AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu que le 2 avril 1999 a été conclu, au sein de la société Renault, un accord d'entreprise sur l'emploi, l'organisation et la réduction du temps de travail instituant l'annualisation du travail et un " capital temps collectif " alimenté par les heures programmées effectuées au-delà des durées hebdomadaires de travail effectif de référence ; que, selon l'article 3.3.4.1.2. de ce texte, le seuil maximal, par salarié, de jours en capital temps est, à défaut d'accord, de 35 jours, y compris les jours collectifs de repos prévus par les accords d'établissement existants relatifs à l'aménagement du temps de travail ;
que ce seuil permet de faire face aux baisses d'activité et limite les pertes financières pour l'entreprise et les salariés occasionnées par le chômage partiel ; qu'aux termes de l'article 3.3.4.1.3., en période de faible activité, le salarié bénéficie de jours de repos pris collectivement ou attribués par roulement, pour tenir compte de la spécificité des secteurs de l'entreprise, et que dans toute la mesure du possible, la prise de jours collectifs tient compte des opportunités de calendrier, en particulier des ponts et de la proximité des jours fériés ; que le 3 mars 2004, un certain nombre de salariés de la société Renault agriculture se sont mis en grève, bloquant ainsi une chaîne générale de montage de cabines ; que la direction de la société a immédiatement convoqué le comité d'établissement en séance extraordinaire, en vue de son information et consultation sur le " positionnement d'un ou plusieurs jours de réduction du temps de travail (RTT) en semaine 10 " ; qu'au cours de cette réunion, la direction a annoncé que la journée du 4 mars 2004 ne serait pas travaillée en raison de l'utilisation d'un jour de réduction du temps de travail dans les secteurs chaîne de montage, finition de tracteurs et assemblage transmission ; que le 9 mars 2004, le comité d'établissement et le syndicat CGT de la société Renault agriculture ont assigné en référé l'employeur et le président du comité, aux fins notamment de voir constater le trouble manifestement illicite constitué par cette mesure ;
Attendu que la société Renault agriculture et le président du comité d'établissement de la même société font grief à l'arrêt attaqué (Angers, 25 janvier 2005) d'avoir confirmé l'ordonnance de référé du tribunal de grande instance du Mans du 12 mars 2004 constatant l'existence d'un tel trouble et invitant la société à ne faire produire aucun effet à sa décision de ne pas faire travailler la journée du 4 mars 2004, par utilisation d'une journée de réduction du temps de travail, alors, selon le moyen :
1 / que la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000, qui a modifié la rédaction de l'article L. 212-8 du Code du travail, a inséré un septième alinéa instituant un délai de prévenance de sept jours au profit des salariés ; que l'article L. 212-8 du Code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 87-423 du 19 juin 1987, applicable au litige, ne fixait pas de délai dans lequel les salariés devaient être informés des changements d'horaires de travail, ce même article, dans sa rédaction alors applicable, renvoyant à la convention ou à un accord collectif, lequel devait comporter obligatoirement des dispositions concernant le délai dans lequel les salariés doivent être prévenus des changements d'horaires, mais sans fixer de délai légal applicable à défaut de délai conventionnel ; qu'en estimant néanmoins que le délai de prévenance de sept jours, prévu par l'article L. 212-8 du Code du travail, était applicable au litige, né de la mise en oeuvre d'un accord relatif à la réduction du temps de travail du 16 avril 1999, avant même l'entrée en vigueur des dispositions de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000, la cour d'appel d'Angers a violé les dispositions susvisées ;
2 / qu'en vertu de l'article L. 132-4 du Code du travail, la convention et l'accord collectif de travail peuvent comporter des dispositions plus favorables aux salariés que celles des lois et règlements en vigueur, sans pouvoir déroger aux dispositions d'ordre public de ces lois et règlements, et que l'article L. 132-23 du même Code énonce les conditions dans lesquelles des conventions ou accords d'entreprise ou d'établissement peuvent adapter les dispositions des conventions de branches ainsi que les modalités de leur adaptation en cas d'accord postérieur ; qu'aucune de ces dispositions nénonce que l'intervention d'une disposition législative postérieure à un accord ou convention abroge ou complète ces stipulations conventionnelles, l'article 8, V, de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 prévoyant au contraire que les conventions ou accords collectifs applicables à la date de publication de cette loi demeurent en vigueur ; qu'en faisant ainsi application des dispositions de l' article L. 212-9 II, alinéa 2, issues de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à l'aménagement et à la réduction du temps de travail, et prévoyant un délai de prévenance des salariés de sept jours pour la modification des dates fixées pour la prise des jours de repos, délai de prévenance dont l'institution avait été précisément écartée par les signataires de l'accord d'entreprise du 16 avril 1999, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;
Mais attendu que s'agissant d'un délai d'ordre public destiné à permettre aux salariés de s'organiser au regard de changements proposés dans les horaires de travail ou dans la fixation des dates de prise de jours de repos, la cour d'appel a exactement décidé que les dispositions le prévoyant dans la loi du 19 janvier 2000 étaient d'application immédiate ; qu'elle a pu en déduire que la méconnaissance par l'employeur du délai de prévenance de sept jours prévu par les articles L. 212-8 et L. 212-9 II du Code du travail dans leur rédaction issue de cette loi caractérisait un trouble manifestement illicite ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Renault agriculture et le président du comité d'établissement de la société Renault agriculture aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, les condamne à payer au syndicat CGT Renault Le Mans et au comité d'établissement Renault agriculture du Mans la somme globale de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux février deux mille six.