AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 décembre 2001), que la société BNP Paribas (la banque) a consenti des crédits à la société Bankco diffusion aux droits de laquelle est venue la Compagnie nouvelle de grande distribution (la société) ; que M. X..., (la caution), dirigeant de la société Bankco, société mère, s'est porté caution à concurrence d'un certain montant ; que pour pallier les difficultés financières de la société, un protocole de restructuration est intervenu le 30 octobre 1995 prévoyant, notamment, en faveur de la banque, le nantissement de stocks avec dessaisissement et la réitération du cautionnement ; que les concours de la banque ont été dénoncés le 5 mars 1996 et exigés le 10 mai suivant ; qu'un jugement du 3 juillet 1997, assorti de l'exécution provisoire, a condamné solidairement la société et la caution au paiement d'une certaine somme et ordonné l'attribution judiciaire du gage à la banque ; que la caution et la société ont relevé appel en invoquant, la première, notamment, le caractère disproportionné de son engagement, pour en demander la nullité ; que la société a été mise en liquidation judiciaire le 9 septembre 1999 ; que sur requête de la banque, le juge-commissaire a, le 25 mai 2000, ordonné la vente des marchandises nanties aux enchères publiques ; que le produit de la vente a été séquestré entre les mains de la banque ; que Mme Y..., liquidateur judiciaire de la société, est intervenue en cause d'appel, pour réclamer des dommages-intérêts à la banque, en soutenant que le protocole de restructuration avait été résilié de manière abusive et que la banque avait perdu ses droits sur le gage ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à la condamnation de la banque en réparation du préjudice résultant de la rupture abusive de ses concours bancaires en violation de l'article C.2.3 du protocole de restructuration du 30 octobre 1995, alors, selon le moyen :
1 ) que la résiliation d'un protocole à durée indéterminée peut, même si un préavis est respecté, revêtir un caractère abusif en raison des circonstances qui accompagnent la rupture ; qu'en l'espèce, le liquidateur faisait expressément valoir qu'aux termes de l'article C.2.3 du protocole de restructuration du 30 octobre 1995, la banque s'était engagée à poursuivre ses relations avec la société dès lors que la documentation comptable de l'exercice 1995 confirmerait l'effet des mesures de redressement initiales et, dans ce but, à faire le point avec les dirigeants dans le délai de parution des comptes sociaux ; que le liquidateur soutenait que le 29 février 1996, la société avait communiqué à la banque les éléments comptables arrêtés au 30 janvier 1996 confirmant les prévisions de redressement annoncées, mais que la banque, sans même examiner la situation de sa cliente avec les dirigeants de celle-ci, avait rompu unilatéralement ses concours dès le 5 mars 1996, en violation de l'article C.2.3 du protocole de restructuration ; que dans ces conditions, en ne s'interrogeant pas, comme elle y était invitée, sur le caractère abusif de cette rupture, intervenue sans concertation préalable, alors que la banque venait d'être informée de l'effet positif des mesures de redressement prises et que conformément aux engagements pris par la banque, la société pouvait légitimement espérer le maintien de ses concours bancaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil ;
2 ) que dans ses conclusions d'appel, le liquidateur soutenait que la rupture fautive du protocole de restructuration imputable à la banque avait entraîné le retrait d'autres établissements bancaires accordant leurs concours à la société et une réaction défavorable de ses fournisseurs, lui refusant désormais tout délai de paiement ; qu'il en était résulté une perte de marge brute de 10 500 000 francs, outre le coût des licenciements auxquels elle avait dû procéder ; que dès lors, en omettant de répondre à ce moyen, pourtant de nature à établir le rapport de causalité entre la faute contractuelle commise par la banque et le préjudice subi, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 ) que la faute de la victime, si elle ne constitue pas la cause unique du dommage, ne peut totalement exonérer de sa responsabilité contractuelle le banquier fautif ; qu'en l'espèce, pour écarter les demandes indemnitaires formées par le liquidateur en réparation de l'accroissement du passif de la société liquidée dû à la rupture fautive de ses concours par la banque, la cour d'appel s'est bornée à affirmer que le gérant, condamné à supporter une partie du passif, avait commis des fautes de gestion étrangères à la banque qui ne pouvait être tenue pour responsable de la liquidation judiciaire ; qu'en se déterminant de la sorte, sans rechercher, comme l'y invitait le liquidateur, si la faute contractuelle de la banque ne s'était pas ajoutée aux fautes de gestion du dirigeant pour conduire la société à la déconfiture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt constate que le contrat comportait une clause de "défaut croisé" aux termes de laquelle la société s'engageait à respecter strictement les autorisations données par la banque, soit une ligne d'avance en devises de 13 000 000 francs et une ligne d'escompte de 7 000 000 francs en anticipant les recettes acquises en contrepartie de quoi la banque s'engageait à maintenir les crédits à court terme à durée indéterminée ; qu'il relève que la société a manqué à ses obligations, en n'apportant pas la couverture de ces avances en devises, leur montant échu et impayé s'élevant à la clôture du compte, à une somme de plus de 8 600 000 francs ; qu'en l'état de ces constations et appréciations, la cour d'appel qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions ni d'effectuer une recherche que ses constatations rendaient inopérantes, a pu en déduire que la résiliation du protocole de restructuration intervenue quatre mois plus tard en respectant le délai contractuel de préavis, n'avait pas dégénéré en abus, la société ne pouvant pas, dès lors qu'elle avait manqué à ses propres obligations, légitimement croire au maintien des concours ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt d'avoir ordonné l'attribution judiciaire au profit de la banque du nantissement consenti le 30 octobre 1995 sur les stocks de la société, alors, selon le moyen :
1 ) que comme le soutenait le liquidateur, la banque, créancier gagiste tenu de déclarer le privilège garantissant sa créance à la procédure de liquidation judiciaire ouverte le 9 septembre 1999 contre la société, n'avait pas acquis force la qualité de propriétaire des marchandises nanties dès lors que, frappé d'appel, le jugement n'avait pas acquis force de chose jugée avant l'ouverture de la procédure collective ; qu'en décidant le contraire, au motif que par l'effet de l'exécution provisoire du jugement lui ayant attribué le gage, la banque était devenue propriétaire des marchandises avant la liquidation judiciaire du débiteur, la cour d'appel a violé l'article 500 du nouveau Code de procédure civile, ensemble les articles L. 621-44 du Code de commerce et 66 du décret du 27 décembre 1985 ;
2 ) que dans ses conclusions d'appel, le liquidateur soutenait que la demande de la banque tendant à la confirmation du jugement lui attribuant le gage était irrecevable, dès lors qu'en application de l'article L. 622-21 du Code de commerce, l'action en attribution relevait de la compétence exclusive du juge-commissaire ; qu'en délaissant ce moyen déterminant de la solution du litige, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'attribution du gage ordonnée avant l'ouverture de la procédure collective, par une décision statuant sur le fond, exécutoire par provision, transfère la propriété au créancier et éteint la créance de celui-ci à concurrence de sa valeur ; que la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche inopérante mentionnée à la seconde branche, en a exactement déduit qu'à la suite du jugement du 3 juillet 1997 la banque était devenue propriétaire des marchandises nanties avant le jugement d'ouverture et n'était pas soumise à l'obligation de déclarer la créance pour la partie correspondant à leur valeur ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme Y..., liquidateur judiciaire de la société Compagnie nouvelle de distribution, aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille six.