouse Y..., Y... épouse C... et Y... épouse D... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en Assemblée plénière, et prononcé par le premier président en son audience publique du quatorze avril deux mille six.
Moyens produits par Me Hémery, avocat aux Conseils, pour M. X...
Moyens annexés à l'arrêt n° 538 PL
PREMIER MOYEN : Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR débouté M. Philippe X... de sa demande tendant à la condamnation in solidum de Mme Micheline Y..., Mme Delphine Y... et Mme Séverine Y... à lui payer la somme de 38 112,25 euros (soit 250 000 francs), à titre de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS PROPRES QU' "il ressort des pièces produites que pour expliquer le défaut de livraison fin août 1997 de la machine commandée dont se plaignait l'acquéreur par lettres des 2 septembre 1997 et 20 novembre 1997, M. Y... a invoqué l'impossibilité de se servir de son bras droit (télécopie du 19 septembre 1997), puis a précisé qu'il souffrait d'une infection au niveau du poignet droit pour une cause indéterminée (télécopie du 1er janvier 1998).
Le docteur Pierre E... certifie, en effet, avoir reçu à son cabinet M. Y... le 1er septembre 1997 pour une radiographie du poignet droit et le docteur Olivier F... atteste que celui-ci a souffert d'une infection au poignet droit à compter de juillet 1997 justifiant une incapacité temporaire totale jusqu'en décembre 1997. Il est constant que M. X... a accepté le report de la livraison que M. Y... proposait en ces termes : "Dans l'état actuel des choses et fonction des livraisons (solde de nos commandes), nous pouvons prévoir le début de l'installation de la ligne de conditionnement à compter de la fin février 1998 (en vos ateliers)" (télécopie du 7 janvier 1998). Si dès le mois de décembre 1997, M. Y... se soumettait à des examens qui devaient conduire à la découverte d'un cancer, il ressort des documents médicaux versés aux débats que le diagnostic n'a été énoncé que le 23 janvier 1998, qu'il a donné lieu à la prescription d'une chimiothérapie et que l'arrêt de travail a été délivré à compter du 23 mai 1998, soit moins de cinq mois avant le décès. Cette chronologie et les attestations de Monique G..., Jean et Béatrice Y..., Huguette H..., Marie-Rose I..., Jacques J... qui relatent la dégradation brutale de M. Y... à partir de la fin du mois d'avril 1998 font la preuve d'une maladie irrésistible, ce caractère suffisant à retenir la qualification de force majeure (cf. Cass. Civ. 1re, 10 février 1998, Juris-Data n° 000564). Dès lors qu'il est établi par les éléments du dossier que seul M. Y... était en mesure de réaliser la machine s'agissant d'un prototype et qu'il s'en est trouvé empêché par un tel événement, c'est à bon droit que le premier juge, après avoir prononcé la résolution du contrat, a débouté M. X... de ses demandes de dommages-intérêts. Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions" (cf. arrêt attaqué, p. 4 et 5) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'"il ressort de plusieurs documents produits notamment médicaux et de plusieurs attestations et il n'est pas contesté que, dès juillet 1997, M. Y... a été atteint d'une infection du bras droit qui l'a empêché de travailler manuellement ; qu'en décembre 1997 et alors que le délai de livraison était largement dépassé, M. X... souhaitait toujours maintenir la relation contractuelle avec report de la livraison pour février 1998 et a concrétisé cette volonté en versant un deuxième acompte ; qu'à compter de la fin de l'année 1997, M. Y... s'est soumis à des examens qui ont mis en évidence l'existence d'un cancer ; qu'à partir de 1998, M. Y..., très affaibli et incapable d'exercer une activité normale, a suivi une thérapie adaptée à sa maladie mais qui n'a pu empêcher son décès en octobre de la même année. Il ressort également des courriers préalables au contrat de juin 1997, que l'équipement dont s'agit avait été étudié, défini et mis au point depuis un certain temps entre les deux contractants et constituait un prototype adapté à la production et aux seuls besoins spécifiques de M. X....
Il apparaît également que M. Y... travaillait seul et en nom propre sans assistance externe ; que l'équipement commandé a connu un début de fabrication ; que M. Y... a dépensé plus de 80 000 francs en fournitures en vue de la réalisation du matériel demandé.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que M. Y... a tenté d'honorer loyalement le contrat passé avec M. X... ; qu'il en a été empêché suite à son incapacité physique temporaire partielle, puis à la maladie qui devait l'emporter rapidement ; qu'il ne pouvait, de par la particularité du projet et l'absence du salarié, en confier la réalisation à autrui. Cette incapacité physique résultant d'une infection et cette maladie grave survenues après la signature du contrat présentent bien un caractère imprévisible.
La nature même de ces événements qui ont entraîné rapidement la mort de M. Y... démontre leur caractère irrésistible de sorte que les défendeurs sont bien fondés, en application de l'article 1148 du Code civil, à soutenir le cas de force majeure pour solliciter le débouté des demandes de dommages-intérêts de M. X..." (cf. jugement entrepris, p. 3, 2e et 3e considérants, s'achevant p. 4 ; p. 4, 1er et 2e considérants) ;
ALORS QU'en estimant que la maladie dont a souffert M. Michel Y... avait un caractère imprévisible, pour en déduire qu'elle serait constitutive d'un cas de force majeure, après avoir constaté qu'au 7 janvier 1997, date à laquelle M. Michel Y... a fait à son cocontractant la proposition qui fut acceptée de fixer la date de livraison de la commande à la fin du mois de février 1998, M. Michel Y... savait souffrir, depuis plusieurs mois, d'une infection au poignet droit justifiant une incapacité temporaire totale de travail et se soumettait à de nombreux examens médicaux, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé, en conséquence, l'article 1148 du code civil ;
ALORS QU'un événement n'est pas constitutif de force majeure pour le débiteur, lorsque ce dernier n'a pas pris toutes les mesures possibles que la prévisibilité de l'événement rendait nécessaires pour en éviter la survenance et les effets ; qu'en reconnaissant à la maladie dont a souffert M. Michel Y... le caractère d'un cas de force majeure, quand elle avait constaté que, loin d'informer son cocontractant qu'il ne ne serait pas en mesure de livrer la machine commandée avant de longs mois, ce qui aurait permis à M. Philippe X... de prendre toutes les dispositions nécessaires pour pallier le défaut de livraison à la date convenue de la machine commandée, M. Michel Y... avait fait, le 7 janvier 1998, à son cocontractant la proposition qui fut acceptée de fixer la date de livraison de la commande à la fin du mois de février 1998, soit à une date qu'il ne pouvait prévisiblement pas respecter, compte tenu de l'infection au poignet droit justifiant une incapacité temporaire totale de travail, dont il savait souffrir depuis plusieurs mois, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé, en conséquence, l'article 1148 du code civil ;
SECOND MOYEN : Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR omis, après avoir prononcé la résolution du contrat conclu le 11 juin 1997 entre M. Michel Y... et M. Philippe X..., de condamner in solidum Mme Micheline Y..., Mme Delphine Y... et Mme Sévenine Y... à payer à M. Philippe X... les intérêts aux taux légal, à compter du 10 août 1998, date de la délivrance de l'acte introductif d'instance, jusqu'au 7 juillet 1999, date de son versement par Mme Micheline Y..., Mme Delphine Y... et Mme Séverine Y... à ce dernier, sur la somme de 22 613,98 euros, soit 148 338 francs, correspondant au montant des acomptes initialement versés à M. Michel Y... par M. Philippe X... ;
ALORS QUE les intérêts au taux légal sont dus du jour de la demande en justice équivalent à la sommation de payer jusqu'à la date de leur versement sur le prix qui doit être restitué à la suite de la résolution d'un contrat ; qu'en omettant, après avoir prononcé la résolution du contrat conclu le 11 juin 1997 entre M. Michel Y... et M. Philippe X..., de condamner in solidum Mme Micheline Y..., Mme Delphine Y... et Mme Sévenine Y... à payer à M. Philippe X... les intérêts au taux légal sur la somme correspondant au montant des acomptes initialement versés à M. Michel Y... par M. Philippe X..., à compter de la date de la délivrance de l'acte introductif d'instance jusqu'à celle de son versement par Mme Micheline Y..., Mme Delphine Y... et Mme Séverine Y... à ce dernier, la cour d'appel a violé l'article 1153 du code civil.