AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur les quatre moyens réunis :
Attendu que le 3 juin 1999, la chaine de télévision France 2 a diffusé dans le cadre de l'émission Envoyé spécial un reportage sur les dangers de l'alcool au volant dans lequel apparaissait M. X..., endormi sur une table dans une discothèque ; que M. X... a assigné, par acte du 27 octobre 2000, la société de télévision, afin d'obtenir, sur le fondement de l'article 9 du Code civil, sa condamnation au paiement de dommages-intérêts ; que la société de télévision considérant que la diffusion critiquée constituait une diffamation, a conclu à la nullité des poursuites et à la prescription de l'action en application des articles 53 et 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que la Société nationale de télévision France 2 fait grief à l'arrêt (Paris, 11 septembre 2003) d'avoir rejeté l'exception de nullité de l'assignation du 27 octobre 2000 et de l'avoir condamnée au paiement de dommages-intérêts alors premièrement :
1 / qu'en décidant qu'il n'y avait pas lieu de requalifier l'action engagée par M. X... tout en constatant qu'il avait assigné la société France 2 sur le seul fondement de l'article 9 du Code civil en invoquant une grave atteinte à son image et à sa réputation pour demander la réparation du préjudice tenant à l'atteinte à sa réputation constitutive de la diffamation, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses énonciations au regard de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;
2 / qu'en statuant ainsi, sans constater que l'assignation précisait de manière claire et non équivoque en quoi consistait le fait dommageable distinct et détachable de la diffamation dont M. X... aurait entendu obtenir distinctement réparation, la cour d'appel a violé l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;
3 / qu'en décidant qu'il n'y avait pas lieu de requalifier l'action envisagée sous le visa de l'article 9 du Code civil au prétexte inopérant que M. X... aurait en fait été filmé sans son accord, sans analyser quels étaient les griefs articulés par l'assignation, ni rechercher si la grave atteinte invoquée à son image et à sa réputation ne résultait précisément pas de l'amalgame diffamatoire dont M. X... se disait la victime et qui lui aurait donné une image dégradante, la cour d'appel a violé l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;
4 / qu'aux termes de son assignation du 27 octobre 2000 la grave atteinte à l'image et à la réputation invoqué par M. X... tenait au fait que le reportage consacré par l'émission Envoyé spécial aux dangers de l'alcool au volant l'avait présenté à l'écran pour illustrer l'alcoolisme ambiant de la discothèque dans laquelle il était arrivé tard dans la nuit pour s'y assoupir ivre de sommeil tandis que cette prise de vue était assortie d'une voix off laissant clairement entendre que l'on avait là l'exemple vivant d'un éthylisme grave, ce qui montrait de lui une image dégradante portant atteinte à sa vie privée et à sa considération, la cour d'appel a dénaturé l'objet de ses constatations en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
deuxièmement :
1 / qu'en décidant que la violation du droit à l'image de M. X... était constatée par la seule diffusion de son effigie indépendamment de l'atteinte à son honneur sans apprécier la prise de vue dans le contexte principal auquel elle venait à l'appui pour former un ensemble indissociable aux commentaires et à l'enquête télévisée qu'elle illustrait, la cour d'appel a violé les articles 29 et 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;
2 / qu'en s'abstenant de rechercher si l'atteinte au droit à l'image de M. X... n'était pas absorbée par la diffamation que la prise de vue emportait en permettant aux téléspectateurs de l'identifier comme un exemple vivant du comportement répréhensible que dénonçaient concomitamment les commentaires et l'enquête télévisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 29 et 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;
3 / que dans ses conclusions du 30 août 2002 M. X... faisait valoir qu'en le filmant pour corroborer avec son image le thème de l'émission relatif au problème de l'alcool au volant, le reportage avait délibérément porté atteinte à son intégrité et à sa vie privée afin de le montrer comme un individu susceptible de prendre le volant en état d'ébriété de sorte qu'il n'aurait jamais consenti à cette image dégradante et dévalorisante et en passant outre au contexte infamant de la prise de vue ainsi contestée dont les conclusions de la société France 2 du 19 octobre 2002 lui demandaient de tirer les conséquences au regard de la diffamation en résultant, la cour d'appel a méconnu les contestations qui lui étaient soumises et violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
troisièmement :
1 / qu' en indemnisant M. X... du préjudice tenant à la seule diffusion de son image, considérée indépendamment de son contexte diffamatoire, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / que l'indemnisation du préjudice tenant à la révélation de l'image de M. X... ne pouvait être poursuivie que dans le cadre de la réparation de la publicité de mauvais aloi que la diffusion litigieuse emportait en permettant au public de l'identifier comme une personne intempèrante et en décidant du contraire, la cour d'appel a violé les articles 29 et 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;
quatrièmement :
qu'en décidant de condamner la simple diffusion brève et purement anodine de l'image d'une personne qui s'était assoupie parmi la clientèle de l'établissement public qu'elle fréquentait, la cour d'appel a limité la liberté de la presse par une restriction générale disproportionnée en violation des articles 8 et 10 de Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel qui a relevé que M. X... avait fondé son action sur l'article 9 du Code civil et conclu que le reportage en cause avait porté atteinte à son image et à sa vie privée d'une part et à sa réputation d'autre part, sans invoquer aucun fait constitutif de diffamation ni évaluer séparément le préjudice qui en serait résulté a pu en déduire, hors toute dénaturation et sans violer l'article 4 du nouveau Code de procédure civile que l'action engagée ne relevait pas des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 mais de celles de l'article 9 du Code civil ; qu'enfin la cour d'appel, ayant relevé que M. X... avait été filmé sans son autorisation, en dehors de tout événement d'actualité le concernant, en a exactement déduit que la diffusion de son image n'était pas légitimée par le principe de la liberté de la presse et a fixé le préjudice en résultant dans un rapport raisonnable de proportionnalité entre la sanction imposée et le but légitime visé ;
D'où il suit qu'aucun des moyens n'est fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société France 2 à payer à M. X... la somme de 2 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un février deux mille six.