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08/02/2006 | FRANCE | N°05-14198

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 08 février 2006, 05-14198


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles,16 février 2005), que faisant valoir que MM. X... et Y..., avec leur société KR Media, auraient commis des actes de concurrence déloyale et de violations des engagements contractuels pris à leur départ du groupe Aegis, des sociétés de celui-ci ont demandé par requête au président du tribunal de commerce la désignation d'un huissier de justice, assisté d'un expert comptable et d'un informaticien a

ux fins de rechercher dans les locaux de la société KR Media tous documents en ra...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles,16 février 2005), que faisant valoir que MM. X... et Y..., avec leur société KR Media, auraient commis des actes de concurrence déloyale et de violations des engagements contractuels pris à leur départ du groupe Aegis, des sociétés de celui-ci ont demandé par requête au président du tribunal de commerce la désignation d'un huissier de justice, assisté d'un expert comptable et d'un informaticien aux fins de rechercher dans les locaux de la société KR Media tous documents en rapport avec les faits litigieux ; que MM. X... et Y... et la société KR Media ont ensuite saisi le président du tribunal de commerce en référé pour obtenir la rétractation de l'ordonnance qui avait accueilli cette demande ;

Attendu que MM. X... et Y... et la société KR Media font grief à l'arrêt de les avoir déboutés de leur demande de rétractation, alors, selon le moyen :

1 ) que le juge d'appel, statuant sur la rétractation d'une ordonnance sur requête, ne doit pas se placer au jour où la mesure a été prononcée, mais à la date à laquelle lui-même statue ; qu'en conséquence, pour apprécier la légalité d'une mesure d'instruction in futurum, le juge de la rétractation doit nécessairement tenir compte des conditions d'exécution de celle-ci, ces conditions faisant partie de la situation existant au jour où il statue ; qu'en excluant de façon absolue les conditions d'exécution des mesures d'instruction litigieuses du contentieux de la rétractation, la cour d'appel a violé ensemble les articles 145 et 497 du nouveau Code de procédure civile ;

2 ) que toute mesure d'instruction in futurum doit être limitée à la fois quant à son but (l'établissement de faits précis) et quant à son objet (des investigations ponctuelles en rapport avec ces faits) ; qu'en conséquence, ne sont pas légalement admissibles les mesures qui confèrent à l'huissier de justice une mission générale d'investigation et un pouvoir d'enquête lui permettant de mener une véritable perquisition civile des locaux visés par l'ordonnance ; qu'en l'espèce, seul le but des mesures d'instruction litigieuses était circonscrit - l'établissement des faits litigieux visés dans la requête -, à défaut de leur objet, l'huissier de justice ayant reçu à cet égard la mission générale de " rechercher tous documents, correspondances situés dans les locaux, quel qu'en soit le support, informatique ou autre ", ce qui le conduisait à réaliser une perquisition globale dans les locaux de la société KR Media ; qu'en se bornant pourtant à énoncer que la mission de l'huissier de justice était "expressément circonscrite aux faits litigieux décrits dans la requête annexée à l'ordonnance" et ne s'analysait pas en une mesure générale d'investigation, sans rechercher si, au-delà de leur but, les mesures d'instruction litigieuses étaient également limitées quant à leur objet, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile ;

3 ) que le caractère limité d'une mesure d'instruction in futurum doit nécessairement être apprécié au regard de la portée combinée des différentes investigations autorisées ; qu'en effet, l'addition et la conjugaison de plusieurs mesures d'instruction, en elles-mêmes ponctuelles, peuvent aboutir à une perquisition générale excédant manifestement les prévisions de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile ; qu'en se bornant exclusivement à examiner de façon séparée les différentes investigations ordonnées, sans rechercher si l'addition et la conjugaison de ces mesures n'autorisaient pas de fait une véritable perquisition générale des locaux de la société KR Media, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;

4 ) que toute mesure d'instruction in futurum doit être strictement limitée aux seules investigations nécessaires à la preuve des faits litigieux, de manière à ne pas porter une atteinte illégitime aux libertés fondamentales du défendeur, et notamment au secret des affaires, au droit au respect de la vie privée ou au secret des correspondances ; qu'en l'espèce, les sociétés du groupe Aegis soutenaient que MM. X... et Y... auraient violé leurs engagements de non-sollicitation de clientèle et de non-débauchage de certaines catégories de personnel ; que les mesures d'instruction tendant à la recherche de "tout contrat, projet de contrat ou mandat de réservation d'espaces publicitaires, échanges avec les supports pour le compte des clients" et de tous "éléments comptables permettant d'analyser les frais de prospection et de représentation engagés" par la société KR Media sont donc sans rapport avec les faits litigieux ; qu'en effet ces différents éléments, qui concernent exclusivement les modalités choisies par cette société pour l'exécution de ses missions et le coût des méthodes de gestion utilisées par celle-ci, ne sont pas de nature à démontrer la prétendue violation par MM. X... et Y... de leurs engagements contractuels de non-sollicitation de clientèle et de non débauchage ;

qu'en conséquence, les mesures litigieuses, qui permettaient et ont effectivement permis aux sociétés du groupe Aegis d'accéder aux plans de financement, aux marges commerciales, aux présentations commerciales, ainsi qu'aux contacts et informations dont disposait la société KR Media, constituent une atteinte illégitime au secret des affaires ; qu'en déclarant néanmoins ces mesures légalement admissibles, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile ;

5 ) que le dépouillement de "tout agenda et cahier de messages tenu par KR Media et/ou ses membres permettant d'établir des liens éventuels avec la presse en vue d'annoncer l'offre de services" de cette société est également impropre à établir une quelconque violation des engagements litigieux, ces éléments concernant exclusivement la stratégie publicitaire générale de la société et non les conditions dans lesquelles ses clients ont été amenés à faire appel à ses services ; qu'en décidant cependant que cette mesure, qui portait en conséquence une atteinte illégitime au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances, était légalement admissible, la cour d'appel a violé l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 9 du Code civil ;

6 ) que les correspondances échangées entre l'avocat et son client sont couvertes par un secret professionnel absolu-, qu'en conséquence, toute mesure d'instruction contraire à ce principe doit être déclarée illégitime ; qu'en décidant que les mesures ordonnées étaient légalement admissibles, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant expressément invitée par les conclusions de MM. X... et Y... et de la société KR Media, si le fait que le nom du conseil de MM. X... et Y... figure sur la liste des " suspects ", fournie par les sociétés du groupe Aegis pour guider l'huissier de justice dans ses recherches, n'était pas de nature à porter atteinte au secret professionnel absolu qui s'attache aux correspondances échangées entre l'avocat et son client, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, et 145 du nouveau Code de procédure civile ;

7 ) que la mise sous séquestre des pièces saisies n'est pas de nature à corriger le caractère excessif des mesures d'instruction ordonnées, le séquestre ayant vocation à être levé après validation de celles-ci par le juge ; qu'en retenant, pour admettre la légalité des mesures litigieuses, qu'une mesure de séquestre avait été ordonnée par l'ordonnance du 8 décembre 2004, et que l'ensemble des pièces et documents saisis n'avaient pas été portés à la connaissance des sociétés requérantes, la cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier sa décision en violation de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que les mesures d'instruction légalement admissibles, au sens de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, sont celles prévues par les articles 232 à 284-1 de ce Code ;

Et attendu que l'arrêt retient que le procès-verbal de constat de l'huissier de justice n'a pas à être examiné par la cour d'appel, saisie de l'appel d'une ordonnance rétractant celle ayant autorisé la mesure de constat ; qu'en effet, tant les conditions d'exécution de celui-ci que les constatations qui y sont relatées, ne relèvent pas du contentieux de la rétractation mais de celui de l'exécution d'une telle mesure ; que les sociétés du groupe Aegis prétendaient être victimes de la violation par MM. X... et Y... de leurs engagements contractuels ainsi que d'actes de concurrence déloyale au profit notamment de la société KR Media ; qu'elles justifiaient d'un nombre important de résiliations de contrats par leurs clients ainsi que de démissions de collaborateurs pour lesquels la rumeur d'un recrutement par la société KR Media ou d'autres filiales de WPP est colportée ; qu'elles faisaient ainsi valoir, à la date de la présentation de leur requête, des éléments précis constituant des indices de violation possible par MM. X... et Y... de leurs obligations contractuelles et justifiaient ainsi tant de la nécessité de solliciter non contradictoirement une mesure de constat, eu égard au risque évident de déperdition des preuves en cas de débat contradictoire préalable, que de l'exigence d'un motif légitime au sens de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile qui n'exige pas des demandeurs d'énoncer précisément le fondement juridique de l'éventuel litige ultérieur au fond ; que, sur la mission donnée à l'huissier de justice, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, elle ne s'analyse pas en une mesure générale d'investigation portant sur l'ensemble de la société KR Media ;

qu'en effet, elle était expressément circonscrite aux faits litigieux décrits dans la requête annexée à l'ordonnance, les mesures ordonnées visant exclusivement les clients, les salariés, les prospects et les documents commerciaux du groupe Aegis de nature à établir d'éventuels actes de sollicitation ou de prospection antérieurs au 1er janvier 2005 ; qu'il en est de même en ce qui concerne les agendas et cahiers de messages, la mesure ne portant que sur d'éventuels contacts avec la presse, au titre des offres de services faites par son intermédiaire, en rapport avec les faits litigieux ; que le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile dès lors que les mesures ordonnées procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées, ce qui est le cas en l'espèce ; qu'il sera, au surplus, observé, qu'une mesure de séquestre a été ordonnée par l'ordonnance sur requête du 8 décembre 2004, à la demande des sociétés du groupe Aegis et que l'ensemble des pièces et documents saisis n'ont pas été portés à la connaissance des sociétés requérantes, seul le procès-verbal établi par la SCP d'huissier de justice leur ayant été remis ;

Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, après avoir souverainement apprécié l'existence d'un motif légitime d'instituer une mesure d'instruction, a déduit à bon droit que celle-ci se bornait à des constatations, dont l'objet était circonscrit par l'ordonnance sur requête et ses annexes, sans comporter aucune atteinte à une liberté fondamentale ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne MM. X... et Y... et la société KR Media aux dépens ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille six.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 05-14198
Date de la décision : 08/02/2006
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

MESURES D'INSTRUCTION - Sauvegarde de la preuve avant tout procès - Mesure admissible - Mesure prévue par les articles 232 à 284-1 du nouveau code de procédure civile - Définition - Mesures d'investigation confiées à un huissier de justice se bornant à des constatations.

MESURES D'INSTRUCTION - Sauvegarde de la preuve avant tout procès - Mesure admissible - Mesure générale d'investigation

MESURES D'INSTRUCTION - Sauvegarde de la preuve avant tout procès - Motif légitime - Appréciation souveraine

POUVOIRS DES JUGES - Appréciation souveraine - Mesures d'instruction - Sauvegarde de la preuve avant tout procès - Motif légitime

Les mesures d'instruction légalement admissibles, au sens de l'article 145 du nouveau code de procédure civile, sont celles prévues par les articles 232 à 284-1 de ce code. Dès lors, une cour d'appel qui constate que les mesures d'investigation confiées à un huissier de justice par une ordonnance sur requête ont été circonscrites aux faits litigieux décrits dans la requête annexée à cette ordonnance, sans comporter aucune atteinte à une liberté fondamentale, déduit à bon droit, après avoir souverainement apprécié l'existence d'un motif légitime d'instituer une mesure d'instruction, que ces mesures, qui se bornaient à des constatations, étaient légalement admissibles.


Références :

Nouveau code de procédure civile 145, 232 à 284-1

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 16 février 2005

Sur la notion des mesures d'instruction légalement admissibles au sens de l'article 145 du nouveau code de procédure civile, à rapprocher : Chambre civile 2, 1999-01-07, Bulletin 1999, II, n° 3, p. 2 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 08 fév. 2006, pourvoi n°05-14198, Bull. civ. 2006 II N° 44 p. 37
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2006 II N° 44 p. 37

Composition du Tribunal
Président : M. Dintilhac.
Avocat général : M. Kessous.
Rapporteur ?: M. Breillat.
Avocat(s) : SCP Thomas-Raquin et Bénabent, SCP Piwnica et Molinié.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2006:05.14198
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