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28/06/2005 | FRANCE | N°04-13910

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 28 juin 2005, 04-13910


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 mars 2004), que saisi le 5 janvier 1998 par le ministre de l'Economie de pratiques mises en oeuvre par les laboratoires Sandoz, devenus en 1997 Novartis Pharma SA (Novartis) sur les marchés de certaines spécialités pharmaceutiques destinées aux hôpitaux, le Conseil de la concurrence (le Conseil) a, dans une décision n° 03-D-35 du 24 juillet 2003, retenu que Novartis a enfreint les dispositions de l'article L.

420-2 du Code de commerce en pratiquant des remises liées sur les ven...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 mars 2004), que saisi le 5 janvier 1998 par le ministre de l'Economie de pratiques mises en oeuvre par les laboratoires Sandoz, devenus en 1997 Novartis Pharma SA (Novartis) sur les marchés de certaines spécialités pharmaceutiques destinées aux hôpitaux, le Conseil de la concurrence (le Conseil) a, dans une décision n° 03-D-35 du 24 juillet 2003, retenu que Novartis a enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce en pratiquant des remises liées sur les ventes de ses spécialités contenant de la ciclosporine dont elle détient le monopole et celles de six autres spécialités soumises à la concurrence, a infligé à cette société une sanction de 7.800.000 euros et ordonné une mesure de publication ; que la cour d'appel a rejeté tant le recours formé par Novartis que le recours incident formé par le ministre chargé de l'Economie ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Novartis fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours tendant à l'annulation de la décision du Conseil alors, selon le moyen, que "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement ; que les parties ont droit dès la première instance, à un tribunal réunissant l'ensemble des conditions de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, indépendamment de l'existence d'une voie de recours devant une juridiction présentant l'intégralité de ces garanties ; qu'en décidant néanmoins d'appliquer l'article L. 463-7, alinéa 1er du Code de commerce au motif que l'absence de publicité des débats ne pouvait faire grief à la société Novartis puisque la décision prise par le conseil pouvait subir le contrôle effectif d'une juridiction offrant toutes les garanties d'un tribunal au sens de l'article 6 paragraphe 1, et au motif inopérant que la société Novartis avait eu la possibilité d'assister à la séance et d'y être entendue ou de se faire représenter, la cour d'appel a violé l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l'homme" ;

Mais attendu que le seul fait que les débats devant le Conseil, en application de l'article L. 463-7, alinéa 1er, du Code de commerce ne sont pas publics, ne saurait faire grief aux parties intéressées dès lors que les décisions prises par le Conseil subissent a posteriori le contrôle effectif d'un organe judiciaire offrant toutes les garanties d'un tribunal au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; d'où il suit que l'arrêt n'encourt pas le grief du moyen ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que la société Novartis fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours tendant à la réformation de la décision du Conseil ayant jugé qu'elle avait enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce en pratiquant des remises liées sur les ventes de ses spécialités contenant de la ciclosporine et sept autres spécialités et de lui avoir infligé une sanction pécuniaire de 7.800.000 euros, alors, selon le moyen :

1 / que ne constitue pas une vente liée, au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce, la pratique à laquelle l'acheteur public a incité le candidat à l'appel d'offre consistant à proposer une remise sur la vente de plusieurs lots, dès lors que l'achat d'un lot n'est pas subordonné à celui d'un autre lot, que l'initiateur du marché, qui a sollicité une telle remise, conserve la faculté d'acquérir chacun des lots séparément, sans surcoût par rapport au prix pratiqué antérieurement et peut même négocier une remise lot par lot ; qu'en jugeant néanmoins que la remise pratiquée par les laboratoires Sandoz avait la nature d'une remise sur ventes liées, l'achat d'un produit en monopole étant lié à celui de produits en concurrence, tandis qu'elle constatait que les hôpitaux qui avaient sollicité cette remise demeuraient libres d'acquérir chacun des lots indépendamment les uns des autres, pour le prix antérieurement pratiqué et que certains hôpitaux avaient obtenu une remise sur le seul lot de produit sous monopole, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ;

2 / que l'exploitation de la position dominante que détient une entreprise en situation de monopole pour un médicament ne peut être abusive que si la pratique reprochée a pour effet réel ou potentiel de fausser la concurrence sur les marchés connexes des autres spécialités soumises à la concurrence ; qu'en ce qui concerne l'effet avéré de la pratique litigieuse en 1994, 1995 et 1996, la cour a tout à la fois constaté d'une part qu'elle avait été de nature à fausser de manière sensible la concurrence existant sur les marchés connexes et à limiter l'accès à ces marchés et d'autre part, lors de l'appréciation de la sanction, qu'aucun effet d'éviction de produits concurrents n'avait été mis en évidence sur chacun des six marchés concernés et qu'il n'avait pas été démontré que cette remise ait modifié la décision des acheteurs dans un nombre substantiel d'appels d'offres ; qu'ainsi la cour a entaché sa décision d'une contradiction de motifs en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

3 / qu'en ce qui concerne l'effet potentiel, la cour constate que la pratique litigieuse a été limitée aux appels d'offre des années 1994, 1995 et 1996, qu'aucun effet d'éviction des produits concurrents n'a été mis en évidence pendant cette période, qu'il n'a pas été démontré que cette remise ait modifié la décision des acheteurs publics et qu'elle n'a eu aucun effet fidélisant de sorte que la modification du comportement des acheteurs qu'elle avait pour objet de susciter ne portait que sur la durée des marchés d'appels d'offres ; qu'il résulte de ces constatations que la pratique reprochée avait épuisé ses effets au jour où elle a cessé d'être mise en oeuvre et ne pouvait donc avoir aucun effet potentiel sur la concurrence affectant les marchés connexes ; qu'en ne déduisant pas de ces constatations l'absence d'effet potentiel de la pratique reprochée de nature à fausser la concurrence sur les marchés connexes de six spécialités, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 420-2 du Code de commerce ;

4 / qu'enfin, en affirmant en termes généraux que des médicaments génériques étaient commercialisés sur trois des six marchés pertinents de produits et que la pratique incriminée était de nature à fausser de manière sensible la concurrence existant sur les marchés de produits en cause et à limiter l'accès à ces marchés puis, appréciant la sanction, en affirmant que sur trois des marchés de produits concernés, des médicaments génériques figurent parmi les spécialités concurrentes évincées et que les pratiques examinées ne peuvent qu'avoir dissuadé les fabricants de ces produits de se développer et de pénétrer de nouveaux marchés, et enfin que le dommage à l'économie en résultant doit être apprécié au regard de la part de marché national que représentent globalement en France les médicaments génériques, estimée à 3,5 % du volume total des prescriptions en 1999, sans rechercher concrètement comme elle y était invitée par les conclusions de la société Novartis, d'une part si, sur les trois marchés pertinents de l'étoposide, de la calcitonine et de la bromocriptine, l'absence de développement des génériques n'était pas due aux propres choix stratégiques de certains laboratoires, et si d'autres n'avaient pu, dans des conditions normales, se développer sur les marchés concernés et d'autre part si l'absence de pénétration des médicaments génériques sur le marché hospitalier, loin d'avoir pour cause la pratique litigieuse au demeurant limitée dans le temps, ne s'expliquait pas par la réglementation en vigueur à l'époque de la pratique reprochée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que les laboratoires Sandoz détenaient en raison d'un brevet un monopole sur deux spécialités pharmaceutiques, dont le principe actif est la ciclosporine, spécialités coûteuses, nécessaires au traitement des patients greffés et n'ayant alors pas d'équivalent et qu'en 1994, 1995 et 1996, ces laboratoires avaient proposé à des établissements hospitaliers universitaires une remise sur la totalité de leurs achats, y compris ceux sous monopole, à la condition que l'hôpital s'approvisionne exclusivement auprès d'eux pour un certain nombre d'autres spécialités pharmaceutiques qu'ils estimaient "prioritaires" et qui étaient soumises à la concurrence d'autres laboratoires, le refus de leur attribuer les lots correspondant à ces spécialités "prioritaires" entraînant l'absence de remise, y compris sur la ciclosporine, la cour d'appel a retenu que cette remise, liant l'achat d'un produit sous monopole dont l'acheteur ne pouvait se passer à celui de produits en concurrence commercialisés sur six marchés connexes de spécialités vendues aux hôpitaux, ne repose pas sur une contrepartie économiquement justifiée et tend à empêcher l'approvisionnement des acheteurs auprès d'entreprises concurrentes sur ces marchés connexes ; que sur chacun des marchés connexes, dont trois concernaient des médicaments génériques, le système de remise sur ventes liées adopté par les laboratoires Sandoz, incitant les acheteurs à privilégier l'offre de leurs spécialités en concurrence, était de nature à fausser de manière sensible la concurrence sur les marchés de produits en cause et à limiter l'accès à ces marchés ; que cet effet s'est concrétisé sur cinq des marchés connexes par l'élimination de concurrents qui avaient déposé des offres de prix inférieures à celles de Sandoz, lors de l'attribution de vingt-trois lots d'appels d'offres par huit centres hospitaliers qui ont reconnu s'être fondés sur le prix Sandoz globalement plus bas en raison de la remise consentie sur l'ensemble de leurs achats ; qu'en l'état de ces énonciations dont il ressort que Sandoz, devenu Novartis, a abusé, sur plusieurs marchés concurrentiels de spécialités pharmaceutiques, de la position dominante qu'elle détenait sur le marché de la ciclosporine, la cour d'appel, qui ne s'est pas contredite, a légalement justifié sa décision et pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le troisième moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que la société Novartis fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :

1 / que la sanction pécuniaire doit être proportionnée notamment à la gravité des faits reprochés ; qu'en affirmant que la pratique litigieuse avait permis aux laboratoires Sandoz d'étendre indûment les avantages de leur situation de monopole sur le marché de la ciclosporine à six marchés connexes sur lesquels ils étaient fortement concurrencés tout en relevant qu'aucun effet d'éviction de produits concurrents n'avait été mis en évidence sur chacun des six marchés pertinents et qu'il n'avait pas été démontré que cette remise ait modifié la décision des acheteurs dans un nombre substantiel d'appels d'offres (arrêt p. 14 et 15), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 420-2 du Code de commerce ;

2 / que la société Novartis invitait la cour d'appel à constater que la pratique des remises avait été utilisée pendant trois ans seulement, que ses effets n'avaient pas perduré au delà de cette période dès lors qu'elle n'impliquait aucun engagement durable des acheteurs publics à renouveler d'année en année le choix de Sandoz, qu'elle s'était accompagnée d'augmentations très limitées du prix de la ciclosporine et même d'une baisse en francs constants et qu'elle n'était pas à l'origine de l'absence de pénétration significative des génériques sur le marché hospitalier ; que ces éléments étaient déterminants pour apprécier la gravité des faits et le comportement de leur auteur et que, faute de les avoir pris en considération, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ;

3 / que les sanctions pécuniaires sont proportionnées au dommage causé à l'économie ; que les constatations de la cour d'appel doivent mettre en mesure la Cour de cassation de vérifier qu'elle a, pour caractériser un tel dommage, contrôlé la pertinence des données de fait retenues par le conseil et contestées par l'auteur des pratiques litigieuses ; qu'en affirmant l'existence d'une menace d'éviction des concurrents non établie en l'état de la limitation dans le temps de la pratique incriminée et des fabricants de génériques en se fondant sur des données nationales inapplicables au marché hospitalier, sans effectuer aucune des recherches de fait auxquelles l'invitait la société Novartis, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de contrôler la proportionnalité de la sanction au regard du dommage causé à l'économie, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ;

4 / qu'en maintenant la sanction pécuniaire prononcée par le conseil de la concurrence, tandis qu'elle se séparait de l'appréciation de cette autorité administrative et constatait que les laboratoires Sandoz avaient mis fin à la pratique litigieuse spontanément, avant même le début de l'enquête administrative, que c'était à tort que le conseil avait fait porter son analyse du dommage à l'économie sur le marché de la ciclosporine, que la société Novartis faisait valoir, sans être démentie, que la hausse du prix de la ciclosporine sur la période de trois ans considérée avait été inférieure à l'inflation si bien que le chiffre d'affaires supplémentaire résultant de cette hausse ne pouvait être qualifiée, comme l'avait fait le conseil, de "gain financier important" et qu'aucun effet d'éviction n'avait été mis en évidence sur chacun des six marchés pertinents, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui s'est prononcée sur la gravité des faits qu'elle a qualifiée en tenant notamment compte du fait que la pratique litigieuse avait duré pendant trois ans avant que l'entreprise n'y mette spontanément fin, qui a mis la Cour de cassation en mesure de contrôler la proportionnalité de la sanction au dommage causé à l'économie qu'elle a analysé de façon concrète en fonction des effets conjoncturels et structurels, potentiels et avérés de la pratique sur les six marchés affectés et qui s'est expliquée sur la situation de l'entreprise en cause, a pu estimer, dans son pouvoir d'appréciation de la proportionnalité de la sanction, que le montant prononcé par le Conseil devait être maintenu et a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Novartis Pharma aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Novartis Pharma et la condamne à payer au ministre de l'Economie et des Finances la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille cinq.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 04-13910
Date de la décision : 28/06/2005
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

CONCURRENCE - Conseil de la concurrence - Procédure ordinaire - Audience - Débats non publics - Convention européenne des droits de l'homme - Compatibilité.

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 6.1. - Publicité - Garantie - Reconnaissance - Cas - Procédure devant le Conseil de la concurrence

Le seul fait que les débats devant le Conseil de la concurrence ne sont pas publics ne saurait faire grief aux parties intéressées dès lors que les décisions prises par le Conseil subissent a posteriori le contrôle effectif d'un organe judiciaire offrant toutes les garanties d'un tribunal au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 30 mars 2004

Sur la compatibilité du caractère non public de la procédure devant le Conseil de la concurrence à l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans le même sens que : Chambre commerciale, 2003-01-28, Bulletin 2003, IV, n° 12, p. 14 (rejet)

arrêt cité.


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 28 jui. 2005, pourvoi n°04-13910, Bull. civ. 2005 IV N° 137 p. 145
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2005 IV N° 137 p. 145

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Tricot.
Avocat général : Avocat général : M. Lafortune.
Rapporteur ?: Rapporteur : Mme Beaudonnet.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Baraduc et Duhamel, Me Ricard.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2005:04.13910
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