AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trois novembre deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller NOCQUET, les observations de la société civile professionnelle THOMAS-RAQUIN et BENABENT, de la société civile professionnelle BORE et SALVE de BRUNETON et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRECHEDE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA SOCIETE COMMON MARKET FERTILIZERS,
contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 2 décembre 2004, qui, après avoir constaté l'extinction de l'action répressive suivie contre elle pour contravention douanière, l'a condamnée solidairement au paiement des droits éludés ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'a été déposée le 28 février 1995 par Véronique X... agissant pour la société SDV Logistique Internationale (SDV-LI), précédemment dénommée SCAC, commissionnaire en douanes, une déclaration d'importation par la société Common Market Fertilizers(CMF) d'un mélange d'urée et de nitrate d'ammonium provenant de Pologne ; que le tribunal de police, devant lequel la déclarante en douanes et les sociétés SCAC et CMF avaient été citées directement pour répondre de la contravention douanière ayant eu pour résultat d'éluder le recouvrement du droit spécifique "antidumping" institué par le règlement communautaire CEE 3319/1994 du 22 décembre 1994, a constaté l'extinction de l'action répressive du fait de l'abrogation de ce règlement et s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes de l'administration des Douanes ; que, sur appel de cette Administration limité aux intérêts civils, l'arrêt attaqué a prononcé sur ses demandes et dit que la société CMF devrait à Véronique X... et à la société SDV-LI garantie des condamnations prononcées ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4 du Code pénal, 1 3 du règlement communautaire CE 3319/1994 du 22 décembre 1994, 369-4 et 377 bis du code des douanes, 201 et 213 du code des douanes communautaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné la société CMF, solidairement avec Véronique X... et la société SDV-LI, au paiement de la somme de 128 098,49 euros au bénéfice de l'administration des Douanes, sur le fondement des articles 369-4 et 377 bis du Code des douanes et 201 et 213 du Code des douanes communautaire ;
"aux motifs que " par télécopie du 13 janvier 1995 la société Agrobaltic a indiqué au commissionnaire en douane SCAC que le dédouanement devait être effectué au nom de la société Agrobaltic et que le règlement de la TVA serait effectué par la CMF ;
qu'a été déposée une déclaration d'importation de type IM4 au nom de la CMF représentée par son représentant fiscal Champagne Fertilisants ; que cette procédure d'importation impliquait le dépôt d'une déclaration de mise en pratique IMO entraînant l'un des 3 régimes prévus (placement des produits en entrepôt fiscal douanier Code 7) ; que c'est seulement après que le placement en entrepôt fiscal pouvait être apuré ou levé par le dépôt d'une déclaration de sortie des marchandises au nom de la société CMF sous le sigle FR suivi du Code 4 correspondant à la mise à la consommation ; que l'opération envisagée devait se dérouler en deux temps :
ZAP/Agrobaltic, Agrobaltic/CMF ; qu'en déposant une déclaration unique IM4 n'est apparue qu'une seule déclaration non conforme à la réalité des transactions successivement opérées par les diverses parties intervenantes ; qu'au regard des instructions données, la société Agrobaltic avait l'apparence lors du dépôt de la déclaration d'importation d'être l'importateur communautaire qui met en libre pratique et le premier acheteur des produits à l'exportateur polonais ; que cependant la libre pratique déclarée nécessitait une opération intermédiaire, la mise puis la sortie des marchandises, en entrepôt fiscal qui a été occultée en l'absence d'une seconde déclaration d'Agrobaltic au profit de CMF ; que cette déclaration, comme la première, aurait entraîné l'acquittement de droits qui ont été éludés ; que pour que la mise en entrepôt fiscal soit effectuée il convenait que la société Agrobaltic soit représentée par un représentant fiscal établi en France et dont le nom aurait figuré sur la déclaration ; qu'en conséquence la société CMF ne peut soutenir que le commissionnaire en douane a commis une erreur en la mentionnant sur la déclaration puisque CMF était le destinataire final des produits ; que pour leur part les instructions données par la société Agrobaltic qui consistaient en pratique à " sauter " ou occulter une opération douanière ne peuvent résulter (s'agissant de textes diffusés et dénués d'ambiguïté pour des professionnels du commerce international), d'une erreur et sont contraires aux dispositions douanières légales communautaires ; que toutes les opérations d'achats et de ventes entre l'exportateur et les
différentes sociétés de la communauté ont été réalisées avant la déclaration douanière IMO 4 ; que les factures émises établissent le transfert de propriété des marchandises ; qu'en conséquence, la deuxième déclaration omise aurait dû être effectuée au nom de CMF ; que celle-ci ne peut prétendre que le transfert de propriété avait lieu après paiement des droits douaniers alors que ceux-ci ont été contournés ; que si la mise en pratique ne pouvait être effectuée par CMF rien n'empêchait celle-ci de déclarer la levée d'entrepôt qui était la procédure qui aurait dû être suivie ; qu'importent peu les raisons historiques ou d'organisation de cette entreprise ; que celle-ci apparaît bien l'importateur réel des marchandises ; qu'elle reconnaît qu'elle est la société mère d'Agrobaltic ; que celle-ci de par le fait même de l'organisation vantée n'a pas d'autonomie propre démontrée puisqu'il est admis notamment qu'elle démarche pour le compte de CMF ; que CMF ne peut donc valablement se retrancher derrière les instructions données à la SCAC par Agrobaltic qui ne pouvait au regard de la réglementation douanière donner de telles instructions ; qu'inversement et pour des raisons identiques Agrobaltic ne peut être considérée comme l'importateur des marchandises sinon grâce à une apparence destinée à tromper l'Administration ; qu'au demeurant CMF se considère bien comme l'importateur lorsqu'il déclare que la SCAC son commettant n'a pas suivi ses instructions ; que la SCAC et Véronique X... pour leur part font appel à la notion d'entité économique unique pour tenter d'échapper à la notion d'entreprises liées ; qu'il n'est pas contesté que les sociétés ZAP et le groupe CMF n'ont aucun lien entre elles sinon et uniquement de nature commerciale ; qu'en l'espèce il n'existe aucun intermédiaire extra communautaire entre l'exportateur polonais et l'importateur CMF en vue de conduire à une surfacturation pour satisfaire aux exigences du prix minima ; que par contre il a existé des facturations internes entre sociétés de la communauté européenne dont les conséquences n'ont pas été tirées au niveau des déclarations douanières auxquelles il aurait été en conséquence nécessaire de procéder ; qu'il importe donc peu que les sociétés concernées fassent partie du même groupe ; que lorsqu'il n'y a pas eu facturation directe comme en l'espèce, le droit anti-dumping spécifique s'applique ; qu'importe peu que le prix payé des marchandises ait été supérieur à celui pratiqué sur le marché communautaire dès lors que les taxes sont dues quand les déclarations douanières sont non conformes ; qu'il sera rappelé que l'absence d'une déclaration a entraîné le non paiement des taxes afférentes ; que si la mise en libre pratique et la mise à la consommation peuvent être faites par deux personnes différentes encore faut il que les déclarations correspondent à ces deux opérateurs ce qui n'a pas été le cas ; que la citation vise toute irrégularité qui a pour but ou pour effet d'éluder ou de compromettre le recouvrement d'un droit ou d'une taxe ; que si l'action fiscale a disparu, l'action civile est fondée sur cette poursuite ; que l'Administration douanière justifie ainsi du bien fondé de ses réclamations " ;
"alors que, d'une part, toutes les entreprises d'un même groupe constituent une entité économique unique ; que la société Agrobaltic et la société Rellman, filiales à 100% de la société CMF, constituent avec celle-ci le groupe CMF ; que la cour d'appel a elle-même reconnu l'existence de ce groupe ; qu'en retenant qu'il n'y aurait pas eu de facturation directe bien que, par l'intermédiaire de la société Agrobaltic, ce soit en réalité le groupe CMF qui ait acheté la marchandise auprès de la société ZAP, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article 1er, alinéa 3, du règlement du 22 décembre 1994 ;
"alors que, d'autre part, subsidiairement, l'article 1er, alinéa 3, du règlement communautaire du 22 décembre 1994 énonçait que le montant du droit anti-dumping était variable " dans tous les cas où le prix caf frontière communautaire, majoré du droit TDC à payer par tonne de produit est inférieur au prix minimal à l'importation et lorsque les importations mises en libre pratique sont directement facturées à un importateur non lié par l'un des exportateurs ou producteurs suivants situés en Pologne : ZAP " ;
que seule la détermination de la personne de l'importateur à laquelle est facturée la marchandise permet de savoir si le critère de facturation directe est rempli ou non, peu important la personne au nom de laquelle la marchandise est ensuite mise en libre pratique ;
que l'importateur se définit comme la personne qui fait matériellement entrer la marchandise sur le territoire de la communauté européenne ; que la société Agrobaltic, société de l'Union européenne, est bien l'importateur de la marchandise qui lui a été facturée directement par ZAP ; qu'en retenant que la société CMF aurait été le véritable importateur en se fondant sur le fait que la mise en libre pratique a été faite par erreur au nom de cette dernière, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation de l'article précité ;
"alors qu'enfin, et en tout état de cause, le règlement communautaire du 22 décembre 1994 avait été adopté dans le but de protéger l'industrie communautaire en lui permettant " d'augmenter ses prix jusqu'à un niveau rentable " pour remédier au préjudice subi par celle-ci en raison du dumping pratiqué notamment par les entreprises polonaises et bulgares ; que le prix minimum en deçà duquel une taxe variable était due était fixé à 89 écus par tonne de produit ; que la Cour d'appel a constaté que la société Agrobaltic avait acheté les marchandises à un prix supérieur à ce prix minimum ; qu'en imposant néanmoins le paiement d'une taxe anti-dumping à la société CMF, la cour d'appel a nié la volonté du législateur européen en violation de l'article 1er du règlement susvisé" ;
Attendu que, d'une part, il n'y a pas lieu d'examiner les deuxième et troisième branches du moyen, dont le demandeur, dans son mémoire complémentaire, déclare se désister ;
Attendu que, d'autre part, pour condamner la société CMF au paiement des droits éludés, l'arrêt attaqué relève que celle-ci était l'importateur réel et que les marchandises n'ont pas fait l'objet d'une facturation directe entre le producteur et l'importateur ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations relevant de son appréciation souveraine, d'où il résulte que les conditions d'application du droit spécifique "antidumping" étaient réunies, et dès lors qu'il n'importe que les sociétés auxquelles les marchandises ont été facturées aient appartenu au même groupe, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4 du code pénal, 374 et 395 du Code des douanes, 1214 du Code civil, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a dit que la société CMF devrait garantie à la société SDV-LI et à Véronique X... du paiement de la somme de 128.098,49 euros à l'administration des Douanes auxquelles toutes trois ont été solidairement condamnées ;
"aux motifs que " la société SDV-LI et Véronique X... demandent en cas d'admission des prétentions de l'administration des Douanes l'entière garantie de la société CMF au titre de l'article 374-2 du Code des douanes et 1214 du Code civil ;
qu'une condamnation solidaire au profit de la douane ne préjuge pas de la manière dont devra se faire la contribution de la dette entre tous les débiteurs condamnés ; que dans le cadre de la présente action civile de la douane, il apparaît que la société CMF aurait été tenue au paiement des droits éludés si elle avait fait remplir une déclaration conforme à la date en vigueur à la date des impositions litigieuses ; que la société CMF apparaît le principal responsable de la fraude ; qu'il convient en conséquence de faire droit à la demande qui n'est d'ailleurs pas discutée par la société CMF " ;
"alors que, d'une part, l'appel en garantie du propriétaire par le déclarant prévu par l'article 374-2 du Code des douanes, en cas de confiscation de marchandises saisies, n'est applicable que lorsque ce dernier est seul poursuivi ; qu'en faisant droit à l'appel en garantie du commissionnaire en douanes et du déclarant bien que les marchandises n'aient pas été confisquées et que le propriétaire de celles-ci ait été poursuivi en même temps que le commissionnaire et le déclarant, la cour d'appel a fait une application erronée du texte précité ;
"alors que, d'autre part, les règles de compétence des juridictions répressives sont d'ordre public ; qu'il en résulte que les juges correctionnels ne peuvent, sans excéder leurs pouvoirs, connaître de litiges que le législateur ne leur a pas attribués ; que les recours dont peuvent disposer, entre eux, le propriétaire de la marchandise, le commissionnaire et la personne que ce dernier s'est substituée, ressortissent à la seule juridiction civile ; qu'en se prononçant sur l'appel en garantie formé, le jour même de l'audience, par la société SDV-LI, commissionnaire, et Véronique X..., déclarant, à l'encontre de la société CMF, bien que cette demande ait relevé que la compétence exclusive du juge civil, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs, en violation des textes susvisés ;
"alors qu'enfin, dans ses conclusions d'appel, la société CMF contestait la compétence du juge pénal pour connaître de l'action civile ; qu'elle faisait notamment valoir que " les dispositions pénales dérogatoires au droit commun sont d'interprétation stricte " et qu'" il en est également ainsi des règles de compétence dérogatoires " ; qu'en retenant que la société CMF n'aurait pas discuté la demande de garantie, formée le jour même de l'audience, bien que cette société ait contesté la compétence du juge pénal pour connaître de l'action civile et donc de la demande en garantie qui présente elle aussi une nature civile, la cour d'appel a dénaturé les écritures de la société CMF" ;
Vu l'article 357 bis du Code des douanes, ensemble l'article 1214 du Code civil ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, les tribunaux d'instance connaissent des contestations concernant le paiement, la garantie ou le remboursement des créances de toute nature recouvrées par l'administration des Douanes ; que les juges répressifs ne peuvent, sans excéder leurs pouvoirs, connaître de litiges que le législateur ne leur a pas attribués ;
Attendu qu'après avoir condamné solidairement Véronique X..., la société SDV-LI et la société CMF au paiement des droits éludés, l'arrêt prononce sur l'appel en garantie formé par les deux premières à l'égard de la troisième ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen, en date du 2 décembre 2004, en ses seules dispositions disant que la société CMF devra garantie à Véronique X... et à la société SDV-LI ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rouen, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Nocquet conseiller rapporteur, MM. Challe, Dulin, Mmes Thin, Desgrange, MM. Rognon, Chanut, Beauvais conseillers de la chambre, M. Soulard, Mmes Degorce, Labrousse conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Fréchède ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;