AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que M. X... est entré au service de l'ORTF le 1er septembre 1973 en qualité de chroniqueur aux émissions de la Société monégasque d'exploitation et d'études de radiodiffusion (SOMERA), jusqu'à la dissolution de l'ORTF prenant effet le 1er janvier 1975 ; qu'à compter de cette date, il a continué à travailler pour la SOMERA, exploitant la station de radiodiffusion " Radio Monte-Carlo Moyen-Orient " ; qu'à l'époque des faits, la SOMERA, jusqu'alors quasi contrôlée par la SOFIRAD, venait de passer sous le contrôle de la société Radio France international (RFI) ; qu'un contrat de travail écrit a été signé entre les parties le 10 janvier 1977 ; que, par lettre du 1er janvier 1997, M. X... a souhaité bénéficier de la clause de cession à partir du 31 mars 1997 ; qu'il a renouvelé sa demande par courrier du 28 février 1997 pour le 1er mars 1997 ; que, le 17 février 1997, lors d'une réunion du comité d'entreprise, les représentants du personnel ont fait valoir qu'en réalité le changement de statut emportait modification des contrats de travail et ont demandé la mise en place d'un plan social ; que, le 28 mars 1997, M. X... et la société SOMERA, visant le bénéfice de la clause de cession, ont conclu une transaction aux termes de laquelle le contrat de travail était rompu le 31 mars 1997 ; qu'un plan social a été arrêté le 1er juillet 1997 ; que le salarié a saisi la juridiction prud'homale, d'abord en référé le 31 octobre 1997, puis au fond le 14 juin 1999 ; que la commission arbitrale prévue à l'article L. 761-5 du Code du travail a déclaré irrecevable la demande de M. X... en raison de la transaction ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal formé par la société SOMERA :
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 27 juin 2003) d'avoir annulé la transaction du 28 mars 1997 et jugé que la rupture s'assimilait à un licenciement nul, alors, selon le moyen :
1 / qu'aux termes de l'article L. 761-7 1 du Code du travail, un journaliste peut choisir de mettre en jeu la clause de conscience qui a pour effet de rompre son contrat de travail lors de la cession du journal ou du périodique ; qu'il y a cession du journal en cas de changement des organes de contrôle ; que la cour d'appel a relevé que la cession des actions entre la société SOFIRAD et la société RFI a concrétisé " une redistribution des instruments de contrôle " ; qu'elle a cependant affirmé qu'il n'y avait pas eu cession du journal ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article L. 761-7 1 du Code du travail ;
2 / que, par lettre en date du 1er janvier 1997, régulièrement versée aux débats et confirmée par deux courriers des 1er et 28 février 1997, M. X... a indiqué à son employeur : " Je souhaite faire appliquer la clause de cession " afin de pouvoir repartir immédiatement dans son pays d'origine et travailler pour le compte d'une télévision libanaise ; qu'il résulte des termes mêmes de cette lettre que le journaliste a librement choisi de se prévaloir du privilège de la clause de cession ; qu'en énonçant que " l'exercice par M. Salah X... du droit à la clause de cession n'a pas été clair et non équivoque, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil " ;
3 / qu'il suffit pour que les dispositions de l'article L. 761-7 du Code du travail s'appliquent que la résiliation du contrat de travail ait été motivée par l'une des circonstances qu'il énumère et notamment la cession d'un journal ; qu'une cession est intervenue entre la société SOFIRAD et la société RFI ; que la cour d'appel a cependant affirmé que la rupture du contrat de travail de M. X..., qui avait choisi de faire jouer sa clause de cession, était illégitime car elle s'inscrivait dans un projet de licenciement économique ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a ajouté une condition négative à l'article L. 761-7 du Code du travail et l'a ainsi violé ;
4 / qu'une transaction ayant pour objet de mettre fin au litige résultant de la rupture du contrat de travail est valablement conclue lorsqu'elle intervient postérieurement à ladite rupture ; que la rupture du contrat de travail de M. X... est intervenue du fait de la levée de la clause de cession le 5 janvier 1997 après que son employeur en ait pris acte ; que le journaliste et la société SOMERA ont conclu le 28 mars 1997 une transaction portant sur les indemnités dues au salarié ; qu'en annulant la transaction, au prétexte qu'aucune rupture ne serait intervenue avant celle-ci, la cour d'appel a violé l'article L. 122-14-7 du Code du travail et l'article 2044 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel a décidé à bon droit que la résiliation du contrat de travail motivée par la cession du journal ou du périodique, prévue par l'article L. 761-7 1 du Code du travail, n'intervient qu'à la condition que l'intention du salarié de mettre fin pour cette raison à la relation de travail soit claire et non équivoque ;
Et attendu que la cour d'appel a constaté que le salarié ne s'était résolu à invoquer la clause légale de cession du journal que parce que les propositions de modifications de son contrat qui lui avaient été faites par le nouvel actionnaire majoritaire entraînaient une diminution de son salaire de l'ordre de 25 % ; qu'elle a pu en déduire, abstraction faite des motifs erronés critiqués par la première branche du moyen et qui sont surabondants, que sa volonté de résilier son contrat de travail n'était ni claire ni dépourvue d'équivoque et, par voie de conséquence, que la transaction qu'il avait ensuite conclue était nulle ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le pourvoi incident formé par M. X... :
Sur le premier moyen :
Vu l'article 21 de l'avenant audiovisuel à la convention collective des journalistes ;
Attendu que, pour débouter le salarié de sa demande tendant à fixer son ancienneté au 1er septembre 1973, la cour d'appel retient que M. X... se réfère à l'avenant audiovisuel de la convention collective des journalistes, mais que la SOMERA oppose à juste titre qu'elle n'est pas une société relevant du titre III relatif au service public de la radiodiffusion et de la télévision de la loi du 29 juillet 1982 et qu'en raison des dispositions de l'article 1er de l'avenant susvisé, elle ne se trouvait pas dans le champ d'application de cet avenant et que c'est postérieurement au départ de l'intéressé qu'elle a fait une application volontaire de cet avenant ; qu'en l'absence d'autres éléments, l'ancienneté de M. X... résulte d'une correspondance de la société SOMERA en date du 18 janvier 1980 lui reconnaissant une ancienneté au 1er janvier 1975 seulement ;
Qu'en statuant ainsi, alors que M. X... soutenait qu'il était entré au service de l'ORTF le 1er septembre 1973 et qu'en application de l'article 21 de l'avenant audiovisuel à la convention collective des journalistes, son ancienneté aurait dû être décomptée à partir de cette date, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et privé sa décision de base légale ;
Sur le deuxième moyen :
Vu l'article 18 du contrat d'entreprise des journalistes de Radio Monte-Carlo ;
Attendu que, pour débouter le salarié de sa demande en paiement du treizième mois prorata temporis, la cour d'appel se borne à énoncer qu'il ne justifie pas d'un tel droit ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'aux termes de l'article 18 du contrat d'entreprise des journalistes de Radio Monte-Carlo, produit par M. X..., en cas de licenciement ou de démission en cours d'année, il sera versé un nombre de douzièmes égal au nombre de mois passés dans l'entreprise depuis le 1er janvier et basés sur le dernier traitement reçu, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Sur le troisième moyen :
Vu l'article 36 du contrat d'entreprise des journalistes de Radio Monte-Carlo ;
Attendu que, pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'une indemnité de préavis égale à trois mois de salaire, la cour d'appel retient que ni le contrat de travail, ni les accords appliqués au sein de SOMERA n'ouvrent droit au profit de M. X... à une indemnité égale à trois mois de salaire ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'article 36 du contrat d'entreprise des journalistes de Radio Monte-Carlo dispose que la durée du préavis, en cas de résiliation d'un contrat fait sans détermination de durée, est, pour l'une et l'autre partie, de deux mois pour un journaliste comptant moins de trois ans de service, et de trois mois s'il compte plus de trois ans de service, et que M. X... comptait plus de trois ans de service, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en ses seules dispositions ayant débouté M. X... de ses demandes concernant la fixation de l'ancienneté, le paiement du treizième mois prorata temporis et l'indemnité de préavis égale à trois mois, l'arrêt rendu le 27 juin 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne la Société monégasque d'exploitation et d'études de radiodiffusion (SOMERA) Radio Monte-Carlo Moyen-Orient aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la SOMERA Radio Monte-Carlo Moyen-Orient à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mars deux mille six.