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21/06/2005 | FRANCE | N°04-84974

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 21 juin 2005, 04-84974


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt et un juin deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MENOTTI, les observations de Me ROUVIERE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- LE X... Françoise, épouse Y...,

- LE X... Madeleine, épouse Z...,

- A... Marie-Louise, épouse B..., parties civiles,

contre l'arrêt de la cour d

'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 22 juillet 2004, qui, dans la procédure suivie contre Didi...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt et un juin deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MENOTTI, les observations de Me ROUVIERE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- LE X... Françoise, épouse Y...,

- LE X... Madeleine, épouse Z...,

- A... Marie-Louise, épouse B..., parties civiles,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 22 juillet 2004, qui, dans la procédure suivie contre Didier C... du chef de diffamation publique envers la mémoire d'un mort, a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 29 alinéa 1, 32, alinéa 1er, 34, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, 485, 591, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a infirmé le jugement entrepris et débouté Françoise Le X..., épouse Y..., Marie-Louise A..., épouse B..., et Madeleine Le X..., épouse Z... de leurs demandes à l'encontre de Didier C... du chef de diffamation contre la mémoire d'un mort ;

"aux motifs, que les propos tenus par Didier C... sont diffamatoires envers Bernard A... dans la mesure où il est clairement accusé d'avoir détourné frauduleusement la trésorerie de l'entreprise Pathé-Cinéma, d'avoir converti les sommes détournées en or et en bijoux pour éviter leur dépréciation, d'avoir été emprisonné pour ce méfait, mais d'avoir réussi à dissimuler son butin ; que le prévenu ajoute qu'après la guerre, l'une des filles de Bernard A..., ayant vu son père enterrer dans le jardin de la maison familiale une valise contenant des lingots et des pierres précieuses, "a tout fait jusqu'à sa mort pour retrouver le trésor" ; qu'aux termes de l'article 34 de la loi sur la presse, la diffamation envers la mémoire d'un mort n'est punissable que si l'auteur de la diffamation a eu l'intention de porter atteinte à l'honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants ; que, faisant droit à l'argumentation des parties civiles, le tribunal a jugé que les propos poursuivis imputaient à l'héritière un fait attentatoire à son propre honneur et à sa propre considération, la fille étant, ainsi, inséparablement associée aux faits reprochés au père et, notamment, à son appât du gain et que le prévenu savait que Bernard A... avait eu deux filles mais croyait, à tort, que l'une d'elle était décédée en déportation ; qu'il ne précise pas à laquelle des deux filles il attribue le comportement qu'il décrit ; que Betty A..., veuve Le X..., et Marie-Louise A..., veuve B..., étaient ainsi fondées à s'estimer l'une et l'autre visées par ces propos ; que la Cour estime, contrairement au tribunal, que les propos poursuivis, tels qu'ils sont rapportés dans l'acte de poursuite, n'accusent pas de manière explicite la fille de Bernard A... d'avoir agi par cupidité dans le but de s'approprier le trésor ; que le fait de dire que la fille de Bernard A... "a tout fait jusqu'à sa mort pour retrouver le trésor" révèle, tout au plus, la curiosité et l'opiniâtreté de l'intéressée ; que ces propos ne comportent aucune indication, ni insinuation sur ce qui se serait passé si elle avait découvert le trésor ; que la Cour constate que Didier C... a publié, en 1998, aux éditions Terre, un ouvrage intitulé "dictionnaire des trésors", dont le tome II évoque l'affaire Bernard A... ; que cet ouvrage comporte, à la page 164, les développements suivants : "... revenue en France, la jeune femme se convertit au catholicisme et entra en religion. Elle passa les dernières années de sa vie à tenter de retrouver la cache aménagée dans la forêt par son père, pour restituer les sommes, mais ce fut en vain. Le trésor dort toujours quelque part dans les taillis situés derrière la maison" ; que ce passage présente sous un jour très favorable la fille de Bernard A..., puisqu'il est clairement indiqué qu'elle avait pour projet de restituer les sommes détournées par son père ; que les propos tenus par Didier C... lors de l'émission diffusée le 31 mars 2001 doivent être appréciés au regard de son ouvrage publié trois années auparavant ;

que l'on conçoit difficilement qu'il ait eu l'intention, au cours de cette émission, même de manière insidieuse, de porter atteinte à l'honneur ou à la considération des héritiers de Bernard A... ; que faute de rapporter la preuve de cette intention, les éléments constitutifs du délit prévu par l'article 34 de la loi sur la presse ne sont pas réunis ; que le jugement doit être infirmé en ce qu'il a retenu une faute à l'encontre de Didier C... ;

"alors que, la diffamation à l'égard d'un mort n'implique pas que les propos incriminés contiennent l'imputation d'un fait ou de fait précis contre les héritiers eux-mêmes ; que, dès lors, la cour d'appel, qui admet que les propos sont diffamatoires à l'égard de Bernard A..., ne pouvait réformer le jugement et considérer que la preuve de l'intention de Didier C... de porter atteinte à l'honneur et à la considération de ses héritiers n'était pas rapportée, en considérant que les propos incriminés n'accusaient pas de manière explicite la fille de Bernard A..., motif insusceptible de caractériser le délit ; qu'ainsi, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision et a violé les textes visés au moyen ;

"alors que, la cour d'appel ne pouvait infirmer le jugement en se déterminant, d'une part, sur le caractère qu'elle estime non diffamatoire des propos tenus à l'égard des héritiers de Bernard A... et, d'autre part, au vu d'un ouvrage publié par Didier C... trois ans avant les propos incriminés, ces éléments étant insusceptibles de répondre aux conditions légales de l'article 34 de la loi sur la presse ;

qu'ainsi, l'arrêt est, à nouveau, entaché d'une violation des textes visés au moyen ;

"alors que, la cour d'appel ne pouvait, en toute hypothèse, estimer, au vu de l'ouvrage publié par Didier C... plusieurs années avant l'émission incriminée, que celui-ci n'avait pas eu l'intention de porter atteinte à l'honneur ou à la considération des héritiers de Bernard A... ; qu'en effet, outre que l'intention de nuire doit s'apprécier au moment où les propos sont tenus, et non par rapport à des éléments antérieurs, de surcroît, la comparaison entre l'ouvrage - et notamment le passage retenu par l'arrêt, évoquant la jeune femme convertie au catholicisme, devenue religieuse et passant les dernières années de sa vie à tenter de retrouver le trésor pour restituer les sommes détournées par le père - et les propos incriminés, totalement différents, tenus lors de l'émission, était de nature à prouver l'intention de nuire de Didier C... ; qu'ainsi, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences s'évinçant du caractère différent des propos tenus par rapport à l'écrit qu'elle retient, n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'au cours d'une émission radiodiffusée, Didier C..., auteur d'un ouvrage intitulé "Dictionnaire des trésors", a rapporté que Bernard A..., propriétaire, entre les deux guerres, de l'entreprise Pathé- Cinéma, avait détourné la trésorerie de cette société, et en avait dissimulé le produit dans sa propriété, qu'il a ajouté que l'une de ses deux filles avait tout fait jusqu'à sa mort, pour retrouver le trésor qu'elle savait avoir été caché par son père ;

Que Marie-Louise A..., fille de Bernard A..., Françoise et Madeleine Le X..., ses petites-filles venant au droit de leur mère décédée, ont porté plainte du chef de diffamation publique envers la mémoire d'un mort ; que le tribunal correctionnel a constaté l'extinction de l'action publique par l'amnistie et a condamné Didier C... à des réparations civiles ;

Attendu que, pour infirmer le jugement entrepris et pour déclarer non constitués les faits de diffamation envers la mémoire d'un mort, l'arrêt relève que les propos tenus par Didier C... doivent être appréciés au regard de son ouvrage publié trois années auparavant, présentant sous un jour très favorable la fille de Bernard A... ; que les juges en déduisent que le prévenu n'a pas eu l'intention, au cours de cette émission, de porter atteinte à l'honneur ou à la considération de celle-ci ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, la Cour, qui s'est limitée à des éléments extérieurs au contexte, de surcroît antérieurs de trois années aux déclarations litigieuses, pour exclure l'intention de nuire, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 22 juillet 2004, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Orléans, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Ménotti conseiller rapporteur, M. Joly, Mmes Chanet, Anzani, MM. Beyer, Pometan, Mmes Palisse, Guirimand conseillers de la chambre ;

Avocat général : M. Di Guardia ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 04-84974
Date de la décision : 21/06/2005
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Diffamation - Diffamation publique envers la mémoire d'un mort - Intention de porter atteinte à l'honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants.

Ne donne pas de base légale à sa décision la cour d'appel qui, saisie d'une diffamation envers la mémoire des morts prévue par l'article 34 de la loi sur la presse, fonde l'absence d'intention de nuire à l'honneur ou à la considération des héritiers sur les seuls éléments extrinsèques au contexte, de surcroît antérieurs de trois années aux déclarations litigieuses.


Références :

Code de procédure pénale 593
Loi du 29 juillet 1881 art. 34

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 22 juillet 2004


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 21 jui. 2005, pourvoi n°04-84974, Bull. crim. criminel 2005 N° 185 p. 653
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2005 N° 185 p. 653

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Di Guardia.
Rapporteur ?: Mme Ménotti.
Avocat(s) : Me Rouvière.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2005:04.84974
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